vendredi 26 juillet 2013

Mais que lisent les hommes politiques ?





« Quelle invention admirable que le livre ! » disait Jean Jaurès.

« Je suis curieux de savoir le livre que lit le président Chirac présentement », tel est le propos pour le moins inquiétant de Monsieur François Léotard, ancien ministre français de la culture, invité de l’émission Culture Vive sur RFI il y a quelques années. Le jeune frère du talentueux acteur et non moins normalien Philippe Léotard, s’inquiétait de l’inculture généralisée qui frappait les hommes politiques de l’ère moderne. Un sujet important et même grave si l’on s’en tient aux propos du général De Gaulle qui pense que « La véritable école du Commandement est la culture générale  ».

Charles De Gaulle, lui-même,  ne voyageait jamais sans « les mémoires d’Outre-tombe » de Chateaubriand. Lecteur assidu, il suffit d’écouter les discours qu’il rédigeait lui-même et lire ses livres pour être édifié sur la qualité littéraire des écrits de cet artilleur de l’armée française. De Gaulle est un véritable écrivain, lisez « Le fil de l’épée » vous en serez convaincu. Le prix Nobel de littérature n’a-t-il pas été décerné à Winston Churchill pour ses « Mémoires de guerre » ? Le lointain Jules César quant à lui, se payait le luxe de prendre le temps de déclamer des poèmes en pleine guerre. Lisez Max Gallo, vous serez édifié sur les efforts de Napoléon pour pénétrer le savoir. Napoléon s’est « tué » à lire des livres surtout par utilité. Jean Jacques Rousseau, l’Abbé Raynal et le traité de mathématiques de Bézout ont été parmi ses lectures les plus importantes. 

 Le grand Abraham Lincoln a entièrement lu le monumental « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque. Il citait de mémoire William Shakespeare. Il suffit de s’intéresser un peu à la pensée politique d’un Thomas Jefferson pour savoir que cet homme s’est beaucoup penché sur  l’œuvre de John Locke. Le général George Patton, l’homme à la crosse d’argent, citait « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide en grec ancien.
 Plus tard on connaitra un François Mitterrand qui se prenait pour le dernier grand président français, montrer une culture littéraire exceptionnelle par la qualité de son écriture et sa verve littéraire, lisez « le coup d’Etat permanent » même si vous n’aimez pas l’homme vous aimerez l’écriture. Il avait du talent, ce Monsieur ! Quant à Mohammed Mossadegh le grand homme d’Etat iranien à l’époque du Shah, il était convaincu que « le monde irait mieux si les hommes qui nous gouvernent lisaient davantage ». Ses lectures allaient de la littérature orientale aux plus grands chefs d’œuvre de la littérature Française, américaine et Allemande.  Hassan Tourabi, le leader politique soudanais à lu et relu les 37 tomes des fatawas d’Ibn Taymiya, c’est hallucinant !

Plus récemment le président Bill Clinton avait des heures précises consacrées à la lecture et au cinéma. La lecture de « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez, l’a définitivement marqué. Quant à François Hollande il n’est pas un grand lecteur, d’ailleurs il ne s’en cache pas. C’est plutôt Nicolas Sarkozy qui se prenait pour un homme cultivé en citant Ernest Hemingway devant le très littéraire Mitterrand, histoire de faire bonne figure.

Mais la vérité est qu’il y a beaucoup d’hommes qui se ruent vers la politique sans « au préalable » se forger une grande culture générale. Pire, des hommes politiques arrivent au pouvoir sans aucune forme de préparation « intellectuelle ». Beaucoup d’hommes politiques n’ont jamais ouvert un seul livre sur l’Etat. Ni « Anarchie, utopie et État » de Robert Nozick, encore moins « L’Etat » de Anthony De Jasay. On en est même arrivé à une époque ou il n’est pas rare d’entendre un grand homme politique qui occupe une haute fonction étatique confondre « lamentablement » État et gouvernement. Des politiciens « braillards » qui occupent le haut du pavé se permettent même d’ignorer l’ordonnancement démocratique du pays en se méprenant fréquemment sur les différentes articulations d’un tel système. Beaucoup de politiciens gagneraient à lire «  La parole et la cité » de Mahamadé Sawadogo ou « Du bon usage de la démocratie » de feu le professeur Sémou Pathé Gueye.

