lundi 8 décembre 2014

Barack Obama, l’Amérique et la question raciale





« Il n’a jamais agi, ni comme un blanc, ni comme un noir. C’est ça voyez-vous, c’est ça qui a rendu les gens si furieux ! » William Faulkner.

Tels sont les mots énigmatiques que l’écrivain William Faulkner a mis dans la bouche d’un de ses personnages qui s’exprimait ainsi à propos d’un nommé Joe Christmas, accusé peut-être à tort d’avoir tué une femme blanche tout simplement parce qu’il a la peau un peu basané. Il aurait eu, dit-on, une goutte de sang noir. Il n’est ni chien ni loup, donc il inquiète et fait peur à  l’autre. Aux Etats-Unis cela suffit pour faire de vous un noir, même si vous êtes clair, très clair même. La notion de « métis » n’existe pas au Pays de l’Oncle Sam. Le général Colin Powell raconte dans ses mémoires comment il lui était impossible il y a quelques années, d’entrer dans un restaurant pour blancs alors qu’il était colonel de l’Armée américaine. Il était obligé d’envoyer son chauffeur de race blanche, lui faire faire une simple collation. Malgré tout l’Armée américaine a toujours été en avance sur la société quand il s’agit de la  question raciale. Powell était au moins officier supérieur avec un chauffeur de race blanche  dans un pays ségrégationniste. C’est cela le paradoxe américain. Une sorte de schizophrénie sociale qui a toujours cours sous d’autres formes.  Il raconte aussi cet épisode gênant où sa grande sœur qui est plus « claire » que lui, presque une blanche, a invité son petit ami blanc à la maison. Il fallait voir comment ses parents fulminaient, raconte-t-il. Aux États-Unis soit on est blanc soit on est noir. Quant à la chanteuse Maria Carey elle raconte que lorsqu’elle était petite, ses copines de l’école primaire la prenaient pour une blanche jusqu’au jour où elles ont vu ses deux parents.

 Si vous lisez « Lumière d’Août » de William Faulkner d’où est extraite la citation mise en exergue vous serez « définitivement » convaincus que le problème racial aux États-Unis est une question presque « métaphysique ». Elle dépasse de loin la sociologie et l’histoire. L’immense poète africain- américain William Dubois, l’a vite compris, qui a écrit ces mots étincelants : « Le savoir sociologique est si lamentablement inorganisé que la signification du progrès, le sens des mots « vif » et « lent » dans les activités humaines et les limites de la perfectibilité de l’homme, sont comme des sphinx énigmatiques et muets postés sur les rivages de la science. Pourquoi Eschyle a chanté deux mille ans avant que  Shakespeare ne fut né ? Pourquoi la civilisation a fleuri en Europe et périclité en Afrique ? Tant que le monde restera stupidement muet face à ces questions, cette nation devra-t-elle proclamer son ignorance et ses préjugés impies en refusant la liberté et l’égalité des chances à ceux qui font entendre leurs Sorrow Songs jusqu’au trône du Tout-Puissant ! »

Ah que oui Monsieur William Dubois ! Le racisme peut prendre des allures d’une violence folle et inouïe comme on le constate ces dernières années, des situations cocasses, quelques fois inexplicables et tout le temps regrettables. Mais ce qui fait peur surtout c’est l’arrière plan « idéologique » qui préside et offre un décor de fond à des actes criminels innommables comme ceux de Fergusson, New York et bien ailleurs aux USA. La plupart des policiers blancs qui ont tiré sur des jeunes noirs ont reconnu qu’ils ne l’auraient pas fait si « leurs cibles » étaient de race blanche. Ils ont peur des noirs ! La grand-mère maternelle de Barack Obama a reconnu qu’elle a peur des adolescents noirs lorsqu’elle marche dans la rue oubliant qu’elle a laissé chez elle un jeune noir (qui sera président des États-Unis de l’Amérique multiraciale et pluraliste). Cette confession met le doigt sur la lancinante question de l’altérité, la peur de l’autre, fondée essentiellement sur une faiblesse psychologique, un déficit d’éducation, une grave inculture et  une forme non pas d’idiotie mais d’imbécilité au sens propre. L’Imbécilité contemporaine fait mal au monde ! Après les attentats du 11 Septembre un jeune américain croyant se venger, a tiré sur un citoyen américain qui portait le turban des Sikh. Il croyait tuer un musulman puisque tous les musulmans sont des enturbannés dans son imaginaire fabriqué par la presse irresponsable et le Cinéma réducteur.

 A ce propos vous ne pouvez pas imaginer comment une certaine littérature de caniveau et le cinéma surtout hollywoodien de mauvais goût, a « édulcoré », déformé et même modifié l’image des Noirs et des Indiens dans le monde. L’on néglige et même sous-estime à tord la force destructrice d’une iconographie falsifiée des races. Le génial et rebelle Marlon Brando a eu raison en son temps de refuser l’Oscar du meilleur acteur et d’aller se faire représenter par femme déguisée en indienne puisque disait-il « le cinéma a causé beaucoup de torts aux indiens ». L’imagologie tronquée  des nègres et des indiens a sans nul doute informé de façon désastreuse les comportements des sujets blancs vis-à-vis des noirs en l’occurrence. Il faut à la vérité dire que « les noirs » ont parfois joué le jeu pensant naïvement que c’est un simple jeu. Même la Black-exploitation, cette grande industrie et surtout courant cinématographique pan-nègre qui aujourd’hui, est l’une des principales sources d’inspiration d’un cinéaste blanc comme Quentin Tarentino, n’a pas réussi à infléchir la tendance racialiste. Les noirs sont en général grands, costauds, forts, comiques, des dealers qui meurent très vite au cinéma. Dans un film Hollywoodien le premier à mourir est un noir, en général.  Sauf le plus talentueux des acteurs noirs, Forest Whitaker,  le plus bancable Denzel Washington et le plus sage, Morgan Freeman. Exceptions entre quelques autres, qui confirment la règle. Spike Lee, le cinéaste africain-américain le plus populaire est resté muet, artistiquement parlant, depuis quelques années.  L’acteur Johnny Depp exagère peut-être lorsqu’il écrit : « Le sang qui coule dans mes veines a des origines très diverses : irlandaise, allemande mais aussi indienne. Mon grand-père dont j’étais très proche et qui est mort quand j’avais sept ans, était Cherokee…Aux Etats-Unis, presque tout le monde peut dire : « Oh, moi aussi j’ai du sang indien. »Parfois c’est vrai, parfois non ; peu importe. Ce que je trouve intéressant dans le fait d’avoir du sang indien dans les veines, c’est qu’il ya de fortes chances pour que, quelque part, dans votre généalogie, vous soyez le résultat d’un viol. Que l’un de vos grands-parents ait participé à cette invasion horrible, à ces actes barbares qui ont été commis et qui font qu’une femme indienne, qui se trouve être votre aïeule, a été violentée au cours de ces 150 ou 200 ans. Il y a eu agression et cette violence-là se transmet forcément de génération en génération. Ce qui explique peut-être la rage qui habite ce pays aujourd’hui et qu’on ne peut pas maitriser. Je n’ai pris conscience de ça que récemment. Bien après m’être fait ce tatouage sur le bras. Mais à voir les tueries, fusillades et attentats fréquents aux USA on dira qu’il ya une part de vérité dans ce qu’il dit même si l’on n’est pas adepte de l’atavisme.

