jeudi 27 octobre 2016

Bob Dylan : un prix Nobel si controversé !




« Etre poète en temps de détresse, c’est alors : chantant, être attentif à la trace des dieux enfouis. (Partir) de l’essentielle misère de l’âge..» Martin Heidegger, Pourquoi des poètes ?

     L’auteur-compositeur-musicien-interprète et poète américain Bob Dylan vient d’obtenir le prestigieux Prix Nobel de Littérature« pour avoir créé, dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine, de nouveaux modes d’expression poétique » selon les mots de l’Académie suédoise.  Une fois n’est pas coutume pour l’Académie, réputée pour sa propension à primer des œuvres linéaires, des auteurs non-populaires réputés pour la fadeur, la tiédeur  et la grisaille de leurs textes littéraires, du moins pour une catégorie particulière de lecteurs. Pour une surprise c’en est une !
 Mais le fait notable est la colère provoquée par un tel choix auprès de certains écrivains comme l’écossais Irvine Welsh, l’américaine Joyce Carol Oates et le français Pierre Assouline.  Quant à Salman Rushdie et Alain Mabanckou ils approuvent à demi-mot avec beaucoup de pudeur. Une attitude « courageuse » lorsque l’on sait que la jalousie est le péché préféré des savants et autres écrivains. Beaucoup n’oseront ruer dans les brancards de peur d’être accusés  de  jalousie  et de mauvais perdants. On oublie que naguère « L’immense critique littéraire  et par ailleurs professeur de littérature scandinave Knut Ahnlund, membre de l’académie royale a claqué violemment la porte du jury en s’opposant vertement à la nomination de l’autrichienne Elfriede Jelinek, auteure de « La pianiste » qui a du reste été portée au cinéma par le talentueux metteur en scène autrichien Michael Haeneke. Elle n’avait écrit que depuis dix ans seulement. Knut Ahnlund avait estimé que le choix porté sur Jelinek est « un choc d’une extrême gravité ayant causé des dommages irréparables à la littérature de manière générale et à la réputation du prix en particulier. » Les controverses ne datent donc pas d’aujourd’hui. Mais bon sang ! un prix Nobel de littérature qui est passé à coté de Léon Tolstoï, Emile Zola, Franz Kafka, Marcel Proust, Jorge Luis Borges et Aimé Césaire mérite-t-il le courroux enfiévré des seigneurs de l’écriture littéraire ? 

Il existe  une écriture littéraire, une écriture musicale et une écriture cinématographique. Le langage littéraire qui n’est pas forcément fait de codes académiques n’est pas le langage musical. Sans verser dans une sémiocratie ringarde qui a déjà connue bien des limites, on peut dire que tout est dans le signe. La sémiologie littéraire est évidemment scripturaire alors que « l’empire des signes » de la musique est tonal. L’on pense souvent que seule la musique classique est tonale, mais tous les grands musiciens populaires n’ont pas échappé à la « règle » de l’exécution tonale.
 
Sans toutefois revendiquer un quelconque don de prophétie, il ya quelques années  nous avons écrit la chose suivante dans « Pourquoi tant de poètes ? » : «  On oublie souvent que le grand musicien Bob Dylan est pressenti pour le prix Nobel de littérature depuis des années. Beaucoup de poètes ont à apprendre de la verve torrentielle de mots sortis de la bouche d’un musicien « anarchiste » comme Georges Brassens. Que dire de Jacques Brel aux textes larmoyants et évocateurs ? Quant à Serge Gainsbourg il a confessé que son courage à chanter lui vient de l’écrivain  Boris Vian lorsque ce dernier a déclamé « Le déserteur » avec cette désinvolture légendaire qu’on retrouve au Sénégal chez Souleymane Faye et Wasis Diop particulièrement, à plusieurs variantes près. Qui ose dire que des musiciens étranges comme Miles Davis ou bien aujourd’hui Jim Jarmush, Iggy Pop et Brigitte Fontaine ne sont pas des poètes ? »  « La foule » d’Edith Piaf est l’un des textes musicaux les plus poétiques jamais interprétés ; la plus belle chanson au monde…que j’aie écoutée. Il ya plus de concordances internes entre images et sonorités que dans bien des recueils de poèmes. 

