jeudi 26 mars 2015

Mais qu’est-ce qu’il ya de Karim Wade dans l’élite sénégalaise ?


« Si les empires, les grades, les places ne s’obtenaient par la corruption, si les honneurs purs n’étaient achetés qu’au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés » William Shakespeare, Le marchand de Venise

L’épisode Karim Wade/Macky Sall  est, à bien des égards, l’un des actes qui met en scène des acteurs principaux et  des figurants. Comme au théâtre de l’ombre il trouve son sens dans l’arrière-plan du  visible des gesticulations, dialogues, monologues et même soliloques des êtres qui s’offrent de façon ostentatoire à notre regard avide non pas de vérité, mais fatigué par ce voyeurisme presque pervers qui caractérise le point de vue de l’homme contemporain. L’homme contemporain désire non pas la vérité, mais l’apparition de quelque chose de grandiose et d’excitant. Il est comme dans une attitude « priapique ». Tout le secret de l’attente du verdict du procès Karim Wade est là. L’on est tenté de croire qu’il attend quelque chose de grand comme la vérité ou « fort comme la mort » pour parler comme Gustave Flaubert. Mais non ! Quand le voyeurisme des spectateurs se marie au voyez-moi des acteurs, tout le décor est planté. La politique est une mise en scène, c’est une représentation des idées, sentiments, ressentiments, fausses amours, haines passagères… Mais attention ! elle est surtout une guerre dont le théâtre des  opérations est le peuple. Oui ! le peuple est le corps même du politique. Le « peuple », cette notion mise de plus en plus entre guillemets et même récusée par des sciences sociales, comme la sociologie et la science politique, disciplines infectées par l’idéologie libérale qui dénie au concept son caractère scientifique. Les disciplines scientifiques ont tendance au nihilisme lorsqu’une notion leur est inaccessible, lorsque la méthodologie qu’elles ont élaborée est insuffisante. Qu’est ce qu’il ya après le peuple ? Rien ! du moins en démocratie. Lorsque le peuple disparaitra il n’y aura plus de démocratie et la démocratie suppose l’égalité, toutes les formes d’égalité : L’égalité des chances, l’égalité démocratique, l’égalité de considération, l’égalité de liberté de conscience, l’égalité de participation, pour reprendre les notions de John Rawls

Et nos deux bonhommes Macky Sall et Karim Wade posent, « jouent » et mettent tellement en scène la problématique de l’égalité et son contraire(les inégalités) qu’un écrivain respecté, peut-être un peu trop, comme Boubacar Boris Diop en perd son Latin. Oh ! je devrais dire son français. Que dis-je ? Son ouolof, puisque depuis « Doomi Golo », on peut s’écrier, « Oui il l’a fait ! Il a écrit en langue africaine. » Puisque l’auteur en question, Boubacar Boris, a une voix, peut-être qu’un jour il sera cette voix haute qu’il n’est pas encore. Il est militant mais aussi et surtout il sait communiquer. Il connait le moment idéal. Les interviews des écrivains font partie intégrante de leur œuvre. Mais son équilibrisme intellectualiste qui met presque dos à dos Macky Sall et le couple Wade/Karim est inopérant et sujet à caution. C’est la maladresse des intellectuels. Ils ont l’obsession de la neutralité, la fièvre du juste milieu au point d’oublier que la géométrie est variable et que le juste milieu est mouvant. Dans cette affaire on perd facilement la boussole, on ne sait plus ou se trouve le Nord. « Si dans la poursuite de votre destination vous foncez tout droit sans vous souciez des obstacles, vous n’arriverez à rien sauf à finir dans un ravin. A quoi ça sert de savoir où est le Nord ? » disait le sage Abraham Lincoln. Tout journaliste qu’il est, il devrait savoir que la presse  ne retiendrait que sa formule « Ce qui me gêne dans la traque des biens mal acquis… »  Tous les journaux en ligne ont retenu ce syntagme incomplet pour en faire le titre d’un extrait d’une longue interview accordée au journal « Le populaire ». Les autres « formules » ont été reléguées au second plan : « Les sénégalais n’ont quand même pas la mémoire courte, et tout le monde se souvient du temps où Karim Wade, sans talent particulier, par la seule volonté de son père, était l’homme le plus puissant du pays, il est donc essentiel qu’il rende compte de sa gestion des deniers publics et cela doit se faire au terme d’un procès juste et équitable »

