jeudi 28 novembre 2013

Une autre littérature est-elle possible au Sénégal ?



« Se contenter de ce que l’on a est trop ordinaire pour se justifier devant l’admirable principe de ce que l’on veut » Serigne Cheikh Tidiane Sy

Cette pensée mise en exergue n’est  pas un choix tendancieux, elle vient d’un éminent littéraire. L’un des plus grands poètes de notre temps selon des « connaisseurs libres » de la langue arabe. Mais le problème est que cet homme a écrit essentiellement en Arabe à part ses discours exprimés en langue  française, une langue qu’il maitrise bien. Mais cela ne devrait pas être un problème au Sénégal où l’Arabe a préexisté au français. Pourtant c’est un problème ! A cause de la centralité hégémonique du français toute une littérature, produite sur la terre du Sénégal est ignorée par les francophones. Une littérature écrite en Arabe et en « Ouolofal » qui mérite d’être compulsée, remise au gout du jour parce qu’elle appartient à notre patrimoine intellectuel et artistique au même titre que la littérature  d’expression française. L’histoire de la littérature mondiale est faite de créations et de découvertes ; depuis toujours, des batailles épiques ont opposés les acteurs du « monde littéraire », des querelles tendancieuses et autres critiques d’école sur fond de « Défense et illustration de la culture ». 

Devrons-nous nous contenter de cette littérature Sénégalaise d’expression française qui a produit des plumes alertes comme celles de Léopold Senghor, Birago Diop ou David Diop ? Se suffire de cette littérature bien africaine mais exprimée en langue française serait une paresse intellectuelle pour un chercheur, une attitude bien ordinaire pour un lecteur et un manque d’ambition voire une injustice pour les « acteurs culturels ». Un projet culturel digne de ce nom a ceci de particulier d’avoir le souci d’embrasser toute la culture du pays dans une dynamique pluraliste. Nous avons malheureusement hérité de la France, le jacobinisme et le système assimilationniste  au détriment du modèle de société pluraliste  appelé multiculturalisme par ailleurs.

Vous aurez compris sans nul doute qu’aucune littérature n’est innocente. Même si les écrivains dans leur grande majorité sont des êtres « candides » et sincères, ils échappent difficilement à l’hégémonie culturelle. Lorsqu’ au 16ème siècle Joaquim Du Bellay s’est fendu en un texte mémorable pour faire comprendre définitivement aux anciens que la langue française est suffisamment adulte et mature pour porter les grandes idées comme la poésie et la philosophie, il a fait œuvre pionnière. Son fameux « Défense et illustration de la langue française » est en vérité un texte politique même s’il fait manifestement office de manifeste littéraire. A l’époque on attribuait exclusivement et abusivement au Grec et au Latin le statut de langue de l’esprit. Le français était considéré comme une langue vulgaire. Du reste aucune culture n’échappe à cette classification tendancieuse mais surtout affective. Au Sénégal, par exemple, la langue arabe est appelée « langue de la sagesse ». L’arabe et le ouolof, deux langues qui ont été le moyen d’expression d’une myriade d’écrivains au Sénégal.

Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy qui est un poète éclectique est l’auteur d’une œuvre complexe par sa thématique diversifiée. Peu de sénégalais surtout les francophones qui n’ont pas accès à son œuvre ignorent qu’il a écrit une étrange oraison poétique dédiée à Aldo Moro, l’ancien « premier ministre » d’Italie enlevé et exécuté par les brigades rouges et une Ode consacrée à Samy Davis Junior, le grand artiste noir américain. Mais son chef-d’œuvre reste le fameux « Fa ileyka », une transe poétique consacrée à son homonyme. A  ce sujet, il faut dire que la poésie sénégalaise d’expression arabe est essentiellement hagiographique, mais non exclusivement. Il existe des poèmes profanes aux préoccupations « terrestres » qui abordent des thèmes aussi actuels que la bonne gouvernance. On les retrouve notamment chez un autre grand poète, un artiste « méconnu », il s’agit d’ El Hadji Abdoul Aziz Sy. Ce grand homme est de l’avis des spécialistes non seulement un poète classique mais un artiste en d’autres genres. C’est lui qui aurait inventé la fameuse mélodie du « bourde » qu’il déclamait lui-même en compagnie de Serigne Moustapha Sy Djamil, sous l’ombre de Serigne Babacar Sy. Son fameux « Ouolofal » lancé en direction des gens de ce bas monde, ceux qui ont la lourde responsabilité de diriger les affaires des hommes, sonne encore à nos oreilles. Il avait l’art d’allier le ouolof et l’arabe dans un même vers  en respectant la métrique arabe, chose très difficile. Il l’a certainement « hérité » de son maitre Serigne Hadi Touré, un poète étrange dont les textes en ouolof et en Arabe sont « redoutables » par leur classicisme et leur tonalité lyrique. Le liminaire de son long poème didactique consacré au rituel du Hadji est d’une particularité telle qu’elle fait d’abord allusion à la beauté de la femme africaine dont la noirceur des incisives tatouées détonne sur la blancheur des dents. Une image qui renvoie à la noirceur « Kaaba ». C’est le fameux « Hazal » de Serigne Hadi Touré. La « Kaaba » est aussi éternelle  que la beauté de la femme est périssable voulait il dire ! Son disciple, Serigne Abdou Aziz Sy n’a écrit que des chefs-d’œuvre dont une transe jubilatoire écrite au Maroc près du tombeau de son Grand Maitre. Que dire du Cheikh Ibrahim Niasse de Kaolack ? Son grand intérêt pour les affaires du monde lui ont fait écrire un texte courageux à l’époque coloniale intitulé : « L’Afrique aux africains ». Sa poésie mystique reste l’une des œuvres les plus ésotériques du Sénégal. Son grand frère, El Hadji Muhamed Khalifa Niasse(Le père de Sidi Lamine Niasse) est considéré dans le monde arabe comme l’un des plus grands poètes au sud du Sahara.

Parler de la littérature Sénégalaise sans mentionner Khaly Madiakhaté Kala (1835-1902) est une faute grave et une ignorance honteuse. C’est le plus illustre des poètes connus de l’espace Ouolof. Ecrivain, philosophe, grammairien et jurisconsulte surdoué, il a fait montre dans ses écrits d’une finesse d’esprit inégalée et d’une grande sagesse. D’autres poètes ouolof suivront comme son fils Serigne Mbaye Diakhaté et le célèbre Serigne Moussa Ka. Des poètes à l’œuvre méconnue comme Serigne Cheikh Tioro Mbacké sont notables par leur immense talent. Ce dernier est l’auteur d’une lancinante oraison funèbre dédiée à El Hadji Malick Sy. Serigne Mbacké Bousso quant à lui a communément « pleuré » la disparition d’El hadji Malick Sy et Mame Abdoulahi Niasse dans une complainte élégiaque magnifique.  Des disciples entonnent souvent des vers sans même savoir qu’ils ont été écrits par Cheikh Moussa Kamara du Fouta(1864-1945), l’un des plus grands savants que la terre du Sénégal ait porté. C’est une encyclopédie dont les œuvres sont étudiés jusqu’au brésil. Méconnu au Sénégal, ses écrits ont été classés entre la littérature, l’anthropologie, l’histoire, la sociologie etc. Jusqu’à présent toute son œuvre n’a pas été compulsée tellement elle est diverse et variée.

 Il y a dans la littérature Sénégalaise d’expression arabe un phénomène que l’on ne trouve pas dans l’espace francophone : C’est l’existence de véritables écoles esthétiques. Des traditions littéraires en quelque sorte. Tivaouane est certainement une école littéraire et oratoire. Non loin,  à Thiès, résident les frères Ibn Arabi Ly et Zoune Noune Ly fils de Cheikh Oumar Foutihou Ly. Tous les arabophones férus de poésie sont communément d’accord que l’on peut parler de l’école de Thiès avec ces deux virtuoses de la poésie.  Nous pouvons aussi parler de l’école du Ndjambour qui est une excroissance de Tivaouane avec « les frères Gaye ». En effet Cheikh Tidiane Gaye et ses frères Djibril et Abdou Karim sont à eux seuls une école littéraire par leur talent. Ils ont grandi à l’ombre d’un autre grand poète Serigne Abbas Sall. Cheikh Tidiane Gaye est l’un des meilleurs poètes de sa génération. Polémiste redoutable à la plume acerbe, il a croisé le fer avec d’autres tendances hostiles au soufisme. Il est décédé le 07 Janvier 2011. A Saint-Louis, on doit à Serigne Madior Goumbo Cissé qui n’a vécu que quarante cinq ans (1848/1893) deux célèbres et longues hagiographies dédiées au prophète Muhammad (PSL). A propos d’El Hadji Muhamed Bouna Kounta de Ndankh, aux confins de Ngaye Mékhé, son épigramme contre la ridicule préciosité des femmes mondaines a fait date. Poète surdoué, orateur hors pair, ses œuvres vont des panégyriques « sacrés » à la satire sociale.

