vendredi 24 octobre 2014

Pourquoi ya-t-il peu d’africains prix Nobel de littérature ?







« Et qu’est-ce donc à présent que cette négritude, unique souci de ces poètes, unique sujet de ce livre ? Il faut d’abord répondre qu’un blanc ne saurait en parler convenablement, puisqu’il n’en a pas l’expérience intérieure et puisque les langues européennes manquent des mots qui permettraient de la décrire. » Jean Paul Sartre, Orphée Noir.

Ils sont vraiment peu nombreux les écrivains africains au sud du Sahara qui figurent au palmarès du plus prestigieux des prix littéraires : Le prix Nobel de Littérature. Le dramaturge nigérian Wole Soyinka est l’illustre exception, compte non tenu (à tort certainement) des deux Prix Nobel Sud-Africains Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee. Lorsqu’il obtenait le Prix il était bien moins connu que l’autre géant de la littérature africaine, Chinua Achebe. Mais fort heureusement le Prix Nobel ignore (parfois trop) la notoriété. Le jury donne l’impression de ne pas trop aimer les écrivains médiatiques. A ce propos, le congolais Alain Mabanckou et dans une moindre mesure le guinéen Thierno Monenembo ont du souci à se faire même s’ils sont encore loin de prétendre au Prix Nobel. La surprise peut nous venir, bien plus tard, d’autres auteurs comme l’ivoirien Koffi Kwahulé, l’auteur de « Babyface » dont l’écriture jazzique révèle une inspiration singulière et personnelle ou bien même Mia Couto le mozambicain, s’ils continuent à travailler dans la discrétion et l’incubation propre à toute grande production littéraire. Et pourquoi pas l’angolais Arthur Pestana dit « Pepetela » ? L’écriture est un exercice de longue haleine. Le congolais Sony Labou Tansi, le Tarentino de la littérature africaine,  était tellement puissant  qu’il était sur le point d’ouvrir l’écriture africaine au post-modernisme, mais la maladie ne lui en a pas laissé le temps. Son mentor, Gérald Félix Tchikaya U’Tamsi fut un poète d’une inspiration précoce, très tôt repéré et salué par Léopold Senghor, il n’a pas vécu longtemps pour voir son « génie littéraire » exploser de mille feux.


Il faut à la vérité dire qu’il ya peu de « créateurs » qui courent derrière la reconnaissance et les prix décernés par des jurés qui réduisent l’œuvre de toute une vie en une belle et douteuse phrase, histoire de justifier le choix porté sur tel ou tel autre écrivain. Mais il faut reconnaitre qu’il ya une grande frustration, un sentiment « naturel » qui confine au mal. Et ce sentiment qu’éprouvent tous les artistes n’est pas le manque de reconnaissance mais l’incompréhension. Mais il ya encore pire que l’incompréhension, c’est la méprise. Mais peu s’en faut que la méprise devienne du mépris. C’est tout le sens du propos du philosophe de l’existentialisme qui défend non pas l’inintelligibilité de la  négritude pour un sujet non-nègre mais la singularité d’une création. Ce n’est pas ici le lieu d’un vulgaire droit à la différence ou un essentialisme primaire mais le refus du mépris. La littérature  n’est peut-être pas une théorie de la connaissance pour les puristes de la philosophie mais elle est un discours au sens foucaldien du mot et en tant que tel un pouvoir au contenu « politique ». Lisez « L’orientalisme » d’Edward Saïd ; il y a donné une donné une réponse «définitive » à cette question très complexe.