Mais à dire vrai, il ya à se demander par quelles voies des philosophes comme William Faulkner ou Dubois  passent-ils pour saisir l’essence et la raison d’un phénomène aussi étrange que le racisme. Lorsque la folie s’empare des hommes et que le petit malin prend le visage de l’homme traqué, alors c’est le début de la fin. Le problème des sociétés modernes comme celle des États-Unis c’est la difficulté à distinguer ce qui relève du consensus moral et  les exigences d’un vivre-ensemble fondé sur des impératifs catégoriques universels. En effet une société peut accepter de façon consensuelle le port libre des armes à feu et leur usage abusif sans que cela relève du Bien. On oublie souvent que les USA sont une société profondément individualiste et que la plupart des philosophes américains (à part John Rawls et ses disciples)  sont des adeptes de l’utilitarisme qui veut que ce qui est juste ne soit pas forcément ce qui est bien. Les américains ont tendance à séparer le Bien du Juste. C’est cela le pragmatisme ! La déontologie au sens philosophique du mot n’a pas cours chez eux. C’est plutôt le règne de la spéléologie. Remarquez cette obsession bien américaine pour la procédure judiciaire !  Lorsqu’un policier américain tire à deux reprises en l’air, vous avez intérêt à lever les deux bras, sinon la troisième balle sera pour vous ! Le monde entier a vu la vidéo  du malheureux citoyen Africain-Américain Eric Garner mort étranglé publiquement après avoir été arrêté par une nuée  de policiers blancs. Le plus sidérant c’est que le policier incriminé a été innocenté par un grand jury. Tout cela relève de la procédure. Ils se disent certainement que Garner a été arrêté régulièrement.

 Il n’ya pas longtemps un brillant universitaire africain-américain ancien collègue de Barack Obama s’est vu menotté et violenté par de jeunes policiers blancs qui ont été alertés par une voisine qui a cru avoir affaire à un cambrioleur parce qu’elle a aperçu un noir.  L’affaire a provoqué l’émoi à travers tout le pays et il a même été reproché à Obama d’avoir pris la défense de son ami. L’extrême militarisation de la police américaine et la formation défectueuse de certains policiers expliquent les forfaits commis. Les États-Unis sont l’un des rares pays développés où vous pouvez trouver « un policier  qui sait à peine lire ».

Aux États-Unis la plupart des  noirs sont des visages sans nom, on ne les reconnait pas, on ne les voit pas, ils sont invisibles. Tous les noirs se ressemblent. On ne voit même pas la couleur de leurs  habits. L’essentiel est qu’ils sont habillés comme un noir, parlent comme un noir, dansent comme un noir. La religion est faite ! Je vous renvoie à ce fameux documentaire « Un coupable Idéal ». L’accusateur dans cette histoire sidérante a confondu un jeune noir filiforme, type soudano-sahélien à un noir plus grand et trapu. L’essentiel pour lui est qu’il a vu un noir. Mais le problème aujourd’hui n’est pas le fait d’être noir mais c’est l’hésitation, la peur et même le refus d’en faire un facteur heuristique, un élément explicatif. Le meurtre impuni de Michael Brown et les émeutes y consécutives  à Fergusson,   expliquent beaucoup de choses. Allez dire à Barack Obama que le fait d’être noir ou blanc aux États-Unis  n’a plus de sens ! Il a tort de répondre du nom de Barack Obama, malgré son élection triomphale. On ne le dit pas, mais l’élection de Barack Obama a réveillé de vieilles rancœurs raciales. Il aurait dû se nommer John Brown ou Fred Wilson. Même un nom « douloureux » comme Byron Mc Intire ferait l’affaire. Du moins c’est le point de vue d’un de ses proches conseillers qui n’hésitent pas à le dire à qui veut l’entendre. Aujourd’hui personne ne veut l’entendre à part quelques téméraires qui n’hésitent pas à avancer des raisons « chromatiques » au mystère de « l’impopularité brutale » de Barack Obama. Aux Usa il existe un plafond racial, un seuil indépassable pour toutes les minorités qu’elles soient raciales ou non. Obama a atteint l’horizon social de sa propre réussite dans ce pays qui il n’ya pas longtemps l’a plébiscité en partie pour enjamber la question raciale mais surtout pour en finir avec le cauchemar Bush. Oui la baisse croissante de la popularité de Barack Obama relève du mystère racial. Comment peut-on élire un président et lui faire ensuite de crocs-en-jambe dangereux. Tu es jeune, brillant orateur, séduisant, moralement au dessus de tout soupçon et charismatique. C’en est trop pour un président noir. Il suffit ! Nous ne permettrons pas que tu ailles au-delà. Voilà l’histoire secrète du règne d’Obama. Elle sera écrite un jour.

« Le premier président noir des États-Unis c’est Bill Clinton » a dit l’écrivain Africaine-Américaine Toni Morisson. C’est donc dire que la question raciale aux Usa est extrêmement complexe, elle ne réfère pas seulement à la dimension chromatique de la question mais à l’origine sociale de l’homme et même à autre chose. Bill Clinton, à cause de son parcours social, cette mère qui l’a élevé seule et  d’autres vicissitudes qu’il a connues est psychologiquement un « noir », veut dire Morisson.  
Savez-vous que des congressistes de droite ont reconnu que de mémoire de « parlementaire » ils n’ont jamais vu une administration qui a subi autant de complots, de sabotages et même d’injures que celle d’Obama. Il ne fait pas de doute que si un président blanc avait réalisé le millième d’un Obama-Care il entrerait au « Panthéon » américain aux cotés des Wilson, Roosevelt et autres. Il a réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué (La Santé). Il est arrivé au moment où l’économie américaine allait s’effondrer et que des cassandre avaient même prédit la mort de l’Amérique. « Les États-Unis vont s’écrouler, c’est pourquoi ils ont élu un noir. Les WASP ne veulent pas se salir. Si l’Amérique doit s’écrouler, elle n’a qu’à le faire entre les mains crasseuses d’un nègre » disait un curieux et ridicule analyste tropical.  Obama a redressé la pente économique. Les États-Unis sont, sous le magistère d’Obama, le pays développé qui créent le plus d’emplois par an, devant le Japon, la Chine, l’Inde, l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Même dans le secteur qui constitue le baromètre du leadership présidentiel aux Usa, l’Etalon en quelque sorte, qui est la politique étrangère, il est curieux que l’élimination de l’épouvantail Ben Laden et de l’Imam Américain Anouar Al Aoulaki n’a eu aucun effet même au sein de la droite interventionniste. Ah si c’était Ronald Reagan, qui ayant vécu à notre époque,  avait réussi ces deux coups d’éclats, il y aurait eu une tonne de livres et de films hollywoodiens magnifiant ce « haut fait ». Le cinéaste Hollywoodien Oliver Stone, vétéran de la guerre du Viêt-Nam a déclaré dès le début du magistère d’Obama qu’il ne fera pas de films sur lui puisqu’il ne sera évidemment jamais un grand président. Oliver Stone n’est pas bête, il sait que dans ce monde « cinématographique » où règnent le faux, les impostures et les réputations surfaites, les grands hommes  « ça se fabrique ». Qui connait par exemple, Woodrow Wilson, le  28ème  président des États-Unis ? L’un des plus grands, « qui incarnait la tradition de l’exceptionnalisme américain, il fut à l’origine de ce qui allait devenir l’école dominante de la politique étrangère américaine » selon Henry Kissinger. Le président Richard Nixon est certainement plus doué que John Kennedy qui était plus sympathique. Mais l’histoire n’a retenu que le second. C’est ainsi que fonctionne la machine de la notoriété. Elle ne vogue pas toujours dans le sillage de la vérité. Obama vient de l’apprendre à ses dépens. La violence raciale et l’idéologie de la suprématie de la race blanche sont incrustées dans l’imaginaire « américain ». Dans  une interview de William Faulkner publiée par le journal Le Monde, l’auteur affirme  à propos du « problème noir dans le sud de l'Amérique » : « Dans trois cents ans, ils seront à notre niveau, et la guerre des races sera terminée, pas avant. » C’est hallucinant !
Mais malgré tout il un énorme progrès en matière de respect de droits civiques des noirs. L’Amérique est un « Janus à double face ». C’est un pays où des figures noires ont intégré la quasi-totalité de tous les secteurs de la vie. Les classes moyennes et bourgeoises de la communauté noire sont bien intégrées dans le système. C’est aussi un pays qui possède cette formidable capacité à capter et recycler les plus grands universitaires et savants du monde noir et d’ailleurs. Mais certaines disparités  et discriminations sociales persistent, malgré cette idée prophétique de dépassement de la race perçue de façon génial par le toujours poète William Dubois dans son texte formidable, Les âmes du peuple noir : «  J’ai vu un pays radieux, illuminé de soleil, où retentit le chant des enfants et où les collines roulent  comme des femmes passionnées, croulant sous les récoltes. Là sur la grand-route, est mise depuis longtemps une silhouette voilée et courbée, que le voyageur croise en pressant le pas. L’air vicié est chargé  de peur. La pensée de trois siècles a remis debout et dévoilé ce cœur humain opprimé. Voilà maintenant un siècle nouveau de devoir et d’action. Le problème du 20ème siècle c’est la frontière de la couleur. »
Khalifa Touré
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lundi 1 décembre 2014

