mardi 10 décembre 2013

Nelson Mandela, un homme complètement beau !






« Une idée me tourmentait depuis longtemps, mais je craignais d’en faire un roman parce que l’idée est trop difficile et que je n’y suis pas préparé, bien que l’idée soit tout à fait séduisante et bien que je l’aime. Cette idée consiste à représenter un homme complètement beau », Fiodor Dostoïevski.

Tous les grands hommes ont une dimension romanesque. Nelson Mandela n’échappe certainement pas à la règle. Il a ceci de Dostoïevskien d’avoir été  en butte permanente aux tribulations du destin. Sans être un héros de la tragédie grecque ou un personnage shakespearien qui n’a « aucun » empire sur les choses, Mandela a ceci de « mystique » d’avoir traversé une montagne de feu sans être défiguré comme les personnages du grand écrivain russe. Mandela est un revenant. Ceux qui reviennent en savent bien des choses. Tout le secret de la beauté de l’homme est là. La beauté de la vie, la beauté de ceux qui ont mis en jeu leur vie. La beauté de ceux qui ont tutoyé la mort. Mandela a connu « l’avération de la mort », expression hégélienne qui sied parfaitement à la vie de l’homme. C’est « seulement par la mise en jeu de la vie qu’est éprouvée et avérée la liberté. L’individu qui n’a pas mis en jeu sa vie  peut, certes, être reconnu comme personne ; mais il n’est pas parvenu à la vérité de cette reconnaissance, comme étant une conscience de soi autonome » a dit justement le philosophe allemand.

Tout nègre qu’il est, Mandela possède cette beauté complètement apollinienne qui a fait tant défaut à Jules César et Napoléon Bonaparte. Si Léon Tolstoï a dit que « La grandeur de Napoléon, César ou Washington n’est qu’un rayon de lune à coté du soleil de LINCOLN » c’est parce que César et Napoléon ont tous les deux une dimension dionysiaque, cette face nocturne, tumultueuse, ce génie maléfique, ce désir de donner la mort dont Lincoln et Mandela étaient fort éloignés. Voilà la ressemblance entre les deux hommes. Entre temps il y a eu deux fabuleux intermèdes, ceux de Mahatma Gandhi et Martin Luther King.  Nelson Mandela et Abraham Lincoln ont ceci de particulier d’avoir combattu la discrimination raciale. Bref, tous ces quatre grands hommes de l’histoire moderne se sont distingués par leur opposition farouche à la ségrégation raciale, la fracture économique, l’inégalité entre les hommes et la haine qui détruit le cœur et souille les âmes appelées à de grandes œuvres.

Mais tous les hommes illustres ne sont pas forcément grands. La grandeur est par nature essentiellement morale. Mandela est à la fois illustre et grand, il est la beauté faite homme.  A ce propos lisez les monumentales « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque. Cicéron et Démosthène sont les illustres orateurs de l’antiquité grecque et romaine mais ils ont tous les deux leur coté infâme. A y voir de très près Mandela fascine par son coté paradoxal. Il est d’autant plus merveilleusement paradoxal et même « anachronique », qu’il représente ce « paradis perdu » de Milton, ce grand leader à la dimension messianique dont on nous dit à tord que le monde n’en a plus besoin. Les hommes désirent toujours ce qu’ils n’ont pas. Ils s’accrochent amoureusement aux basques de l’homme qui par sa posture hiératique leur rappelle le père protecteur. Mandela aurait pu dans une autre vie ravager le cœur de toutes ces dames qui raffolent de stars. Sa face de boxeur boursoufflée, sa tenue impeccable, sa gouaille formidable ont fait chavirer plus d’un. Mandela avait ce coté dandy qui plaisait à la foule. Toutes les stars de la  terre l’ont compris qui ont voulu se faire photographier à ses cotés. Qui a pu oublier cette image de Whitney Houston blottie dans les bras de ce « papi » à la tête complètement chenue ?