L’on oublie trop souvent que les postures esthétiques sont des points de vue sur la vie et en tant que telles, des « idées politiques » au sens noble de l’expression. Le fait que les grandes œuvres « noires » soient regardées avec une morgue inqualifiable ne relève pas de l’anecdote. Il est en passe de devenir un fait historique, une sorte de rémanence culturelle qui empêche d’apprécier librement des œuvres de génie. Il ne touche pas seulement la littérature mais s’étend de façon insidieuse à la musique, au sport, à la sculpture et au cinéma. Pour exemple, Roger Caratini, un auteur à la culture encyclopédique, a écrit  cette phrase choquante habillée de mots savants : « La musique de Jazz traditionnelle, depuis sa naissance à la Nouvelle-Orléans, vers 1890, jusqu’à l’éclosion de ce qu’on a appelé le free- jazz vers 1960, est une musique créée pour la civilisation blanche, avec les moyens de la musique blanche, par des musiciens noirs esthétiquement colonisés. » Assertion pour le moins absurde (philosophiquement) puisqu’elle définit l’œuvre non pas du point de vue  de la créativité et de la production mais à partir de la réception. L’esthétique de la réception quelque service qu’elle puisse rendre à « l’herméneutique artistique » si l’on peut dire, ne saurait primer la généalogie propre à toute œuvre d’art. La meilleure définition d’une œuvre, celle qui rend compte de sa nature interne, doit être « maternelle. » Comment négliger la personne de celui qui a materné l’œuvre dans un processus d’ignition ? Nous pensons que l’œuvre est dans la matrice. 


Mais ne soyons pas étonnés, les grandes œuvres « noires » ont toujours été validées par un regard externe, du moins depuis un siècle. Ceci est une anomalie quelque soit la générosité, la curiosité et même l’intérêt intellectuel d’un Jean Paul Sartre. N’a-t-il pas fallu le génie « opportun » d’un Pablo Picasso à travers le cubisme, pour offrir un quotient d’intelligibilité et de validité à l’art nègre ? Il a fallu aussi le grand étonnement d’André Breton devant  l’œuvre himalayesque de l’enfant  de Basse-Pointe, Aimé Césaire, pour que « Le cahier d’un retour au pays natal » ne soit pas un simple cahier mais le programme du monde. La production artistique se déploie toujours entre la validation interne et la reconnaissance « internationale ». Des voix « étrangères » ont souvent magnifié la littérature africaine mais sans réussir à ébranler le jury suédois. Il ya lieu de dire ici que le Prix Nobel de Littérature est décerné par une académie et en tant que telle une institution officielle trop conformiste. Elle écoute rarement les voix parallèles. Les barrières esthétiques n’expliquent pas cette situation. Une grande œuvre est toujours suffisamment vigoureuse pour « enjamber » le mur épais du culturalisme littéraire. La littérature africaine étant une voix de l’ailleurs, on comprend vite la difficulté à accorder un  quelconque intérêt à « une production littéraire sous-développée ».Tout ceci relève non pas de la contradiction mais du paradoxe.

 Toutefois il faudra souligner la chose suivante : La littérature africaine est victime de l’enfermement et du monopole de la critique universitaire dont le défaut principal est sa formidable capacité à magnifier toute œuvre, fut-elle de qualité moyenne, par un vocabulaire spécialisé et effrayant. On peut trouver de l’anamnèse, de la surdétermination, de la focalisation zéro, des palimpsestes et même de fréquents analepses et prolepses dans une œuvre sans grande teneur poétique. Cela ne veut nullement dire que les apports de Gustave Lanson ou d’un Georges Ngal à la critique universitaire sont inutiles. Ils furent de grands moments de la critique littéraire. La littérature africaine aspire à une critique moins « cartésienne », une critique plus personnelle fondée sur le plaisir et le beau. Mais une critique savante.

Gaston Bachelard a déjà découvert le piège de l’utilisation fréquente de la métaphore qui sous la plume de beaucoup de sous-poètes relève non pas de l’inspiration mais simplement du « complexe de culture » qui nous vient des leçons apprises et assimilées à l’école. Elles restent gravées dans notre mémoire archaïque. Beaucoup de métaphores relèvent de « l’infantilisme poétique. » Tant que le poète ne réussit pas à franchir le seuil du cerveau archaïque pour donner à la technique littéraire une valeur ontologique, il reste un sous-écrivain qui rampe pitoyablement dans la fange de l’écriture commerciale. Il ne sera jamais suffisamment vigoureux pour voler de ses propres ailes. Beaucoup d’auteurs poursuivent le destin d’un batracien et non celui d’un oiseau qui s’envole gaiement vers l’immensité profonde. Il y en a beaucoup en Afrique et pas seulement ! Tel n’est pas le cas d’Aimé Césaire par exemple. Loin s’en faut.