Bob Dylan est incontestablement un poète mais tous les poètes ne sont pas des écrivains et tous les écrivains ne sont pas des poètes non plus. Voilà le grand dilemme ! Il ya bien moins de poésie chez Paolo Coello que chez Bob Dylan. L'écrivain le plus lu au monde ne  mérite pourtant pas le prix Nobel au vu de certains critères puristes. A côté, les écrivains les plus « profonds », les plus larges, les plus détachés, les plus constants en « leur chose » comme le tchèque Milan Kundera, le japonais Haruki Murakami, le syrien Adonis, le Kenyan Ngugi Wa Thiong’o, les américains Don De Lillo et surtout Phillip Roth ne l’ont pas encore obtenu. Un véritable scandale que l’académie devra réparer. Dylan le musicien iconoclaste va peut-être ouvrir la porte du Prix Nobel à ces écrivains « populaires » que l’Académie de Suède regarde avec morgue depuis des années. Bob Dylan est un immense musicien-poète, mais il n’est pas pour autant, un écrivain. 

Khalifa Touré
Sidimohamedkhalifa72gmail.com

mardi 18 octobre 2016

Au bon souvenir de Mawade Wade





«En ce monde difficile (…) nous pouvons puiser dans les vertus profondes de notre Peuple, une force qui nous permettrait, quels que soient les aléas de la vie, d’être parmi les forces émergentes de l’humanité» »
Mawade Wade Rufisque 1976

Voici Mawade Wade, l’homme à la voix trainante et tonitruante, à la diction plaisante et intrigante. La passion-football faite homme, le panafricaniste méconnu, l’homme de gauche aux engagements révolutionnaires, l’anti-colonialiste invétéré… Mawade Wade n’était pas une réputation surfaite, un faux savant mais un homme  authentique et enraciné…dans le Walo, le Fuuta. Mawade avait du métier, ce métier d’instituteur-pédagogue qui a fait de lui un coach talentueux presque génial. Il  avait sa méthode, une dialectique du football. Plus que le ballon c’est l’homme qui importe.
« Ma », comme ses amis le surnomment, est un grand Sénégalais, un entraineur exceptionnel, un éducateur, un formateur dont la science a beaucoup servi le football mondial en tant qu’expert de la FIFA, en sa qualité de défenseur teigneux des intérêts du football Africain. Mawade a rejoint la Confédération africaine de football (CAF) en 1970. À Yaoundé, en février 1972, il contribue, avec l'Éthiopien Ydnekatchew Tessema et l'Algérien Mohamed Maouche, à l'élaboration d'une nouvelle «loi fondamentale » pour l'organisation du football continental.
Cet ancien instituteur a fondé et « entrainé »  le Réveil de Saint-Louis de  1950 à 1965. En 1966  il est nommé directeur technique de l'équipe nationale, en compagnie du Dakarois Lamine Diack et du Thiéssois Jo Diop.

Mawade Wade est surtout connu du grand public comme un grand entraineur de football. Pour ceux qui ne le savent pas Mawade Wade fait partie de ceux qui ont découvert, encadré et valorisé le fameux Oumar Gueye Sène, l’un des meilleurs footballeurs africains de tous les temps. Baba Touré qui vient de nous quitter, sans nul doute le meilleur footballeur sénégalais, occupait une place de choix dans son cœur. Il aimait les artistes du ballon comme Séga Sakho.
Auparavant il a vu passer sous son regard expert les plus illustres noms du football Sénégalais des années 60 et 70 : parmi eux  Louis Camara, Matar Niang, Fadel, Yatma Diop, Saliou Cissé Chita, Baye Moussé Paye «Takac», Demba Thioye, Oumar Guèye Samb, Bamba Diarra, Locotte, Mame Touty, Petit Guèye, Yérim Diagne, Yatma Diouck, Léopold Diop etc. Plusieurs générations de sportifs sénégalais ont bénéficié de son expertise. Et cela des années 50 aux années 90. Quelle longévité !
Mawade était surtout un concepteur et un théoricien de la pratique footballistique en tant que fait social aux soubassements politiques. A Rufisque en 1976 Il dira lors d’une sortie publique ces propos étincelants de vérité : «Je ne cours pas après le ballon, je cours après les hommes qui courent après le ballon, parce que ces hommes c’est l’écrasante majorité de la jeunesse de mon pays, parce que ces hommes constituent le levain de mon Peuple.» 

