« Le breuvage que
nous préparons pour l’éléphant ne saurait être versé dans le gosier d’une fourmi.»
Imam Hassan Al Basri.
Fondé en 1883(1884 ?) par Cheikh Bou Mouhamed fils de Cheikh
Bou Nahama Kounta, Ndiassane qui
se trouve à quelques encablures de Tivaouane, est une localité qui frappe
l’esprit des visiteurs par la distance, le retrait et la modestie sociale
qui caractérisent les âmes qui hantent
ce haut lieu de la Qadiriya. Les Kounta sont une illustre et très ancienne
lignée de saints-mystiques-musulmans qui descendant de Okba Ben Nafi’i Al Moustadjaab qui lui-même remonterait à l’ancêtre du
Prophète Muhammad (PSL), le fameux Quraich
Ibn Malick communément appelé Fihr, dont
la famille
du Prophète Mouhamed (PSL) porte le nom.
Okba qui a jusqu’à nos jours des
homonymes à Ndiassane est bien cet illustre compagnon du Prophète(PSl) qui reçu
l’ordre d’Oumar Ibn Al Khatab
d’explorer l’Afrique à l’époque où Amr
Ibn Aas était gouverneur d’Egypte. Il entra par la Tunisie actuelle et
« fonda »la fameuse mosquée de Kairouan,
mondialement connue. Ses explorations l’aurait mené jusqu’aux confins du Fleuve
Sénégal. En tous les cas il a traversé tout le Sahara pour ensuite remonter
vers le Nord. Selon Cheikh Sidy Mouhamed Al Kounti fils de Cheikh Sidy Moctar El Kébir, Okba Ben Nafi’i est mort martyr,
assassiné du haut de son Minbar, lorsqu’il prononçait son Qutba un jour de
vendredi. Somme toute, la tribu des
Kounta est à la fois une lignée familiale et une chaine de transmission
mystique qui est en l’occurrence l’objet d’un étrange « Tawassoul »
élaboré par un disciple en danger qui chante le nom de Dieu à travers
les œuvres des illustres Kounti comme Cheikh Sidi Moctar El Kébir, Cheikh Sidy
Yahia le grand, Cheikh Sidy Oumar Cheikh, Cheikh Sidy Mouhamed Khalifa et le
fameux Cheikh Ahmad El Bekkaye de Oualata.
La généalogie est certes une re-construction mais de nombreux travaux dont ceux de Thomas Edward Whitcomb et G. Salvy reviennent sur les origines
lointaines des Kounta avec une approche scientifique. Si vous lisez le livre de
la célèbre Maryse Condé consacré à Tombouctou vous
aurez une idée de ce que représente les Kounta dans lequel l’un des plus
illustres Kounta Cheikh Ahmad El Bekkaye
le grand est évoqué. Il repose à Oualata, à la lisière du Mali, de
l’Algérie et de la Mauritanie. Quant à Cheikh Sidi Moctar Al Kounti
(1730-1811) le plus grand maitre
mystique des Kounta, grand propagateur de l’Islam, vénéré par tous les
saints dont Cheikh Ahmadou Bamba et le grand Cheikh Sidiya de Boutilimit,
il repose à Bou L’Anwar ; l’un de ses éclats mystiques et non le moindre
est Sidi
Mohamed Khalifa Al Kébir dont la dernière demeure est localisée en
Mauritanie. C’est donc dire que les Kounta ont essaimé en Mauritanie au Maroc,
au Niger, au Mali et aujourd’hui au
Sénégal. Ils sont les principaux
artisans de l’expansion musulmane au Sahara entre le 11ème et le 16ème siècle. De sérieux
travaux universitaires en attestent. C’est l’une des lignées musulmanes les
plus présentes dans la littérature scientifique et les thèses universitaires.
Je vous renvoie à celle de Fatima
Bibed : « Les Kuntas à
travers quelques extraits de l’ouvrage Al-Tara’if Wa tala’ id de 1756 à1826 »
soutenue à l’Université d’Aix Marseille en 1997.