En vérité cette longue et ténébreuse affaire qui n’est qu’un exercice de reddition des comptes et  abusivement appelée « traque des biens mal acquis » gêne beaucoup ! Elle gêne affreusement ! Elle gêne au point de provoquer une certaine peur panique dans toute l’élite sénégalaise ; cette classe dirigeante politico-affairiste qui depuis la période d’avant « les indépendances » s’est arrogée le pouvoir de décision en toutes choses concernant la vie des sénégalais. Le procès de Karim Wade c’est aussi le procès de l’Etat du Sénégal. Si les motivations du verdict prononcé par la CREI sont justes (et on ne saurait en disconvenir), quel type d’Etat a permis une forfaiture aussi énorme ? Quels anciens types de sénégalais ont fermé les yeux, favorisé, accompagné ou participé à cette ténébreuse affaire ? Les faits incriminés ne peuvent avoir lieu qu’à des périodes de torpeur, de sommeil, d’effacement et même de dissolution de certains mécanismes de contrôle de l’Etat. Au Sénégal l’Etat est l’un des machins les moins discutés ? Les élèves de terminal sont les seuls à sauver l’honneur. Depuis toujours, ils en dissertent maladroitement du haut de leur petite taille d’apprenti-philosophe. Que Dieu les bénisse ! Peut-être qu’un jour ils engageront courageusement les réformes qu’il faut. Ils s’érigeront en pôle-leadership pour voler au secours du Navire-Sénégal. La vérité est que nous avons construit un Etat qui, bien avant les indépendances a pris une forme qui le rendait vulnérable face aux logiques bureaucratiques d’accaparement des biens publics, à la prédation économique et aux postures de captures légales de fonds par des entités endogènes qui se sont sanctuarisées dans le cœur de l’Etat et qui ont des relais en dehors dudit système. Cette logique n’est pour le moment ni mafieuse ni criminelle mais elle est d’autant plus dangereuse qu’elle est culturalisée, avec un rapport pervers et jouissif à l’argent et l’impunité garantie par le « Maslaa ». Comme le dit pertinemment le Juge Jean De Mayard, il n’est pas loin le jour où l’on va quantifier le Produit Criminel Brut qui plombe nos pays, l’empêche de décoller et écrase la majorité silencieuse des masses productives, ceux qui travaillent et ne gagnent presque rien. Mais d’où nous vient le maslaa ? La psychogenèse du mot peut donner la chose suivante,  qu’on a déjà écrit dans,  A quoi sert la démocratie sénégalaise ? « Les Sénégalais aiment viscéralement la liberté mais en est-il autant de l’égalité ? Il  est donc fort à parier qu’ils préfèrent la liberté à l’égalité sans pour autant être indifférent à injustice. Or l’égalité est une composante essentielle de la démocratie, on peut en déduire donc que notre démocratie est unijambiste.  A ce propos il ne serait pas inutile de s’interroger sur la morale des sénégalais pour établir une échelle des valeurs propre à l’homo-senegalensis. Au sommet de l’échelle trône indiscutablement « le maslaa », cette notion ambigüe pourtant dérivée de la jurisprudence islamique d’obédience malikite est une sorte d’ersatz, de succédané de la « maslaha », un concept religieux signifiant « l’intérêt général » complètement passée au Moulinex, socialement transformée pour donner cette chose informe et ouolofisée appelée « maslaa » et qui n’est rien d’autre que du réalisme parfois amoral mais dans bien des cas « opportuniste ». Voilà paradoxalement l’une des origines obscures de la préférence des sénégalais pour la liberté au détriment de l’égalité. Sinon comment peut-on comprendre que ce « succès démocratique » cohabite non  seulement avec des pratiques inégalitaires flagrantes, mais que l’on tolère, accepte et même intègre dans le système politique? » Mais en vérité c’est l’élite sénégalaise postcoloniale héritière de vieilles pratiques jacobines et bourgeoises qui a semé, cultivé et entretenu cette culture d’accaparement. Il n’est donc pas étonnant que cette même élite qui est dans des logiques féodales ne se soit jamais offusquée de l’omniprésence de Karim Wade fils d’Abdoulaye Wade. On ne fait pas suffisamment remarquer que cet attelage quasi-incestueux dans notre système politique, renvoyait pour beaucoup de prédateurs, l’image d’un futur « moderne et  très concret ». Les pseudo-cracs qui entouraient Karim (et qui l’ont lâché) ont tenté, peut-être inconsciemment d’élaborer un discours de légitimation fondé sur la « modernité ». Ils ont voulu vendre aux sénégalais une modernité clinquante, en béton armée, exprimée exclusivement dans un français grasseyé, une réputation surfaite de banquier et même un esthétisme chromatique. L’histoire de Karim Wade est l’échec d’une conception erronée et superficielle de la modernité. Ecoutez ces jeunes filles qui disent à propos de Karim « Ndeyssaan, il est tellement beau ! » Auparavant nous avions écrit dans, Le syndrome Mouhamed Ndao Tyson : «La génération « Bul Faale » comme « la génération du concret » ont tous les deux une maladie congénitale : La faiblesse et le défaut de l’énoncé. Penser que le Bien est seulement dans le concret ou le « Bul Faalé », c’est exclure l’Abstrait et l’Esprit qui ne cesseront de gouverner ce monde. Bien malin qui peut échapper à la grammaire et à la littérature ! »