Les confusions entre régime et système politiques sont à profusion dans nos débats politiques. A écouter certains politiciens on se rend compte à l’évidence qu’ils n’ont jamais ouvert un livre de droit ou d’économie encore moins des livres de théorie ou de philosophie politique. Des « libéraux » qui n’ont jamais entendu parler de John Locke ou Milton Friedman, des socio- démocrates qui ignorent « Théorie de la justice » de John Rawls, des socialistes qui n’ont pas vu l’ombre de Joseph Schumpeter. La paresse devrait même les « pousser » à lire au moins les Manuels de synthèse, si tant est que la paresse peut servir à quelque chose. Que personne ne soit étonné que nos politiciens, à quelques exceptions près, n’inspirent aucun respect. Ils ignorent par inculture cette vérité antique qui veut que l’Esprit gouverne le monde. Tous ces chefs d’Etat qui ne sont pas habités par « L’Esprit »  seront surpris d’être vite oubliés lorsqu’ils quitteront le pouvoir. On a beau réaliser des choses soit disant concrètes, mais si ces œuvres ne sont pas impulsées par une « IDEE » elles vont s’écrouler comme un château de cartes.

 Aujourd’hui, lorsqu’un homme politique est incapable de forger une idée politique, on dit qu’il est concret ou bien même qu’il n’est pas un littéraire, il est pragmatique. Quand est-ce que le pragmatisme est contraire à l’Idée ? N’y a t-il pas d’idées pragmatiques et même des utopies réalisables. D’ici peu la médiocrité sera une ambition. On ne connait aucune grande idée venant de la plupart de nos hommes politiques. Aujourd’hui on se permet d’affirmer avec toupet  qu’un ministre de la santé doit forcément être un médecin ou un ministre des affaires étrangères un diplomate de carrière. Le manque de culture ou de culture générale tout court est passé par là. Docteur Abdoul Karim Gaye et Maitre Doudou Thiam, illustres ministres des affaires étrangères n’étaient pas pour autant des diplomates de carrière ?

On est expert qu’en ce que l’on fait et pas forcément ce que l’on a appris. Un homme comme Alain Minc, économiste reconnu est sorti pourtant de l’école des mines, Jacques Attali est un polytechnicien, mais ils sont respectés et même craints par les plus brillants économistes parce ces deux hommes pratiques l’économie et la finance malgré une formation initiale différente.

 Au Sénégal le président Mamadou Dia, lecteur admiratif de Pierre Corneille et de Jean Racine est un instituteur de formation, mais ses connaissances en économie sont étonnantes. Il est ,avec le Père Lebret, l’auteur du premier plan économique du Sénégal indépendant. Son frère ennemi Léopold Senghor, en sus d’être un grand poète est un lecteur assidu du Père Pierre Teilhard de Chardin et des classiques comme Aristote. Le président Moustapha Niasse se souvient encore aujourd’hui de ce test que Senghor lui a fait subir en lui demandant d’écrire un discours  fondé sur « L’étique à Nicomaque » d’Aristote.

Il n’est donc pas étonnant d’entendre Moustapha Niasse faire étalage d’une culture classique à nulle autre pareille dans la classe politique Sénégalaise. Du reste il est l’un des rares ou le seul homme politique Sénégalais qui s’exprime dans un français littéraire recherché. Quant au  tonitruant Idrissa Seck, cet homme attire par son extrême éloquence qui ne dénote pas forcément une grande culture littéraire. Il a certainement lu par ci et par là. Mais il suffit de l’entendre dire devant le journaliste Abdou Latif Coulibaly « Périclès a dit » pour savoir qu’il n’est pas un grand lecteur. Il devrait dire « le Périclès de Thucydide a dit » par exemple. Par ailleurs lorsqu’il a cité Hamlet dans l’une de ses nombreuses sorties médiatiques, des jeunes étudiants se sont empressés d’aller chercher un écrivain qui s’appelle Hamlet. Ils ne savaient pas (les pauvres !) que Hamlet est un personnage de Shakespeare. Pour soldes de tout compte Idrissa Seck a une réputation surfaite mais « culturellement » il vaut mieux que bien des politiciens, même si l’on sait que se mesurer à la médiocrité n’est pas une ambition.

