« Ce siècle,
jamais nous ne saurons le vouloir : C’est une ère de puissants puisant
leurs semelles des cœurs. Vraiment un souffle au second horizon des prières
d’enfer » Ibrahima Sall, Le Poète
Me Abdoulaye Wade est un personnage fascinant, c'est-à-dire admirablement effrayant. Il
est comme ces créatures qui sortent de la nuit et qui nous tétanisent par leurs
formes étranges. Nous les regardons fixement, les yeux presque révulsés par
quelque chose qui se trouve entre la frayeur et l’admiration passive. Cet état
paradoxal existe malheureusement chez certains de nos compatriotes malgré
l’indignation collective suscitée par ses propos inqualifiables. C’est la
tentation du pire, l’expression est de Florian
Zeller. Abdoulaye Wade peut tromper ; il ne le cherche pas toujours
comme on a souvent tendance à le croire. Personne ne possède un contrôle total
de soi. Cela ne veut nullement dire qu’il n’est pas maître de ses actes et
paroles. C’est un homme qui cherche éperdument et même de façon morbide
l’habileté politique. Il la cherche tellement qu’il perd finalement
l’haleine ; le souffle court, il devient maladroit. C’est la maladresse des habiles. L’expression est de François Mauriac, nous l’avons déjà
écrit à propos de son ex-fils putatif, Idrissa
Seck, avec qui il partage certains éléments de profilage. Nous disions en substance, qu’il est des
hommes qui cherchent tellement l’adresse et la dextérité qu’ils en deviennent
gauches, veules et maladroits. Tout le temps ils sont à l’affût de la posture mécaniquement hiératique qui
devient fausse à la longue. Ils cherchent douloureusement l’intelligence à tout
moment. Une attitude excessive, superflue et inutile. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » a dit Talleyrand le diable boiteux. Ils ont fini par installer la culture
politique de l’habileté chez les jeunes, dans la presse et même auprès des analystes. Alors, c’est
« l’écume de jours » de la politique qui est récoltée, consommée, discutée
et analysée ; la profondeur des choses est ainsi ignorée. « Les vaines agitations de la surface ne
doivent pas nous tromper sur le calme mortuaire qui est notre lot » a dit Jean
Paul Sartre, le philosophe-borgne. Peut-être qu’il ne voyait que d’un seul
œil, mais à ce propos il a vu clair. Nous ne sommes pas condamnés à ne regarder
que la direction indiquée par les personnages publics. Même avec un seul œil
nous nous devons un regard oblique et nietzschéen sur la politique. Abdoulaye
Wade est il le génie politique que l’on pense, le malin qui cherche à pousser
Macky Sall à la faute ? Oh que non ! Le génie politique n’existe que
dans la bouche de ceux qui le disent. Nous avons déjà écrit et le pensons toujours « Les génies militaires
n’existent pas, selon Léon Tolstoï,
comme il n’existe pas de génies politiques. Ni le général De Gaule, ni Jules
César, pas plus que Napoléon ne furent des génies politiques, en tout cas dans
le sens de l’auteur de « GUERRE ET PAIX » qui écrit
la chose suivante: « Dans les
événements historiques, les prétendus grands hommes ne sont que des étiquettes
qui donnent leur nom à l’événement et qui, de même que les étiquettes ont le
moins de rapport avec cet événement.»Encore qu’Abdoulaye Wade est loin d’être
un grand homme. Mais il ne manque pas de talent. Des compatriotes seraient
tentés de lui trouver des excuses et même de l’admirer pour ce qu’il fait de
l’instrument politique. Ils pensent à tort que la politique est un jeu. Quand est-ce
que la politique est-elle un jeu ? C’est plutôt une guerre mortelle.
Abdoulaye Wade qui a l’injure boueuse à la bouche ne me fait pas du tout rire.
Allez dire aux nombreuses familles sénégalaises qui ont perdu des proches dans
les combats politiques ou définitivement traumatisées par les sacrifices et
privations, que la politique est un jeu ! On dirait que dans ce pays la
lutte politique a commencé avec Abdoulaye Wade. C’est peut-être un choix.
Pauvre Sénégal ! On dirait qu’il n’ya pas eu Tidiane Baydy Ly ou Mamadou
Dia. Mais un peuple est libre de choisir entre la bonne graine et l’ivraie.
Ah ! s’il était possible de
dissoudre le peuple (dans la vérité).