A propos d’image, La dimension picturale de l’homme est l’un des aspects les plus surprenants de sa personnalité.  Mandela est comme incrusté dans la figure du monde. Avec Michael Jackson, Bob Marley, et Che Guevara, il est la plus grande figure de l’iconographie planétaire. Il a par ailleurs inspiré tous les arts. Le Zulu blanc Johnny Clegg s’est distingué par cette chanson devenue un hymne à l’honneur de cet homme sans images pendant vingt sept ans. Ironie de l’histoire ! Quant au cinéaste Clint Eastwood, il a tenté de « capturer » la vie de Mandela à travers son film « Invictus », mais le résultat n’a pas été très fameux malgré l’immense talent du réalisateur de « Million dollars baby ». Il faudra un homme suffisamment haut pour porter Mandela à l’écran. Le génial Stanley Kubrick aurait certainement réussi un grand film sur Mandela. Seul le genre épique, écrit dans un formidable langage cinématographique pourrait satisfaire au grand défi artistique qu’est Mandela. Un Ridley Scott moins grandiloquent ou un cinéaste qui a des références cosmopolites comme les New Yorkais pourrait  le faire. Oh si Woody Allen était disposé à réaliser des drames ! 
 
Au reste Mandela est un aristocrate en période démocratique, ce qui fait de lui un homme du « passé ». Aussi a-t-il défié le temps en enjambant le 20ème siècle. Il faut à la vérité dire que le culte de la grandeur n’est pas l’une des valeurs privilégiée de la démocratie. L’individualisme démocratique des sociétés post-modernes agit contre la grandeur. Toutefois Mandela est un homme simple, il n’a pas grand chose à voir avec des guerriers comme Napoléon, Jules César ou Alexandre de Russie. Il a la grandeur de l’homme du peuple, le héros quotidien même s’il a du sang royal. Il est la figure « simple, modeste, et par conséquent vraiment grande » de Koutouzov, le héros si l’on peut dire de « Guerre et Paix ».

Mais disons-le, Nelson Mandela est une figure noire, il est le nègre fondamental nonobstant la tentative éhontée de le couler aujourd’hui dans un universalisme décoloré sous prétexte qu’il a pardonné. Depuis que notre héros est passé de vie à trépas les média « occidentaux » occultent sa dimension africaine, politique et anti-coloniale. S’il a fait vingt sept ans  de prison c’est parce qu’il est noir tout de même! L’on veut aujourd’hui enlever toute dimension chromatique à la question Mandela. C’est ridicule ! Décidément la déracialisation peut pendre des tournures surréalistes surtout venant des « occidentaux ». Les africains doivent rester vigilants. Nos amis du Nord ont une expérience séculaire de la réécriture subtile de l’histoire. Lisez « L’orientalisme » d’Edward Saïd. Les racistes sont « indécrottables ». Ils ont le génie de cacher la nuit dans le jour. Ceux qui ont inventé l’idéologie qui est le fondement de l’Apartheid, on les entend aujourd’hui verser dans la poésie à l’eau de rose soi-disant pour saluer la mémoire de l’homme qu’ils ont voulu détruire. Décidément Tzvetan  Todorov a eu raison d’écrire « l’Homme n’est pas perfectible», une manière de répondre et rendre hommage à Primo Lévi, cette autre victime de l’innommable qui a désespéré de l’homme en se donnant la mort. Si l’on y pend garde  la généalogie de la conscience noire va être brouillée sous prétexte d’universalisme.

 La déracialisation que l’on entend aujourd’hui n’a rien à voire avec la conception fanonienne de l’abolition de  la race en tant qu’élément constitutif de la structure mentale du colonialisme. De ce point de vue Mandela est une grande figure de la décolonisation dont l’idée fondamentale est « la déclosion du monde », le surgissement d’une pensée insurrectionnelle qui secoue la terre et lui rappelle notre commune « similarité fondamentale ». Alors, de ce strict point de vue, la race n’a plus de sens. Elle devient cette «région extraordinairement stérile et aride » selon l’expression de Franz Fanon. Et Mandela par son pardon, presque christique, enjambe la race et nous révèle une Afrique du sud qui peut être le « laboratoire » de l’éclosion d’une nouvelle humanité. A ce propos lisez « Sortir de la grande nuit » d’Achille Mbembe.
Dans tous les cas, l’homme-Mandela est un personnage historique qui, a déconstruit la politique. Il a porté le pouvoir sur ses grandes épaules avec beaucoup de défiance et de « désinvolture ». Avec Mandela le pouvoir se détache de la mort, cette attitude nécro-politique bien habituelle des satrapies nègres. Chez Mandela le pouvoir signifie jaillissement, déclosion et renaissance. Un message à méditer ! Mais il n’était pas seul au combat. Il a rayonné sur d’autres grands combattants comme les valeureux  Walter Sisulu, Oliver Tambo, Winnie, Desmond Tutu, Ahmed Kathrada et Marc Maharaj. 