A propos du « nègre fondamental », nous avons déjà écrit ceci : « (…) Aimé Césaire dont une bonne partie de l’œuvre n’est pas encore dignement lue et commentée. Il aurait fallu de grands spécialistes de l’herméneutique, de la trempe de Jacques Derrida, Erich Auerbach, Valentin Mudimbe ou Edward Saïd pour affronter ce volcan littéraire qu’est Aimé Césaire. Il nous a légué une œuvre himalayesque faite de poèmes, de discours, d’essais et pièces de théâtre. » Aimé Césaire c’est l’apothéose de la poésie. Il a fait le ciel et la terre se rencontrer dans la poésie. Le retour aux origines, le bruissement perpétuel, le grondement originel sont permanents dans la poésie césairienne. Aimé Césaire, c’est la tempête, l’ouragan des Caraïbes qui a réuni dans sa poésie toute la tragédie nègre pour en faire un boulet de canon. Partout où le nègre est passé, Césaire a laissé trainer sa poésie. Ses écrits ont été une secousse tellurique qui a fait trembler le monde de l’Art, de la Culture et de la Politique. Mais le Prix Nobel est passé à coté de lui sans le voir. Peut-être que l’académie a été aveuglée par la réverbération d’une œuvre trop brillante, trop étrange. Celui qui a écrit ces vers qui « contiennent le programme du monde » mérite le Prix Nobel : « (…) il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre en notre commandement sans limite. » Césaire y a mis toute la mission de l’homme sur terre. Jamais le sens du vicariat n’a été autant chanté.  L’autre « africain hors du continent », Edouard Glissant a, manqué de peu le Prix Nobel de Littérature. Il est aujourd’hui abondamment cité par les brillants théoriciens du postcolonialisme à la faveur du grand retour de Franz Fanon dans le discours sur la modernité des anciennes colonies. Quant à Léopold Sédar Senghor, il n’a jamais été cité abondamment comme prétendant sérieux au Prix Nobel comme l’est aujourd’hui le kenyan Ngugi Wa Thiong’o. Chose étonnante ! Pourtant ses milliers de pages poétiques et essais philosophiques valent certainement autant ou mieux que les écrits de Tomas Transtörmer ou Elfriede Jelinek. Mais on murmure que le jury du Prix Nobel n’a pas pensé à lui pour des raisons « politiques ». Quant à Mongo Béti, son écriture n’a jamais été dans le sillage des prix littéraires. Il est resté dans l’imagerie littéraire africaine, ce rebelle invétéré qui ne négocie pas. Il vaut mieux que cela sans nul doute.  

Mongo Béti est un écrivain majeur de la littérature africaine au 20ème siècle. Il avait une idée arrêtée, néanmoins très claire, de la mission de l’écrivain africain. Il était d’un dogmatisme magnifique et éclairé avec une grande maitrise de la langue. Il était sans nul doute de la veine incendiaire et indocile.

Mais enfin la grande surprise du moment est que le Prix ne soit pas attribué jusqu’ici au géant Kenyan Ngugi Wa Thiong’o. Ecrivain très fécond et extrêmement éprouvé, les lecteurs ne comprennent toujours pas ! Toutefois, il est actuellement le seul écrivain africain cité fréquemment comme prétendant au Prix Nobel. En tous les cas, qu’il s’agisse de l’écriture, de l’édition ou de la lecture, la littérature africaine a toujours épousé les contours de l’histoire du continent. Elle se distingue par une extrême modernité, elle-même caractéristique des sociétés africaines secouées par des mouvements de changements profonds.


Khalifa Touré
776151166


vendredi 10 octobre 2014

Que vaut le prix Nobel de littérature aujourd’hui ?