Des auditeurs avertis parmi nos amis ont affirmé d’ailleurs, qu’il n’a pas lu  Hamlet de Shakespeare sinon il ne l’aurait pas cité dans un tel contexte. Hamlet qui ne maitrise pas son destin et qui croule sous le poids des forces qui l’accablent, ne  saurait être une référence en politique. Depuis Nicholas Machiavel on sait que la politique est l’art de contraindre la Fortune par la Vertu. La citation de Hamlet est peut-être « lapsus linguae » qui révèle une forte imprécision entre la fortune et la vertu chez l’homme. Idrissa Seck est-il un homme qui croit à la vertu de la nature ou à la fortune des événements ? La lecture dans Plutarque des vies de Nicias qui se cachait derrière la fortune et Sylla qui mettait toujours la fortune en avant l’aiderait peut-être à comprendre et à  se déterminer.
Dans ce pays il y a des lecteurs boulimiques comme le professeur Amady Aly Dieng ou le linguiste Souleymane Faye qui peuvent vous dire si telle personne a lu l’auteur qu’il cite ou pas.
Un jour  lors d’une sortie publique, Maitre Abdoulaye Wade a cité Joseph Schumpeter. Et Amady Aly Dieng d’aller lui dire «  mon ami tu n’as pas lu Schumpeter » et Wade de reconnaitre le fait. A propos de Wade et de la lecture, on ne peut pas être agrégé d’économie et docteur d’Etat en Droit sans avoir lu quelque chose, mais en vérité la lecture n’était pas vraiment une grande préoccupation pour Maitre ABDOULAYE Wade.

Quant au président Macky Sall, comme François Léotard l’a fait avec  Jacques Chirac, je me pose la question suivante : «Mais quel est le dernier livre que le président de la république a lu ? »

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panorama critique

dimanche 21 juillet 2013

Existe-t-il encore des militants en ce pauvre monde ?

  



"Les grands hommes n'ont pas été ce qu'on appelle communément heureux. Ils n'ont pas voulu trouver le bonheur, mais atteindre leur but ; ils l'ont atteint par un labeur pénible. Ils ont su trouver la satisfaction, réaliser leur but, le but universel. Placés devant un but aussi grand, ils se sont audacieusement proposé de le servir contre toute l'opinion des hommes. Ce n'est pas le bonheur qu'ils ont choisi, mais la peine, le combat et leur travail. Leur but une fois atteint, ils n'en sont pas venus à une paisible jouissance, ils n'ont pas été heureux. Leur être a été leur action, leur passion a déterminé leur nature, tout leur caractère. Leur but atteint, ils sont tombés comme des douilles vides."Friedrich Hegel,La raison dans l’histoire

 L’engagement militant pour défendre et voir se réaliser une cause, est la chose la moins naturelle qui soit. La nature humaine éprouve une tension presque constante vers la satisfaction des besoins terrestres ou terre à terre. « Les nourritures terrestres » ont toujours attirées l’homme. Or l’aspiration militante appartient au ciel, c’est une forme d’élévation vers les hauteurs idéelles, d’où le combat presque titanesque entre les forces dont la fonction est d’enchainer l’homme à la terre et cette volonté de l’âme de s’abreuver  à la source éthérée des nourritures spirituelles. Parmi ces nourritures il y a l’IDEE MILITANTE.

 En vérité seules les grandes âmes peuvent créer de grands militants. Ils sont morts assassinés pour la plupart : le Mahatma Gandhi, illustre apôtre de la non-violence assassiné par un fanatique Sikh, le pasteur africain-américain Martin Luther King tombé sous des balles tirées par des « noirs » manipulés par des « blancs »,  le célèbre résistant anti-impérialiste  Ernesto Che Guevara exécuté par l’armée Bolivienne sur ordre de la CIA, le fondateur du mouvement des frères musulmans Imam Hassan Al Banna assassiné par la police coloniale Britannique, le grand résistant à la colonisation française fondateur de l’Union des populations du Cameroun(UPC),  Ruben Um Niobé  dont le parcours militant est une véritable tragédie.

 A propos de ce dernier qui reste méconnu il convient de s’arrêter un peu : L’armée coloniale française a mené  entre 1948 et 1961 une guerre sauvage contre l’UPC, un parti nationaliste Camerounais qui ne revendiquait que l’indépendance. Une répression qui a fait cent mille morts, aujourd’hui niée par la France. Tous les leaders de l’UPC dont  Ruben Um Niobé ont été assassinés.  L’historien camerounais Achille Mbembe continue à réclamer symboliquement  aujourd’hui le crane d’Um Niobé. A ce sujet lisez « Kamerun, histoire d’une guerre cachée » de Jacob Tatsitsa, Thomas Delcomb et  Manuel Domergue.