Il ya dans la démocratie des lettrés sénégalais, des personnes d’une faiblesse morale telle, qu’elles peuvent penser qu’un homme habillé en costume-cravate, arborant une montre Rolex, s’exprimant dans un français grasseyé, est forcément bardé de diplômes et compétent par-dessus tout. Cette forme d’escroquerie intellectuelle fondée sur le paraître est transversale. Il yen a chez les journalistes, les avocats, les sportifs, les cinéastes, les écrivains, les éditeurs etc. Ecoutez ces jeunes journalistes qui grasseyent tout le temps à vomir, perdant ainsi leur accent qui est leur identité, leur histoire. Ils sont victimes de l’air du temps.
 L’élite sénégalaise exerce  depuis toujours une violence épistémique sur les subalternes ; violence fondée autrefois sur le monopole du « savoir » et de l’ingénierie de la corruption ; mais aujourd’hui, il s’y ajoute l’exclusivité des moyens offerts par les nouvelles technologies. Ils sont dans des logiques de prédation et de reptation silencieuse partout où se fabriquent et se distribuent des prébendes et de la notoriété. Même les syndicats d’aujourd’hui sont à l’affût des mécanismes de redistribution inégale de la richesse nationale. Leurs revendications qui tournent souvent autour du traitement équitable des salaires n’est juste que dans le fond ; ils sont surtout attendus sur la participation à la réforme fondamentale du système.
 Au reste, n’êtes vous pas surpris qu’aujourd’hui tout le monde se mette aux langues nationales, écrivant et publiant par-ci et par-là ? Or, depuis les travaux de l’illustre Pr Cheikh Anta Diop, il ya eu peu d’écrivains et d’éditeurs qui ont osé écrire en langue africaine. Ils n’étaient pas convaincus. Le peu d’éditeurs et d’écrivains qui avaient engagé la lutte en ce domaine sont surpris de voir aujourd’hui des néo-convertis, comme par une opération du Saint Esprit, devenir de pieux pratiquants des langues africaines. Les autorités sont interpellées. Il ya des logiques de capture de fonds et de notoriété jusque dans le champ culturel ; qu’il s’agisse du Cinéma ou du livre. Le jour où des milliards seront injectés dans la production de livres en langues africaines, vous verrez des phénomènes de reptation, de cumul de fonctions et de conflits d’intérêt et de transhumance comme en politique. L’élite sénégalaise est un parti unique avec une seule idéologie : La jouissance. Si elle était hédoniste ou épicurienne ce serait même acceptable à bien des égards, mais nous avons plutôt des jouisseurs. Nous avons une élite qui, en réalité, est un parti unique politico-affairiste même pas bicéphale quand bien même composite. Elle est redoutable parce que historiquement ancrée mais elle est « déboulonnable ». J’avais peine à y croire, mais  aujourd’hui je crois avec Mouhamadou Mbodj du Forum Civil, que le président Macky Sall est seul sur le chantier des réformes. « 1 pour cent de la population s’arroge 50 pour cent du budget national » a osé dire Macky Sall. Peut-être que cette sortie est un SOS, un appel au secours qui s’adresse aux hommes vertueux doués de compétence pour la formation de nouveaux soldats de l’Etat qui vont travailler la nuit. Pour cette génération, la substance de la nuit, la matière nocturne sera le ferment des grandes décisions. De ce point de vue le philosophe El Hadji Ibrahima Sall a raison. Il a peut être lu Gaston Bachelard ; l’imagination de la matière peut être convoquée par des hommes vertueux doués de science, pour la transformation de l’ordre social. Nous touchons ici la psychologie de la réforme. Si un enseignant ne peut écrire trois phrases sans faire dix fautes, s’il n’a pas connu la terrible époque des « une faute enlève cinq points » il aura tendance à proposer la suppression de la dictée. Voilà subtilement nommée la problématique du parcours, des origines, bref de la question cruciale du rapport conscience de classe/position de classe. Beaucoup d’hommes et de femmes qui se pavanent gaiement parmi l’élite sénégalaise ont oublié que leurs parents étaient vendeurs de bananes ou de charbon de bois, ou bien ouvrier-manutentionnaire à la CSPT (Compagnie Sénégalaise des Phosphates de Taïba). Les origines sociales devraient informer les décisions et l’idéologie politique. Beaucoup qui s’enorgueillissent ou se gargarisent d’origine sociale modeste sont dans la communication et la cosmétique politique. Personne n’a le monopole du cœur, heureusement !
Une justice pénale vient de condamner Karim Wade. Qui sera le prochain ? Personne ne sait ! Mais les choses n’entreront dans l’ordre que lorsqu’on instaurera un système fondé sur la justice distributive où les avantages des uns permettront de relever le niveau de vie des autres, un système où les mécanismes de circulation des biens publics seront immunisés contre les virus des prédateurs  de tous ordres.

Khalifa Touré
776151166



vendredi 13 mars 2015

Pourquoi les grands écrivains sont-ils des mystiques ?






« La beauté est-une chose terrible et effrayante. Terrible parce que insaisissable et incompréhensible, car Dieu a peuplé ce monde d’énigmes et de mystères. La beauté ce sont les rivages de l’infini qui se rapprochent et se confondent, ce sont les contraires qui s’unissent dans la paix. Que de mystères en ce monde ! L’âme humaine est opprimée de vivre parmi tant d’énigmes indéchiffrables(…) L’âme humaine est vaste, trop vaste, je l’aurais diminué volontiers. » Dostoïevski, Les frères Karamazov.

L’intellectuel français Alexander Adler a dit lors d’une émission littéraire bien connue qu’il est résolu à croire sans hésiter que Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821-1881) est le plus grand écrivain russe puisse que l’homme à l’écriture convulsive, passait tout son temps à parler de Dieu ; et de quelle manière ! En le disant il a certainement tremblé ou même proféré un « hélas ! » intérieur comme l’avait fait André Gide à propos de Victor Hugo « le plus grand poète français », un autre grand mystique parmi les mystiques. « Stupeur et tremblement » nous habite puisque juste derrière il y a  l’immense Léon Tolstoï, peut-être le plus grand artiste russe devant les deux grands compositeurs, Stravinski et Moussorgski et Serge Mikhailovitch Eisenstein qui a imaginé le plus grand film de tous les temps, « Le Cuirassé Potemkine », enseigné dans toutes les écoles de cinéma du monde, juste devant « Citizen Kane » de l’américain Orson Welles et « La règle du jeu » du français  Jean Renoir. Ah ! que la littérature est mystère.  Elle peut entrainer très loin, vers l’art populaire mais surtout vers le Grand Ailleurs, le Très Lointain, les rivages de l’Infini, l’Antre du mystère, le Trône lumineux de la Mystique qui diffuse le souffle rayonnant de la science gnostique. Nul hasard si les mystiques musulmans communiquent essentiellement à travers la poésie. Tolstoï a écrit « Hadji Mourad », un texte oriental, mais il a surtout écrit « Guerre et Paix », un livre-monde ! Lisez ses deux mille pages et vous serez assommés par tant de beauté, de philosophie et de personnages étonnants et flamboyants. Votre cœur éclatera de bonheur, vous mourrez d’une belle mort, cette mort mystique des « soufis ». Tous ceux qui ont écrit des scènes d’agonie après Tolstoï, l’ont fait sans cette mystique du grand moment, l’âme qui voyage vers l’eternité en proie aux velléités du corps. Ni la mort poignante de l’enfant dans « La Peste » d’Albert Camus, ni l’agonie convulsive de Forestier dans « Bel-ami » de Maupassant, le trépas aux résonnances cosmiques avec un chien aboyant et larmoyant au crépuscule poursuivant l’âme de Madame Chanteau  qui s’en va  dans « La joie de vivre » d’Emile Zola n’ont eu le retentissement, la spiritualité et la vérité de la mort du Prince André dans « Guerre et Paix.»

