mercredi 21 août 2013

Guerre et Paix en Égypte : Les frères musulmans à l’épreuve du feu !



« L’orientalisme nous force à nous demander si l’impérialisme moderne a jamais disparu, ou s’il ne perdure pas en fait depuis l’entrée de Bonaparte en Égypte, il y a deux siècles »
                                                                       Edward Saïd

Il faut ignorer les origines lointaines de l’orientalisme, ce « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient », et puis ensuite escamoter la méthode braudéléenne d’analyse historique sur une longue période, pour douter de la pertinence d’une telle assertion. Mais en se fondant sur une autorité scientifique comme Edward Saïd, le déconstructeur de la prose coloniale, l’on peut sans nul doute affirmer sans risque de se tromper que  les événements douloureux qui se déroulent présentement en Égypte trouvent leurs racines profondes dans l’esprit colonial et  l’impérialisme moderne. L’instantané de l’actualité journalistique nous cache la vérité, il couvre d’un voile noir la profondeur et la causalité historique. Le même Saïd n’affirme-t-il pas  avec autorité  que «l’histoire est faite par les hommes et les femmes, mais elle peut également être défaite et réécrite, à coups de silences, d’oublis, de formes imposées et de déformations tolérées » ? Il n’est nullement question ici  de complot ou de manipulation politique. Même si ces pratiques existent, leur évocation immodérée peut escamoter la réflexion et empêcher du coup d’élargir le fond du débat. La bonne attitude consiste à aller au-delà des « éclats de colère irraisonnée », si tant est que la colère est contrôlable.

« Tout commence avec Bonaparte, continue avec le développement des études orientales et la conquête de l’Afrique du nord ». La faute est à Napoléon devrait-on dire ! Cela peut faire sourire les sceptiques mais  Bonaparte a ouvert la voie au colonialisme français et même anglais. Il arriva en Égypte accompagné par une horde de scientifiques, spécialistes de l’Orient, parce qu’il avait le génie maléfique de  comprendre que cette contrée à conquérir est une civilisation fondée sur un paradigme différent qu’il fallait traduire interpréter, déformer, renommer et dominer. Ce discours sur l’orient élaboré depuis ces origines napoléoniennes  n’a jamais cessé depuis lors d’informer les rapports de domination coloniale et postcoloniale jusqu’au jour d’aujourd’hui. Aucun grand savant du monde occidental n’a pratiquement  échappé aux clichés sur l’orient, au point de faire dire à Saïd que « L’orient a été créé par l’Occident ». Les idées les plus fausses, les propos les plus vulgaires, les assertions les plus absurdes ont été dites sur les Arabes et les musulmans. Lisez « La chanson de Roland », les musulmans  y sont appelés Sarrasins, c'est-à-dire les descendants d’Abraham qui sont nés hors de Sarah, la femme noble, des « bâtards » en quelque sorte ! Il y est même dit que les Sarrasins sont des félons païens qui adorent le dieu Apollon. Dans « La divine comédie » de Dante Aligheri, le prophète Muhammad (PSL) est décrit de manière innommable et risible. Ceux qui n’ont pas lu « Mahomet et le fanatisme » de Voltaire en ont certainement entendu parler. Cette incapacité à comprendre l’autre a évolué au fil des siècles pour se transmuer en un sentiment de haine indicible. On a tout entendu : « les arabes sont inaptes à la démocratie », « ils ne connaissent que le langage de la force », « l’échec de l’islam politique », « l’islam s’est sécularisé ». 

Toutes ces rodomontades sont serinées par des experts en  Islam, des néo-orientalistes radicaux qui ont même réussi à inventer ce pseudo-choc des civilisations pour justifier les pires barbaries.  La tragédie Égyptienne est un fait colonial, elle n’a rien à voire avec le choc des civilisations. La guerre a été déclarée depuis Napoléon. À moins d’y être contraint l’occident n’acceptera jamais, un autre paradigme culturel à vocation universelle comme l’Islam. L’occident ne peut souffrir un concurrent culturel. Voilà le fond du problème. Il est inscrit dans le « code génétique culturel » de l’occident une graine morbide à se prendre pour le nec plus ultra du monde. Il n’est pas un hasard que les deux grandes théories de la fin de l’histoire viennent de l’occident  lors même qu’elles sont élaborées par des philosophes humanistes comme Hegel et son disciple-adversaire Karl Marx.

