« Il n’a jamais
agi, ni comme un blanc, ni comme un noir. C’est ça voyez-vous, c’est ça qui a
rendu les gens si furieux ! » William Faulkner.
Tels sont les mots énigmatiques que l’écrivain William Faulkner a mis dans la bouche
d’un de ses personnages qui s’exprimait ainsi à propos d’un nommé Joe Christmas, accusé peut-être à tort
d’avoir tué une femme blanche tout simplement parce qu’il a la peau un peu
basané. Il aurait eu, dit-on, une goutte de sang
noir. Il n’est ni chien ni loup, donc il inquiète et fait peur à l’autre.
Aux Etats-Unis cela suffit pour faire de vous un noir, même si vous êtes clair,
très clair même. La notion de « métis » n’existe pas au Pays de
l’Oncle Sam. Le général Colin Powell raconte dans ses mémoires comment il lui
était impossible il y a quelques années, d’entrer dans un restaurant pour blancs alors qu’il était colonel de l’Armée
américaine. Il était obligé d’envoyer son chauffeur de race blanche, lui faire
faire une simple collation. Malgré tout l’Armée américaine a toujours été en
avance sur la société quand il s’agit de la
question raciale. Powell était au moins officier supérieur avec un
chauffeur de race blanche dans un pays
ségrégationniste. C’est cela le paradoxe
américain. Une sorte de schizophrénie sociale qui a toujours cours sous
d’autres formes. Il raconte aussi
cet épisode gênant où sa grande sœur qui est plus « claire » que lui,
presque une blanche, a invité son petit ami blanc à la maison. Il fallait voir
comment ses parents fulminaient, raconte-t-il. Aux États-Unis soit on est blanc
soit on est noir. Quant à la chanteuse Maria
Carey elle raconte que lorsqu’elle était petite, ses copines de l’école
primaire la prenaient pour une blanche jusqu’au jour où elles ont vu ses deux
parents.
Si vous lisez « Lumière d’Août » de William Faulkner d’où est extraite la
citation mise en exergue vous serez « définitivement » convaincus que
le problème racial aux États-Unis est
une question presque « métaphysique ».
Elle dépasse de loin la sociologie et
l’histoire. L’immense poète africain- américain William Dubois, l’a vite compris, qui a écrit ces mots étincelants :
« Le savoir sociologique est si
lamentablement inorganisé que la signification du progrès, le sens des mots
« vif » et « lent » dans les activités humaines et les
limites de la perfectibilité de l’homme, sont comme des sphinx énigmatiques et muets
postés sur les rivages de la science. Pourquoi Eschyle a chanté deux mille ans
avant que Shakespeare ne fut né ?
Pourquoi la civilisation a fleuri en Europe et périclité en Afrique ? Tant
que le monde restera stupidement muet face à ces questions, cette nation
devra-t-elle proclamer son ignorance et ses préjugés impies en refusant la
liberté et l’égalité des chances à ceux qui font entendre leurs Sorrow Songs jusqu’au trône du Tout-Puissant ! »
Ah que oui Monsieur William Dubois ! Le racisme peut
prendre des allures d’une violence folle et inouïe comme on le constate ces
dernières années, des situations cocasses, quelques fois inexplicables et tout
le temps regrettables. Mais ce qui fait peur surtout c’est l’arrière plan
« idéologique » qui préside et offre un décor de fond à des actes
criminels innommables comme ceux de Fergusson, New York et bien ailleurs aux
USA. La plupart des policiers blancs qui ont tiré sur des jeunes noirs ont
reconnu qu’ils ne l’auraient pas fait si « leurs cibles » étaient de
race blanche. Ils ont peur des noirs ! La grand-mère maternelle de Barack Obama a reconnu qu’elle a peur
des adolescents noirs lorsqu’elle marche dans la rue oubliant qu’elle a laissé
chez elle un jeune noir (qui sera président des États-Unis de l’Amérique multiraciale
et pluraliste). Cette confession met le doigt sur la lancinante question de
l’altérité, la peur de l’autre, fondée essentiellement sur une faiblesse
psychologique, un déficit d’éducation, une grave inculture et une forme non pas d’idiotie mais d’imbécilité
au sens propre. L’Imbécilité
contemporaine fait mal au monde !