 Tout le monde aurait voulu mourir comme ce prince blessé et revenu mourant de la guerre. La guerre, cette chose mystérieuse et incompréhensible qui autorise tous les crimes! La guerre qui fouette et réveille les cœurs. Jamais le rêve, l’amour d’une femme, la vie et la mort n’ont été aussi confondus dans une beauté éclatante de vérité. Le prince André méditait l’Amour éternel ; une méditation qui brisait  progressivement ses attaches terrestres sans qu’il s’en rende compte : « Aimer tout et tous, se sacrifier toujours à l’amour signifiait n’aimer personne, signifiait ne pas vivre de cette vie terrestre. Et plus il se pénétrait de ce principe d’amour, plus il se détachait de la vie et plus complètement il abolissait cette terrible barrière qui, sans l’amour, se dresse entre la vie et la mort.» La chose est d’autant plus troublante que plus de six siècles auparavant, là-bas aux confins de la Turquie, l’un des plus grands penseurs mystiques de tous les temps, parmi les plus grands poètes de la littérature universelle, Djalal-Od-Diin Ruumi, né en 1207 à Balkh dans l’actuel Afghânistân a chanté l’Amour dans une transe mystique, sous le mode de l’extinction comme aucun poète ne l’a jamais fait : « Un amour est venu, qui a éclipsé tous les amours./ Je me suis consumé, et mes cendres sont devenues vie./De nouveau mes cendres par désir de ta brûlure/Sont revenues et ont revêtu mille nouveaux visages. » Par quelle opération de l’Esprit les grandes âmes se rencontrent elles ? De toutes les façons Léon Tolstoï pensait que,  quelle que soit la chose qu’il fasse, du haut de ces montagnes russes, onze siècles l’attendent et que le monde s’arrêterait s’il lui venait à l’esprit de se taire.  C’est le comble de « l’orgueil mystique », la pointe acérée de l’esprit messianique.

 Une révélation terrible de sa part! C’est qu’on est déjà mort en rêve éveillé  avant le constat de la mort physique. Le prince André a vu la mort tenter d’enfoncer la porte ; au prix d’un ultime effort, la mort entra et André sut qu’il était déjà parti vers le ciel. Pourtant les personnes qui entouraient son corps continuaient à lui parler et lui de leur répondre jusqu’à l’extinction de son enveloppe charnelle : « …à l’instant même où il mourut le prince André se souvint qu’il dormait, et à l’instant même où il mourut, il fit un effort sur lui-même et se réveilla… Oui c’était la mort. Je suis mort- je me suis réveillé. Oui la mort est un réveil.»

Si Dostoïevski est au-dessus de tout cela, mais qu’est-ce qu’un mystique en littérature ? Est mystique le poète de l’au-delà des choses qui d’un mouvement vigoureux tente d’échapper au monde sensible. Est grand écrivain l’homme le plus « atteint de conscience ». C’est la conscience universelle, le côté caché des choses, exprimés dans un langage d’une grande pureté qui font les grands écrivains. Ils sont accueillis à la Grand-Place, au lieu ou la forme tant cherchée n’a plus de sens, l’espace ou la forme n’a plus de forme, elle devient difforme. Tant que l’écrivain ne s’est pas libéré de la tyrannie, de la quotidienneté et même de la beauté de la langue il n’est pas encore un poète mystique. Léopold Senghor aurait été un grand poète si la beauté de la langue ne l’avait pas tant ébloui. L’écrivain-mystique échappe ainsi à toute explication de texte, aux diérèse et synérèse, focalisation Zéro, interne externe ou autres grandes et géniales découvertes critiques devenues les parfaits outils pour passer à coté de la littérature. Fédor Dostoïevski est à la fois philosophe, mystique et artiste. L’homme qui a fait dire à Frederich Nietzsche «  Dostoïevski est le seul qui m’ait appris quelque chose en psychologie » N’oublions pas que l’auteur de « Le crépuscule des idoles » ne reconnaissait ni Dieu  ni aucun maître. Il pensait même se trouver à cent coudées au dessus de Socrate. Si l’homme aux étranges aphorismes se met à admirer l’auteur de « Crime et châtiment », « Les frères Karamazov », « L’Idiot », « Les possédés », « Le sous-sol » c’est qu’il ya quelque chose de monstrueusement grand chez Dostoïevski. Toute la philosophie russe est sortie de Dostoïevski. Jamais écrivain n’a autant parlé de Dieu, du péché, de la dualité de l’homme entre le Bien et le Mal, du diable et du salut avec autant de vérité et de profondeur. 

