Si le Sénégal n’est
pas le pays le plus politique d’Afrique francophone, il n’en est certainement
pas loin. Dans ce territoire encore jeune, il ya une grande et permanente
activité politique depuis la fin du 19eme siecle. Cela explique en partie
l’appétit politique des sénégalais. La politique au Sénégal a une dimension gargantuesque,
pantagruélique, autour du festin politique populaire et du grand plat national.
La politique est de l’ordre de l’alimentation et du ventre, jusque dans le
vocabulaire.
Dans une grande démocratie comme les États-Unis, beaucoup de
citoyens sont atteints d’apathie politique par sentiment de lassitude. Mais aussi parce qu’il ya de
grandes choses qui se passent dans d’autres sphères, qui peuvent les attirer et
les valoriser. Un grand écrivain comme William Faulkner n’a eu que faire de
serrer la main de Kennedy, parce que l’écriture est suffisamment valorisée
qu’il peut se permettre de refuser une invitation à la maison blanche.
Au Sénégal, la seule sphère qui vaille est politique. Les
autres sphères, scientifique, cultuelle, sportive et artistique sont
subalternes, elles ne sont pas suffisamment valorisées et dépendent toujours de
la politique. C’est la raison pour laquelle, un universitaire bardé de diplômes
ne se contente jamais de jouir du plaisir que lui confère son savoir. Il peut
facilement se mettre au pas d’un politicien analphabète. La politique telle
qu’elle est étalée sur l’espace publique est tellement valorisée qu’elle attire
de façon envoutante des éléments de la société civile réelle, des
universitaires, opérateurs économiques, religieux etc. Aujourd’hui l’espace
médiatique est dominé, envahi et même parasité par essentiellement deux castes
d’intellectuel : les juristes et les sociologues. Les historiens parlent
peu. On entend rarement les voix de Boubacar Barry, Ibrahima Thioub ou Mamadou
Diouf. Même parmi les sociologues, les
maîtres ne parlent pas, ce sont les disciples de seconde main qui s’expriment.
En sciences politiques on ne voit jamais Mame Penda Ba ou Antoine Tine de
l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Quant aux juristes, il n’est pas encore loin le jour où on ne les
écoutera plus. Cette discipline noble est en train d’être déshonorée par des
juristes à la solde. Il n’ya pas plus dangereux que l’onanisme intellectuel. La
philosophie qui est la mère des sciences a été discréditée par ses propres
enfants, parce qu’ils se sentaient « forts » et brillants. Le Droit
est en train de l’être, ici en notre pays. Les circonvolutions, rodomontades et
tournures alambiquées qui ressemblent plus à du galimatias ou de la logomachie
entendues ces derniers jours autour de la révision de la constitution, m’ont
fait beaucoup rire, d’autant plus qu’ils viennent de personnes instruites. Le
peuple veille au grain ! Il est temps aussi que la communauté scientifique
universitaire sorte de son mutisme. Je n’ai pas vu ces vingt dernieres années,
je peux me tromper, les universitaires, signer
des appels historiques, de grandes pétitions ou des manifestes
importants autour de questions d’ordre public. Leur responsabilité n’est que académique. Notre université manque
de sens historique.
Au reste, si l’on remonte très loin selon une méthode
braudéléenne on risque de se fourvoyer. Le Sénégal est un pays historiquement
émergent, un Etat de création récente, une unité territoriale qui est toujours
en cours. Le Sénégal tel qu’on l’envisage aujourd’hui ne date que de la fin du
19eme siècle. Le territoire ne s’est stabilisé qu’au début du 20eme. Nous avons
un pays jeune, très jeune à tout point de vue, notamment en politique. Ceux qui
à partir de Saint-Louis étaient partis présenter leur cahier de doléances à la
révolution de 1789, l’ont fait pour rétablir le servage dans ce pays ; ce
n’était nullement une démarche d’émancipation. Cet événement qui est
aujourd’hui présenté comme un acte fondateur n’est en vérité qu’une démarche de
révision du code civil de l’époque. Je
me demande pourquoi ce fait historique est cité en référence ; on
se dit tout simplement qu’il y avait des hommes qui, venant du territoire
sénégalais, se sont présentés à la cérémonie de présentation de cahiers de
doléances en 1789. Allez savoir qui étaient ces gens ! Au Sénégal l’habitude de fêter une défaite est tolérée
et même pratiquée jusqu’au jour d’aujourd’hui. Embellir, édulcorer, « s’en
sortir » pour éviter la gêne, l’honorable sentiment de gêne devant
l’ignominie et la défaite. Les guerriers Ceddo Meïssa Bouri Déguéne Dieng et
Tieyacine sont vraiment loin de nous ! Au
moment où « des habitants de Saint-Louis » rédigeaient un cahier de doléances contre la Compagnie
du Sénégal lors de la révolution française de 1789 la révolution islamique du Fouta s’étendait au Cayor(1790). Au Sénégal les divergences de préoccupations politiques ne
datent pas d’aujourd’hui. Le Sénégal politique et territorial est une
coproduction coloniale et autochtone. Faidherbe est une grande figure de la
politique en ce territoire au même titre que Lat Dior l’illustre Cayorien. On ne le dit jamais assez !
Le phénomène politique tel qu’il est vécu actuellement est de
vie récente, elle a tendance à s’accumuler par une simple loi de la croissance.
La culture politique, à ne pas confondre avec l’histoire politique, est de
fraîche date. C’est elle davantage qui commande certains réflexes
d’accaparement et de jouissance du pouvoir. Les choses sont tellement neuves et
récentes que l’histoire par ses lois qui sont plus implacables, mais lentes n’a
pas encore agit pour contredire ou consolider certaines pratiques qui peuplent
notre imagination politique.
Khalifa Touré