Après les attentats du 11 Septembre un jeune américain croyant se venger, a
tiré sur un citoyen américain qui portait le turban des Sikh. Il croyait tuer un
musulman puisque tous les musulmans sont des enturbannés dans son imaginaire
fabriqué par la presse irresponsable et le Cinéma réducteur.
A ce propos vous ne pouvez pas imaginer comment une
certaine littérature de caniveau et le cinéma surtout hollywoodien de mauvais goût,
a « édulcoré », déformé et même modifié l’image des Noirs et des
Indiens dans le monde. L’on néglige et même sous-estime à tord la force
destructrice d’une iconographie falsifiée
des races. Le génial et rebelle
Marlon Brando a eu raison en son temps de refuser l’Oscar du meilleur acteur et
d’aller se faire représenter par femme déguisée en indienne puisque disait-il
« le cinéma a causé beaucoup de torts aux indiens ». L’imagologie
tronquée des nègres et des indiens a
sans nul doute informé de façon désastreuse les comportements des sujets blancs
vis-à-vis des noirs en l’occurrence. Il
faut à la vérité dire que « les noirs » ont parfois joué le jeu
pensant naïvement que c’est un simple jeu. Même la Black-exploitation, cette grande
industrie et surtout courant cinématographique pan-nègre qui aujourd’hui,
est l’une des principales sources d’inspiration d’un cinéaste blanc comme Quentin Tarentino, n’a pas réussi à infléchir la tendance racialiste. Les noirs sont en
général grands, costauds, forts, comiques, des dealers qui meurent très vite au
cinéma. Dans un film Hollywoodien le premier à mourir est un noir, en général. Sauf le plus talentueux des acteurs noirs, Forest Whitaker, le plus bancable Denzel Washington et le plus sage, Morgan Freeman. Exceptions entre
quelques autres, qui confirment la règle. Spike
Lee, le cinéaste africain-américain le plus populaire est resté muet,
artistiquement parlant, depuis quelques années. L’acteur
Johnny Depp exagère peut-être lorsqu’il écrit : « Le sang qui coule dans mes veines a des origines très
diverses : irlandaise, allemande mais aussi indienne. Mon grand-père dont
j’étais très proche et qui est mort quand j’avais sept ans, était Cherokee…Aux
Etats-Unis, presque tout le monde peut dire : « Oh, moi aussi
j’ai du sang indien. »Parfois c’est vrai, parfois non ; peu importe. Ce que je trouve intéressant dans le fait
d’avoir du sang indien dans les veines, c’est qu’il ya de fortes chances pour
que, quelque part, dans votre généalogie, vous soyez le résultat d’un viol.
Que l’un de vos grands-parents ait participé à cette invasion horrible, à ces
actes barbares qui ont été commis et qui font qu’une femme indienne, qui se
trouve être votre aïeule, a été violentée au cours de ces 150 ou 200 ans. Il y a eu agression et cette violence-là se transmet forcément de
génération en génération. Ce qui
explique peut-être la rage qui
habite ce pays aujourd’hui et qu’on ne peut pas maitriser. Je n’ai pris
conscience de ça que récemment. Bien après m’être fait ce tatouage sur le bras.
Mais à voir les tueries, fusillades et attentats fréquents aux USA on dira
qu’il ya une part de vérité dans ce qu’il dit même si l’on n’est pas adepte de
l’atavisme.
Mais à dire vrai, il ya à se demander par quelles voies des
philosophes comme William Faulkner ou
Dubois passent-ils pour saisir
l’essence et la raison d’un phénomène aussi étrange que le racisme. Lorsque la folie s’empare des hommes et que
le petit malin prend le visage de l’homme traqué, alors c’est le début de la
fin. Le problème des sociétés modernes comme celle des États-Unis c’est la
difficulté à distinguer ce qui relève du consensus moral et les exigences d’un vivre-ensemble fondé sur
des impératifs catégoriques universels. En effet une société peut accepter de
façon consensuelle le port libre des armes à feu et leur usage abusif sans que
cela relève du Bien. On oublie souvent que les USA sont une société
profondément individualiste et que la
plupart des philosophes américains (à part John Rawls et ses disciples) sont des adeptes de l’utilitarisme qui veut
que ce qui est juste ne soit pas forcément ce qui est bien. Les américains ont
tendance à séparer le Bien du Juste. C’est cela le pragmatisme ! La
déontologie au sens philosophique du mot n’a pas cours chez eux. C’est plutôt
le règne de la spéléologie. Remarquez cette obsession bien américaine pour la
procédure judiciaire ! Lorsqu’un
policier américain tire à deux reprises en l’air, vous avez intérêt à lever les
deux bras, sinon la troisième balle sera pour vous ! Le monde entier a vu
la vidéo du malheureux citoyen
Africain-Américain Eric Garner mort
étranglé publiquement après avoir été arrêté par une nuée de policiers blancs. Le plus sidérant c’est
que le policier incriminé a été innocenté par un grand jury. Tout cela relève
de la procédure. Ils se disent certainement que Garner a été arrêté régulièrement.