Lisez s’il vous plait : « Jeune homme, n’oublie pas la prière. Toute prière, si elle est sincère, exprime un nouveau sentiment, elle est la source d’une idée nouvelle que tu ignorais et qui te réconfortera, et tu comprendras que la prière est une éducation. Souviens-toi encore de répéter chaque jour, et toutes les fois que tu peux, mentalement : « Seigneur, aie pitié de tous ceux qui comparaissent maintenant devant toi. » Car à chaque heure, des milliers d’êtres terminent leur existence terrestre et leurs âmes arrivent devant le seigneur ; combien parmi eux ont quitté la terre dans l’isolement, ignorés de tous, tristes et angoissés de l’indifférence générale. Et peut-être qu’à l’autre bout du monde, ta prière pour lui montera à Dieu, sans que vous soyez connus.»  Les frères Karamazov », un petit livre de mille pages ! Oh mon Dieu quelle œuvre que les frères Karamazov ! Un bréviaire de « spiritualité », un grouillement de vie, un livre-univers peuplé de tous les hommes, de personnages sombres, défigurés, matraqués non pas par le destin ou un déterminisme social mais par les rafales et bourrasques déchirantes de la puissance des idées. Chez Dostoïevski, les hommes sont malades à hauteur de leurs idées. Qui peut oublier Dimitri, le fantasque ? Vous ne lirez rien de tel sur la jalousie ailleurs que  chez ce fameux Dimitri. Et Ivan, le philosophe sceptique et mystique presque fou qui discute avec le diable en personne ? Et Fiodor, le père des Karamazov, l’homme qui revendique sa propre décadence parce que la société ne veut pas qu’il se repente. Oh ! Smerdiakov, l’insolent et impertinent artiste ! L’une des constructions les plus réussies de la galerie fascinante des personnages dostoïevskiens. Personne ne sut s’il feignait la crise épileptique ou pas. En tout cas Dostoïevski était lui-même épileptique, raconte l’histoire littéraire. Mais on n’en sait rien ; il tombait souvent en « transe » depuis l’âge de 26 ans. Comment la même maladie peut-elle frapper autant de grands esprits à travers les âges comme Jules César, Kubilaï Khan, Platon, Molière, Voltaire, Edgar Allan Poe, Dostoïevski et bien d’autres. A propos de son étrange crise il a dit une chose qui ne peut être comprise que par ceux qui ont eu une puissante expérience mystique, ceux-là qui ont connu  cet « état » que les mystiques musulmans appellent « Le Zawq », la connaissance gustative qui provoque une transe jubilatoire : « Si le monde soupçonnait  l’état de bonheur infini qui m’habite trois jours au moins avant ma crise, il aurait vendu tout ce qu’il possède de cher pour prendre ma place. » Voilà Dostoïevski ! Aucun superlatif ne peut cerner son mystère. Il a certainement goûté à l’extase mystique comme son personnage presque parfait, Aliocha, le plus jeune des frères Karamazov, un ange parmi les humains, un saint chez les laïcs. Mais surtout le fameux Starets Zosime, qui rappelle n’importe quel soufi du 9ème siècle musulman. Rien que la vie, les enseignements, les mortifications, les transes mystiques, et la mort étrange de ce saint homme valent le détour. Tenez-vous bien ! Lorsque cet homme mourut, le soir où la population est venue veiller sa dépouille, son corps commença à se décomposer et dégager une mauvaise odeur. Tous ses disciples avait cru que le corps du saint homme serait épargné de la putréfaction. Mon Dieu qu’a-t-il fait ? Il suçait des bonbons, affirma une bonne dame. Cet épisode mérite de longs commentaires qui ne peuvent pas être faits ici.

Autant de choses qui expliquent pourquoi Sigmund Freud qui n’appréciait pas trop Dostoïevski, affirma que Les frères Karamazov est « Le roman le plus imposant qui ait jamais été écrit » ; rien que le fameux chapitre du grand inquisiteur qui met en scène le retour de Jésus sur terre est, pour lui, l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale.

Jamais romancier, si l’on peut parler de roman avec Dostoïevski, n’a été aussi loin dans l’exploration de l’âme humaine. Il disait toujours : « Ce que je cherche en l’homme c’est l’homme.» Et à force de chercher l’homme il a trouvé Dieu. Tout le secret de l’œuvre mystique de Fédor Dostoïevski  se trouve ici révélé. « Une idée me tourmentait depuis longtemps, mais je craignais d’en tirer un roman parce que l’idée est trop difficile et que je n’y suis pas préparé bien que l’idée soit tout à fait évidente et bien que je l’aime. Cette idée consiste à représenter un homme complètement beau. » Voilà l’idée géniale, le puissant sentiment qui est à l’origine de l’un de ses grands chefs-d’œuvre, « L’Idiot », une œuvre qui représente le summum de la sainteté sous  des dehors de simplicité. 

Quant au fameux « Crime et Châtiment », c’est un bréviaire inédit de méditation morale, une grande œuvre de psychologie cognitive. Raskolnikov, le personnage central, a supprimé une usurière, une femme exécrable, cupide, méchante et à la moralité douteuse. Tuer une femme aussi inutile, débarrasser la surface de la terre d’un être aussi impur serait un acte pardonnable, pensait-il. Mais tout le long du récit, Dostoïevski nous entraine dans une suite ininterrompue de décomposition morale et psychologique du meurtrier. Tout est il permis? Il nous semble que non.