Les francophones doivent-ils quitter la bibliothèque coloniale ?





«  L'école où  je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soi, à juste titre. Si je leur dis d’aller à l’école, ils iront mais en apprenant ils oublieront, ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ?»
La grande royale, l’aventure Ambigüe

Oh ! Il n’est pas question ici d’abandonner l’école ou de supprimer le français en tant que langue véhiculaire. Loin s’en faut ! Cheikh Hamidou Kane est suffisamment subtil et clairvoyant pour éviter de mettre dans la bouche de son personnage une idée aussi sommaire et abrupte. C’est l’école en tant qu’ « appareil idéologique », pour reprendre le mot d’Antonio Gramsci, qui se trouve ici non pas remise en cause mais « problématisée ». Cet exercice intellectuel qui tente de réinvestir la « conscience de classe » dans les rapports de pouvoir qui n’ont jamais cessé de structurer nos relations avec le Nord (pour ne pas dire l’Occident) et son entreprise coloniale n’est pas une préoccupation d’époque, une question d’actualité comme on l’insinue souvent dans nos pays francophones. C’est un problème historique qui dépasse la Françafrique dont la continuité est subtilement niée aujourd’hui à travers les contorsions intellectuelles d’une certaine presse francophone qui est complètement dans le déni de réalité. La francophonie n’a rien à voir avec la Françafrique dit-on maintenant. Soit ! Mais qu’il soit permis au moins de réfléchir et de problématiser une notion qui est certainement en mutation permanente. L’erreur des organisateurs du contre-sommet de la francophonie est de n’avoir pas su mesurer à sa juste valeur la gravité des questions pertinentes qu’ils posent. Ils ont raison sur toute la ligne mais ils s’expriment mal et même très mal. Cela ne veut pas dire qu’ils ont tort. Pense-t-on s’attaquer à un mastodonte comme l’organisation de la francophonie avec de la simple générosité et des slogans ? Il ya toute une superstructure derrière la Francophonie. Il ya des formes de lutte et une manière de s’exprimer qui peut discréditer le plus noble des combats. Mais au moins il faut reconnaitre qu’ils ont fait quelque chose. Il faut par ailleurs saluer le geste du président François Hollande d’aller se recueillir et célébrer la mémoire des preux tirailleurs qui sont tombés à Thiaroye. Quant à la décision de rendre au Sénégal les archives de ce douloureux événement, elle est tout simplement historique. Encore faudrait-il que nos dirigeants aient le sens de l’histoire. La France de François Hollande a compris qu’il ya une forte aspiration de la jeunesse africaine à plus d’émancipation et que l’Afrique peut échapper à la France si elle s’entête en une attitude paternaliste. Nos dirigeants devraient en « profiter », laisser la jeunesse s’exprimer pour que les Etats africains aillent vers une indépendance respectable. Il est triste de constater que les Etats du Nord comprennent mieux la marche de notre peuple. C’est tout simplement parce qu’ils sont informés et prennent des décisions « documentés ». Mais le combat n’est pas terminé ! Restons vigilant. Tant qu’il ya de la vie il y aura toujours des raisons de se battre et « L’Aventure Ambiguë » et d’autres textes nous en donne les raisons.

 En effet Cheikh Hamidou Kane a réussi la gageure d’identifier une problématique essentielle : les rapports de domination et de pouvoir véhiculés par le savoir. En ce sens l’auteur de l’aventure Ambigüe reste l’un des précurseurs les plus « prophétiques » de la théorie postcoloniale. Cheikh Hamidou Kane est un philosophe de l’altérité, un mystique de la finitude. Son « essentialisme pragmatique » loin du racisme est une direction importante pour comprendre les enjeux politiques mais surtout culturels qui animent notre situation de colonisé.
Aujourd’hui une comparaison rigoureuse fondée sur des éléments comparatifs inévitables entre les intellectuels  francophones et anglophones montre de façon flagrante non seulement des traditions intellectuelles différentes mais un rapport au colonialisme « honteusement » contradictoire. Il n’y a que dans nos pays francophones où l’on se permet d’isoler les enjeux de développement de la toujours lancinante question coloniale.
 Paradoxalement la théorie postcoloniale est presque née en France nourrie qu’elle est par les écrits de Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze. Autre paradoxe suprême : Des auteurs francophones comme Cheikh Hamidou Kane, Cheikh Anta Diop et Franz Fanon  sont des références incontournables pour des théoriciens du postcolonialisme. Des  « francophones convertis à l’anglophonie » comme le camerounais Achille Mbembe et le congolais Valentin Mudimbe sont allés chercher dans le monde anglophone non pas la langue mais les valeurs et la tradition intellectuelle de refus dans la sphère scientifique. Cette tradition intellectuelle de refus existait dans « le monde francophone » mais il y eut comme solution de continuité, une rupture inexpliquée au moment où dans le monde anglophone le feu intérieur continuait à brûler. Le refus existe dans le monde francophone mais il n’est plus traditionnel, il est devenu marginal et presque pathologique parce que discrédité insidieusement par un pseudo-pacifisme de mauvais aloi et une science prétendument neutre.