 « L’orient arabe et islamique a été le seul à présenter à l’Europe un défi permanent sur les plans politique, intellectuel et, pour un temps économique » dit Edward Saïd. Le drame des frères musulmans c’est qu’ils se sont toujours positionnés en poste avancé dans le défi culturel. Mouvement religieux anticolonialiste d’abord, piétiste et social ensuite, ses leaders sont tombés sous les balles du colonisateur anglais dès l’aube de la création de cette « confrérie ». Son fondateur Hassan Al Banna a été froidement assassiné par les colons anglais le 12 février 1949. Des figures charismatiques comme Abdoul Qadr Aoudah et bien d’autres  ont été littéralement décapitées. La répression féroce n’a jamais cessé jusqu'à Gamal Abdel Nasser qui a fait embastiller et torturer Zeynab Ghazali pendant des années. Les nombreux appels à libérer le grand idéologue, écrivain profond, poète, critique littéraire et brillant essayiste Saïd Qutb ont laissé de marbre Nasser qui a donné l’ordre de faire pendre l’auteur du fameux Tafsir « A l’ombre du Coran ». Autant dire que les frères musulmans sont habitués au feu. Dans la communauté musulmane Ils sont avec les palestiniens à une position géopolitique qui  les exposent aux premiers coups de feu. Tout prêt de l’ennemi, leur seule distraction reste le sifflet mortel des balles. En position de bouclier ils sont soumis à l’épreuve du feu à la place des autres.

 Rien à voire avec le régime monarchique saoudien dont le soutien aux putschistes égyptiens ne doit étonner personne. Habitué à la bombance, aux mondanités et autres privautés illicites, il pense naïvement défendre ses intérêts soi disant menacés par des aspirants au changement et à la révolution islamique. Les nourritures terrestres et les biens périssables les empêchent de voir que l’ennemi est commun. Tant que l’Arabie reste saoudienne, elle peut dormir tranquillement, mais le jour où elle voudra être mohammadienne et islamique, la guerre lui sera ouvertement déclarée par l’occident. L’Arabie Saoudite est une cible potentielle dirigée par une dynastie dont le seul mérite est d’avoir eu un père nommé Saoud.

Quant à « l’armée égyptienne » elle n’a qu’à continuer à tirer impunément sur des innocents. Que ne ferait-on pas pour préserver ses privilèges ? Ah que l’homme est vache ! Tuer, manipuler, mentir et même baisser la culotte devant les américains qui ont sponsorisé leur coup de force et qui font semblant de le condamner. A cause des milliards qu’ils reçoivent des Etats-Unis, cette armée est devenue un GIE, un groupement d’intérêt économique, dirigé par des affreux qui sont prêts à tout. Leur mine patibulaire rappelle « Les Affranchis » de Martin Scorsese. Ils sont très dangereux ! Mais on ne peut pas tuer un « peuple ». Les droits de l’hommistes braillards à la langue pendue et les intermittents de la démocratie prêts à déblatérer sur des thèmes préfabriqués par la curie occidentale resteront muets. Ils ne vont pas lever le plus petit doigt ! Quant aux intellectuels nourris à la sève occidentale, incapables de s’allier à la vérité, gavés qu’ils sont au prurit de la  mamelle des fabricants d’opinion, complexé jusqu’à la moelle et peureux comme jamais, ils tremblent comme une feuille morte dans leur coin. Rasant les murs, leur haine irraisonnée de l’islamisme et leur colère puérile les réduit à un combat d’arrière-garde, un combat du déshonneur. Intellectuellement paresseux ils ne sortiront jamais de la « bibliothèque coloniale ». Lorsque l’on refuse de comprendre, on devient « un imbécile heureux », content d’ignorer le cours du monde. Ils méritent la polémique savante la plus violente, digne de «Les  provinciales » de Blaise Pascal et de « L’éloge de la folie » d’Erasme de Rotterdam.

Nous ne nous permettrons jamais d’injurier ces criminels qui le méritent bien. Nous ne leur lancerons jamais le « fuck you » de l’islamophobe italienne Orriana Fallaci jeté il y a quelques années à la figure de Yasser Arafat, dans un texte haineux intitulé « La rage et l’orgueil ». Comme toutes « les misérables moisissures » elle est aujourd’hui réduite en cendre sous terre emportée par cette faucheuse qui nous rappelle notre périssable condition. Que les militaires égyptiens et tous ceux qui les soutiennent se le tiennent pour dit : « Le monde est un bel endroit qui vaut la peine qu’on se batte pour lui ». Ernest Hemingway avait raison.