Quant à El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et leur ancêtre El Hadji Oumar qui a fait l’histoire et écrit l’histoire, leurs œuvres ne sont plus à présenter.
Tout cet univers « paradisiaque » serti essentiellement de poésie, cet « embouteillage » d’écrivains méconnus pose entre autres la lancinante question de la traduction et de la critique littéraire. Il existe des prix Nobel qui ont écrit en suédois ou en provençal ! Si les japonais Yasunari Kawabata et Kenzaburo Oé, les chinois Luxun et Mo Yan sont mondialement lus c’est grâce à la traduction. Shakespeare a écrit dans un anglais presque archaïque mais il est vénéré jusqu’en Chine. Les grands écrivains sénégalais cités dans ce texte sont par ailleurs victimes de l’extrême sacralité dont leurs  œuvres sont frappés. Ainsi, elles échappent à l’exégèse, à la glose et surtout à la critique littéraire indispensable pour vulgariser toute œuvre digne de ce nom. Imaginez-vous le jour où le pont sera jeté en la francophonie, l’arabophonie et surtout les langues nationales dans une osmose créatrice ! Cela ne peut se faire qu’à travers une politique culturelle qui tienne en compte la traduction et l’édition en d’autres langues. UNE AFFAIRE A SUIVRE !

Khalifa Touré
776151166/709341367


jeudi 21 novembre 2013

Prière d’un petit enfant nègre : Souvenirs, souvenirs!

  















Je ne sais quoi !  Mais ce poème appris dès la tendre enfance me fait quelque chose que je ne comprends pas à chaque fois que je le lis. Écrit par Guy Tyrolien, poète habitant des Antilles, une terre de luttes, de souffrances, de malheurs multiples qui ont fait naitre une grande littérature au nombre d’écrivains incalculables.

 Je ne sais quoi !  Mais ce poème appris dès la tendre enfance me fait quelque chose que je ne comprends pas à chaque fois que je le lis. Écrit par Guy Tyrolien, poète habitant Haïti, une terre de luttes, de souffrances, de malheurs multiples qui ont fait naitre une grande littérature au nombre d’écrivains incalculables.



Prière d’un petit enfant nègre.
Seigneur
je suis très fatigué
je suis né fatigué
et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
et le morne est bien haut qui mène à leur école
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ,
faites je vous en prie que je n'y aille plus
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
où glissent les esprits que l'aube vient chasser
Je veux aller pieds nus par les sentiers brûlés
qui longent vers midi les mares assoiffées
je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers
je veux me réveiller
lorsque là bas mugit la sirène des blancs
et que l'usine
ancrée sur l'océan des cannes
vomit dans la campagne son équipage nègre
Seigneur je ne veux plus aller à leur école
faites je vous en prie que je n'y aille plus
Ils racontent qu 'il faut qu'un petit nègre y aille
pour qu'il devienne pareil
aux messieurs de la ville
aux messieurs comme il faut;
Mais moi je ne veux pas
devenir comme ils disent
un monsieur de la ville
un monsieur comme il faut
Je préfère flâner le long des sucreries
où sont les sacs repus
que gonfle un sucre brun
autant que ma peau brune
Je préfère
vers l'heure où la lune amoureuse
parle bas à l'oreille
des cocotiers penchés
écouter ce que dit
dans la nuit
la voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
les histoires de Zamba
et de compère Lapin
et bien d'autres choses encore
qui ne sont pas dans leur livre .
Les nègres vous le savez n'ont que trop travaillé
pourquoi faut il de plus
apprendre dans des livres
qui nous parlent de choses
qui ne sont point d'ici .
Et puis
elle est vraiment trop triste leur école
triste comme
ces messieurs de la ville
ces messieurs comme il faut
qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
qui ne savent plus conter de contes aux veillées
Seigneur je ne veux plus aller à leur école.

