mardi 4 novembre 2014

Le Burkina Faso est-t-il toujours le pays des hommes intègres ?





Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance » Le capitaine Thomas Sankara.

Personne ne dira à Blaise Compaoré  « lorsque tu mourras Blaise, tu trouveras en enfer tout ce que tu as fait à Thomas Sankara et à la révolution Burkinabée », puisqu’en ce pauvre monde il y aura toujours des hommes pétris de politesse à l’esprit chevaleresque et prêts au pardon. Mais personne n’oubliera ! Du moins ceux qui ont connu, aimé et même « adoré » le capitaine Thomas Sankara ; ceux qui ont vécu sa mort comme un traumatisme. Sous d’autres cieux, le sémillant leader de « l’extrême gauche » en France Jean Luc Mélenchon a tenu à peu près les mêmes propos, à la mort de Margaret Thatcher, en disant qu’elle trouvera en enfer tout ce qu’elle a fait aux mineurs anglais. Il n’a pas été compris. Les critiques fusèrent de partout jugeant le propos par trop excessif. Même les plus jeunes qui n’ont pas connu les faits se sont mêlés à l’affaire. Ils ne soupçonnent  pas tout ce que les hommes d’Etat sont capables de faire ! Ils sont naïfs.  La plupart des hommes politiques, du moins les hommes de pouvoir sont des psychopathes qui s’ignorent. Lisez s’il vous plait « Mort par l’Etat » l’un meilleurs livres sur l’Etat. Il nous révèle que les Etats ont provoqué plus de morts en tant de paix, par le meurtre et les assassinats, que n’en ont provoqué plusieurs guerres. Un autre holocauste ! La bonne vieille raison d’Etat sera toujours invoquée par les « répétiteurs » qui oublient que ce machin a été ré-inventé par le Cardinal de Richelieu, l’un des plus illustres hommes d’Etat de tous les temps, un génie maléfique qui a été l’éminence grise du roi de France Louis 14, son premier ministre. Malgré les attributs particuliers de génie accordés au plus politique des cardinaux qui ait foulé la terre, à la mort de Richelieu, un prélat affirma que si Dieu existe le cardinal de Richelieu rendra compte. 

Kissinger, autre sulfureux homme d’Etat lui a dressé un portrait particulier dans son fameux « Diplomatie », un livre documenté  et assommant de 800 pages qui vaut des nuits d’insomnies malgré tout ce qu’on en dit. Il sait de quoi il parle en tant qu’adepte et adorateur de l’Etat devant l’éternel. Henry Kissinger a écrit, dans « Diplomatie », à la page 52 la chose suivante : « Afin d’épuiser les belligérants et prolonger la guerre, Richelieu alimenta les caisses des ennemies de ses ennemies, soudoya les gens, fomenta des insurrections et mobilisa une extraordinaire panoplie d’arguments dynastiques et juridiques.» Il a réussi à retarder de deux siècles environ l’avènement de l’Allemagne. « L’homme est immortel son salut est dans l’autre vie, l’Etat n’a pas d’immortalité son salut est maintenant ou jamais » a-t-il dit un jour. En occident le droit de tuer au nom de l’Etat est rationalisé, alors qu’en Afrique le droit de tuer est drapé d’un manteau symbolique.
Mais un Etat qui n’est pas gouverné par la raison ne peut invoquer la raison d’Etat. Cela va de soi ! Un chef d’Etat déraisonnable peut-il invoquer la raison d’Etat ? Tout parallélisme formel  exclu, Blaise Compaoré n’a ni le génie ou l’étoffe de Richelieu mais  personne ne peut imaginer les dizaines de milliers de morts qu’il a provoqué dans son pays, en Sierra Léone, au Libéria, en Côte-d’Ivoire et même en Angola par ses actions souterraines et parfois même visibles. Il a tenté même d’étendre ses tentacules vénéneux en Mauritanie, au Mali et en Guinée. Si Blaise Compaoré n’est pas attrait devant les tribunaux et jugé pour les monstruosités qu’il a commises, les droits de l’homme n’auraient plus de sens. Il a possédé à la fois les attributs maléfiques du « Simbong », sa face nocturne et les idées monstrueuses de l’Etat moderne apprises ou entendues vaguement. Il a symbolisé la face la plus sombre de la nécropolitique ; ici il n’est plus question de tuer pour le pouvoir, cette étape macabre est dépassée. C’est le pouvoir en tant que force maléfique  qui provoque la mort pour cette  race d’hommes. Il faudra scruter objectivement l’imaginaire politique africain pour comprendre ce type de tueurs qui sont informés par des images lointaines de sacrifices, d’immolation et de « cannibalisme ». Certes en nécropolitique les hommes sont cannibalisés ; leur chair et leur âme fondues en la personne même du chef qui s’élève par cet acte symbolique au statut de « divinité » tutélaire. Peu d’intellectuels s’intéressent à ce côté caché  des choses qui peut expliquer notre quotidien. Ils pensent que ces phénomènes relèvent d’un sous-monde indigne de la raison. Erreur ! La littérature et les sciences sociales peuvent capturer ces phénomènes par un exercice rationnel. Il n’ya qu’à passer par les pratiques discursives endogènes dont la fonction essentielle est rendre légitime la nécropolitique par le truchement de l’oralité.