 « L’Orientalisme », le texte fondateur des études postcoloniales n’a-t-il pas  été écrit par un anglophone ? L’américano-palestinien Edward Saïd, un passage obligé pour tous ceux qui veulent comprendre les rapports de domination depuis les origines. Ce grand penseur a « déconstruit la prose coloniale » par son incommensurable érudition littéraire comme le très brûlant Aimé Césaire l’avait réussi à travers son réquisitoire mortel : « Discours sur le colonialisme ». Nous pouvons en dire autant de l’intellectuel indien Homi K. Bhabha, professeur de littérature anglaise et américaine à l’Université Harvard. Il est à ce jour l’un des théoriciens les plus importants et les plus influents du postcolonialisme. Son ouvrage « Les lieux de la culture : Une théorie postcoloniale » est un texte incontournable pour comprendre les questions actuelles d’identité, d’appartenance nationale et de domination culturelle. Selon Toni Morrison, prix Nobel de littérature, « Aucune discussion sérieuse sur le postcolonialisme n’est concevable sans se référer à Monsieur Bhabha ». 
Paul Gilroy n’est pas en reste, « Ouvreur d’imaginaire », selon l’expression fleurie d’Achille Mbembe, ce grand garçon en dreadlocks est titulaire de la chaire Anthony Giddens de théorie sociale à la London School of Economics. Il est l’auteur du fameux « L’Atlantique noir : Modernité et double conscience », l’un des plus grands événements intellectuels de la deuxième moitié du 20ème siècle. Ouvrage étrange mais rigoureux, il s’est distingué dans le monde des idées par sa thèse fondamentale bâtie autour de cette « formation interculturelle et transnationale » qu’il appelle « l’Atlantique noir » qui, pense-t-il, est une partie de la modernité occidentale et africaine à la fois. Ainsi des figures diverses comme Spike Lee, Walter Benjamin, Richard Wright, William Du Bois et même Hegel passent devant nous et forment cette « identité noire » complexe et diverse. Que dire de Madame Gayatri Spivak ? Son fameux livre « Les subalternes peuvent-elles parler ? » est « l’un des textes de la critique contemporaine et des études postcoloniales  les plus discutés dans le monde depuis vingt-cinq ans » selon Jérôme Vidal. Ce livre qui à l’origine est un article scientifique (109 pages) est un texte difficile, par moments abstrait mais délicieux et éclairant sur les rapports de domination.
Lisez le philosophe « zaïrois » Valentin Mudimbe, l’un des plus grands penseurs africains, l’heureuse expression « sortir de la bibliothèque coloniale » lui appartient d’ailleurs. Penseur de la différence, ses essais, romans et textes poétiques nous révèlent une violence provoquée par la doublure identitaire. Philosophe de l’herméneutique, Mudimbe est à l’Afrique ce qu’Edward Saïd est à l’Amérique. Ils partagent ce grand intérêt qu’ils ont pour l’étude du discours en tant que pouvoir. Professeur à l’université Duke aux USA, une partie de son œuvre prolixe est aujourd’hui écrite en anglais. 
Que dire d’Achille Mbembe ? Intellectuel camerounais converti à l’anglophonie, son œuvre fondamentale « De la Post-colonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine » est parue en même temps en Anglais et en français. Ce « jeune » intellectuel à la verve fleurie est un théoricien incontournable du post colonialisme. Écrivain au style particulier par la violence des mots qui s’entrechoquent, il a réussi le pari de créer son propre monde en parlant de l’Afrique et de l’occident en des termes étonnants.

Mais qui a dit que le colonialisme est terminé? Il suffit de lire et d’écouter les intellectuels africains anglophones ou ceux convertis à l’anglophonie pour  comprendre et voir dans toute sa vérité, la manière avec laquelle les rapports de domination surtout avec l’ancien pays colonisateur, sont posés avec une légèreté et une mollesse étonnantes en « francophonie ». Nicholas Sarkozy n’aurait jamais osé dire son « discours de Dakar » chez les anglophones, même en rêve. D’ailleurs la réponse la plus cinglante vient d’Achille Mbembe qui a défié Sarkozy de dire les mêmes âneries à Accra ou Pretoria, il provoquerait dit-il des émeutes raciales.
Pourtant nous sommes dans le pays de Cheikh Anta Diop. Mais que s’est-il passé pour qu’on en arrive à ce type d’intellectuels mous, des fayots de l’esprit ? Ailleurs, les intellectuels ont transmis à la société civile ce feu intérieur en développant une thématique de la résistance. Dans l’espace francophone, l’idéologie libérale tente de discréditer « la thématique de la résistance » en inculquant aux étudiants l’idée d’une science brute, soi-disant « objective » et non-politique. Depuis les travaux d’Edward Saïd, Noam Chomsky et bien d’autres, on sait que cette « représentation » d’un savoir neutre est erronée et préfabriquée. Le savoir est une production, une création.

Tout compte fait, ce n’est pas la langue française en tant que matière brute qui est en cause. Mongo Béti, un résistant hors pair, a vécu la moitié de sa vie en France. Agrégé de Lettres classiques il a enseigné la langue française dans ce pays. Pourtant il a donné l’image d’un anti-français invétéré mais en vérité il était plus subtil qu’il ne le laissait paraître.   Son seul combat, le combat de sa vie était de nous sortir de la bibliothèque coloniale, « la bibliothèque des idées reçues » selon l’expression d’Edward Saïd. Pour nos pays « sous-développés » tout doit commencer par-là !

Khalifa Touré
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mardi 4 novembre 2014

Le Burkina Faso est-t-il toujours le pays des hommes intègres ?





Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance » Le capitaine Thomas Sankara.

Personne ne dira à Blaise Compaoré  « lorsque tu mourras Blaise, tu trouveras en enfer tout ce que tu as fait à Thomas Sankara et à la révolution Burkinabée », puisqu’en ce pauvre monde il y aura toujours des hommes pétris de politesse à l’esprit chevaleresque et prêts au pardon. Mais personne n’oubliera ! Du moins ceux qui ont connu, aimé et même « adoré » le capitaine Thomas Sankara ; ceux qui ont vécu sa mort comme un traumatisme. Sous d’autres cieux, le sémillant leader de « l’extrême gauche » en France Jean Luc Mélenchon a tenu à peu près les mêmes propos, à la mort de Margaret Thatcher, en disant qu’elle trouvera en enfer tout ce qu’elle a fait aux mineurs anglais. Il n’a pas été compris. Les critiques fusèrent de partout jugeant le propos par trop excessif. Même les plus jeunes qui n’ont pas connu les faits se sont mêlés à l’affaire. Ils ne soupçonnent  pas tout ce que les hommes d’Etat sont capables de faire ! Ils sont naïfs.  La plupart des hommes politiques, du moins les hommes de pouvoir sont des psychopathes qui s’ignorent. Lisez s’il vous plait « Mort par l’Etat » l’un meilleurs livres sur l’Etat. Il nous révèle que les Etats ont provoqué plus de morts en tant de paix, par le meurtre et les assassinats, que n’en ont provoqué plusieurs guerres. Un autre holocauste ! La bonne vieille raison d’Etat sera toujours invoquée par les « répétiteurs » qui oublient que ce machin a été ré-inventé par le Cardinal de Richelieu, l’un des plus illustres hommes d’Etat de tous les temps, un génie maléfique qui a été l’éminence grise du roi de France Louis 14, son premier ministre. Malgré les attributs particuliers de génie accordés au plus politique des cardinaux qui ait foulé la terre, à la mort de Richelieu, un prélat affirma que si Dieu existe le cardinal de Richelieu rendra compte. 