Khalifa Touré
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jeudi 15 août 2013

Mais à quoi sert la démocratie sénégalaise ?



 

« Je ne comprends qu’une chose à la politique : La révolte !»  Gustave Flaubert

Le Sénégal est le pays des révolutions inachevées, le pays de la forme inaccomplie, c’est le pays du «  bu fi yemoon sax mu neex ».

Il n’est certes plus la seule vitrine de la démocratie en Afrique comme il était présenté au début des années 90. On a finit de dire et d’écrire  que cette vitrine est craquelée. Mais malgré tout ce bémol et nonobstant la crise casamançaise, le Sénégal reste une démocratie reconnue. Il reste à se demander si elle une démocratie sociale égalitaire ? Que la réponse soit littéralement affirmative ou non, le Sénégal est tout de même une démocratie. Mais pourquoi cette démocratie peine à nous sortir du « sous-développement » ? (Je persiste à parler de sous-développement)

Quoi qu’il en soit le Sénégal est un pays doté d’une insolente stabilité en Afrique, un pays qui a connu des moments de soubresauts critiques, mais un pays qui s’en est toujours sorti « miraculeusement ». Les Sénégalais auront fini de croire qu’ils sont bénis de Dieu. D’ailleurs, cette manie à  bomber le torse, à se croire plus beau que l’on est, vient entre autres sources, de cette insolente stabilité. 

Dès 1962, deux ans après la fameuse indépendance, une grave crise surgit au sommet de l’Etat. Une crise présentée naïvement comme un problème de bicéphalisme au sommet de l’Etat, dont les conséquences restent vivaces encore aujourd’hui. D’un strict point de vue des orientations nationales et des valeurs qui fondent un pays, le Sénégal ne s’est pas remis du conflit d’orientation qui a opposé Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. Les deux grands hommes auraient pu faire un tandem remarquable. Le mariage entre l’organisation et la méthode de Senghor et le socialisme autogestionnaire de Mamadou aurait peut-être pu développer ce pays. Mais jamais cette fracture n’a été perçue comme une catastrophe nationale. Le Sénégal a « préféré » Léopold Senghor à Mamadou Dia  comme la France a choisi Descartes au détriment de Pascal, toutes proportions gardées. Les Sénégalais ne sont pas des romantiques, de grands rêveurs devant l’éternel. Ils sont d’un réalisme étonnant. Un réalisme moralement dérangeant

1968, le pays frôle la catastrophe avec la crise socio-éducative dont « le point d’orgue » fut la grève des étudiants et des syndicats de travailleurs. Le chef d’Etat major de l’époque, le général Jean Alfred Diallo n’a pas voulu faire tirer sur les étudiants. La crise avait atteint un tel point que le président Léopold Sédar Senghor a failli quitter le pouvoir. Lisez à ce sujet le témoignage de Magatte Lo dans « Le Sénégal sous Abdou Diouf » des historiens Mamadou Diouf et Momar Coumba Diop, c’est à la page 43. L’orgueilleux Senghor craignait l’humiliation d’un coup d’Etat militaire ou une grande révolte civile qui pourrait l’emporter. Cependant Mai 68 n’a pas aboutit à une « révolution » politique. Allez savoir pourquoi !

1980 fut l’année de la grande grève du SUDES (syndicat unique des enseignants du Sénégal). Un mouvement qui a cueilli à froid le technocrate Abdou Diouf qui venait d’être adoubé par  Léopold Senghor. Ce dernier avait senti l’impopularité et a génialement évité la sénilité politique en se retirant tranquillement à Versons en France. Plus tard l’avocat Abdoulaye Wade  n’aura pas tiré les leçons du geste senghorien. Les années 80 furent aussi le témoin d’un bouillonnement socio-religieux sans précédent au Sénégal avec le renouveau du mouridisme et l’émergence d’un islamisme militant. Mais cette affaire-là resta sans suite politique notable. Elle n’a nullement aboutit à une remise en cause du contrat social et de la république laïque.