Il n’ya pas longtemps un
brillant universitaire africain-américain ancien collègue de Barack Obama s’est vu menotté et
violenté par de jeunes policiers blancs qui ont été alertés par une voisine qui
a cru avoir affaire à un cambrioleur parce qu’elle a aperçu un noir. L’affaire a provoqué l’émoi à travers tout le
pays et il a même été reproché à Obama d’avoir pris la défense de son ami. L’extrême militarisation de la police
américaine et la formation défectueuse de certains policiers expliquent les
forfaits commis. Les États-Unis sont l’un des rares pays développés où vous pouvez
trouver « un policier qui sait à
peine lire ».
Aux États-Unis la plupart des noirs sont des visages sans nom, on ne les
reconnait pas, on ne les voit pas, ils sont invisibles. Tous les noirs se
ressemblent. On ne voit même pas la couleur de leurs habits. L’essentiel est qu’ils sont habillés
comme un noir, parlent comme un noir, dansent comme un noir. La religion est
faite ! Je vous renvoie à ce fameux documentaire « Un coupable Idéal ». L’accusateur dans cette histoire
sidérante a confondu un jeune noir filiforme, type soudano-sahélien à un noir
plus grand et trapu. L’essentiel pour lui est qu’il a vu un noir. Mais le
problème aujourd’hui n’est pas le fait d’être noir mais c’est l’hésitation, la
peur et même le refus d’en faire un facteur heuristique, un élément explicatif.
Le meurtre impuni de Michael Brown
et les émeutes y consécutives à Fergusson, expliquent beaucoup de choses. Allez dire à Barack Obama que le fait d’être noir ou
blanc aux États-Unis n’a plus de
sens ! Il a tort de répondre du nom de Barack Obama, malgré son élection
triomphale. On ne le dit pas, mais
l’élection de Barack Obama a réveillé de vieilles rancœurs raciales. Il aurait dû se nommer John
Brown ou Fred Wilson. Même un nom « douloureux » comme Byron Mc
Intire ferait l’affaire. Du moins c’est le point de vue d’un de ses proches
conseillers qui n’hésitent pas à le dire à qui veut l’entendre. Aujourd’hui
personne ne veut l’entendre à part quelques téméraires qui n’hésitent pas
à avancer des raisons « chromatiques » au mystère de « l’impopularité
brutale » de Barack Obama. Aux Usa
il existe un plafond racial, un seuil indépassable pour toutes les minorités
qu’elles soient raciales ou non. Obama a atteint l’horizon social de sa propre
réussite dans ce pays qui il n’ya pas longtemps l’a plébiscité en partie pour enjamber
la question raciale mais surtout pour en finir avec le cauchemar Bush. Oui la
baisse croissante de la popularité de Barack Obama relève du mystère racial.
Comment peut-on élire un président et lui faire ensuite de crocs-en-jambe
dangereux. Tu es jeune, brillant
orateur, séduisant, moralement au dessus de tout soupçon et charismatique. C’en
est trop pour un président noir. Il suffit ! Nous ne permettrons pas que
tu ailles au-delà. Voilà l’histoire secrète du règne d’Obama. Elle sera écrite
un jour.
« Le premier
président noir des États-Unis c’est Bill Clinton » a dit l’écrivain
Africaine-Américaine Toni Morisson.
C’est donc dire que la question raciale aux Usa est extrêmement complexe, elle
ne réfère pas seulement à la dimension chromatique de la question mais à
l’origine sociale de l’homme et même à autre chose. Bill Clinton, à cause de
son parcours social, cette mère qui l’a élevé seule et d’autres vicissitudes qu’il a connues est
psychologiquement un « noir », veut dire Morisson.