Kissinger, autre sulfureux homme d’Etat lui a dressé un portrait particulier dans son fameux « Diplomatie », un livre documenté  et assommant de 800 pages qui vaut des nuits d’insomnies malgré tout ce qu’on en dit. Il sait de quoi il parle en tant qu’adepte et adorateur de l’Etat devant l’éternel. Henry Kissinger a écrit, dans « Diplomatie », à la page 52 la chose suivante : « Afin d’épuiser les belligérants et prolonger la guerre, Richelieu alimenta les caisses des ennemies de ses ennemies, soudoya les gens, fomenta des insurrections et mobilisa une extraordinaire panoplie d’arguments dynastiques et juridiques.» Il a réussi à retarder de deux siècles environ l’avènement de l’Allemagne. « L’homme est immortel son salut est dans l’autre vie, l’Etat n’a pas d’immortalité son salut est maintenant ou jamais » a-t-il dit un jour. En occident le droit de tuer au nom de l’Etat est rationalisé, alors qu’en Afrique le droit de tuer est drapé d’un manteau symbolique.
Mais un Etat qui n’est pas gouverné par la raison ne peut invoquer la raison d’Etat. Cela va de soi ! Un chef d’Etat déraisonnable peut-il invoquer la raison d’Etat ? Tout parallélisme formel  exclu, Blaise Compaoré n’a ni le génie ou l’étoffe de Richelieu mais  personne ne peut imaginer les dizaines de milliers de morts qu’il a provoqué dans son pays, en Sierra Léone, au Libéria, en Côte-d’Ivoire et même en Angola par ses actions souterraines et parfois même visibles. Il a tenté même d’étendre ses tentacules vénéneux en Mauritanie, au Mali et en Guinée. Si Blaise Compaoré n’est pas attrait devant les tribunaux et jugé pour les monstruosités qu’il a commises, les droits de l’homme n’auraient plus de sens. Il a possédé à la fois les attributs maléfiques du « Simbong », sa face nocturne et les idées monstrueuses de l’Etat moderne apprises ou entendues vaguement. Il a symbolisé la face la plus sombre de la nécropolitique ; ici il n’est plus question de tuer pour le pouvoir, cette étape macabre est dépassée. C’est le pouvoir en tant que force maléfique  qui provoque la mort pour cette  race d’hommes. Il faudra scruter objectivement l’imaginaire politique africain pour comprendre ce type de tueurs qui sont informés par des images lointaines de sacrifices, d’immolation et de « cannibalisme ». Certes en nécropolitique les hommes sont cannibalisés ; leur chair et leur âme fondues en la personne même du chef qui s’élève par cet acte symbolique au statut de « divinité » tutélaire. Peu d’intellectuels s’intéressent à ce côté caché  des choses qui peut expliquer notre quotidien. Ils pensent que ces phénomènes relèvent d’un sous-monde indigne de la raison. Erreur ! La littérature et les sciences sociales peuvent capturer ces phénomènes par un exercice rationnel. Il n’ya qu’à passer par les pratiques discursives endogènes dont la fonction essentielle est rendre légitime la nécropolitique par le truchement de l’oralité.

Comment évoquer le terrible cas de Blaise Compaoré sans parler de la France ? Pour rappel, le très effrayant François Mitterrand ne portait pas Thomas Sankara dans son cœur. C’est le moins que l’on puisse dire. La France de Mitterrand et la Côte-d’Ivoire d’Houphouët Boigny ont été les premiers à adouber Blaise Compaoré qui vient d’assassiner son frère et ami Thomas Sankara. Aujourd’hui on comprend aisément son exfiltration chez Alassane Ouattara, le disciple d’Houphouët qu’il a soutenu face à Laurent Gbagbo. Il y a lieu pour l’élite africaine de réfléchir et imaginer des formes « géniales » de pressions pacifiques sur les envahisseurs et inventer des moyens de faire payer très cher à ces derniers  leurs interventions en Afrique. Blaise Compaoré est l’un des derniers timoniers en Afrique, il en reste quelques-uns.
Le journaliste Burkinabé Norbert Zongo et sa famille l’ont appris à leurs dépens. La manière dont ce « révélateur de vérités » a été assassiné sous Blaise Compaoré nous révèle que dans certains régimes politiques il y a quelque chose qui est en œuvre et qui échappe à l’humanité. Brûlé vif avec trois de ses compagnons, on retrouva ses restes calcinées dans son véhicule sous les regards interloqués des passants. Pendant cinq longues années, il fut interdit à la mère de Norbert d’aller fleurir la tombe de son fils. Regardez si possible le poignant documentaire «  BOLI BANA » qui  lui a été consacré ; vous aurez une idée claire de l’homme Blaise Compaoré.  A l’époque son frère François Compaoré était indexé. Aujourd’hui les manifestants qui ont saccagé sa maison ont découvert des choses innommables qui méritent que l’on ouvre une enquête. Il est temps  que d’autres pistes soient explorées pour comprendre le formidable et terrifiant phénomène du pouvoir. Blaise n’était pas un personnage risible  mais il n’a pas manqué dans son entourage des situations cocasses dignes du « Pleurer-rire », de l’écrivain congolais Henri Lopes ! Il ya des scènes dans ce roman que l’on retrouve en Gambie, au Cameroun, en Ouganda et au Congo Brazza « Bwakamabé Na Sakadé » le personnage principal est ce dictateur loufoque qu’on retrouve un peu partout. C’est dire  que la réalité peut dépasser la fiction.

Au Burkina l’armée est très politisée. C’est une troupe de politiciens en armes ! Il n’est pas étonnant aujourd’hui que des Honoré Traoré et Isaac Zida montent au créneau. Et comment un lieutenant-colonel comme Zida peut-il se sentir plus fort (et sûr de lui) que le général Traoré ? Il faut dire que dans ce type de régime, le dictateur privilégie la sécurité en négligeant la défense. Il investit davantage dans la police et la garde présidentielle ou quelques fois dans un corps particulier de l’Armée au détriment d’une grande armée équipée, bien formée et aguerrie. C’est ainsi que les autres corps de l’armée ont peur de la garde présidentielle qui dans des républiques normales n’est pas un corps à part entière mais appartient à l’armée en général. Il ya beaucoup de réformes à faire dans ce pays pour dépolitiser l’armée et la ramener dans les casernes. La classe politique et l’élite du pays devront  être plus sérieuses. Il ne sert à rien d’aller envahir la Télévision Nationale avec quelques partisans pour « doubler » les autres civiles. On n’est pas encore sorti de l’auberge. Si la refondation tarde à venir il faudrait accélérer son heure.

 Il n’ya pas plus mortelles que des idées vagues et mal assimilées. C’est le lot souvent des hommes à la réputation surfaite qui ont vécu dans un environnement savant ou qui ont fréquenté chez des intellectuels. Des hommes qui n’ont pas lu mais qui ont entendu des gens qui ont lu. Blaise Compaoré est un homme intelligent qui n’a certainement rien lu de significatif contrairement à Thomas Sankara dont les lectures principales étaient la Bible, le Coran et Marx. Cette formation a certainement permis à ce dernier d’avoir une conscience de classe, de savoir d’où il vient et servir ce « peuple » qu’il a tenté de sortir de l’analphabétisme, la ruralité et la pauvreté avec des résultats probants à tel point que lorsque Blaise Compaoré a fait ce qu’il a fait, il n’a pas osé parler de fin de la révolution mais plutôt d’un programme de rectification de la révolution. A ce propos la question  légitime  est la suivante : « Où est passée la croissance à deux chiffres du Burkina sous blaise ? Dans quelle direction est allée cette émergence du Burkina que la communauté internationale nous chantait à tue-tête ? » Noam Chomsky, l’intellectuel américain, a certainement raison de dire qu’on ne sait rien à l’Economie en fin de compte. Les hommes ne réfléchissent pas suffisamment à la question du bonheur qui est plus essentiel que tous ces agrégats macro-économiques dont on nous rebat les oreilles à longueur de jours. Thomas Sankara n’était pas un saint, il a péché par naïveté et commis des erreurs mais il n’a tué personne et n’a pas volé un seul sou de l’Etat. Il est mort pauvre et endetté.