Guy Tyrolien, Balles d’Or,  Présence Africaine en 1961.



mardi 5 novembre 2013

Sommes-nous colonisés à travers nos études?








Si l’on s’en tient à « L’Orientalisme » d'Edward Saïd, la réponse est affirmative sans aucun doute. Ce  texte écrit par le grand intellectuel américano-palestinien, Edward Saïd est peut-être aussi important que « Défense et illustration de la langue française » de Joaquim Du Bellay écrit au 16ème siècle et la fameuse « Préface de Cromwell » de Victor Hugo. Puisque ce texte a ouvert définitivement un courant de pensée et même une discipline universitaire : Les études postcoloniales. Ces différents textes sont en eux-mêmes des manifestes littéraires, des révolutions mentales et esthétiques. « L’orientalisme » est avant tout un grand texte littéraire et scientifique écrit par l’un des plus fins critiques littéraires du 20ème siècle, Edward Saïd.

Autant dire que ce livre possède la puissance des textes fondateurs, c’est le bréviaire aujourd’hui de tous ces grands intellectuels et théoriciens issus des pays anciennement colonisés et de la diaspora, de l’Afrique à l’Asie en passant par l’Angleterre, la France et l’Amérique du Nord. Écrit d’une seule traite en 1977, « L’orientalisme » provoqua d’abord le scepticisme chez les éditeurs. Mais très vite, il eut une fortune exceptionnelle : Il est à ce jour traduit trente six langues. La parution effective de ce grand livre en 1978 provoqua des réactions diverses et variées allant de « l’hostilité à l’appréciation élogieuse en passant par l’incompréhension la plus totale ».
Il faut dire que le texte de Saïd ne peut laisser aucun lecteur indifférent. Voilà l’un des livres d’où l’on ne sort jamais indemne. A la manière de Franz Kafka qui pensait qu’un grand livre est celui que l’on reçoit comme un coup de point, nous sommes sortis de ce livre totalement secoué, d’une secousse non pas tellurique mais intellectuelle et esthétique, sans  aucunement exagérer !
Le grand orientaliste français de l’époque moderne, Maxime Redinson a confessé être complètement traumatisé par ce livre.

Comment peut-il en être autrement ? Ce texte est écrit par un homme d’une érudition étonnante qui connait tous les grands moments de la littérature mondiale. Ceux qui aiment la littérature  vont se régaler ; le texte de Saïd est jalonné de grands écrivains et des commentaires bouleversants : A commencer par la Grèce antique et Rome avec Eschyle et Hérodote à des auteurs  actuels comme Henry Kissinger en passant par Victor Hugo, Dante Aligheri, Gustave Flaubert, Gérard de Nerval , Goethe, Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Karl Marx, Maurice Barrès, Anouar Abdel Malek, Michel Foucault et bien entendu des orientalistes comme les incontournables Sylvestre de Sacy, Ernest Renan, William Jones, Edward William Lane ( Maxime Redinson et Louis Massignon sont cités incidemment). En plus des personnages historiques comme Napoléon qui conquiert l’Egypte à la fin du 18ème siècle : «  Tout commence avec Bonaparte, continue avec le développement des études orientales et la conquête de l’Afrique du Nord. » dit Edward  Saïd dans la préface.