Comment évoquer le terrible cas de Blaise Compaoré sans parler de la France ? Pour rappel, le très effrayant François Mitterrand ne portait pas Thomas Sankara dans son cœur. C’est le moins que l’on puisse dire. La France de Mitterrand et la Côte-d’Ivoire d’Houphouët Boigny ont été les premiers à adouber Blaise Compaoré qui vient d’assassiner son frère et ami Thomas Sankara. Aujourd’hui on comprend aisément son exfiltration chez Alassane Ouattara, le disciple d’Houphouët qu’il a soutenu face à Laurent Gbagbo. Il y a lieu pour l’élite africaine de réfléchir et imaginer des formes « géniales » de pressions pacifiques sur les envahisseurs et inventer des moyens de faire payer très cher à ces derniers  leurs interventions en Afrique. Blaise Compaoré est l’un des derniers timoniers en Afrique, il en reste quelques-uns.
Le journaliste Burkinabé Norbert Zongo et sa famille l’ont appris à leurs dépens. La manière dont ce « révélateur de vérités » a été assassiné sous Blaise Compaoré nous révèle que dans certains régimes politiques il y a quelque chose qui est en œuvre et qui échappe à l’humanité. Brûlé vif avec trois de ses compagnons, on retrouva ses restes calcinées dans son véhicule sous les regards interloqués des passants. Pendant cinq longues années, il fut interdit à la mère de Norbert d’aller fleurir la tombe de son fils. Regardez si possible le poignant documentaire «  BOLI BANA » qui  lui a été consacré ; vous aurez une idée claire de l’homme Blaise Compaoré.  A l’époque son frère François Compaoré était indexé. Aujourd’hui les manifestants qui ont saccagé sa maison ont découvert des choses innommables qui méritent que l’on ouvre une enquête. Il est temps  que d’autres pistes soient explorées pour comprendre le formidable et terrifiant phénomène du pouvoir. Blaise n’était pas un personnage risible  mais il n’a pas manqué dans son entourage des situations cocasses dignes du « Pleurer-rire », de l’écrivain congolais Henri Lopes ! Il ya des scènes dans ce roman que l’on retrouve en Gambie, au Cameroun, en Ouganda et au Congo Brazza « Bwakamabé Na Sakadé » le personnage principal est ce dictateur loufoque qu’on retrouve un peu partout. C’est dire  que la réalité peut dépasser la fiction.

Au Burkina l’armée est très politisée. C’est une troupe de politiciens en armes ! Il n’est pas étonnant aujourd’hui que des Honoré Traoré et Isaac Zida montent au créneau. Et comment un lieutenant-colonel comme Zida peut-il se sentir plus fort (et sûr de lui) que le général Traoré ? Il faut dire que dans ce type de régime, le dictateur privilégie la sécurité en négligeant la défense. Il investit davantage dans la police et la garde présidentielle ou quelques fois dans un corps particulier de l’Armée au détriment d’une grande armée équipée, bien formée et aguerrie. C’est ainsi que les autres corps de l’armée ont peur de la garde présidentielle qui dans des républiques normales n’est pas un corps à part entière mais appartient à l’armée en général. Il ya beaucoup de réformes à faire dans ce pays pour dépolitiser l’armée et la ramener dans les casernes. La classe politique et l’élite du pays devront  être plus sérieuses. Il ne sert à rien d’aller envahir la Télévision Nationale avec quelques partisans pour « doubler » les autres civiles. On n’est pas encore sorti de l’auberge. Si la refondation tarde à venir il faudrait accélérer son heure.