En 1988, le régime d’Abdou Diouf fut ébranlé par une grave crise socio-politique consécutive au contentieux électoral provoqué par la violente contestation de l’élection présidentielle de la même année. Le Sénégal a frôlé le bain de sang.  Des voitures ont même explosé à Dakar. L’armée était sur le point de sortir de son grand silence. Le système éducatif en a souffert par une grave instabilité qui aboutit à une « année blanche ». Mais Abdou Diouf parvient à décrisper la situation en acceptant de former « un gouvernement de majorité présidentielle élargie » qui a vu l’entrée de l’opposition significative avec à sa tête Me Abdoulaye Wade. Encore une fois l’irréparable à été évité in extrémis. Mais c’était le début de la fin du régime de Diouf. Le feu qui couvait encore a continué à consumer et s’est étendu jusqu’aux événements du 16 Février 1994. Ce jour-là,  la ville de Dakar a connu des actes d’une violence inexplicable à la suite d’un meeting organisé par la CFD (Coordination des forces de l’opposition). Six  policiers furent tués, les leaders de l’opposition et le marabout Moustapha Sy furent emprisonnés. Il s’en est suivi une répression sans précédent dans les rangs des Moustarchidine Wal Moustarchidat. Ces années ont correspondu à la dévaluation du franc CFA et au plan de rigueur économique Sakho-Loum. Un cocktail explosif qui emportera Abdou Diouf plus tard.

En 2000, la fameuse année 2000 dont la prospérité fut naïvement prophétisée dès les années 70 par des chansons populaires, il y eut la grande alternance politique consécutive à une élection présidentielle très redoutée par les observateurs qui craignaient à juste raison une explosion de violence. Mais, comme d’habitude, tout s’est passé dans la paix.  Abdoulaye Wade arriva au pouvoir après 26 années d’opposition, aidé en cela par une « gauche classique » qui a théorisé et organisé « la révolution nationale démocratique » pour accompagner le Sopi.

Douze années plus tard le Sénégal connut encore une crise politique sans précédent. A la suite d’une longue bataille politico-judiciaire, le conseil constitutionnel de la République du Sénégal valida la candidature contestée de Me Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle. Ce qui provoqua l’ire de l’opposition politique et des organisations de la société civile qui se regroupèrent dans le mouvement du 23 Juin. Cette crise était d’autant plus grave qu’elle menaçait pour la première fois de l’histoire le contrat social qui fonde le vivre ensemble et  la république du Sénégal. Abdoulaye Wade était soupçonné de vouloir saper la république en voulant imposer son fils Karim Wade. Mais rien n’y fit, les Sénégalais choisirent d’aller aux élections, Abdoulaye Wade fut battu à plate couture par une coalition dirigée au deuxième par le jeune Macky Sall. Ce fut le 2012 de tous les dangers. Il y eut plusieurs morts !  

Mais toute cette faculté à construire la paix et le dialogue est certes une condition nécessaire en démocratie, mais elle n’est pas suffisante. Les Sénégalais aiment viscéralement la liberté mais en est-il autant de l’égalité ? Il  est donc fort à parier qu’ils préfèrent la liberté à l’égalité sans pour autant être indifférent à injustice. Or l’égalité est une composante essentielle de la démocratie, on peut en déduire donc que notre démocratie est quelque peu unijambiste.  A ce propos il ne serait pas inutile de s’interroger sur la morale des sénégalais pour établir une échelle des valeurs propre à l’homo-senegalensis. Au sommet de l’échelle trône indiscutablement « le maslaa », cette notion ambigüe pourtant dérivée la jurisprudence d’obédience malikite est une sorte d’ersatz, de succédané de la « maslaha », un concept religieux signifiant « l’intérêt général » complètement passée au Moulinex, socialement transformée pour donner cette chose informe et ouolofisée appelée « maslaa » et qui n’est rien d’autre que du réalisme parfois positif mais dans bien des cas « opportuniste ». Voilà paradoxalement l’une des origines obscures de la préférence des sénégalais pour la liberté au détriment de l’égalité. Sinon comment peut-on comprendre que ce « succès démocratique » cohabite non pas seulement avec des pratiques inégalitaires flagrantes, mais que l’on tolère, accepte et même intègre dans le système démocratique?