Mais l’explication d’une telle force réside dans la thèse fondamentale de ce livre : L’ORIENT A ÉTÉ CRÉÉ PAR L’OCCIDENT. Il s’agit ici non pas de l’orient comme réalité physique et géographique mais de l’Orient en tant que représentation et création par un occident qui a eu besoin de ce double imaginaire pour y projeter ses fantasmes et ses défauts à travers une littérature d’une abondance prodigieuse. Voilà selon Saïd l’origine première de l’orientalisme.
Il s’est évertué avec beaucoup d’érudition à travers 413 pages à « déplier » le discours occidental sur l’orient. Des commentateurs avisés comme Achille Mbembe ont eu raison d’affirmer qu’ « Edward Saïd a déconstruit la prose coloniale » comme  Aimé Césaire, dirons-nous, l’a fait réussi avec son « discours sur le colonialisme ».
Mais la grande différence est que « L’orientalisme » est plus démonstratif, c’est un texte scientifique qui a réussi à démolir l’infrastructure discursive du système colonial mais avec les outils « redoutables » de la littérature. Jusqu’à la parution de ce texte les intellectuels de la tradition marxiste se sont évertués à démonter le système colonial à travers la critique exclusivement matérialiste des rapports de production économique mais voici qu’un texte surgit pour dire que l’essence de l’esprit colonial est plutôt à chercher dans l’imaginaire, dans le savoir produit par le colon. L’orientalisme étant l’un de ses savoirs. Comment le colon se fait une idée de l’autre ? Comment il se projette sur le colonisé ? Comment il se défausse sur l’Arabe, le musulman ou l’Africain ? « L’orientalisme » de Saïd  prend le contre-pied en appareillant vers une critique littéraire des représentations de type colonial en procédant à une analyse et une déconstruction du  discours de l’occident sur l’orient. C’est la raison pour laquelle des intellectuels de tradition marxiste et internationaliste comme Aijaz Ahmed, Chandra Talpade Mohanty ou encore Benita Parry ont violemment réagit à ce texte qui a provoqué beaucoup de controverses. Il dit d’ailleurs dans l’introduction que « les théoriciens marxistes américains en particulier, ne se sont pas donné la peine de combler la lacune entre le niveau superstructurel et le niveau fondamental dans l’érudition historique textuel ».

 C’est une déconstruction qui a fait mouche puisqu’elle a ouvert la brèche à travers laquelle se sont engouffrés un nombre important d’intellectuels, de théoriciens et de penseurs  d’horizons divers comme les africains Achille Mbembe et Valentin Mudimbe, les indiens Gayatri Spivak, Homi Bhabha et  Ashis Nandy. Il a permis de faire la jonction entre les études postcoloniales et les « subaltern studies », courant de pensée née en Inde. Tout cela se passe  dans les années 80. C’est pourquoi ces années sont désignées comme le moment de la grande herméneutique «High Theory » qui correspond en même temps à la « french Theory » avec les Derrida, Foucault et  Deleuze. C’est la période de « la grande interprétation » qui poursuit aujourd’hui son cours. Et dans cette période « L’orientalisme » occupe une place centrale. Ce texte  et ces auteurs ont permis une circulation d’idées entre francophones et anglophones, entre africains, asiatiques et européens.

Edward Saïd qui affirme avoir écrit d’une traite ce livre, comme pour dire que « la chose » coulait de source, a construit son texte en trois(3) grandes parties : le domaine de l’orientalisme, l’orientalisme structuré et restructuré, l’orientalisme aujourd’hui. La lecture attentive de ses trois parties nous révèle une « vérité épistémologique » : C’est que toute science a une politique, la raison a une histoire, aucune science n’est neutre.
Aujourd’hui aucun pays anciennement colonisé ne peut faire l’économie de la décolonisation épistémologique pour sortir de la bibliothèque coloniale et s’envoler vers l’universel sans esprit de fermeture sur soi. 

Ce débat est presque inexistant dans beaucoup de pays francophones, le Sénégal en particulier. La décolonisation en tant que méthode, même si elle ne peut pas figurer explicitement dans les programmes, elle doit absolument être prise en compte et même informer notre système éducatif pour libérer « le club des intellectuels dirigeants » du corset colonial, se défaire de « l’hégémonisme des minorités possédantes » qui monopolisent les pratiques discursives pour en  faire un instrument de domination. Je parle de l’école et de l’université qui excluent les autres manières de voir et penser en les disqualifiant arbitrairement hors du cercle de la science. Personne n’est étonné de voir que la commission de réforme de l’enseignement supérieur ne prend pas en compte cette dimension politique du savoir. On ne peut pas se contenter de dire que l’école est laïque, républicaine et gratuite, cela ne suffit pas. L’école qui est le plus grand centre de fabrication et de diffusion du savoir a le devoir de répondre à la question suivante : « Quelle type de Sénégalais je veux créer ? » Et ce Sénégalais qu’il nous faut ne peut se faire qu’en dehors de la bibliothèque coloniale. Telle est la grande leçon que l’on peut tirer « L’orientalisme » d’Edward Saïd qui est recommandé à tous les hommes politiques.

Khalifa Touré
776151166/709341367