 Il n’ya pas plus mortelles que des idées vagues et mal assimilées. C’est le lot souvent des hommes à la réputation surfaite qui ont vécu dans un environnement savant ou qui ont fréquenté chez des intellectuels. Des hommes qui n’ont pas lu mais qui ont entendu des gens qui ont lu. Blaise Compaoré est un homme intelligent qui n’a certainement rien lu de significatif contrairement à Thomas Sankara dont les lectures principales étaient la Bible, le Coran et Marx. Cette formation a certainement permis à ce dernier d’avoir une conscience de classe, de savoir d’où il vient et servir ce « peuple » qu’il a tenté de sortir de l’analphabétisme, la ruralité et la pauvreté avec des résultats probants à tel point que lorsque Blaise Compaoré a fait ce qu’il a fait, il n’a pas osé parler de fin de la révolution mais plutôt d’un programme de rectification de la révolution. A ce propos la question  légitime  est la suivante : « Où est passée la croissance à deux chiffres du Burkina sous blaise ? Dans quelle direction est allée cette émergence du Burkina que la communauté internationale nous chantait à tue-tête ? » Noam Chomsky, l’intellectuel américain, a certainement raison de dire qu’on ne sait rien à l’Economie en fin de compte. Les hommes ne réfléchissent pas suffisamment à la question du bonheur qui est plus essentiel que tous ces agrégats macro-économiques dont on nous rebat les oreilles à longueur de jours. Thomas Sankara n’était pas un saint, il a péché par naïveté et commis des erreurs mais il n’a tué personne et n’a pas volé un seul sou de l’Etat. Il est mort pauvre et endetté.

Les Blaise Compaoré et autres satrapies postcoloniales sont à mille coudées en deçà des préoccupations d’un Richelieu, Bismarck, Samory Touré, Kankan Moussa, Askia Mouhamed  ou Sony Ali Ber. Mais en toutes choses il faut commencer par le commencement, au risque d’être rébarbatif. Pour la Haute-Volta ancien nom du Burkina- Faso, les choses semblent avoir commencé en 1959 avec Maurice Yaméogo, le premier président de la république. Mais comme beaucoup de pays africains, ce fut le début d’une fin malheureuse. Cet homme affable au visage rond et à la moustache posée sur une bouche souriante mais néanmoins instable et très autoritaire a été emporté par une révolte populaire le 03 janvier 1966. Il se résigna à remettre le pouvoir à son chef d’état major,  le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana. L’historien Joseph Ki Zerbo et sa femme Jacqueline ont joué un rôle important dans le soulèvement populaire qui a emporté Yaméogo.  A son tour il sera renversé plus tard, en 1980, par le colonel Some Yorian qui remit le pouvoir à un autre, le  colonel Saye Zerbo jusqu’à ce que ce dernier soit renversé par le médecin-commandant  Jean Baptiste Ouedraogo en 1982. Ce dernier commis l’erreur d’embastiller le capitaine Thomas Sankara avec qui il a eu maille à partir. Sankara était déjà populaire dans l’armée et comptait parmi ses amis un certain Blaise Compaoré qui dirigeait le camp des para-commandos de Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale. C’est de là qu’est parti le mouvement qui va libérer Sankara et renverser Jean Baptiste Ouedraogo la nuit du 03 au 04 Août 1983. Le lendemain le monde découvrit ce groupe de jeunes officiers très frais qui arboraient de beaux uniformes. Les noms les plus connus furent Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo et Boukary Lingani. Plus tard Blaise les fera tuer tous les trois. Il y avait aussi Pierre Ouedraogo le patron des CDR (Comités de défense de la révolution) et le pharmacien-commandant Abdessalam Kaboré. Tous des officiers de l’armée. Ils enclenchèrent une réforme politique et sociale sans précédent qui provoqua l’admiration de toute la jeunesse africaine. Mais le 15 Octobre 1987, personne ne comprit, un coup d’Etat emporta toute cette équipe qui a donné l’espoir à toute l’Afrique. Pour la première fois le Burkina connu un coup d’Etat sanglant. « Le lion de Boulkiemdé » Boukary Kaboré qui dirigeait le camp de Koudougou, entra dans une « rébellion » dont la suite est connue. Les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent imaginer le traumatisme provoqué par la mort de Sankara dans la jeunesse africaine. Beaucoup de chefs d’Etat africains n’aimaient pas Sankara et son mode de gestion populaire du pouvoir. Le capitaine Jerry John Rawlings du Ghana est l’un des rares à décréter un deuil national. Et c’est le début d’une ignoble entreprise de désankarisation faussement habillée de rectification révolutionnaire, en vérité une dictature sanglante, maquillée par des chiffres économiques invérifiables dans la vie du Burkinabé moyen. Voici racontée en quelques mots la petite histoire de Blaise Compaoré pleine de « Bruit et de Fureur et qui ne signifie rien. » Les Burkinabés ont toujours été des hommes intègres. Ils ont renversé à deux reprises leur chef d’Etat par un soulèvement populaire. Que toute la classe politique et l’armée nationale du Burkina-Faso se le tiennent pour dit !  « Nan Laara an Saara, lorsqu’on est couché on est mort » rappelait souvent le grand Joseph Ki Zerbo. Le peuple Burkinabé est aujourd’hui en marche !
Khalifa Touré
776151166