Lorsque Marx Weber définissait l’Etat comme « une
communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force
physique sur un territoire donné » forgeant
ainsi le concept de « violence légitime », cette pensée était vraiment juste
tellement elle exprimait l’un des aspects les plus caractéristiques de la
fonction de l’Etat. Lorsque cette fonction suspecte et ingrate de l’Etat, est
mal comprise par des autorités dont le niveau de culture étatique est sujet à
caution, alors, c’est la voie ouverte à l’anarchie et à la force aveugle.
« Il manque
de pleuvoir à Dakar…Un étudiant vient de mourir! » Tel pourrait être le
refrain macabre d’une chanson incandescente hurlée à gorge déployée par l’un de
nos chanteurs-poètes engagé. Il est vrai que des radicaux, des « real »
comme disent les jeunes, on en trouve presque plus. Tout le monde s’est converti
à ce nouveau culte ; prosternations et génuflexions diaboliques devant la
bête immonde, cette divinité de la fin des temps qui est L’indifférence, sont la nouvelle
religion. « C’est qu’il arrive tant
de choses. Il arrive trop de choses. C’est cela. L’homme accomplit, engendre,
tellement plus qu’il ne peut, ou ne devrait supporter. C’est ainsi qu’il
s’aperçoit qu’il peut supporter n’importe
quoi, n’importe quoi » a dit l’immense William
Faulkner dans « Lumière d’Août ». Il y a tellement de morts depuis quelques
années, qu’on en arrive les supporter.
Nous sommes un
pays de défroqués. Il n’y a pas plus laid qu’une autorité qui répète des
formules qu’il ne comprend pas. On feint de comprendre. Nous sommes des faux-fuyants.
Françoise Sagan avait raison. Les
faux-fuyants finissent toujours par être rattrapés par la mort, le mort
violente. Ils vont crever, la gueule ouverte. Quand la culture gouvernementale
se résume au ressassement puéril de citations du genre « je ne regrette rien »,
« force doit rester à la loi » comme nous l’avions tous entendues, il ya
quelques années, de la bouche de deux ministres de la république réagissant
alors à l’affaire de Sangalkam consécutive à la mort du jeune Malick Ba, il y a lieu de penser aujourd’hui
que la continuité n’est pas seulement une affaire de l’Etat, il existe une
continuité ailleurs, une continuité malheureuse et scandaleuse. Les choses ont
peut-être changé mais un étudiant, Bassirou Faye de son nom, vient de
mourir. Une mort de trop parce qu’il y en a eu d’autres. Un étudiant n’a-t-il
pas attenté à la vie d’un de ses camarades lors du mois de Ramadan ? Bassirou Faye est tombé dans la chaleur
hivernale. Qui est Bassirou ? D’où vient-il ? Qui est son père, sa
mère ? Les morts ne sont pas
morts ! Ils sont tout simplement partis. « Beloved » dirait Toni
Morisson. Tous les morts ont une histoire. Qui fera le récit de la mort de
l’étudiant ? Plus que l’oraison funèbre, le récit de la mort fait partie
du deuil. « Odi Profanum Vulgus et arceo », je hais le profane
vulgaire et je l’écarte, les vautours sont partis et Bassirou Faye est mort.
Méfions-nous du
temps qu’il fait, de l’atmosphère électrique de l’université. La mort est un
phénomène étrange. « La mort… nous
affecte plus profondément sous le
règne pompeux de l’été » a dit Charles
Baudelaire dans « Les Paradis
artificiels ». Lisez « Mort un après midi » d’Ernest
Hemingway ou « La mort en été » de Yukio Mishima vous serez peut-être
édifiés et jetterez un regard différent sur la mort. Aucune enquête policière
ne peut révéler ces choses enfouies. Au contraire elle banalise le crime. Mais
le policier qui a tiré saura…il saura mais pire il verra comme
Raskolnikov ! C’est inéluctable. Le châtiment participe de la mécanique du
crime. Du reste que fait un policier à l’université ? Le lieu où le
savoir, chose pure et saine, est affranchi, libre et protégé les franchises
universitaires.
Tuer son prochain,
voilà chose abominable ! Tout est-il permis ? Non ! Le
personnage de Raskolnikov l’a appris
à ses dépens dans « Crime et Châtiment »
de Fiodor Dostoïevski. « J’ai voulu
oser et j’ai tué » a-t-il dit. Et ceux qui ont lu savent ce qui est
advenu de lui. Celui qui tue même
accidentellement meurt par le même acte qu’il vient de commettre. L’acte de tuer
enlève à son auteur cette lumière qui fait vivre, il perd définitivement sa
nature spirituelle. Et c’est le pire des châtiments.
Il ya un niveau d’illettrisme
inquiétant pas seulement chez certaines autorités. Cela peut se dire sans
prétention aucune. Lorsque les notions de violence, de force et de contrainte
sont confondues par ignorance ou enfermées dans le corset du droit, les
gendarmes et les policiers qui reçoivent des ordres sont dans un état d’esprit
tel que les citoyens deviennent des cibles à abattre. Quand des autorités sont
incapables d’aller au -delà d’une compréhension au premier degré des missions
régaliennes de l’Etat ils se transforment tout bonnement en brutes qui n’hésitent
pas à tenir une posture cynique.