« Pour moi, Dostoïevski est tellement au-dessus du reste de la littérature que c'en est presque ridicule. Personne d'autre n'a atteint une telle puissance. Personne d'autre ne communique aussi directement avec le plus profond de mon âme. Ou plus exactement, personne ne cumule à la fois une telle puissance et une telle profondeur. Tout le reste de la littérature (de la fiction, plus précisément) est largement en dessous (sauf peut-être Les Milles et Une Nuit) » Cette affirmation d’Emmanuel Chaudron semble exagérée mais à lire Balzac qui a dit qu’il a failli se faire russe, on l’aura compris.
Il ya peu de poètes mystiques qui ont été touchés par l’âme universelle. Ne nous vient maintenant à l’esprit que deux hommes d’une formidable dimension. Deux édifices gigantesques et effrayants, il s’agit de Victor Hugo et de William Shakespeare. Rien qu’à leur évocation on tressaille d’étonnement. Le mysticisme romantique de Victor Hugo n’est ni dans son orientalisme (Cf. La légende des siècles), ni dans son intérêt particulier pour le spiritisme, mais étrangement dans sa poésie pastorale, bucolique, fantastique et ses vers d’une divinité résolue. Il est peut être le poète le plus contemplatif. Lisez « Le mendiant », « le semeur » mais  surtout « Ibo », vous irez vers Dieu !  Quant à William Shakespeare, tout ou presque a à été dit sur cet homme. Il n’ya pas un seul écrivain de l’espace occidental qui est autant vénéré. Shakespeare est le plus grand écrivain parce qu’il est le plus sombre, l’homme étant pessimiste de nature. De larges voiles qui cachent l’horizon  de l’Infini sont déchirés par ses deux poètes mystiques. (A suivre)

Khalifa Touré
776151166 

jeudi 5 mars 2015

Abdoulaye Wade, Macky Sall et les « mangeurs d’âmes »






« Chez moi ne subsiste plus que le rejet empirique d’une société en pleine putréfaction. Je n’aime pas l’asphyxie qui ne tue pas » Ibrahima Sall, Les routiers de chimères.

Abdoulaye Wade, ex-président de la république du Sénégal âgé de 89 ans , docteur d’Etat en droit public, avocat et professeur agrégé de sciences économiques, auteur du livre « Un destin pour l’Afrique », marié à une femme occidentale «  Sénégalaise d’ethnie toubab », a traité Macky Sall de « deumm », autrement dit Macky Sall descend d’une famille de « mangeurs d’âme » comme on dit en Afrique forestière puisque le mot est difficilement traduisible. Il l’a dit à l’indicatif et non au conditionnel, tenez-vous ! Il est sûr de son sujet comme d’habitude. Les Bambanas  disent « Guingii » ou « Soubakha » qui a aussi le sens de voyant, les ouolofs « deumm ». Ici au Sénégal on a l’habitude de traduire par sorcier ou anthropophage, deux traductions qui restent incomplètes, parce que dans certaines croyances, le Guingii, deumm ou soubakha est tout cela à la fois : Du  sorcier il a les attributs de voyant et jeteur de sorts, de l’anthropophage il a le pouvoir de se nourrir de chair humaine à distance et du mangeur d’âmes  il s’empare de votre esprit. Il ya déjà un problème ici quand on sait que l’âme est immortelle, selon la  tradition islamique. Avis à Abdoulaye Wade qui se dit grand croyant musulman et sûr d’entrer au Paradis. Il devrait lire (modeste recommandation) « Le livre de l’âme », de l’éminentissime Ibn Qaym Al Djawziya du 14ème siècle, l’un des rares à oser affronter la question de l’âme. Il a abordé le sujet sous l’angle de la tradition scripturaire mais aussi de la science gnostique.

Un grand guide religieux très écouté dans ce pays a dit il n’ya pas longtemps que « Celui qui croit au deumm ira en enfer ». Si cela est juste, beaucoup iront en enfer pour ce fait, sauf Abdoulaye Wade puisque lui-même n’y croit pas ; mais il a la malignité de savoir que beaucoup de sénégalais y croient. Il y entrera peut être pour d’autres causes (personne ne lui souhaite cette demeure de la honte suprême). Seul Dieu sait ! Le pardon, la rémission et la miséricorde appartiennent exclusivement au Maître du trône immense, même si Wade a déjà gagné son billet pour le paradis comme il le dit souventes fois. Mais faisons gaffe, il n’ya pas de clef-minute pour ouvrir frauduleusement les portes du Paradis. Sacré Abdoulaye Wade ! On l’a déjà écrit, Abdoulaye Wade est admirablement effrayant ! C’est un affranchi. Il doit certainement adorer le cinéma de Martin Scorsese et son fameux « Les affranchis » admirablement interprété par Robert de Niro qui tue non pas par plaisir mais parce qu’il peut le faire sans trembler ; pour être un affranchi, il faut être mort spirituellement. Pourtant le mot existe en Ouolof mais dans un sens prétendument positif. C’est « Mbaa yallaal », c'est-à-dire être libéré par Dieu, être Dieu Lui-même. Ah ! faisons attention aux mots, à nos croyances, à notre culture. Un grand gourou de ce pays n’a-t-il pas dit « Luma def genn ci ! Da nou maa mbaa yallaal». La vérité est qu’au Sénégal nous sommes une seule et même famille, pour ne pas dire nous sommes tous de la même trempe ou du même acabit. Abdoulaye Wade sait bien que  sa parade est politiquement improductive mais elle aura l’effet de tomber dans des oreilles imbéciles. Même si c’est un mal infinitésimal, l’essentiel est qu’il aura fait du tort à une famille. C’est le comble du cynisme !