« J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès » Emil Cioran, écrivain roumain

La nouvelle vient de tomber, l’académie royale de Suède vient de décerner le prix Nobel de Littérature au très discret Patrick Modiano, écrivain français qui succède à Jean Marie Gustave Le Clezio au palmarès français ; ce dernier l’a obtenu en 2008. Pourtant en France on ne parle que de Michel Houellebecq l’homme à l’écriture sulfureuse qui aurait pu être un grand écrivain s’il ne s’était pas embourbé dans la fange de l’islamophobie et une écriture à la crudité repoussante, du moins pour les puritains ; cet homme est un vrai talent. La scandaleuse et froide Christine Angot avec son fameux « Inceste » qui a secoué plus d’un lecteur, la sympathique Marie Darrieussecq, le médiatique Frédéric Beigbeder avec son « 99 Francs » et le très russophile Emmanuel Carrère ont le vent en poupe à travers l’hexagone. Toutefois ces derniers n’ont jamais été cités comme prétendants au prix Nobel. Et pour cause. Ils restent loin derrière Yves Bonnefois, écrivain, traducteur et chercheur français émérite qui figure aux cotés des nord- américains Philip Roth, James Ellroy et Don De Lillo,  du franco-tchèque Milan Kundera, du poète syrien Adonis, de l’Israélien Amos Oz, de l’Albanais Ismaël Kadaré comme de sérieux prétendants au prix Nobel. Il n’est certainement pas dit dans le Grand Livre, lorsque la littérature était dans les limbes, qu’un chercheur n’est pas digne du Prix. Cette idée peut faire sourire et même rire.
Au reste les deux choix les plus audacieux du Jury restent les prix accordés à Winston Churchill et Henry Bergson. Aujourd’hui, les gardes-frontière du savoir (pour reprendre le mot du Pr. Hamady Aly Dieng) auraient crié au scandale en disant « bébétement » que ces deux « personnalités » ne sont pas des littéraires. Les mémoires de guerre de Churchill pour lesquels il a obtenu le prix font 12 volumes. Excusez du peu ! Quant à Henri Bergson il a littéralement dilaté le temps pour offrir aux grands créateurs comme Marcel Proust (un autre oublié) des possibilités infinies. La littérature n’est peut-être pas ce qu’on pense.
Gaston Bachelard a vu juste en écrivant ces mots lumineux : « Dès qu’on lit une œuvre avec ces nouveaux moyens d’analyse, on participe à des sublimations très variées qui acceptent des images éloignées et qui donnent essor à l’imagination dans des voies multiples.» Cette nouveauté-là, la vieille garde de l’académie royale qui décerne le prix Nobel, en a certainement peur. La littérature s’est renouvelé depuis les Kafka, Joyce, Proust, Beckett et Faulkner. Beaucoup de profs, dont je suis, et des analystes littéraires ont du mal à accepter cette révolution esthétique. Bachelard renchérit de façon plus subtile en disant : « La critique littéraire classique entrave cet essor divergent. Dans ses prétentions à une connaissance psychologique instinctive, à une intuition psychologique native, qui ne s’apprend pas, elle réfère les œuvres littéraires à une expérience psychologique désuète, à une expérience ressassée, à une expérience fermée. Elle oublie simplement la fonction poétique qui est de donner une forme nouvelle au monde qui n’existe poétiquement que s’il est sans cesse réimaginé. » Il aurait pu se voir décerner le prix Nobel non pas grâce à ces fragments tirés de « L’eau et les rêves » dont la simple évocation nous donne des frissons, mais à sa contribution inégalée à l’herméneutique littéraire. Lisez « Psychanalyse du feu » ou « La poétique de l’espace », vous serez peut-être convaincus !  On peut en dire autant de Jacques Derrida. Mais, trop classique,  le jury du Nobel est coutumier des faits. Hélas !
