Le fracas et la furie tant redouté n’a pas eu lieu. Les
hommes qui prétendent à une certaine grandeur aiment à se peur pour faire
accroire qu’ils sont habités par quelque chose de grave. « Faites gaffe !
Nous sommes capables d’aller le plus loin possible, parce que nous sommes des
hommes de conviction. » semblent-ils dire en riant sous cape. Un rire
sardonique, suffocant et toxique qui empoisonne son auteur. La mal tue d’abord
son propre instigateur. Il n’est pas étonnant que le débat politique prenne souvent des formes spasmodiques. En politique la
colère est institutionnelle, le sourire commercial, la poignée de main
dangereusement feinte. Une chose est au
moins sûre dans cette affaire, même ceux qui ne portent aucun projet politique et
qui milite pour l’immobilisme, savent qu’il faut un certain culte de la
grandeur, la prise de risques et le mouvement vigoureux vers la digue qui nous
sépare des torrents de la crise pour donner l’image d’un homme sérieux.
Malheureusement la fameuse maxime « dignitas et gravitas » est
totalement ignorée. Alors ils font appel à une mauvaise mise en scène faite
d’incohérences, de faux jeu exécuté par des personnages dont les costumes
d’apparat trahissent un langage politique dont la grammaire n’obéit qu’à la
seule règle de l’analogie. « Ils sont tous les mêmes, les
politiciens » disent les « citoyens » sans part, qui aspirent eux
aussi, à la cagnotte nationale.
« Il n’y aura jamais de révolution au Sénégal »
disent souvent les analystes politiques dont le métier est de se faire le
porte-parole du consensus politicien. Ils ne manquent jamais de parler d’institutions fortes et de peuple mature. Des
expressions qui n’ont rien à voir avec la science politique. Toutes ces Institutions
présidentielle, judiciaire et législative que personne de comprend sauf
quelques initiés parmi les lettrés ont été inventées justement pour éloigner le
peuple de la « gestion des affaires de la cité. » Que signifie peuple
d’ailleurs ? Population, populace, masse ou quoi d’autre ? Encore une
autre expression compliquée pour le commun des mortels. Peut-on parler de
citoyenneté sans cité ? Il y a combien de cités dans notre pays. Je ne
parle pas des villes, il y a une nuance. Les habitants des cités sont par
principe et par expérience des gens non pas « civilisés » mais
policés. Ils se sont débarrassés de leurs aspérités qui sont honteuses pensent-ils. Éduqués par le système officiel, ce sont des
alliés aux manières canines de l’hégémonie culturelle soutenue par le monopole non
pas du pouvoir d’achat (ce mot est très faible, c’est un leurre) mais du
Capital. Le mot innommable est lâché. Il
suffit qu’il sorte de vos lèvres boursoufflées à force de faire la moue contre
l’époque, pour que l’on vous qualifie de communiste. Donnons la parole aux
historiens ils nous diront s’il y aura révolution ou pas. Ce que je veux pour
le Sénégal, je ne le souhaite pas.
Ceux qui disent qu’il est temps de s’attaquer exclusivement
aux problématiques d’ordre économique ont certainement des arrière-pensées. La
guerre entre l’économique et le
politique est un conflit très récent qui a été inventé par les ultra-libéraux
qui ont voulu imposer aux États une économie nationale affranchie des projets
politiques. Ils veulent libérer l’économie de sa dimension déontologique. La
proclamation urbi et orbi de la fin de l’idéologie est elle même idéologique.
Ils veulent tout simplement que les autres baissent la garde. Voilà une manière
d’escamoter les questions d’orientation nationale qui seules peuvent débusquer
les impostures scientifiques des experts à la solde. Cette tentative de libérer
l’économique du politique est professée par les experts recrutés par la Banque
mondiale à une époque où les lobbies de l’ultra-libéralisme ont voulu exclure
certains profils d’économistes et de financiers de la grande Institution
financière mondiale. Au Sénégal, le politique ne sera jamais à la remorque de l’économique. Il
n’y a pas à s’inquiéter, c’est un sujet trop fastidieux pour nous. Le risque
majeur est que la finance et le milieu des affaires exercent leur hégémonie sur
le politique qui est un bien commun alors que les affaires sont par essences
privées à moins d’avoir un État mercantile. Pour le moment ce sont les hommes politiques
qui dirigent l’économie, les armées, les systèmes éducatifs et même la
recherche. Et ceci est une bonne nouvelle. L’essentiel est que le système
politique soit organisé de telle que
l’homme politique moderne ne soit pas cet « ogre monstrueux » dont
la faim est insatiable. Toutes les forces sociales qui sont en marche
aujourd’hui s’exercent à dégraisser l’ogre politique qui s’est tellement
empiffré que sa marche devient lourde et manque de célérité. Tout cela explique
les lenteurs partout constatées qui empêchent toute forme de modernisation. Le problème de l’Afrique est
d’abord politique avant que d’être autre chose.
Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa@yahoo.fr
776151166