Une société dont la machine à fabriquer le Bien tombe en panne est une
société malade. Le Bien est une question de transcendance mais aussi un
problème de possibilité sociale. Pour beaucoup de citoyens les logiques de
survie auxquelles ils sont confrontés depuis les années d’ajustement structurel
diminuent les capacités de choix d’ordre moral et poussent à des solutions à la
limite de l’honnêteté.
Je pense aussi qu’il ya au Sénégal un
problème de consensus moral. Depuis des années nous avons du mal à nous accorder
sur ce qui est bien et ce qui est mal. Un brouillage axiologique est en cours. De
plus en plus des hommes et des femmes passent à l’acte : corruption,
concussion, prévarication, parjure, détournements de biens publics, transhumance
des politiciens et surtout des électeurs, manipulations de toutes sortes allant
de la sorcellerie au mensonge éhonté, violences physique et symbolique sur les
citoyens sans part…
Beaucoup sont à l’image de ces
amuseurs publics qui après une prestation hilarante en arrive au geste
innommable, non content de faire le pitre et offrir un semblant de bonheur
factice aux amateurs de choses frivoles. Un humoriste bien connu de chez nous, champion
de la pitrerie et de la bouffonnerie malhabile a failli baisser la culotte dans
une de ses prestations. C’est passé inaperçu coté jardin. Mais coté cour, les
consommateurs d’injures et de scènes trash ont bien vu. Ils ont aimé. De toutes
les façons il ya plus nauséabond ailleurs…en politique et en culture,
pensent-ils. Lorsque les pots de chambre s’invitent sur nos plateaux de télévision,
le droit de rire des bonnes choses est annulé. Ils seront tous balayés un jour
par des morveux, des mioches qui viendront remonter les bretelles à ces adultes
insouciants qui ont laissé tomber le froc de la dignité.
Les parties honteuses de la société
sénégalaise sont tellement dénudées qu’elles se dérobent aux regards non vigilants.
Une des grandes lois de la perspective est passée par là : lorsque les
choses deviennent flagrantes elles ont tendance à se dérober par leur fixité.
Elles ne bougent plus. Mais elles sont là présentes et travaillent notre
conscience. Elles demandent une chose et son contraire ; le tout et le
rien lui sont égaux. Elles nous triturent les méninges et nous turlupinent
jusqu’à l’excès. Nous sommes prisonniers du passé qui n’est pas toujours
glorieux. La généalogie est parfois bâtie sur du fumier. Notre
« conscience collective »nous joue des tours à travers les détours de
l’histoire politique qui ne sera jamais écrite. Elle est trop honteuse cette
histoire.
Alors, « La justice
arbitrale » qui est l’archétype même du système judiciaire du Cayor
réclama insidieusement la libération de Karim Wade. Que faire ? Au Sénégal
la justice est arbitrale comme elle l’était au Cayor qui est le terroir,
l’espace spirituel privilégié de fabrication des valeurs du paradigme
islamo-ouolof. Les choses ne sont pas simples en ce pays. La justice pénale est
revendiquée par une société civile désemparée mais cette même société refuse le
tranchant, la rudesse et l’âpreté de son
application. « Les gens d’en-haut sont des nôtres, leur embastillement est une
honte pour nous. » Voilà le label psychologique qui gouverne notre rapport
au pouvoir. Le Sénégal est une démocratie au tempérament monarchique et féodal.
Nous aimons les criminels s’ils ont pris le soin de faire partie des gens d’en-haut.
Nous aimons surtout les accuser de tous les noms, nous gaussant de leurs
bassesses, jouissant même de leurs turpitudes. Mais lorsqu’il s’agit de les
châtier, les langues se délient pour pérorer en des revendications et
explications que seuls les sénégalais comprennent : Un mélange de
galimatias langagiers, de grandiloquence jubilatoire, de formules anciennes
plus ancrées que le coran dans les cœurs, de fierté dangereuse et d’assurance
dogmatique. Tout cela dit à travers un sourire superficiel ou bien dans une
colère apparemment sincère à force d’être répétée mais artificiel comme c’est
pas possible. « Laissons les
tranquilles ! » Aimons-nous dire; ils sont comme tout le monde.
Nous les aimons gratuitement parce qu’ils sont… nous. En les vouant aux
gémonies et à la guillotine c’est nous-mêmes que nous représentons, la tête sur
le billot prêts à recevoir la lame généreuse qui coupera notre sale tête de
voleur. Tout ça pour ça ! Mais à quoi bon en fin de compte? Une
société sans crime n’existe pas mais l’épuration sera toujours utile. Les
opérations Augias à travers l’épiphénomène « Set-setal » dans les
années 90 n’y a rien fait. La révolution spirituelle est en marche. Elle
va surprendre parce qu’elle avance à-coups. C’est une opération du cœur. ( A
suivre)
Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com