Les Blaise Compaoré et autres satrapies postcoloniales sont à mille coudées en deçà des préoccupations d’un Richelieu, Bismarck, Samory Touré, Kankan Moussa, Askia Mouhamed  ou Sony Ali Ber. Mais en toutes choses il faut commencer par le commencement, au risque d’être rébarbatif. Pour la Haute-Volta ancien nom du Burkina- Faso, les choses semblent avoir commencé en 1959 avec Maurice Yaméogo, le premier président de la république. Mais comme beaucoup de pays africains, ce fut le début d’une fin malheureuse. Cet homme affable au visage rond et à la moustache posée sur une bouche souriante mais néanmoins instable et très autoritaire a été emporté par une révolte populaire le 03 janvier 1966. Il se résigna à remettre le pouvoir à son chef d’état major,  le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana. L’historien Joseph Ki Zerbo et sa femme Jacqueline ont joué un rôle important dans le soulèvement populaire qui a emporté Yaméogo.  A son tour il sera renversé plus tard, en 1980, par le colonel Some Yorian qui remit le pouvoir à un autre, le  colonel Saye Zerbo jusqu’à ce que ce dernier soit renversé par le médecin-commandant  Jean Baptiste Ouedraogo en 1982. Ce dernier commis l’erreur d’embastiller le capitaine Thomas Sankara avec qui il a eu maille à partir. Sankara était déjà populaire dans l’armée et comptait parmi ses amis un certain Blaise Compaoré qui dirigeait le camp des para-commandos de Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale. C’est de là qu’est parti le mouvement qui va libérer Sankara et renverser Jean Baptiste Ouedraogo la nuit du 03 au 04 Août 1983. Le lendemain le monde découvrit ce groupe de jeunes officiers très frais qui arboraient de beaux uniformes. Les noms les plus connus furent Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo et Boukary Lingani. Plus tard Blaise les fera tuer tous les trois. Il y avait aussi Pierre Ouedraogo le patron des CDR (Comités de défense de la révolution) et le pharmacien-commandant Abdessalam Kaboré. Tous des officiers de l’armée. Ils enclenchèrent une réforme politique et sociale sans précédent qui provoqua l’admiration de toute la jeunesse africaine. Mais le 15 Octobre 1987, personne ne comprit, un coup d’Etat emporta toute cette équipe qui a donné l’espoir à toute l’Afrique. Pour la première fois le Burkina connu un coup d’Etat sanglant. « Le lion de Boulkiemdé » Boukary Kaboré qui dirigeait le camp de Koudougou, entra dans une « rébellion » dont la suite est connue. Les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent imaginer le traumatisme provoqué par la mort de Sankara dans la jeunesse africaine. Beaucoup de chefs d’Etat africains n’aimaient pas Sankara et son mode de gestion populaire du pouvoir. Le capitaine Jerry John Rawlings du Ghana est l’un des rares à décréter un deuil national. Et c’est le début d’une ignoble entreprise de désankarisation faussement habillée de rectification révolutionnaire, en vérité une dictature sanglante, maquillée par des chiffres économiques invérifiables dans la vie du Burkinabé moyen. Voici racontée en quelques mots la petite histoire de Blaise Compaoré pleine de « Bruit et de Fureur et qui ne signifie rien. » Les Burkinabés ont toujours été des hommes intègres. Ils ont renversé à deux reprises leur chef d’Etat par un soulèvement populaire. Que toute la classe politique et l’armée nationale du Burkina-Faso se le tiennent pour dit !  « Nan Laara an Saara, lorsqu’on est couché on est mort » rappelait souvent le grand Joseph Ki Zerbo. Le peuple Burkinabé est aujourd’hui en marche !
Khalifa Touré
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vendredi 24 octobre 2014

Pourquoi ya-t-il peu d’africains prix Nobel de littérature ?







« Et qu’est-ce donc à présent que cette négritude, unique souci de ces poètes, unique sujet de ce livre ? Il faut d’abord répondre qu’un blanc ne saurait en parler convenablement, puisqu’il n’en a pas l’expérience intérieure et puisque les langues européennes manquent des mots qui permettraient de la décrire. » Jean Paul Sartre, Orphée Noir.

Ils sont vraiment peu nombreux les écrivains africains au sud du Sahara qui figurent au palmarès du plus prestigieux des prix littéraires : Le prix Nobel de Littérature. Le dramaturge nigérian Wole Soyinka est l’illustre exception, compte non tenu (à tort certainement) des deux Prix Nobel Sud-Africains Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee. Lorsqu’il obtenait le Prix il était bien moins connu que l’autre géant de la littérature africaine, Chinua Achebe. Mais fort heureusement le Prix Nobel ignore (parfois trop) la notoriété. Le jury donne l’impression de ne pas trop aimer les écrivains médiatiques. A ce propos, le congolais Alain Mabanckou et dans une moindre mesure le guinéen Thierno Monenembo ont du souci à se faire même s’ils sont encore loin de prétendre au Prix Nobel. La surprise peut nous venir, bien plus tard, d’autres auteurs comme l’ivoirien Koffi Kwahulé, l’auteur de « Babyface » dont l’écriture jazzique révèle une inspiration singulière et personnelle ou bien même Mia Couto le mozambicain, s’ils continuent à travailler dans la discrétion et l’incubation propre à toute grande production littéraire. Et pourquoi pas l’angolais Arthur Pestana dit « Pepetela » ? L’écriture est un exercice de longue haleine. Le congolais Sony Labou Tansi, le Tarentino de la littérature africaine,  était tellement puissant  qu’il était sur le point d’ouvrir l’écriture africaine au post-modernisme, mais la maladie ne lui en a pas laissé le temps. Son mentor, Gérald Félix Tchikaya U’Tamsi fut un poète d’une inspiration précoce, très tôt repéré et salué par Léopold Senghor, il n’a pas vécu longtemps pour voir son « génie littéraire » exploser de mille feux.


Il faut à la vérité dire qu’il ya peu de « créateurs » qui courent derrière la reconnaissance et les prix décernés par des jurés qui réduisent l’œuvre de toute une vie en une belle et douteuse phrase, histoire de justifier le choix porté sur tel ou tel autre écrivain. Mais il faut reconnaitre qu’il ya une grande frustration, un sentiment « naturel » qui confine au mal. Et ce sentiment qu’éprouvent tous les artistes n’est pas le manque de reconnaissance mais l’incompréhension. Mais il ya encore pire que l’incompréhension, c’est la méprise. Mais peu s’en faut que la méprise devienne du mépris. C’est tout le sens du propos du philosophe de l’existentialisme qui défend non pas l’inintelligibilité de la  négritude pour un sujet non-nègre mais la singularité d’une création. Ce n’est pas ici le lieu d’un vulgaire droit à la différence ou un essentialisme primaire mais le refus du mépris. La littérature  n’est peut-être pas une théorie de la connaissance pour les puristes de la philosophie mais elle est un discours au sens foucaldien du mot et en tant que tel un pouvoir au contenu « politique ». Lisez « L’orientalisme » d’Edward Saïd ; il y a donné une donné une réponse «définitive » à cette question très complexe.


L’on oublie trop souvent que les postures esthétiques sont des points de vue sur la vie et en tant que telles, des « idées politiques » au sens noble de l’expression. Le fait que les grandes œuvres « noires » soient regardées avec une morgue inqualifiable ne relève pas de l’anecdote. Il est en passe de devenir un fait historique, une sorte de rémanence culturelle qui empêche d’apprécier librement des œuvres de génie. Il ne touche pas seulement la littérature mais s’étend de façon insidieuse à la musique, au sport, à la sculpture et au cinéma. Pour exemple, Roger Caratini, un auteur à la culture encyclopédique, a écrit  cette phrase choquante habillée de mots savants : « La musique de Jazz traditionnelle, depuis sa naissance à la Nouvelle-Orléans, vers 1890, jusqu’à l’éclosion de ce qu’on a appelé le free- jazz vers 1960, est une musique créée pour la civilisation blanche, avec les moyens de la musique blanche, par des musiciens noirs esthétiquement colonisés. » Assertion pour le moins absurde (philosophiquement) puisqu’elle définit l’œuvre non pas du point de vue  de la créativité et de la production mais à partir de la réception. L’esthétique de la réception quelque service qu’elle puisse rendre à « l’herméneutique artistique » si l’on peut dire, ne saurait primer la généalogie propre à toute œuvre d’art. La meilleure définition d’une œuvre, celle qui rend compte de sa nature interne, doit être « maternelle. » Comment négliger la personne de celui qui a materné l’œuvre dans un processus d’ignition ? Nous pensons que l’œuvre est dans la matrice. 