Mais les Kounta ou Ahlou Kounti n’ont pas toujours été des qadr,
ils ont été ce qu’ils sont, c'est-à-dire une dynastie religieuse à tendance
mystique et expansionniste musulmane, avant que l’un de leurs illustres ancêtres
n’adhère à la Qadiriya qui est la
première confrérie mystique musulmane recensée, elle remonte au 13ème
siècle. Même le patronyme Kounta n’a été vulgarisé véritablement qu’entre le 16ème
et le 18ème siècle. Le
premier à porter le patronyme Kounta est Cheikh Sidy Mouhamed fils de Sidy Aly
et père du fameux Ahmad Al Bekkaye de Oualata (16ème Siècle). La Qadiriya compte aujourd’hui 29 branches
à travers l’Inde, la Turquie, l’Albanie, la Syrie, l’Egypte, la Mauritanie, le Mali, le Sénégal etc.
C’est ainsi que vivent les preux chevaliers du Tassaouf qui passent d’expériences en expériences en quête
d’accomplissement mystique. Beaucoup de saints mystiques apparentés aujourd’hui
au Tidianisme ou à la Qadiriya ont connu d’autres expériences dans la
Khalwatiya, la Chazaliya la Naqchabandiya, la Dabaaqhiya, la Mouriidiya du
Caucase, la Mawlawiya ou bien d’autres confréries. C’est le cas du grand pôle mystique
Cheikh Ahmed Tidiane Chérif Al Fatimiya qui
a connu la Khalwatiya. L’illustre Cheikh
Saadoul Abihi qui appartient à la branche Faadaliya de la Qadiriya (du nom
de son père Cheikh Mouhamed Fadel) offrait
généreusement le Wird Qadr, Tidiane et Chaazalite.
En effet c’est Cheikh
Sidi Oumar Cheikh Al Kounti fils de Ahmad El Bekkaye de
Oualata qui se fit disciple pendant 30 ans du grand Cheikh Mouhamed Ibn Abdoul Karim Al Maghiily et reçu de lui les
clefs de la Qadiriya, c’était au 16ème siècle. Retenons que c’est le
même Al Maghiily venu d’Irak qui a introduit la Qadiriya en Afrique. C’est
ainsi que se développa deux branches Kounti de la Qadiriya : la Qadiriya Bekkaiya du nom de Ahmad El Bekkaye de Oualata et la Qadiriya
Mukhtariya, du nom de Cheikh Sidi Moctar El Kébir. Il ya aussi la Qadiriya Seydiya de l’immense Cheikh Sidiya Baba de Boutilimit en Mauritanie qui appartient à une autre lignée. La
fameux et très étrange Cheikh Yaaqoub
ould Baba appartient à cette branche lumineuse.
Quant à Cheikh Bou
Nahama, il reçu l’ordre de son maitre, Cheikh Sidi Mokhtar de venir
s’installer dans le monde noir. C’est à partir de Bou Nahama qui a épousé une
femme noire d’où est issu Cheikh Bou Mouhamed, que les Kounta (du Sénégal) se
sont métissés et ont commencé à se « négrifier ». Les localités de
Guyy Yett, Sancc Buuna, Ndeer et Ndiassane sont tous des excroissances de Ndanq
Kajoor fondé par Cheikh Bou Nahama en 1800 à l’époque du Dammel Birima Fatma
Thioub. Cheikh Bou Mouhamed Kounta ne
verra jamais son illustre père décédé avant sa naissance en 1843. Il a grandit
auprès de ses grands frères avant de se déplacer vers les terres de Ndiassane qu’il
fonda en 1883 et qu’il ne quitta jamais jusqu’à son rappel à Dieu le 13 Juillet
1913. Cela explique peut-être en partie l’enclavement non pas géographique de
la localité, parce que Ndiassane est presque sur la route nationale, mais un
enclavement qui pendant longtemps reposait sur la méfiance et une volonté de
préserver un héritage et éviter de se mêler des choses de ce bas monde.