Traiter une famille de « deumm » et d’esclave est l’injure la plus avilissante. C’est la vouer aux gémonies en jetant le doute et l’opprobre sur toute sa lignée. C’est une injure de destruction massive qu’Abdoulaye Wade a déclenchée. Mais heureusement, même pour une arme mortelle il faut un détonateur pour l’allumer, un minimum de compétence technique et une caution morale qu’il a perdue depuis longtemps. Tout cela explique la vague d’indignation et l’ire provoquées par ses rodomontades inqualifiables. Wade maitrise son sujet, il sa société. Les plus jeunes ne savent pas que l’on dit « deumm ndey, ngaana baay », autrement dit la lèpre se transmet par le père et « l’anthropophagie » par la mère ; pauvres mères ! N’avez-vous pas remarqué ? On injurie beaucoup plus la mère que le père dans nos sociétés. La pire des injures est de prononcer le nom de la mère pour faire vraiment mal. Les jeunes d’aujourd’hui n’y vont plus par quatre chemins ; le mot « Ndey » qui signifie « mère » est dans chaque phrase impérative qu’ils prononcent. C’est comme si on ne peut plus donner d’ordre, exprimer un souhait ou faire une prière sans injurier. Les sociolinguistes devraient nous aider à comprendre ce phénomène d’autodestruction suicidaire. A moins qu’ils ne prennent la chose pour un épiphénomène. L’économie politique de la vulgarité serait vivement la bienvenue. Toutes ces remarques trouvent peut-être leur explication dans notre civilisation matrilinéaire. Pourquoi s’exprime-t-on si mal dans notre société contemporaine ? Il n’ya guère, un homme politique presque aussi retors que Wade à invoqué de façon blasphématoire un verset du coran pour insinuer que  son adversaire est né hors mariage. Personne n’a trouvé à y redire. Dans ce pays les hommes politiques ont tous les droits.

Le grand Seydil Hadji Malick Sy qui voulait réformer la société sénégalaise est l’auteur d’un étrange aphorisme que son petit fils Cheikh Tidiane Sy répète à toute occasion où il s’agit d’un sujet de société : « Au Sénégal, la Sounna ne vaincra jamais la tradition ! » Il est difficile de trouver une « formule sociologique » plus juste pour qualifier l’ambivalence dans les croyances religieuses au Sénégal. Pour preuve, un prêcheur bien connu de ce pays a avoué avec sincérité qu’il croyait au « deumm », jusqu’à ce qu’il rencontre Cheybatoul Hamdi Diouf. Il avait jusqu’alors réussi toutes les contorsions philosophico-religieuses et  convoquer des principes de droit musulman pour ne pas croire à « ces histoires », mais rien n’y fit. Sa croyance restait tenace à cause  du phénomène du « dieufour » qui est un état de transe démentielle caractérisée par une logorrhée accusatoire. Le malade qui est pour la plupart du temps une femme, pousse des cris et s’auto-accuse de pratiques « anthropophagiques ». Tous les spécialistes du monde des Djinn et de la démonologie, comme Cheybatoul Hamdy Diouf (Paix à son âme), Abdou Salam Baaly et bien d’autres dans le monde, sont unanimes que le « dieufour » ou transe démentielle n’est qu’une des nombreuses formes de possession. Le Djinn maléfique prend possession du corps, des organes de la personne pour s’exprimer à travers sa langue faisant croire aux témoins que c’est la personne présente qui parle. Les non-initiés tombent du coup dans le piège. Mais comment un prêcheur qui a fait ses humanités dans les plus grandes universités islamiques peut-il tomber « dans le panneau » ? C’est que la plupart des hommes sont condamnés à croire qu’à ce qu’ils voient. Une des stars des Shows religieux aujourd’hui, à la question de savoir si les « deumm » existent ou pas, a répondu qu’il connait quelqu’un qui les soigne. El Hadji Malick a encore raison, les traditions ancestrales s’invitent jusque dans la bouche d’un de ses disciples-prêcheurs. Ce brave monsieur ne sait pas qu’il vient d’avouer que ceux qu’on accuse de sorcellerie sont des malades-possédés qu’il faut soigner. Pendant des siècles en occident de pauvres innocents ont subi l’autodafé, accusés de sorcellerie alors qu’ils n’avaient besoin que d’être soignés.  Voilà l’origine de l’expression « chasse aux sorcières ». Et que dire de ceux qui se disent eux-mêmes « deumm » ? C’est qu’ils sont eux-mêmes des possédés ; possédés-envoûtés, ayant vécus longtemps en état de possession qu’ils en sont venus à perdre totalement la faculté de distinguer les actes volontaires qui relèvent de leur personne et les agissements démoniaques des entités qui les possèdent. La possession est un phénomène d’une rare complexité.