A ce propos, le lien organique entre la démocratie et le système économique et social est suffisamment établi pour remarquer cette place marginale occupée par le « monde rural composé par les villages » dans notre système démocratique. On a fini de comprendre avec Achille Mbembe que l’informalisation des économies africaines provoquée en partie par l’exode rural est un facteur bloquant pour la démocratie. A vrai dire le traitement subi par nos villages depuis les indépendances constitue une balafre sur la face déjà informe de notre démocratie. Quel cœur sensible n’a pas flanché devant cette expression ravagée dans le regard et le visage de nos paysans apeurés par les longues années de privations, de promesses non tenues, de brimades et autres persécutions innommables ? Les villages africains subissent la démocratie, c’est paradoxal ! Une violence systémique, une démocratie de l’exclusion symbolique, plane toujours au-dessus, caractérisée par un regard irrespectueux et déformé ; une stigmatisation insidieuse (qui passe inaperçue) jusque dans la distribution des rôles au sommet de l’Etat.

L’avenir de nos démocraties et la possibilité d’un développement économique dépend certainement du sort réservé à nos villages et nos villes. La continuité entre les deux entités formerait une culture de l’avenir, un cosmopolitisme qui débouchera sur cette démocratie tant souhaitée. Nos autorités gagneraient à s’inspirer des écrits magistraux de Jean Marc  Éla, ce « penseur du devenir illimité » dont les deux ouvrages sont des bréviaires du développement : « La ville en Afrique noire » et « L’Afrique des villages ».

Khalifa Touré
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mardi 6 août 2013

Les hommes politiques font-ils de bons écrivains ?


 

« Je ne suis pas un romancier, je suis écrivain » disait Jean Paul Sartre.

Ce propos du « chantre »de l’existentialisme n’est pas une simple boutade colérique. Il pose la problématique essentielle de l’écriture. Si un romancier n’est pas forcément un écrivain, mais qu’est-ce qu’un écrivain ? Des monuments de la réflexion sur l’écriture comme Jacques Derrida et Maurice Blanchot se sont penchés sur le phénomène et le résultat est étonnant. Nous pensons pour notre part, qu’il n’y a d’écriture véritable que lorsque la forme possède son propre contenu ; lorsque le texte contient une singularité, une tonalité, une « musique » qui n’a d’autre origine que le texte lui-même, voilà que débute l’écriture. Il ne suffit pas de tenir une belle histoire captivante pour être écrivain. La littérature n’est pas que Mimésis, quoi qu’en dise le monumental Erich Auerbach. Mais pouvons nous établir une relation de nécessité entre l’écriture et la politique ? Un écrivain n’est pas forcément politique. Mais là n’est pas la question.
  
 Nous pouvons trouver en l’occurrence des hommes dont l’engagement intellectuel se prolonge par la politique et d’autres parmi la grande caste des « politiciens » qui prennent la direction inverse en allant de la politique à l’écriture. Cette continuité qui fonctionne dans les deux sens pose certainement un problème affairant à l’acte de création. Comme l’écriture, la politique est davantage un art qu’une science. La politique en tant que « discours » pris dans le sens foucaldien du mot est une forme d’écriture qui peut se donner à lire rien que dans la manière de gouverner. Le grand Charles De Gaulle fut un modèle de « gouvernement par la litote », quant à François Mitterrand il reste à ce jour le plus florentin des hommes politiques français. Le très sombre Adolf Hitler, par un parallélisme nocif, est allé très loin chercher les Walkyries dans la mythologie nordique pour agir et écrire son funeste projet. Le Napoléon de Max Gallo écrivait « avec la spontanéité d’un jeune homme et la force d’une pensée qui invente son style ».Léopold Sédar Senghor avait son langage politique, une manière de faire puisée à coup sur dans ses « humanités ». Il cherchait la grandeur littéraire et politique à travers l’écriture et cette manière autoritaire de gouverner. Tout cela fait penser que la politique est cette matière malléable que les hommes politiques pétrissent et lui donnent une forme à leur guise. De là à glisser vers « l’écriture au sens scripturaire du mot », il n’ya qu’un pas.