Pourtant, fait paradoxal, Cheikh Bou Mouhamed
Kounta entretenait des relations épistolaires avec Paul Marty. Il a même accepté
d’envoyer l’un de ses illustres fils Sidy
Moukhtar Kounta à la première guerre mondiale qui revint saint et
sauf. La plupart de ses enfants ont
essaimé à travers le Sénégal. Son premier successeur Cheikh Al Bekkaye, le père de Abdou Bekkaye et Bou Bekkaye a
conduit brillamment les affaires jusqu’en 1929. Quant à Cheikh Sidy Lamine Kounta, il ne résidait pas à Ndiassane avant son
accession au Califat. Il a eu un long et très étonnant magistère qui dura de
1929 à 1973. Cette fameuse bâtisse qui surplombe Ndiassane est l’œuvre de cet homme
austère et mystérieux. Comme son père Cheikh Bou, il possédait beaucoup de
biens mais n’en jouissait pas. Presque toujours habillé de la même manière il
n’hésitait pas en plein chant religieux de venir retirer le bâton des mains du
joueur de « Tabala » qui s’emballait trop. Autant dire qu’il serait
étonné de la tournure musicale et endiablée que prend aujourd’hui le
« Tabala » qui, à l’origine accompagnait cet oratorio mystique
caractérisque de certains ordres mystiques comme la Maoulawiya de Djalal Ad-diin Rumi, qui inspire depuis toujours les Derviche tourneurs mondialement
connus.
Cette austérité, ce refus de se mêler des affaires de ce monde vient en
partie de Baye Sidi Lamine comme on l’appelle affectueusement. Il n’a accepté
de recevoir le Président Senghor qu’une seule fois. A Ndiassane c’est la loi
coutumière et islamique qui était en cours au temps de Baye Sidy. La
gendarmerie n’intervenait jamais. Les conflits étaient arbitrés à l’ombre du
Cheikh. A l’image du fondateur, les habitants de Ndiassane voyageaient rarement.
Au contraire la plupart des disciples ont rallié Ndiassane en émigrant du Mali,
de la Haute-Volta, de la Guinée Bissau et de la Gambie. Pourtant Cheikh Bou
Kounta n’a presque jamais quitté Ndiassane. A part Baye Mamadou Kounta (3ème Calife et père du guide actuel,
El Hadji Mame Bou) et Cheikh
Abdourakhmane Kounta (grand dépositaire de secrets mystiques) qui vivaient à Ndiassane, Cheikh Sidi Yahia le
pieux, vivait à Latmengué dans le Saloum
avant d’accéder à la charge califale. Un homme affable, d’une grande modestie
pour ceux qui l’ont connu. Il a quitté ce bas monde en laissant derrière lui,
l’image d’un saint caché parmi ses semblables. Son successeur et fils cadet de
son père Baye Bou Kounta, le Hafiz
dépositaire du coran vivait à Tiaryak au Saloum. Bou Nahama était à Sédhiou et Cheikh
Sidy Aly Kounta, le père de Mohiédine
Ahmed Bachir Kounta est décédé en Gambie. L’une de ses filles Sokhna Mariam Kounta était l’épouse de
Serigne Babacar Sy. La bâtisse qu’elle habitait à Tivaouane est toujours
dénommée Ndiassane. Ayant vécue longtemps, cette dame au teint très clair et à
la face lumineuse avait fréquemment les yeux rivés sur le livre saint qu’elle
lisait toujours. Mais la plus inoubliable de ses filles reste Sokhna Lalla Aicha Bou, réputée pour
son austérité et ses connaissances gnostiques.
Pour solde de tout compte, on peut dire que l’histoire des
Kounta reste interminable même si comme toutes les confréries aujourd’hui elle
est confrontée à de grands défis dont le principal est le « Tadjdid »( renouvellement) . Cet homme
providentiel, ce messie disons-le, ce
Moudjtahid (réformateur) qui sera à la fois un cheikh Mourabbi (éducateur) et un
pâtre qui conduit le troupeau. Nous
ne pensons pas que les Dahira et autres associations peuvent tenir ce rôle.
Mais en attendant l’arrivée de cet « être
providentiel » les actions de ces organisations restent utiles dans un
monde moderne qui construit des théories douteuses sur « le leadership de
groupe » fondées sur les carences du monde contemporain et les incapacités
de l’homme moderne. Djalal Ad-din Souyouti a dit dans son fameux « Massalik Al Khounafa fi Waalideyhi Al Mustapha », que même
dans les heures les plus sombres de l’humanité, il y aura au moins sept
personnes qui dirigeront de part et d’autres les affaires de l’humanité et donneront à Dieu
les raisons de garder ce monde vivant. Jusqu’à la preuve du contraire
Souyouti a raison. Le leadership n’est-il
pas spirituel ?
Khalifa Touré
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