Aujourd’hui il gît auprès des grandes figures du panthéon nègre : Toussaint Louverture, Martin Luther King, Malcom X, Frederick Douglass, Rosa Park, Steve Biko, Benjamin Moloïse, Ruben Um Nyobe, William Dubois, Marcus Garvey, Franz Fanon, Aimé Césaire, Nkwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Edouardo Mondlane et Thomas Sankara et bien d’autres. Adieu Madiba !

Khalifa Touré
776151166/709341367

jeudi 28 novembre 2013

Une autre littérature est-elle possible au Sénégal ?



« Se contenter de ce que l’on a est trop ordinaire pour se justifier devant l’admirable principe de ce que l’on veut » Serigne Cheikh Tidiane Sy

Cette pensée mise en exergue n’est  pas un choix tendancieux, elle vient d’un éminent littéraire. L’un des plus grands poètes de notre temps selon des « connaisseurs libres » de la langue arabe. Mais le problème est que cet homme a écrit essentiellement en Arabe à part ses discours exprimés en langue  française, une langue qu’il maitrise bien. Mais cela ne devrait pas être un problème au Sénégal où l’Arabe a préexisté au français. Pourtant c’est un problème ! A cause de la centralité hégémonique du français toute une littérature, produite sur la terre du Sénégal est ignorée par les francophones. Une littérature écrite en Arabe et en « Ouolofal » qui mérite d’être compulsée, remise au gout du jour parce qu’elle appartient à notre patrimoine intellectuel et artistique au même titre que la littérature  d’expression française. L’histoire de la littérature mondiale est faite de créations et de découvertes ; depuis toujours, des batailles épiques ont opposés les acteurs du « monde littéraire », des querelles tendancieuses et autres critiques d’école sur fond de « Défense et illustration de la culture ». 

Devrons-nous nous contenter de cette littérature Sénégalaise d’expression française qui a produit des plumes alertes comme celles de Léopold Senghor, Birago Diop ou David Diop ? Se suffire de cette littérature bien africaine mais exprimée en langue française serait une paresse intellectuelle pour un chercheur, une attitude bien ordinaire pour un lecteur et un manque d’ambition voire une injustice pour les « acteurs culturels ». Un projet culturel digne de ce nom a ceci de particulier d’avoir le souci d’embrasser toute la culture du pays dans une dynamique pluraliste. Nous avons malheureusement hérité de la France, le jacobinisme et le système assimilationniste  au détriment du modèle de société pluraliste  appelé multiculturalisme par ailleurs.

Vous aurez compris sans nul doute qu’aucune littérature n’est innocente. Même si les écrivains dans leur grande majorité sont des êtres « candides » et sincères, ils échappent difficilement à l’hégémonie culturelle. Lorsqu’ au 16ème siècle Joaquim Du Bellay s’est fendu en un texte mémorable pour faire comprendre définitivement aux anciens que la langue française est suffisamment adulte et mature pour porter les grandes idées comme la poésie et la philosophie, il a fait œuvre pionnière. Son fameux « Défense et illustration de la langue française » est en vérité un texte politique même s’il fait manifestement office de manifeste littéraire. A l’époque on attribuait exclusivement et abusivement au Grec et au Latin le statut de langue de l’esprit. Le français était considéré comme une langue vulgaire. Du reste aucune culture n’échappe à cette classification tendancieuse mais surtout affective. Au Sénégal, par exemple, la langue arabe est appelée « langue de la sagesse ». L’arabe et le ouolof, deux langues qui ont été le moyen d’expression d’une myriade d’écrivains au Sénégal.

Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy qui est un poète éclectique est l’auteur d’une œuvre complexe par sa thématique diversifiée. Peu de sénégalais surtout les francophones qui n’ont pas accès à son œuvre ignorent qu’il a écrit une étrange oraison poétique dédiée à Aldo Moro, l’ancien « premier ministre » d’Italie enlevé et exécuté par les brigades rouges et une Ode consacrée à Samy Davis Junior, le grand artiste noir américain. Mais son chef-d’œuvre reste le fameux « Fa ileyka », une transe poétique consacrée à son homonyme. A  ce sujet, il faut dire que la poésie sénégalaise d’expression arabe est essentiellement hagiographique, mais non exclusivement. Il existe des poèmes profanes aux préoccupations « terrestres » qui abordent des thèmes aussi actuels que la bonne gouvernance. On les retrouve notamment chez un autre grand poète, un artiste « méconnu », il s’agit d’ El Hadji Abdoul Aziz Sy. Ce grand homme est de l’avis des spécialistes non seulement un poète classique mais un artiste en d’autres genres. C’est lui qui aurait inventé la fameuse mélodie du « bourde » qu’il déclamait lui-même en compagnie de Serigne Moustapha Sy Djamil, sous l’ombre de Serigne Babacar Sy. Son fameux « Ouolofal » lancé en direction des gens de ce bas monde, ceux qui ont la lourde responsabilité de diriger les affaires des hommes, sonne encore à nos oreilles. Il avait l’art d’allier le ouolof et l’arabe dans un même vers  en respectant la métrique arabe, chose très difficile. Il l’a certainement « hérité » de son maitre Serigne Hadi Touré, un poète étrange dont les textes en ouolof et en Arabe sont « redoutables » par leur classicisme et leur tonalité lyrique. Le liminaire de son long poème didactique consacré au rituel du Hadji est d’une particularité telle qu’elle fait d’abord allusion à la beauté de la femme africaine dont la noirceur des incisives tatouées détonne sur la blancheur des dents. Une image qui renvoie à la noirceur « Kaaba ». C’est le fameux « Hazal » de Serigne Hadi Touré. La « Kaaba » est aussi éternelle  que la beauté de la femme est périssable voulait il dire ! Son disciple, Serigne Abdou Aziz Sy n’a écrit que des chefs-d’œuvre dont une transe jubilatoire écrite au Maroc près du tombeau de son Grand Maitre. Que dire du Cheikh Ibrahim Niasse de Kaolack ? Son grand intérêt pour les affaires du monde lui ont fait écrire un texte courageux à l’époque coloniale intitulé : « L’Afrique aux africains ». Sa poésie mystique reste l’une des œuvres les plus ésotériques du Sénégal. Son grand frère, El Hadji Muhamed Khalifa Niasse(Le père de Sidi Lamine Niasse) est considéré dans le monde arabe comme l’un des plus grands poètes au sud du Sahara.

Parler de la littérature Sénégalaise sans mentionner Khaly Madiakhaté Kala (1835-1902) est une faute grave et une ignorance honteuse. C’est le plus illustre des poètes connus de l’espace Ouolof. Ecrivain, philosophe, grammairien et jurisconsulte surdoué, il a fait montre dans ses écrits d’une finesse d’esprit inégalée et d’une grande sagesse. D’autres poètes ouolof suivront comme son fils Serigne Mbaye Diakhaté et le célèbre Serigne Moussa Ka. Des poètes à l’œuvre méconnue comme Serigne Cheikh Tioro Mbacké sont notables par leur immense talent. Ce dernier est l’auteur d’une lancinante oraison funèbre dédiée à El Hadji Malick Sy. Serigne Mbacké Bousso quant à lui a communément « pleuré » la disparition d’El hadji Malick Sy et Mame Abdoulahi Niasse dans une complainte élégiaque magnifique.  Des disciples entonnent souvent des vers sans même savoir qu’ils ont été écrits par Cheikh Moussa Kamara du Fouta(1864-1945), l’un des plus grands savants que la terre du Sénégal ait porté. C’est une encyclopédie dont les œuvres sont étudiés jusqu’au brésil. Méconnu au Sénégal, ses écrits ont été classés entre la littérature, l’anthropologie, l’histoire, la sociologie etc. Jusqu’à présent toute son œuvre n’a pas été compulsée tellement elle est diverse et variée.

 Il y a dans la littérature Sénégalaise d’expression arabe un phénomène que l’on ne trouve pas dans l’espace francophone : C’est l’existence de véritables écoles esthétiques. Des traditions littéraires en quelque sorte. Tivaouane est certainement une école littéraire et oratoire. Non loin,  à Thiès, résident les frères Ibn Arabi Ly et Zoune Noune Ly fils de Cheikh Oumar Foutihou Ly. Tous les arabophones férus de poésie sont communément d’accord que l’on peut parler de l’école de Thiès avec ces deux virtuoses de la poésie.  Nous pouvons aussi parler de l’école du Ndjambour qui est une excroissance de Tivaouane avec « les frères Gaye ». En effet Cheikh Tidiane Gaye et ses frères Djibril et Abdou Karim sont à eux seuls une école littéraire par leur talent. Ils ont grandi à l’ombre d’un autre grand poète Serigne Abbas Sall. Cheikh Tidiane Gaye est l’un des meilleurs poètes de sa génération. Polémiste redoutable à la plume acerbe, il a croisé le fer avec d’autres tendances hostiles au soufisme. Il est décédé le 07 Janvier 2011. A Saint-Louis, on doit à Serigne Madior Goumbo Cissé qui n’a vécu que quarante cinq ans (1848/1893) deux célèbres et longues hagiographies dédiées au prophète Muhammad (PSL). A propos d’El Hadji Muhamed Bouna Kounta de Ndankh, aux confins de Ngaye Mékhé, son épigramme contre la ridicule préciosité des femmes mondaines a fait date. Poète surdoué, orateur hors pair, ses œuvres vont des panégyriques « sacrés » à la satire sociale.