 En France le pays où l’écriture est inscrite dans l’imaginaire sociale, les hommes politiques pensent naïvement que le succès en librairie est une bonne entrée en matière dans la chose politique. Ils sont rares les hommes politiques français qui n’ont pas écrit « quelque chose ». Des publications de toutes sortes aux fortunes diverses, certaines vite oubliées, trônent au fond des bibliothèques empoussiérées. Toute cette volonté ostentatoire de « faire de l’esprit » ne fait pas forcément de Sarkozy, Ségolène Royal ou Manuel Valls des écrivains patentés. Au contraire elle participe d’une sorte de rituel « creux » qui a fait dire à Michel Roccard que la France est atteinte de graphomanie. Un auteur de livres n’est pas forcément un écrivain.

Un écrivain possède forcément un style. Selon la formule de Schopenhauer « Le style c’est avoir quelque chose à dire ». Le mot style est devenu banal mais le contenu est difficile. Autant dire de façon sommaire que lorsqu’on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire. Ce n’est certainement pas l’avis de ces « politiciens » qui pensent que l’écriture est un passage obligé.

Lorsque l’on tente de pousser l’analyse jusqu’à ses derniers retranchements l’incursion des politiques dans le monde de l’écriture est une sorte d’effraction, une manière de pirater et « voler » l’esprit aux écrivains. L’écriture est un rituel prestigieux et les politiciens sont tentés par le prestige. Chez « les politiciens » l’écriture est davantage une tentation qu’une tentative.

Au reste, François Bayrou le béharnais prof de Lettres Classiques, est l’auteur d’une excellente biographie d'Henri IV, Le Roi libre, vendue à 300 000 exemplaires.  Le très cultivé Jack Lang, brillant Juriste est l’auteur d’une vingtaine de livres dont « Lettre à André Malraux » publié en 1996, le sulfureux et très brillant économiste Dominique Strauss Kahn a écrit en autres livres « La flamme et la cendre », Alain Juppé le féru de lettres classiques, a profité de l’exil au Canada à la suite de ses ennuis judiciaires pour écrire « La tentation de Venise », Laurent Fabius le cacique à l’agrégation de lettres modernes a publié « Les blessures de la vérité » prix du livre politique en 1996 et « Le cabinet des douze » prix Montaigne de Bordeaux 2000. Quant au fameux Dominique de Villepin, « accusé » d’avoir une vision livresque de la France (un compliment plus qu’un reproche), il a une graine d’écrivain. Il  est l’auteur de romans, poèmes  et essais. Plusieurs de ses ouvrages ont été primés dont « La chute ou l’empire de la solitude ».Hormis les ouvrages littéraires de Villepin, toutes ces publications fort intéressantes ne font pas pour autant de ces braves messieurs des écrivains au sens littéraire du mot. Ils restent tout de même des auteurs cultivés et talentueux.

Tout ce concert d’écriture relève peut-être d’une tradition fondée sur le malentendu suivant : tous les grands écrivains français du 19ème sont des hommes politiques. Mais ce n’est pas la politique qui a fait de Victor Hugo ou Lamartine un écrivain, mais bien le contraire. Cette réflexion fondée sur un fait historique appelle certainement une typologie « universelle » des écrivains-hommes politiques :

-Nous avons d’abord les écrivains qui font œuvre de politique parmi lesquels trône en maitre « le plus grand poète français hélas ! »Victor Hugo dont l’engagement politique lui a valu l’exil à Guernesey. Il est l’auteur de textes politiques inédits et presque prémonitoires sur l’avenir de l’Europe. Son modèle, le grand chateaubriand et Lamartine furent de grands hommes politiques. Léopold Sédar Senghor serait entré en politique « tout à ait par hasard » en faisant des recherches dans les campagnes sénégalaises pour enrichir sa thèse inachevée. Aimé Césaire avant de militer et quitter le parti communiste français est d’abord un poète accompli dont l’incandescence n’a d’égal que la grande idée qu’il se fait l’homme. C’est un poète politique. Il n’est que de lire l’abondante bibliographie du professeur Cheikh Anta Diop, chercheur émérite, illustre égyptologue, secrétaire général du RND, pour être édifié sur la relation parfois « génétique » entre l’écriture et l’engagement politique. Ses écrits ont subit le même sort que son action politique. Frappé d’ostracisme, les étudiants de l’université qui porte son illustre nom ignorent aujourd’hui son œuvre pionnière .Vaclav Avel président de la république tchèque est un immense dramaturge dont la voix autorisée a salué la disparition de Tennessee William comme l’un des plus grands dramaturges du 20ème siècle. Que dire alors des André Malraux, Cheikh Hamidou Kane et  Mario Varga Llosa dont on ne sait même pas par quelle opération du Saint-Esprit, ils se sont retrouvés dans le monde politique qui n’est pas le leur.