La mort est la porte ultime du militantisme, la pointe acérée de l’engagement militant. La mort est la voie du militantisme. La mort n’est pas toujours physique, elle est souvent symbolique. Le combattant meurt  par le dépouillement volontaire de ses propres biens, le renoncement au bonheur mondain et à la vie de famille.  
Quant à Nelson Mandela et Yasser Arafat  voilà des militants d’un autre calibre. Même s’ils n’ont pas gouté à la mort dans la voie militante, ils n’en demeurent  pas moins  des résistants authentiques qui continuent à inspirer. Mandela est peut-être le dernier d’un tel calibre, un véritable homme du passé dont la disparition fermera le 20ème siècle africain. Il ya peu de personnages historiques. Nelson Mandela est un de ses rares qui ont fait l’histoire, la grande histoire. Ailleurs, l’opposant au régime monarchique de Hassan 2, Abraham Serfati, qui a passé plus de vingt-sept ans de prisons dans les bagnes marocaines est le symbole de ces grands militants méconnus et injustement effacés de l’historiographie contemporaine.

Au Sénégal, des hommes comme Mamadou  Dia qui a lutté par son corps et sa plume  jusqu’à son dernier souffle, Cheikh Anta Diop frappé par l’ostracisme senghorien et tous ces preux combattants de la gauche que sont Tidiane Baydy Ly et Lamine Senghor sont des exemples illustrant le caractère rarissime de l’esprit militant. Ces hommes ont  tous la particularité de n’avoir jamais renié leurs convictions. A une époque où le reniement des valeurs et le désarmement idéologique font partie des attitudes privilégiées dans notre pays, ces personnalités cités représentent un avis contraire à ceux qui pensent que l’esprit chevaleresque, l’engagement militant et désintéressé est impossible. Les preux conquistadores de l’ordre militant sont toujours debout.

 Le militantisme ne se donne pas de frontières idéologiques. On trouve des militants authentiques chez les communistes, les islamistes, les anarchistes, les altermondialistes, les écologistes, les monarchistes, les souverainistes et les droits de l’hommistes. Ce « pluralisme » s’explique par le caractère universel de l’esprit militant.

Le militantisme est donc un esprit universel qui trouve son origine dans la nature permanente de l’injustice fabriquée par les pouvoirs, toutes les formes de pouvoir qui organisent le monde. Mais le militantisme c’est plus qu’une réaction, c’est une déconstruction-construction, une volonté de bâtir un autre monde, « un monde meilleur » ; c’est la raison pour laquelle les grands militants apparaissent comme des rêveurs, des utopistes, des romantiques. Mais  l’on oublie souvent que toutes les grandes idées qui fondent aujourd’hui le monde sont des idées utopiques par essence : La démocratie, la république, la souveraineté, la liberté, l’égalité. Mais il existe des utopies qui sont réalisables et vérifiables.


Quant à la fameuse caste des intellectuels, ils regorgent de vrais militants mais aussi de vrais faux militants. En vérité un intellectuel est militant ou il ne l’est pas.
Tous les intellectuels, les vrais, sont des militants mais tous les militants ne sont pas des intellectuels. L’intellectuel est un militant qui se bat avec la force des concepts, la puissance des idées. C’est un combattant- forgeron d’idées. Ce fut le cas d’Emile Zola, Voltaire, Jean Jaurès, Franz Fanon, Jean Paul Sartre, Cheikh Anta Diop, William Dubois, Antonio Gramsci, Aimé Césaire, Jacques Derrida, Roger Garaudy, Andrei Sakharov. Mais tous les intellectuels ne sont pas du même calibre. Certains intellectuels sont plus hauts et plus puissants que d’autres. Leur puissance dépend du charisme que leur confèrent la force et la pérennité de leurs idées. 

Aujourd’hui le mot est tellement galvaudé que de petits diplômés ou de simples universitaires s’affublent de façon prétentieuse le titre d’intellectuel. L’intellectuel n’est d’ailleurs pas un titre. C’est une personne humaine dont la prise de parole est tellement haute qu’elle peut lui couter la mort, la prison ou l’ostracisme. Un intellectuel est un homme ou une femme qui se mêle de ce qui ne le regarde pas.

 Mais attention ! Il existe des « intellectuels faussaires », des intellectuels mercenaires et des intellectuels médiatiques mais aussi des intellectuels de droite, des intellectuels de gauche etc. Des intellectuels ont défendu les pires causes. La France a eu son Brasillaque qui a collaboré avec l’Allemagne Nazi, la cote d’ivoire son Faustin Kouamé, qui a « théorisé » l’Ivoirité. Des intellectuels ont défendu pendant des années, les pires régimes du monde arabe au nom de l’anti-islamisme. Dans le monde musulman, par exemple, il existe ce qu’on appelle « les Oulémas du pouvoir »qui fabriquent des fatwas taillés à la mesure des desiderata des pouvoirs les plus injustes. Au Sénégal les prises de position religieuse de certains enturbannés confirment leur allégeance au pouvoir dominant.