Quant à El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et leur ancêtre El Hadji Oumar qui a fait l’histoire et écrit l’histoire, leurs œuvres ne sont plus à présenter.
Tout cet univers « paradisiaque » serti essentiellement de poésie, cet « embouteillage » d’écrivains méconnus pose entre autres la lancinante question de la traduction et de la critique littéraire. Il existe des prix Nobel qui ont écrit en suédois ou en provençal ! Si les japonais Yasunari Kawabata et Kenzaburo Oé, les chinois Luxun et Mo Yan sont mondialement lus c’est grâce à la traduction. Shakespeare a écrit dans un anglais presque archaïque mais il est vénéré jusqu’en Chine. Les grands écrivains sénégalais cités dans ce texte sont par ailleurs victimes de l’extrême sacralité dont leurs  œuvres sont frappés. Ainsi, elles échappent à l’exégèse, à la glose et surtout à la critique littéraire indispensable pour vulgariser toute œuvre digne de ce nom. Imaginez-vous le jour où le pont sera jeté en la francophonie, l’arabophonie et surtout les langues nationales dans une osmose créatrice ! Cela ne peut se faire qu’à travers une politique culturelle qui tienne en compte la traduction et l’édition en d’autres langues. UNE AFFAIRE A SUIVRE !

Khalifa Touré
776151166/709341367


jeudi 21 novembre 2013

Prière d’un petit enfant nègre : Souvenirs, souvenirs!

  















Je ne sais quoi !  Mais ce poème appris dès la tendre enfance me fait quelque chose que je ne comprends pas à chaque fois que je le lis. Écrit par Guy Tyrolien, poète habitant des Antilles, une terre de luttes, de souffrances, de malheurs multiples qui ont fait naitre une grande littérature au nombre d’écrivains incalculables.

 Je ne sais quoi !  Mais ce poème appris dès la tendre enfance me fait quelque chose que je ne comprends pas à chaque fois que je le lis. Écrit par Guy Tyrolien, poète habitant Haïti, une terre de luttes, de souffrances, de malheurs multiples qui ont fait naitre une grande littérature au nombre d’écrivains incalculables.



Prière d’un petit enfant nègre.
Seigneur
je suis très fatigué
je suis né fatigué
et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
et le morne est bien haut qui mène à leur école
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ,
faites je vous en prie que je n'y aille plus
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
où glissent les esprits que l'aube vient chasser
Je veux aller pieds nus par les sentiers brûlés
qui longent vers midi les mares assoiffées
je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers
je veux me réveiller
lorsque là bas mugit la sirène des blancs
et que l'usine
ancrée sur l'océan des cannes
vomit dans la campagne son équipage nègre
Seigneur je ne veux plus aller à leur école
faites je vous en prie que je n'y aille plus
Ils racontent qu 'il faut qu'un petit nègre y aille
pour qu'il devienne pareil
aux messieurs de la ville
aux messieurs comme il faut;
Mais moi je ne veux pas
devenir comme ils disent
un monsieur de la ville
un monsieur comme il faut
Je préfère flâner le long des sucreries
où sont les sacs repus
que gonfle un sucre brun
autant que ma peau brune
Je préfère
vers l'heure où la lune amoureuse
parle bas à l'oreille
des cocotiers penchés
écouter ce que dit
dans la nuit
la voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
les histoires de Zamba
et de compère Lapin
et bien d'autres choses encore
qui ne sont pas dans leur livre .
Les nègres vous le savez n'ont que trop travaillé
pourquoi faut il de plus
apprendre dans des livres
qui nous parlent de choses
qui ne sont point d'ici .
Et puis
elle est vraiment trop triste leur école
triste comme
ces messieurs de la ville
ces messieurs comme il faut
qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
qui ne savent plus conter de contes aux veillées
Seigneur je ne veux plus aller à leur école.

Guy Tyrolien, Balles d’Or,  Présence Africaine en 1961.