Mais ne soyons pas étonnés, les grandes œuvres « noires » ont toujours été validées par un regard externe, du moins depuis un siècle. Ceci est une anomalie quelque soit la générosité, la curiosité et même l’intérêt intellectuel d’un Jean Paul Sartre. N’a-t-il pas fallu le génie « opportun » d’un Pablo Picasso à travers le cubisme, pour offrir un quotient d’intelligibilité et de validité à l’art nègre ? Il a fallu aussi le grand étonnement d’André Breton devant  l’œuvre himalayesque de l’enfant  de Basse-Pointe, Aimé Césaire, pour que « Le cahier d’un retour au pays natal » ne soit pas un simple cahier mais le programme du monde. La production artistique se déploie toujours entre la validation interne et la reconnaissance « internationale ». Des voix « étrangères » ont souvent magnifié la littérature africaine mais sans réussir à ébranler le jury suédois. Il ya lieu de dire ici que le Prix Nobel de Littérature est décerné par une académie et en tant que telle une institution officielle trop conformiste. Elle écoute rarement les voix parallèles. Les barrières esthétiques n’expliquent pas cette situation. Une grande œuvre est toujours suffisamment vigoureuse pour « enjamber » le mur épais du culturalisme littéraire. La littérature africaine étant une voix de l’ailleurs, on comprend vite la difficulté à accorder un  quelconque intérêt à « une production littéraire sous-développée ».Tout ceci relève non pas de la contradiction mais du paradoxe.

 Toutefois il faudra souligner la chose suivante : La littérature africaine est victime de l’enfermement et du monopole de la critique universitaire dont le défaut principal est sa formidable capacité à magnifier toute œuvre, fut-elle de qualité moyenne, par un vocabulaire spécialisé et effrayant. On peut trouver de l’anamnèse, de la surdétermination, de la focalisation zéro, des palimpsestes et même de fréquents analepses et prolepses dans une œuvre sans grande teneur poétique. Cela ne veut nullement dire que les apports de Gustave Lanson ou d’un Georges Ngal à la critique universitaire sont inutiles. Ils furent de grands moments de la critique littéraire. La littérature africaine aspire à une critique moins « cartésienne », une critique plus personnelle fondée sur le plaisir et le beau. Mais une critique savante.

Gaston Bachelard a déjà découvert le piège de l’utilisation fréquente de la métaphore qui sous la plume de beaucoup de sous-poètes relève non pas de l’inspiration mais simplement du « complexe de culture » qui nous vient des leçons apprises et assimilées à l’école. Elles restent gravées dans notre mémoire archaïque. Beaucoup de métaphores relèvent de « l’infantilisme poétique. » Tant que le poète ne réussit pas à franchir le seuil du cerveau archaïque pour donner à la technique littéraire une valeur ontologique, il reste un sous-écrivain qui rampe pitoyablement dans la fange de l’écriture commerciale. Il ne sera jamais suffisamment vigoureux pour voler de ses propres ailes. Beaucoup d’auteurs poursuivent le destin d’un batracien et non celui d’un oiseau qui s’envole gaiement vers l’immensité profonde. Il y en a beaucoup en Afrique et pas seulement ! Tel n’est pas le cas d’Aimé Césaire par exemple. Loin s’en faut.

A propos du « nègre fondamental », nous avons déjà écrit ceci : « (…) Aimé Césaire dont une bonne partie de l’œuvre n’est pas encore dignement lue et commentée. Il aurait fallu de grands spécialistes de l’herméneutique, de la trempe de Jacques Derrida, Erich Auerbach, Valentin Mudimbe ou Edward Saïd pour affronter ce volcan littéraire qu’est Aimé Césaire. Il nous a légué une œuvre himalayesque faite de poèmes, de discours, d’essais et pièces de théâtre. » Aimé Césaire c’est l’apothéose de la poésie. Il a fait le ciel et la terre se rencontrer dans la poésie. Le retour aux origines, le bruissement perpétuel, le grondement originel sont permanents dans la poésie césairienne. Aimé Césaire, c’est la tempête, l’ouragan des Caraïbes qui a réuni dans sa poésie toute la tragédie nègre pour en faire un boulet de canon. Partout où le nègre est passé, Césaire a laissé trainer sa poésie. Ses écrits ont été une secousse tellurique qui a fait trembler le monde de l’Art, de la Culture et de la Politique. Mais le Prix Nobel est passé à coté de lui sans le voir. Peut-être que l’académie a été aveuglée par la réverbération d’une œuvre trop brillante, trop étrange. Celui qui a écrit ces vers qui « contiennent le programme du monde » mérite le Prix Nobel : « (…) il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre en notre commandement sans limite. » Césaire y a mis toute la mission de l’homme sur terre. Jamais le sens du vicariat n’a été autant chanté.  L’autre « africain hors du continent », Edouard Glissant a, manqué de peu le Prix Nobel de Littérature. Il est aujourd’hui abondamment cité par les brillants théoriciens du postcolonialisme à la faveur du grand retour de Franz Fanon dans le discours sur la modernité des anciennes colonies. Quant à Léopold Sédar Senghor, il n’a jamais été cité abondamment comme prétendant sérieux au Prix Nobel comme l’est aujourd’hui le kenyan Ngugi Wa Thiong’o. Chose étonnante ! Pourtant ses milliers de pages poétiques et essais philosophiques valent certainement autant ou mieux que les écrits de Tomas Transtörmer ou Elfriede Jelinek. Mais on murmure que le jury du Prix Nobel n’a pas pensé à lui pour des raisons « politiques ». Quant à Mongo Béti, son écriture n’a jamais été dans le sillage des prix littéraires. Il est resté dans l’imagerie littéraire africaine, ce rebelle invétéré qui ne négocie pas. Il vaut mieux que cela sans nul doute.  

Mongo Béti est un écrivain majeur de la littérature africaine au 20ème siècle. Il avait une idée arrêtée, néanmoins très claire, de la mission de l’écrivain africain. Il était d’un dogmatisme magnifique et éclairé avec une grande maitrise de la langue. Il était sans nul doute de la veine incendiaire et indocile.

Mais enfin la grande surprise du moment est que le Prix ne soit pas attribué jusqu’ici au géant Kenyan Ngugi Wa Thiong’o. Ecrivain très fécond et extrêmement éprouvé, les lecteurs ne comprennent toujours pas ! Toutefois, il est actuellement le seul écrivain africain cité fréquemment comme prétendant au Prix Nobel. En tous les cas, qu’il s’agisse de l’écriture, de l’édition ou de la lecture, la littérature africaine a toujours épousé les contours de l’histoire du continent. Elle se distingue par une extrême modernité, elle-même caractéristique des sociétés africaines secouées par des mouvements de changements profonds.


Khalifa Touré
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vendredi 10 octobre 2014

Que vaut le prix Nobel de littérature aujourd’hui ?











