mercredi 30 octobre 2013

Saint -John Perse à Lampedusa !









« Ceux qui campent chaque jour plus loin de leur lieu de naissance, ceux qui tirent chaque jour leur barque sur d’autres rives, savent mieux chaque jour le  cours des choses illisibles ; et remontant les fleuves vers leur source, entre les vertes apparences, ils sont gagnés soudain de cet éclat sévère ou toute langue perd ses armes. »

Saint-John Perse, Neige, 04, In Exil.

C’est à croire que le prix Nobel de littérature, le poète français né en Guadeloupe, Saint-John Perse, à vécu à notre époque. Entre le désir d’apartheid et la fièvre de la désertion, on perd ses mots.

Khalifa Touré

samedi 12 octobre 2013

Mais à quoi servent les prix littéraires ?



« La gloire est le deuil éclatant du bonheur », disait Madame de Staël
 
L’on oublie souvent que le plus prestigieux des prix littéraires, « Le Prix Nobel de Littérature » en l’occurrence, est passé à coté de quatre grands monuments de la littérature mondiale. Il s’agit de Léon Tolstoï, Franz Kafka, Emile Zola et Aimé Césaire. Ce fut un grand regret et même une « bourde monumentale » que l’Académie Royale n’aborde presque jamais. C’est la partie honteuse à cacher. Autant dire qu’un prix littéraire reste très « utile » mais il n’est pas forcément le nec plus ultra, la pointe acérée de l’œuvre de toute une vie. Les grands artistes n’ont jamais couru derrière les lauriers même s’il faut savoir que toute œuvre artistique est appelée à la reconnaissance et au succès. Jean Paul Sartre a refusé le prix Nobel de Littérature par orgueil ! Ce « philosophe du devenir » ne pouvait concevoir une consécration qui figerait son œuvre et sa vie  dans le moule d’un trophée « philosophiquement douteux ». Aujourd’hui on glose à souhait sur la « sincérité » ou non d’un tel acte mais le fait est déjà établit qu’un écrivain a refusé le prix Nobel avec tout l’argent qui l’accompagne. 

Nous savons aujourd’hui  que le principal critère de l’académie royale c’est de primer une œuvre suffisamment idéaliste. Si le jury est passé  à coté de Kafka, Tolstoï, Emile Zola et Aimé Césaire c’est qu’il ya eu méprise ! Il s’est royalement trompé (et certainement de bonne foi) sur le contenu littéraire, la portée politique, et le but philosophique de ces quatre grands édifices. Quoi de plus « idéaliste » que les écrits de ces quatre écrivains dont les œuvres sont enracinées et rayonnantes sur la culture mondiale. Une grande œuvre se reconnait en partie à sa tonalité et son amplitude. Il est difficile de s’imaginer l’influence de ces quatre auteurs. Quand je pense qu’Albert Camus  est l’un des éclats de Franz Kafka et même pas le plus brillant. Aucun commentaire sérieux de « L’étranger » ne peut se faire sans la référence à Franz Kafka. Il est le maitre incontesté d’autres grands maitres comme le russe Alexander Soljenitsyne (lisez Une journée d’Ivan Denissovitch), l’anglais George Orwell (1984 est une œuvre kafkaïenne), le prix Nobel colombien Gabriel Garcia Marquez (parcourez le très chaotique Cent ans de solitude), le jeune et génial français mort à 39 ans  Boris Vian (lisez l’équarisseur ou l’écume des jours).

Mais le plus rayonnant des écrivains «kafkaïens » est  l’immense Samuel Beckett, prix Nobel de littérature, auteur du très hermétique « En attendant Godot ». A part la bible, il n’ya pas un texte aussi influent que celui de Kafka sur l’écriture cinématographique. Les films de grands cinéastes comme Woody Allen, Tim Burton, Léo Carax, William Friedkin et bien d’autres portent la marque du maitre de Prague. Il a influencé le pop’art, la musique, la peinture  etc. Il est le maitre de la clôture de l’enfermement et de la possible liberté par la mort. Il aurait pu écrire comme Léon Tolstoï  l’a fait à sa tante Alexandrine : « Quoi que je fasse, je suis toujours persuadé que du haut de ces pyramides quarante siècles me contemplent et que le monde périra si je m’arrête». voilà le sommet de l’orgueil littéraire qui aurait pu frapper Emile Zola (l’autre Balzac), le géniteur des Rougons-Macquart, le seul grand naturaliste et même Aimé Césaire dont une bonne partie de l’œuvre n’est pas encore dignement lue et commentée. Il aurait fallu de grands spécialistes de l’herméneutique, de la trempe de Jacques Derrida, Erich Auerbach, Valentin Mudimbe ou Edward Saïd pour affronter ce volcan littéraire qu’est Aimé Césaire. Il nous légué une œuvre himalayesque faite de poèmes, de discours, d’essais et pièces de théâtre.