Ils oublient, ils
ignorent plutôt, que la vie n’est pas seulement affaire de LOI, la vie commune c’est aussi LA FOI d’où la formule « UN HOMME
SANS FOI NI LOI ». Un homme qui obéit aveuglément n’est pas humain, il devient une
bête sauvage qui n’hésite pas à tuer sans comprendre. L’on ne dit jamais assez (toutes
proportions gardées) que les criminels nazis n’étaient pas des psychopathes,
ils obéissaient à la loi. C’était des fonctionnaires. Il n’ya pas pire criminel
qu’un fonctionnaire obtus. Heureusement ils ne le sont pas tous. Même le
philosophe Hannah Arendt, qui est
d’origine juive, l’a reconnu aux criminels nazis. Ce qui lui a valu l’ire des
services secrets israeliens. Mais le sommet de la mise en scène de l’esprit
étroit du fonctionnaire est sans nul doute « Le
procès » de Franz Kafka. Un
livre à lire absolument. Un siècle auparavant Honoré de Balzac avait écrit « L’administration est un géant dirigé
par des pygmées.» L’esclavage transatlantique était parfaitement légal,
oublie-t-on. Tous les types d’Etat, même
les Etats totalitaires sont des Etats de droit en ceci qu’ils représentent tous
un ORDRE JURIDIQUE. La question n’est donc pas toujours d’invoquer et de dire
le droit. Le seul problème est que tous les Etats n’incarnent pas la Justice. Lisez « Le gambit du Cavalier » de
Faulkner, vous verrez une mise en
scène géniale de la différence entre le droit et la justice.
Attention !
L’insuffisance de philosophie qui existe chez beaucoup de juristes aujourd’hui peut
mener à une obéissance aveugle à la loi. Leur extrême médiatisation au
détriment des autres disciplines crée aujourd’hui un « déséquilibre
scientifique. » Ils oublient
souventes fois que le droit a été inventé par des philosophes. Le professeur Ousseynou Kane l’a dit dans un article
mémorable. Lisez le philosophe Mahamadé
Sawadogo dans « La parole et la
cité » vous serez édifiés sur cette affaire. Le professeur Mody Gadiaga est l’un des rares
juristes, de nos jours, qui nous ramène aux racines philosophiques du droit. Sans
verser dans l’anarchie, lorsqu’une loi est injuste personne n’est tenu de la
respecter. Une loi inique produit toujours des criminels. Le devoir d’obéir à une loi injuste n’est envisageable que lorsque
cette injustice n’atteint pas certaines proportions. Et à la seule condition
que la Constitution
soit juste. John Rawls a consacré un sous-chapitre entier à ce sujet dans son fameux « Théorie
de la justice ».Au reste, le comportement violent de la police et de
la gendarmerie dans nos pays révèle peut-être des survivances de pratiques
coloniales. L’administration en générale est restée « coloniale »sur certains
aspects. Il y a lieu d’affranchir et décoloniser
la police et la gendarmerie. Une réflexion générale devra être menée autour
de ce conflit de principes (résistance et obéissance) dans le contexte des pays
postcoloniaux.
« Tant que le
citoyen a peur, l’ordre est sauf »pensent beaucoup autorités. L’on oublie que
nous sommes en démocratie, un système fondé sur la liberté. « En Grande Bretagne, lorsqu’on sonne à votre
porte à cinq heures du matin, c’est
la laitière et non le policier » affirmait sir Winston Churchill, illustre écrivain et grand homme d’Etat.
Autrement dit, la différence entre l’ordre colonial et l’esprit démocratique réside
dans la forme, la manière. En démocratie même si les forces de l’ordre ont des
griefs à l’encontre d’un citoyen, ils y mettent la forme pour que « force reste à la loi ».Lorsque des
autorités ne sont pas suffisamment hautes pour agir intelligemment, il y a lieu
de s’interroger. Aux USA les « Marines » n’interviennent jamais sur
le sol américain face aux citoyens sauf en cas de force majeure où
l’autorisation très procédurière de l’exécutif est requise. C’est à la Garde Nationale de
maintenir l’ordre en cas d’émeutes. Aujourd’hui la forte militarisation de la
police est décriée dans ce pays. Ici l’idée fondamentale est que l’armée
appartient à la nation. Il serait contradictoire que l’armée agisse contre le
peuple qu’elle est sensée défendre contre une invasion étrangère. Voilà toute
la gravité des événements de Kédougou il y a quelques années. En république, la résistance comme
l’obéissance sont des vertus cardinales qui peuvent entrer en conflit.
Des gouvernants
qui pensent que seule l’obéissance est la vertu-mère et qu’il faut l’appliquer
à sens unique sur les citoyens, ne sont pas dignes de confiance. Au dessus des autorités il ya la loi, au dessus
de la loi il ya Dieu, l’Etre Suprême.
C’est Platon qui pensait justement qu’il
ya mieux que la loi, c’est l’homme
noble, plein de vertus. Il ya lieu de rendre meilleures les hommes qui nous
dirigent. Lorsque la loi est entre des « mains sales » ou inexpertes,
alors c’est le règne de la barbarie. Espérons que la mort de Bassirou Faye ne sera pas comme
« Une ténébreuse affaire »
évoquée par Balzac il ya deux cents ans. Depuis lors les fils d’Adam tombent
comme des mouches. Décidément l’homme n’est pas perfectible.
Khalifa Touré