 Mais ce qui sévit surtout  au Sénégal, ce sont des « experts » médiatiques par forcément des intellectuels, grands spécialistes en tout, véritables « toutologues » qui se disent politologue et surtout sociologue. Leurs airs  loufoques sont d’un ridicule qui provoque l’hilarité et même la risée des humoristes qui eux-mêmes savent que les pseudos analyses qu’ils déblatèrent, sont d’une banalité à faire mourir de honte les véritables savants. Au Sénégal l’on dirait que tous les problèmes du monde sont d’ordre sociologique, politique ou juridique. La Philosophie, la Théologie, l’Ethnologie, la philologie, l’Anthropologie, l’Histoire, l’Economie politique,  la Psychologie, la Psychiatrie et la critique littéraire n’ont peut-être aucune fonction explicative pour ces drôles d’experts  encore moins pour un certain public avide d’explications simplistes.

Quelques brillants « savants » préfèrent se terrer dans le cocon douillet de l’anonymat et du désengagement laissant la place à de dangereux prétentieux qui dès qu’ils « décrochent » une émission de Télévision n’arrêtent plus d’apparaitre faisant d’ailleurs « l’affaire » des media qui se contentent d’analyses plus que tirées par les cheveux.

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mardi 9 juillet 2013

Aimé Césaire, le volcan des Caraïbes !


Voici Aimé Césaire, le volcan des Caraïbes, le chat sauvage dont les griffes ont lacéré la face hideuse du colonialisme. Voici le chantre de la Négritude debout comme une verge. Voici  la Négritude virile comme un taureau en rut ! Ecoutons-le dire :

« Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour/ma Négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre/ma Négritude n’est ni une tour ni une cathédrale/elle plonge dans la chair rouge du sol/elle plonge dans la chair ardente du ciel/elle troue l’accablement opaque de sa droite patience …»
Voilà des mots puissants, la verve étincelante qui résume l’homme-Césaire ,un rebelle, un guerrier, un insurgé mais un sage, un mage, un clairvoyant qui voit au-delà des ténèbres.

Aimé Césaire est d’abord un poète, un authentique poète puisque de poètes authentiques le ciel en fabrique peu. Pour être poète il faut-être touché par la grâce et Césaire l’a été. La poésie a une source divine. Tenez vous bien, en mille ans la grande Perse n’a reconnu que sept poètes !

Césaire est à des degrés divers un écrivain parmi les plus grands de tous les temps  aux cotés du légendaire Homère, du grand Thucydide, du divin Jalal Ad’ dine Rumi, du magnanime Cervantès, du mythique Shakespeare, de l’infernal Dante Alighieri, du très épique Virgile, de l’immense Victor Hugo, de l’hermétique Stéphane Mallarmé, de l’alchimique Arthur Rimbaud, du très furieux William Faulkner, du dramatique Schiller, du grand romantique Goethe, de l’épileptique Fiodor Dostoïevski, du noble Léon Tolstoï, de l’impétueux Alexander Pouchkine, du monumental Franz Kafka, de l’étourdissant Marcel Proust, du chaotique Gabriel Garcia Marquez, du beau Yasunari Kawabata, de l’étrange Yasushi Inoué, du très dualiste Yukio Mishima.

Tous les grands écrivains sont des poètes, qu’ils soient romanciers des profondeurs, nouvellistes puissants, versificateurs inspirés, dramaturges talentueux ou autres, l’essentiel est qu’ils soient capables de mettre « de l’intime en tout » comme l’a dit le maitre Victor Hugo. La poésie dépasse même le « cadre fermé »de la littérature. Il ya de la poesis chez les cinéastes Stanley Kubrick et Térence Malik, Djibril Diop Mambéty est un authentique poète.

Quant au  célèbre « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire, il  est aussi important que « la préface de Cromwell » de Victor Hugo, « Orphée noire » de Jean Paul Sartre et « le grand inquisiteur » de Dostoïevski. « Discours sur le colonialisme » est un texte dont les réverbérations ont aveuglé plus d’un colonialiste. C’est le réquisitoire le plus implacable contre le racisme et le colonialisme. Si l’histoire de la  grande littérature peut se résumer en moments, Aimé Césaire fut un « moment ». LE MOMENT CESAIRIEN, peut-on dire.