-Arrive alors, en second lieu, la catégorie des hommes politiques qui font œuvre d’écriture. L’écriture n’est pas un « métier » pour eux, mais leur grande culture et leur expérience politique n’ont pas manqué de provoquer le désir d’écriture chez eux. Ils ont peut-être écrit par « amitié » comme le dit Jack Kerouac. Savez-vous à ce propos que John Fitzgerald Kennedy a raflé le prestigieux prix Pulitzer en 1957 pour son ouvrage « Profile in courage » ? Au Sénégal feu Abdoulaye Ly fondateur de PRA-Sénégal est l’un des plus grands historiens d’Afrique, lisez «  La compagnie du Sénégal ». Quant à Lamine Gueye il n’a pas pris le temps d’écrire un ouvrage digne de son grand talent ; son « Itinéraire Africain » entre autres textes  reste insuffisant pour un homme aussi instruit. Le président Mamadou Dia instituteur de métier est un homme étonnant par le « niveau doctoral » de son œuvre prolixe et éclectique qui va de la théologie à l’économie en passant par l’anthropologie ; ses « Mémoires d’un militant du tiers monde » sont l’un des textes politiques les plus « larmoyants ». Beaucoup de lecteurs ont pleuré après avoir lu ce livre. Ces mémoires larmoyants de vérité restent un avis aux futurs auteurs de vrais mémoires ou de vrais faux mémoires. Qu’ils fassent attention ! Les lecteurs et les témoins  sont vigilants et veillent au grain. A ce propos « Le petit berger peulh au service de la République » de Monsieur Djibo Leyti Ka recèle des erreurs factuelles graves et peut-être volontaires, selon des témoins. 

Que dire des Moustapha Niasse, Habib Thiam, Abdou Diouf et même du taciturne Ousmane Tanor Dieng ? Personne ne leur pardonnera de ne pas écrire leur « Mémoires » tant leur présence au sommet de l’Etat a été longue. Les curieux lecteurs attendent de Monsieur Habib Thiam plus que son très personnel « Par devoir et par amitié ». Les mémoires font partie de l’historiographie moderne. Mais attention ! Les « diplomates » entretiennent un certain quiproquo avec la vérité historique. Le controversé Henry Kissinger l’a reconnu après en avoir fait les frais. Par ailleurs il y a une bonne catégorie de politiciens dont les mémoires n’auront aucune forme de crédit à cause de la tortuosité de leur auteur. Quant au « très intéressant » Abdoulaye Wade il vaut mieux que des « écrivains sérieux » se chargent de sa biographie. Ce sera plus crédible ! « Un destin pour l’Afrique » qu’il a publié n’est pas un livre suffisant pour connaitre les convictions de l’homme. Au reste il est dommage que les mémoires du Professeur Assane Seck « Sénégal, émergence d'une démocratie moderne, (1945-2005) : un itinéraire politique (préface de Djibril Samb), 2005, n’aient pas du tout provoqué un « événement éditorial ».

 Parmi les hommes de la gauche classique Majmout Diop est l’auteur d’écrits politiques à caractère idéologique mais s’il avait publié ses mémoires ! Un Landing Savané n’a jamais continué et valorisé sa carrière de « jeune poète » de la gauche, ses textes poétiques restent méconnus,  El Hadji Momar Samb a passé de justesse à coté du grand  prix du chef de l’Etat pour les lettres avec « Ces dames de silex ».Le plus grand regret éditorial et intellectuel reste à ce jour le valeureux Tidiane Baydy Ly ; les Mémoires de ce conquistador de la liberté auraient pu nous éclairer sur l’historique Parti Africain de l’Indépendance. Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily gagneraient à nous dire dans un livre à deux mains pourquoi « le grand soir » ne s’est jamais réalisé au Sénégal. Ce serait une expérience intellectuelle et militante inédite.

-Enfin s’approchent honteux les premiers à la queue, ceux qui seront condamnés par illettrisme à ne rien publier. Même pas de « Mémoires » ; ils mourront anonymes, la pire des fins pour un homme politique ; pas de gloire politique encore moins de gloire littéraire, gisant sans nom au cimetière de l’oubli.

Khalifa Touré
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