Selon l’écrivain afro-américaine Toni Morisson (lauréate du Prix) l’absence, jusqu’ici, de Philip Roth au palmarès du Prix Nobel de littérature est un véritable scandale. Nous estimons pour notre part que l’influence de Milan Kundera dans la culture littéraire mondiale est bien plus importante que bon nombre de Prix Nobel. Son absence au palmarès est une véritable hérésie. Nous avons déjà écrit les mots suivants : « L’on oublie souvent que le plus prestigieux des prix littéraires, le Prix Nobel de Littérature en l’occurrence, est passé à coté de quatre grands monuments de la littérature mondiale. Il s’agit de Léon Tolstoï, Franz Kafka, Emile Zola et Aimé Césaire. Ce fut un grand regret et même une « bourde monumentale » que l’Académie Royale n’aborde presque jamais. C’est la partie honteuse à cacher. Autant dire qu’un prix littéraire reste très « utile » mais il n’est pas forcément le nec plus ultra, la pointe acérée de l’œuvre de toute une vie. ». Et depuis nous n’avons pas changé d’avis.
C’est à croire que l’académie royale malgré ses explications peu convaincantes, n’aime pas les grands créateurs, les « esprits dérangés » de la littérature, ceux dont l’œuvre fait se confondre le ciel et la terre. Les prix Nobel de littérature pour leur grande partie à quelques exceptions près sont les prix Nobel de la littérature linéaire. L’académie n’aime peut être pas les grandes explorations, « la spéléologie littéraire. » En 2005 un fait inédit s’est  déroulé en pleine session du Prix Nobel. L’immense critique littéraire  et par ailleurs professeur de littérature scandinave Knut Ahnlund, membre de l’académie royale a claqué violemment la porte du jury en s’opposant vertement à la nomination de l’écrivain autrichienne Elfriede Jelinek, auteure de « La pianiste » qui a du reste été porté au cinéma par le talentueux metteur en scène autrichien Michael Haeneke. Elle n’avait écrit que depuis dix ans seulement. Knut Ahnlund a estimé que le choix porté sur Jelinek est « un choc d’une extrême gravité ayant causé des dommages irréparables à la littérature de manière générale et à la réputation du prix en particulier. » Malgré l’importance d’un Günter Grass, les mauvaises langues disent  qu’il ya trop d’écrivains de langue allemande qui figurent au palmarès ces dernières années. Des écrivains africains comme le congolais Sony Labou Tansi et l’algérien Kateb Yacine n’ont rien à envier aux prix Nobel de ces dernières années. Tous les prix Nobel sont de bons écrivains, des auteurs singuliers, mais ils ne sont pas tous de grands écrivains.  Tous les prix Nobel ne sont pas William Faulkner, John Steinbeck, Ernest Hemingway et Samuel Beckett ou Yasunari Kawabata. Des choix judicieux et heureux du reste.
 Quant à Patrick Modiano il a ceci d’intéressant  qu’il n’est pas un écrivain « politique ». Mais soyons clair ce garçon de 69 ans né à la fin de la guerre ne manque pas de sens. Il n’ya pas de grand auteur sans grand idéal. Il est à la littérature « française » ce que Térence Malick est au cinéma. C’est en quelque sorte un Michel Bouquet de la littérature. Du moins en ce qui concerne les media. Sauf qu’il compte quelques apparitions à des émissions littéraires. Peu généreux en expression orale, il parle lentement. Un taciturne en quelque sorte lorsqu’il s’agit de parler à la presse mais un bavard en littérature. Et quel bavard ! Une unité particulière traverse l’œuvre modianesque qui restitue de façon singulière les choses, les êtres, les situations et les lieux sous l’occupation. Modiano est un écrivain prolixe qui mérite largement le prix Nobel de littérature.
Au reste l’erreur monumentale de l’académie royale est de penser que des auteurs comme les Kundera et autres Philip Roth ne sont que des écrivains- culte ; ce n’est donc pas au public de lecteurs de faire pression sur le jury. Dangereux sentiment d’orgueil qui ne rend pas service à la culture ! C’est comme penser que des films-culte comme « Scarface », « le parrain » ou « Pulp Fiction » ne sont pas de grandes oeuvres. On peut penser que l’académie a peut-être peur du syndrome Jean Paul Sartre qui a refusé le Prix en 1964, estimant, entre autres raisons, que le Nobel est « beaucoup trop tourné vers l’occident ». Un Milan Kundera pourrait bien le faire. N’a-t-il pas refusé d’entrer à l’académie française ? Mais cette fois-ci le jury n’est pas passé à coté. Patrick Modiano est certainement le triomphe de la discrétion et de l’humilité.
Khalifa Touré
776151166