L’envol de Césaire est une odyssée qui va au-delà de la poésie ; il a parcouru les méandres de l’esprit jusqu’au dérèglement des sens. Ecoutez le défier la pâle raison occidentale : « Que la forêt miaule/que l’arbre tire les marrons du feu/que le ciel se lisse la barbe(…) le mouton broutant son ombre d’après-midi » déclame-t-il dans « Le cahier d’un retour au pays natal », un chef-d’œuvre de la littérature mondiale, de la poésie infuse. « Le Cahier d’un retour au pays natal » c’est de « la folie qui voit/la folie qui se déchaine ». Nous sommes ici dans le tabernacle, le mysticisme qui nous plonge dans un état voisin du Nirvana. Aimé Césaire est en état de « Chatahaat » comme les grands mystiques musulmans, Mansour Halladj, Al boustami ou Sohrawardi.

Aimé Césaire c’est aussi l’apothéose de la poésie. Il a fait le ciel et la terre se rencontrer dans sa poésie : « Ma Négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour/ Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre/ Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale/ Elle plonge dans la chair rouge du sol/Elle plonge dans la chair ardente du ciel/ Elle troue l’accablement opaque de sa droite patience »
 N’est-ce pas que le retour aux origines premières, le bruissement perpétuel, le grondement originel sont permanents dans la poésie césairienne ? Aimé Césaire, c’est la tempête, l’ouragan des Caraïbes qui a réuni dans sa poésie toute la souffrance nègre pour en faire un boulet de canon. Partout où le nègre est passé, Césaire a laissé trainer sa poésie.

En lisant Césaire on entend le bruit des chaînes qui déchirent la chair : « Et je me dis Bordeaux et Nantes et Liverpool et New York et San Francisco/pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale/et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse/dans le scintillement des gemmes !/Qui peut se vanter d’avoir mieux que moi? /Virginie. Tennessee. Géorgie. Alabama/putréfactions monstrueuses de révoltes inopérantes, marais de sang putrides /trompettes absurdement bouchées/Terres rouges, terres sanguines, terres consanguines. »
Qui mieux que Césaire pour décrire la marche tragique du nègre ?
Ses écrits ont été une secousse tellurique qui a fait trembler le monde de l’art, de la culture et de la politique.

Né en 1913 à Basse-Pointe en Martinique, dans une famille où on savait lire et écrire, Aimé Césaire, élève surdoué fit de brillantes études à Hypokhâgne, au lycée Louis- le- grand où il rencontra Senghor, son ami de toujours et puis ensuite à l’école normale supérieure.

C’est à Paris que son africanité surgit du tréfonds pour se traduire en un engagement politique et culturel sans précédent.
Avec Senghor, Birago Diop, Guy Tirolien, Léon Gontran Damas ils fondèrent le journal « L’étudiant noir » où le concept de Négritude créé par Césaire apparu pour la première fois. En 1947, il crée avec Alioune Diop la fameuse revue « Présence Africaine ».

La négritude de Césaire n’est pas exclusive malgré sa tonalité volcanique, c’est un humanisme à nulle autre pareille. Ecoutez le dire : « Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine/ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine /car pour me cantonner en cette unique race/vous savez pourtant mon amour tyrannique/vous savez que ce n’est point par haine des autres races/que je m’exige bêcheur de cette unique race/que ce que je veux/c’est pour la faim universelle/pour la soif universelle. »

Aimé Césaire toute sa vie durant, s’est fait l’avocat des sans voix : « Mon cœur bruissait de générosités emphatiques/Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai/Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir.»

Encore vieillard il n’a pas hésité à refuser de recevoir Nicolas Sarkozy protestant contre la loi française du 23 Février 2005 sur les aspects « positifs » de la colonisation.

Le matin du 17 Avril 2008, « le nègre fondamental » s’éteint après une vie militante d’une richesse incommensurable. Plusieurs personnalités du monde des arts, de la culture et toute la classe politique française dont le président Nicolas Sarkozy ont assisté à ses obsèques. Son nom a été inscrit sur une plaque d’honneur au Panthéon. Ils ne sont que cinq écrivains français à bénéficier d’obsèques nationales : Victor Hugo, Maurice Barrès, Collette, Paul Valéry et Aimé Césaire.

Homme politique, il a été député de la Martinique pendant 48ans. Il nous laisse « une œuvre  himalayesque » faite de poèmes d’essais, de discours et de pièces de théâtre, bref « toute une vie ».

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