Nos hommes politiques qui jouent au génie et y entraînent tout le monde doivent avoir à l’esprit que tous les grands stratèges ont été
battus (Napoléon, Hitler…). La leçon
à tirer ici n’est pas évidente. Elle procède peut-être de la mystique : Face aux contingences humaines c’est
l’Esprit qui gouverne le monde. Même un Bill Clinton qui est loin d’être un grand, l’a compris lorsqu’il
disait à propos de la politique de l’Amérique : « Notre marche se déroule en dehors du temps. » Il ya peu d’hommes politiques qui
cherchent l’intemporalité. Notre Abdoulaye Wade n’échappe pas à la règle. Mais
le paradoxe est que Me Wade est drapé d’un trait de caractère rare : il a le complexe de l’éternité. Il veut
s’éterniser, incarner et même se réincarner en tout. C’est la raison pour
laquelle ses relations avec son fils et ses conséquences désastreuses qui
frisent la morbidité sont d’une complexité qui échappe évidemment à la
banalité. Ceux qui disent que n’importe quel père normal aurait réagi comme Wade sont passés à côté
de la chose. Combien de
« grands » hommes ont ignoré leurs enfants pour une cause supérieure.
Ils ne sont grands que parce que leur vertu était à l’abri de tout comportement
veule et indigne d’un homme dont la vocation est de faire l’histoire. Nos
hommes politiques qui sont un tant soi peu informés, n’ignorent pas que même Joseph Staline, dont on dit aujourd’hui qu’il a commis des crimes
de masse, a refusé d’échanger contre son propre fils, le maréchal allemand Von Paulus qu’il avait retenu prisonnier
lors de la campagne de Russie. Quant à Abraham Lincoln, il a accepté que son unique fils vivant s’enrôle
dans l’armée, en période de guerre de sécession, alors qu’il vient de perdre un garçon. Sa
famille a failli éclater. Plus proche de nous El Hadji Malick Sy et Cheikh
Bou Kounta n’ont-ils pas désigné chacun son fils à la place des talibés
pour aller guerroyer en Europe ? Sidi
Ahmed Sy n’est pas revenu de la campagne de Grèce, quant Cheikh Sidi Makhtar Kounta, il est
rentré saint et sauf. Mais j’avais oublié qu’au Sénégal la politique n’a rien à voir avec ces
références religieuses. Elles sont trop lointaines et même pas du tout opérationnelles
dans la mécanique politique. Au Sénégal la morale politique ne fonctionne pas à
l’eschatologie. Les choses politiques se passent seulement ici-bas. Tous les
politiciens vous diront « Politik
adduna la yem ». Cette forme
d’athéisme des valeurs qui frappe la quasi-majorité des politiciens est la
source du problème. Il nous manque des saints-laïcs-martyrs dans notre
culture politique immédiate. Notre imaginaire est peuplé de héros de faible densité.
Quant à
Abdoulaye il n’a pas franchi le Rubicon (pour ceux qui connaissent l’histoire
de l’expression), il faut être un preux-vertueux pour le faire. Il a gravement
touché des points sensibles pour tout le monde et surtout pour tous ceux qui se
targuent d’avoir du sang royal dans ce pays. Faisons attention à la généalogie
qui est la science la plus gênante. A force de creuser dans n’importe quelle
généalogie on trouvera des énormités innommables. Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum n’a-t-il pas sagement dit qu’ « ils sont nombreux à dire « mon ancêtre,
mon ancêtre » alors que cet ancêtre était un brigand. » Le passé
est souvent construit sur du fumier qui sent évidemment mauvais. « Nous sommes tous des tarés » a dit le célèbre généticien français Albert Jacquard. On peut porter à la
fois des gènes de longévité et autres gènes
innommables. Au moment où Abdoulaye
se gargarise d’une supériorité lignagère,
un jeune nommé Thomas Piketty né en
1971, fait fureur dans le monde pour avoir écrit le livre qui met à terre les inégalités. Oh ! j’avais
oublié qu’au Sénégal les inégalités ne gênent pas, surtout parmi les élites.
Décidément la sagesse n’est pas là où on la cherche. Un homme de 44 ans peut être
plus sage qu’un vieillard de 89 ans. Je préfère une bonne bibliothèque à
certains vieillards.
Une société dont la machine à fabriquer le Bien tombe en panne est une
société malade. Le Bien est une question de transcendance mais aussi
un problème de possibilité sociale. Pour beaucoup de citoyens les logiques de
survie auxquelles ils sont confrontés depuis les années d’ajustement structurel,
diminuent les capacités de choix d’ordre moral et poussent à des solutions et
opinions à la limite de l’honnêteté. Je pense aussi qu’il ya au Sénégal un problème de consensus moral. Depuis des années nous
avons du mal à s’accorder sur ce qui est bien et ce qui est mauvais .Dans
cette « culture » ambiante quoi de plus normal qu’il existe un homme
comme Abdoulaye Wade. Que Dieu
bénisse le Sénégal !
Khalifa Touré
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