Quand il s’agit de choses qui vont au-delà de la raison beaucoup d’intellectuels francophones et arabophones sont désarmés parce qu’ils ne savent pas que la démonologie est une science, une science cachée, avec ses codes, sa terminologie et ses méthodes. Le professeur Ibrahima Sow de l’IFAN qui a créé le laboratoire de l’imaginaire à l’UCAD,  fait beaucoup d’efforts dans ce domaine, mais il est seul et même souvent désarmé par sa propre raison universitaire. La raison a une histoire, ne l’oublions pas. Son combat louable contre les charlatans et imposteurs l’éloigne souvent du sujet. Il est possible de pénétrer « le milieu », le pratiquer et garder en même temps une distance critique. Beaucoup d’intellectuels ne veulent pas se laisser aller dans ces sujets de peur d’être qualifié de déviants, superstitieux et perdre du coup leur crédibilité « intellectuelle». L’université a ses réalités, mais le destin paradoxal d’un chercheur est de quitter l’université tôt ou tard. Beaucoup ne savent peut-être pas que Sigmund Freud a rompu avec Carl Gustav Jung de peur de perdre sa crédibilité scientifique. Il a finalement gagné en autorité scientifique, mais il a perdu un océan de savoir découvert et exploré par Jung à travers les études de l’inconscient mythologique. Le terrible Jacques Derrida aura tort plus tard de penser dans sa critique de Gaston Bachelard que la philosophie occidentale a « un sérieux problème » avec la question de la métaphore. Le problème des intellectuels est plutôt l’incapacité à penser le savoir philosophique sous l’angle du symbolisme et de la métaphore. Ah ! s’ils savaient.

Un Ibrahima Sow recadré, un Iba Fall plus profond, moins timide et un Moustapha Sène sorti de l’ombre peuvent éclairer beaucoup au sujet de l’imaginaire. Ce dernier est l’auteur d’une brillante thèse dirigée par Madame Lilyan Kesteloot, intitulée « Le surnaturel et le merveilleux dans les ethno-contes  Ouolofs : Essai sur l’imaginaire et les visions endogènes de l’environnement.» Lorsque des déclarations aussi lourdes de sens et  apparemment anecdotiques pour les partisans de la simplification qui ne veulent jamais s’embarrasser de soucis intellectuels, s’invitent au sommet de l’élite politique, la science est interpellée. Elle peut venir de partout. Les intellectuels, surtout francophones, hésitent souvent à faire par exemple l’économie politique de la sorcellerie, du sexe ou de la mort. Ces « données » participent fondamentalement au processus de compréhension du pouvoir en Afrique, de nos sociétés modernes, et disons-le de l’idiosyncrasie  de nos dirigeants. Cette question de « deumm »est loin d’être anecdotique, elle participe, à l’évidence, de la thématique de la mort, du pouvoir et du symbolisme macabre de la nuit très caractéristique de la politique africaine. Nous avons écrit le vendredi 05 Août 2011 la chose suivante : « la sorcellerie en politique africaine est liée à la mort, symboliquement parlant. La sorcellerie est l’une des pratiques qui fondent la nécro-politique en Afrique. Dans nos pays le pouvoir politique est synonyme de capacité de donner la mort, de tuer physiquement ou symboliquement. Il n’est pas rare d’entendre un politicien menacer son adversaire de « liquidation ». Au Sénégal on est loin des pays où les sacrifices humains font partie de la politique gouvernementale. Mais attention chaque pays africain possède sa propre échelle de magie et de sorcellerie. » Quoi de plus assassin que de traiter son prochain de « sorcier » ? C’est tenter de le liquider socialement.

Abdoulaye Wade a oublié que dans l’Afrique moderne la question des « deumm » a évolué selon les paramètres spatio-temporels, les positions de pouvoirs économique et politique. Des familles intouchables, infréquentables depuis des générations se sont vite fait anoblir par la société et réhabiliter par le phénomène de l’oubli volontaire et intéressé parce que ces familles sont devenues riches. Qui ose traiter de « deumm » une famille riche et puissante ? Les gens n’en ont même pas intérêt puisqu’ils veulent maintenant les fréquenter. Ils sont prêts à se faire manger par un riche-deumm mais c’est en vérité eux qui mangent les riches. Ils provoquent le dégoût. Ah !  la colère scatologique de Galaye le personnage d’Ibrahima Sall-le poète, me vient à l’esprit : « Galaye donnait libre cours à ses fantasmes. Il imaginait le déluge qui jaillirait de l’immensité des latrines. Il serait fait des appétits de ses semblables, de leur suffisance et de leurs prérogatives. Un plat de choix pour les vers à l’affût dans la tombe. Galaye avait un problème. Il se demandait comment se faire scatophage parmi les gourmets / Riches ? Les excréments n’ont d’odeur tout comme le Dieu Argent. C’est une fosse commune pour les aisances de tout un chacun. Dieu sait que l’homme ne peut, ni n’a le droit de sentir mauvais. »

 Il est difficile de rester calme devant ce manque, ce refus, cette absence de conscience de classe qui va nous tuer tous. C’est la maladie du siècle au Sénégal. L’oubli volontaire des origines. Ce qu’il faut vraiment pour le Sénégal, personne ne le souhaite ! Beaucoup d’aventuriers de tous ordres se disputent aujourd’hui l’espace public en le souillant par leurs faits, gestes et pratiques immorales. D’autres sont grisés par leur présence frauduleuse et éphémère dans cet espace. Une troisième catégorie de personnalités est droguée à l’espace publique parce qu’elle y a longtemps séjourné. Tout cela explique ces  consciences déstructurées comme du papier mâché qui hante l’élite nationale ; état mental symbolisé par cette image violente du poète qui provoque le dégoût et  le vomissement. De toutes les façons le Sénégal ira quelque part et  l’histoire remettra beaucoup à leur place.

Khalifa Touré
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