Savez-vous que des congressistes de droite ont reconnu que de
mémoire de « parlementaire » ils
n’ont jamais vu une administration qui a subi autant
de complots, de sabotages et même d’injures que celle d’Obama. Il ne fait
pas de doute que si un président blanc avait réalisé le millième d’un Obama-Care il entrerait au
« Panthéon » américain aux cotés des Wilson, Roosevelt et autres. Il
a réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué (La Santé). Il est arrivé au
moment où l’économie américaine allait s’effondrer et que des cassandre avaient
même prédit la mort de l’Amérique. « Les États-Unis vont s’écrouler, c’est
pourquoi ils ont élu un noir. Les WASP
ne veulent pas se salir. Si l’Amérique doit s’écrouler, elle n’a qu’à le faire
entre les mains crasseuses d’un nègre » disait un curieux et ridicule
analyste tropical. Obama a redressé la
pente économique. Les États-Unis sont,
sous le magistère d’Obama, le pays développé qui créent le plus d’emplois par an,
devant le Japon, la Chine, l’Inde, l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Même dans le secteur qui
constitue le baromètre du leadership présidentiel aux Usa, l’Etalon en quelque
sorte, qui est la politique étrangère, il est curieux que l’élimination de l’épouvantail Ben Laden et de l’Imam
Américain Anouar Al Aoulaki n’a eu
aucun effet même au sein de la droite interventionniste. Ah si c’était Ronald
Reagan, qui ayant vécu à notre époque, avait réussi ces deux coups d’éclats, il y
aurait eu une tonne de livres et de films hollywoodiens magnifiant ce « haut
fait ». Le cinéaste Hollywoodien Oliver
Stone, vétéran de la guerre du Viêt-Nam a déclaré dès le début du magistère
d’Obama qu’il ne fera pas de films sur lui puisqu’il ne sera évidemment jamais
un grand président. Oliver Stone n’est pas bête, il sait que dans ce monde
« cinématographique » où règnent le faux, les impostures et les
réputations surfaites, les grands hommes « ça se fabrique ». Qui connait par
exemple, Woodrow Wilson, le 28ème président des États-Unis ? L’un des plus
grands, « qui incarnait la tradition de l’exceptionnalisme américain, il
fut à l’origine de ce qui allait devenir l’école dominante de la politique
étrangère américaine » selon Henry
Kissinger. Le président Richard
Nixon est certainement plus doué que John
Kennedy qui était plus sympathique. Mais
l’histoire n’a retenu que le second.
C’est ainsi que fonctionne la machine de la notoriété. Elle ne vogue pas
toujours dans le sillage de la vérité. Obama vient de l’apprendre à ses
dépens. La
violence raciale et l’idéologie de la suprématie de la race blanche sont
incrustées dans l’imaginaire « américain ». Dans une interview de William Faulkner publiée par
le journal Le Monde, l’auteur
affirme à propos du « problème noir dans le sud de
l'Amérique » : « Dans
trois cents ans, ils seront à notre niveau, et la guerre des races sera
terminée, pas avant. » C’est hallucinant !
Mais malgré tout il un énorme progrès en matière de respect
de droits civiques des noirs. L’Amérique est un « Janus à double face ». C’est un
pays où des figures noires ont intégré la quasi-totalité de tous les secteurs
de la vie. Les classes moyennes et bourgeoises de la communauté noire sont bien
intégrées dans le système. C’est aussi un pays qui possède cette formidable
capacité à capter et recycler les plus grands universitaires et savants du
monde noir et d’ailleurs. Mais certaines disparités et discriminations sociales persistent,
malgré cette idée prophétique de dépassement de la race perçue de façon génial
par le toujours poète William Dubois
dans son texte formidable, Les âmes
du peuple noir : « J’ai
vu un pays radieux, illuminé de soleil, où retentit le chant des enfants et où
les collines roulent comme des femmes passionnées, croulant sous
les récoltes. Là sur la grand-route, est mise depuis longtemps une silhouette
voilée et courbée, que le voyageur croise en pressant le pas. L’air vicié est
chargé de peur. La pensée de trois
siècles a remis debout et dévoilé ce cœur humain opprimé. Voilà maintenant un
siècle nouveau de devoir et d’action. Le problème du 20ème siècle
c’est la frontière de la couleur. »
Khalifa Touré
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