 Et pourtant ces quatre grands maitres de la littérature mondiale n’ont jamais été retenus par le jury du Prix Nobel. Mais cela n’entame en rien le prestige  et la reconnaissance que le prix confère à son récipiendaire. Cette année le jury a retenu la canadienne Alice Munro, nouvelliste, auteure d’une quinzaine de livres. Du reste rien ne justifie l’absence de Milan Kundera au palmarès. Même si on devine qu’il peut le refuser comme il a refusé d’entrer à l’académie française. Nous attendons les prix Nobel des américains James Ellroy et Don de Lillo.
Tout compte fait, les Jurys et les auteurs qui reçoivent les prix doivent donc rester très modestes  parce qu’il ya eu plus fort qu’eux. Combien de critiques et de jurés se sont trompés sur la valeur littéraire d’une œuvre et se sont vus démentis par l’histoire. Il y a longtemps un écrivain du nom de Stendhal était chahuté par les lecteurs savants  et érudits de son époque qui ne le pensaient pas suffisamment digne d’intérêt. Mais il a fallu du temps pour découvrir la qualité profonde, la subtilité et la substantifique moelle de la technique narrative de  ce romancier de longue haleine qui prend son temps. Lisez « Le rouge et le noir » vous serez convaincus  que ce grand artiste n’écrivait pas pour les paresseux. Il une forme particulière d’exploitation du temps narratif faite de fausses lenteurs et d’accélérations subites. Lorsqu’on aime Stendhal on aimera certainement les films du maitre danois Ingmar Bergman ; l’art est une grande famille.

Autre « exemple illustratif », le plus grand romancier français du 20ème siècle Marcel Proust avec son long et magistral « A la recherche du temps perdu » a été ignoré par le prix Nobel. Froidement accueilli par la critique de l’époque, il obtint tardivement le Prix Goncourt et mourut dans la solitude de l’incubation littéraire à l’âge de 51 ans. Avec les philosophes Bergson, Muhammad Iqbal et les grands cinéastes Michelangelo Antonioni et Alain Resnais, Marcel Proust est le grand maitre du temps en que durée. Son « travail » sur le souvenir reste jusqu’à ce jour inégalé. Quant au prix Nobel attribué au philosophe Henri Bergson, elle fut une décision très avisée. C’était une manière de dire que la littérature c’est après tout la possession d’une écriture. Dans cette veine Jacques Derrida a été oublié. Il méritait le prix Nobel. Dans toute l’histoire de la philosophie occidentale c’est le penseur qui le plus lu, commenté et expliqué les textes littéraires. En tant que philosophe, les services qu’il a rendus à la littérature restent à ces jours inégalés.

En Afrique l’ivoirien Ahmadou Kourouma raillé pour sa non-maitrise de la langue française, le malien Yambo Ouloguem injustement soupçonné de  plagiat et le congolais Sony Labou Tansi accusé à tord d’avoir eu des « nègres » ont fermé le caquet à plus d’un « prof » de français. A ce propos lisez les commentaires vraiment extraordinaires faits par Achille Mbembe dans son dernier livre « Sortir de la grande nuit, Essai sur l’Afrique décolonisée », vous respecterez définitivement ces trois grands auteurs. Ils constituent selon l’auteur le premier moment marquant de l’afropolitanisme.

Pour soldes de tout compte, les prix littéraires ont été inventés par des hommes généreux qui ont voulu valoriser l’art, la culture, la littérature. Les prix littéraires sont donc utiles même sil faut noter le paradoxe que la littérature appareille en dehors du monde utilitariste. C’est la raison pour laquelle il faut dire et souligner que l’argent qui accompagne les prix est bien utile mais si elle n’est pas manipulée par des « mains propres » elle peut écorner le prestige du prix littéraire. Au Sénégal « la valeur monétaire » du grand prix du chef de l’Etat pour les lettres qui vient d’être élevé à dix (10) millions de francs CFA est une bonne chose mais elle  peut attirer des « vautours de l’écriture », des auteurs à la réputation surfaite, des écrivains à tout vent qui produisent des « galimatias et des borborygmes » indigestes pour parler comme le critique Lamine Samb. La priorité au Sénégal c’est de réfléchir et d’élaborer une politique du livre avec une orientation inclusive qui prend en compte la diversité linguistique et esthétique de notre littérature. Le jury du grand prix a couronné il n’ya pas longtemps Cheick Aliou Ndao pour l’ensemble de son œuvre ; il le mérite bien. 

Mais le jury ne peut pas se complaire à primer des auteurs bien établis. Il court le risque de passer à coté de grandes œuvres produites par de talentueux anonymes. On oublie souvent de dire que « l’Aventure Ambiguë » fut une œuvre singulière écrite par un parfait inconnu. Le grand prix du chef de l’Etat n’a pas l’ampleur du prix Nobel. Il faut à notre avis que tous les auteurs concourent au même titre devant un jury compétent. C’est plus transparent ! Quant au jury, il faut qu’il se conforme à ce qu’on peut appeler une exigence de lecture. Les meilleurs jurys au monde sont hétéroclites, diversifiés, inclusifs, composés de grands lecteurs ; ils ont un président tournant dont la « nécessaire subjectivité » oriente utilement le choix du jury. Un prof de français n’est pas forcément un bon président de jury de prix littéraire. Bernard Pivot est membre du Jury du prix Goncourt ; il n’est pas prof de lettres, mais un lecteur boulimique et avisé. Cela suffit ! On ne peut pas ignorer l’actualité de la littérature mondiale qui permet de renouveler notre savoir et vouloir juger un écrivain de notre époque avec la vieille méthode de la thématique. Véronique Petetin, spécialiste de Rolland Barthes, a raison de dire sur le plateau de l’émission « IMPRESSIONS » qu’une rentrée littéraire ne devrait pas se faire seulement par des cérémonies, mais par la parution de livres. Beaucoup de « littéraires »  sont toujours enfermés dans cette conception scolaire qui les empêche de voir que la flamme de la littérature est ailleurs, entretenue certainement par des Michel Houellebecq, Bret Easton Ellis, Jonathan Little, Yasmina Khadra et bien d’autres.

Khalifa Touré
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