« J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès » Emil Cioran, écrivain roumain

La nouvelle vient de tomber, l’académie royale de Suède vient de décerner le prix Nobel de Littérature au très discret Patrick Modiano, écrivain français qui succède à Jean Marie Gustave Le Clezio au palmarès français ; ce dernier l’a obtenu en 2008. Pourtant en France on ne parle que de Michel Houellebecq l’homme à l’écriture sulfureuse qui aurait pu être un grand écrivain s’il ne s’était pas embourbé dans la fange de l’islamophobie et une écriture à la crudité repoussante, du moins pour les puritains ; cet homme est un vrai talent. La scandaleuse et froide Christine Angot avec son fameux « Inceste » qui a secoué plus d’un lecteur, la sympathique Marie Darrieussecq, le médiatique Frédéric Beigbeder avec son « 99 Francs » et le très russophile Emmanuel Carrère ont le vent en poupe à travers l’hexagone. Toutefois ces derniers n’ont jamais été cités comme prétendants au prix Nobel. Et pour cause. Ils restent loin derrière Yves Bonnefois, écrivain, traducteur et chercheur français émérite qui figure aux cotés des nord- américains Philip Roth, James Ellroy et Don De Lillo,  du franco-tchèque Milan Kundera, du poète syrien Adonis, de l’Israélien Amos Oz, de l’Albanais Ismaël Kadaré comme de sérieux prétendants au prix Nobel. Il n’est certainement pas dit dans le Grand Livre, lorsque la littérature était dans les limbes, qu’un chercheur n’est pas digne du Prix. Cette idée peut faire sourire et même rire.
Au reste les deux choix les plus audacieux du Jury restent les prix accordés à Winston Churchill et Henry Bergson. Aujourd’hui, les gardes-frontière du savoir (pour reprendre le mot du Pr. Hamady Aly Dieng) auraient crié au scandale en disant « bébétement » que ces deux « personnalités » ne sont pas des littéraires. Les mémoires de guerre de Churchill pour lesquels il a obtenu le prix font 12 volumes. Excusez du peu ! Quant à Henri Bergson il a littéralement dilaté le temps pour offrir aux grands créateurs comme Marcel Proust (un autre oublié) des possibilités infinies. La littérature n’est peut-être pas ce qu’on pense.
Gaston Bachelard a vu juste en écrivant ces mots lumineux : « Dès qu’on lit une œuvre avec ces nouveaux moyens d’analyse, on participe à des sublimations très variées qui acceptent des images éloignées et qui donnent essor à l’imagination dans des voies multiples.» Cette nouveauté-là, la vieille garde de l’académie royale qui décerne le prix Nobel, en a certainement peur. La littérature s’est renouvelé depuis les Kafka, Joyce, Proust, Beckett et Faulkner. Beaucoup de profs, dont je suis, et des analystes littéraires ont du mal à accepter cette révolution esthétique. Bachelard renchérit de façon plus subtile en disant : « La critique littéraire classique entrave cet essor divergent. Dans ses prétentions à une connaissance psychologique instinctive, à une intuition psychologique native, qui ne s’apprend pas, elle réfère les œuvres littéraires à une expérience psychologique désuète, à une expérience ressassée, à une expérience fermée. Elle oublie simplement la fonction poétique qui est de donner une forme nouvelle au monde qui n’existe poétiquement que s’il est sans cesse réimaginé. » Il aurait pu se voir décerner le prix Nobel non pas grâce à ces fragments tirés de « L’eau et les rêves » dont la simple évocation nous donne des frissons, mais à sa contribution inégalée à l’herméneutique littéraire. Lisez « Psychanalyse du feu » ou « La poétique de l’espace », vous serez peut-être convaincus !  On peut en dire autant de Jacques Derrida. Mais, trop classique,  le jury du Nobel est coutumier des faits. Hélas !
Selon l’écrivain afro-américaine Toni Morisson (lauréate du Prix) l’absence, jusqu’ici, de Philip Roth au palmarès du Prix Nobel de littérature est un véritable scandale. Nous estimons pour notre part que l’influence de Milan Kundera dans la culture littéraire mondiale est bien plus importante que bon nombre de Prix Nobel. Son absence au palmarès est une véritable hérésie. Nous avons déjà écrit les mots suivants : « L’on oublie souvent que le plus prestigieux des prix littéraires, le Prix Nobel de Littérature en l’occurrence, est passé à coté de quatre grands monuments de la littérature mondiale. Il s’agit de Léon Tolstoï, Franz Kafka, Emile Zola et Aimé Césaire. Ce fut un grand regret et même une « bourde monumentale » que l’Académie Royale n’aborde presque jamais. C’est la partie honteuse à cacher. Autant dire qu’un prix littéraire reste très « utile » mais il n’est pas forcément le nec plus ultra, la pointe acérée de l’œuvre de toute une vie. ». Et depuis nous n’avons pas changé d’avis.
C’est à croire que l’académie royale malgré ses explications peu convaincantes, n’aime pas les grands créateurs, les « esprits dérangés » de la littérature, ceux dont l’œuvre fait se confondre le ciel et la terre. Les prix Nobel de littérature pour leur grande partie à quelques exceptions près sont les prix Nobel de la littérature linéaire. L’académie n’aime peut être pas les grandes explorations, « la spéléologie littéraire. » En 2005 un fait inédit s’est  déroulé en pleine session du Prix Nobel. L’immense critique littéraire  et par ailleurs professeur de littérature scandinave Knut Ahnlund, membre de l’académie royale a claqué violemment la porte du jury en s’opposant vertement à la nomination de l’écrivain autrichienne Elfriede Jelinek, auteure de « La pianiste » qui a du reste été porté au cinéma par le talentueux metteur en scène autrichien Michael Haeneke. Elle n’avait écrit que depuis dix ans seulement. Knut Ahnlund a estimé que le choix porté sur Jelinek est « un choc d’une extrême gravité ayant causé des dommages irréparables à la littérature de manière générale et à la réputation du prix en particulier. » Malgré l’importance d’un Günter Grass, les mauvaises langues disent  qu’il ya trop d’écrivains de langue allemande qui figurent au palmarès ces dernières années. Des écrivains africains comme le congolais Sony Labou Tansi et l’algérien Kateb Yacine n’ont rien à envier aux prix Nobel de ces dernières années. Tous les prix Nobel sont de bons écrivains, des auteurs singuliers, mais ils ne sont pas tous de grands écrivains.  Tous les prix Nobel ne sont pas William Faulkner, John Steinbeck, Ernest Hemingway et Samuel Beckett ou Yasunari Kawabata. Des choix judicieux et heureux du reste.
 Quant à Patrick Modiano il a ceci d’intéressant  qu’il n’est pas un écrivain « politique ». Mais soyons clair ce garçon de 69 ans né à la fin de la guerre ne manque pas de sens. Il n’ya pas de grand auteur sans grand idéal. Il est à la littérature « française » ce que Térence Malick est au cinéma. C’est en quelque sorte un Michel Bouquet de la littérature. Du moins en ce qui concerne les media. Sauf qu’il compte quelques apparitions à des émissions littéraires. Peu généreux en expression orale, il parle lentement. Un taciturne en quelque sorte lorsqu’il s’agit de parler à la presse mais un bavard en littérature. Et quel bavard ! Une unité particulière traverse l’œuvre modianesque qui restitue de façon singulière les choses, les êtres, les situations et les lieux sous l’occupation. Modiano est un écrivain prolixe qui mérite largement le prix Nobel de littérature.
Au reste l’erreur monumentale de l’académie royale est de penser que des auteurs comme les Kundera et autres Philip Roth ne sont que des écrivains- culte ; ce n’est donc pas au public de lecteurs de faire pression sur le jury. Dangereux sentiment d’orgueil qui ne rend pas service à la culture ! C’est comme penser que des films-culte comme « Scarface », « le parrain » ou « Pulp Fiction » ne sont pas de grandes oeuvres. On peut penser que l’académie a peut-être peur du syndrome Jean Paul Sartre qui a refusé le Prix en 1964, estimant, entre autres raisons, que le Nobel est « beaucoup trop tourné vers l’occident ». Un Milan Kundera pourrait bien le faire. N’a-t-il pas refusé d’entrer à l’académie française ? Mais cette fois-ci le jury n’est pas passé à coté. Patrick Modiano est certainement le triomphe de la discrétion et de l’humilité.
Khalifa Touré
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