Mais Mawade Wade avait surtout une conscience de classe très aiguë, un esprit rebelle, un militantisme farouche pour l’indépendance africaine. Mawade était un proche ami de tous les grands leaders africains qui prônaient l’indépendance immédiate.

Révolutionnaire au tempérament hors norme, cet adepte de la dialectique considérait à juste raison qu’une bonne politique footballistique et même sportive est inséparable du projet de société qui gouverne un pays. C’est une société en crise qui provoque la crise du football. Le football n’est pas la cause mais la conséquence. Aujourd’hui, nombreux sont les Etats africains qui appliquent la vieille théorie de la fraction en oubliant que la société est un tout. Mawade était un visionnaire passionné, un homme à l’âme fêlée dont les propos et les actes étaient parfois incompris. Considéré parfois comme un anticonformiste, il a par moments été victime d’ostracisme partout où il a trainé sa vieille carcasse de saint-louisien walo-walo originaire du Tékrour des fiers guerriers et des saints.

Mais toute histoire se termine fatalement un jour ou l’autre. Mawade sentait le mal depuis quelques temps. Le 11 Août 2002 il est violemment frappé d’un AVC. Il perdit l’usage de la parole. Cette parole qui était le signe particulier de l’homme. Dans la nuit du 14 septembre de la même année la voix la plus haute du football africain s’éteint à jamais. Il a été assisté par les siens  jusqu’à son dernier souffle.

Quelques jours avant son ultime voyage, la CAF, avec à sa tête Issa Hayatou est venue à son chevet. Mawade Wade est sans conteste l’un des plus illustres Sénégalais du siècle dernier. Mais son combat pour l’édification d’une nation libre et épanouie reste méconnu et sa mémoire n’est pas suffisamment célébré dans son pays natal. Dommage.

Salut l’artiste, repose en paix !

Khalifa Touré
 sidimohamedkhalifa72@gmail.com


mardi 11 octobre 2016

Sénégal : A quand la grande querelle ?






« Être grand, c’est soutenir une grande une grande querelle » William Shakespeare

Il existe des peuples traversés par la colère. Le mauvais sang leur monte vite à la tête. Ils sont gouvernés par la bile, cet organe dégtant et indispensable. Ce ne sont pas les velléités du cœur et de la tête qui agissent ici ! Rien à voir avec les tribus guerrières du désert ou l’hostilité des gens de la forêt. Ces peuples ont leur bon côté !   
Même la savane et les steppes ont leur lot de violence atavique. Mais la violence est surtout politique, il ne faut pas s’y tromper. L’instinct de domination politique a généré plus de violence que l’injustice, elle-même. La géographie et le climat n’expliquent pas tout dans le caractère et le tempérament. Tout cela est mystérieux !
Qui a dit que les Wolofs, par exemple, sont congénitalement pacifistes ? S’il y avait suffisamment d’armes à feu au Cayor, de Lat Soukabé Ngoné Dieye à Diéri Dior Ndella, les Wolofs, du moins ceux du Cayor, auraient disparus. Quatre siècles de violence meurtrière, de viols, de rapines et de gestion tyrannique du pourvoir, entrecoupées de périodes fastes à la Biram Ndjémé Coumba, ont failli avoir raison des Wolofs du Cayor. Ce fut à la sortie de la période « lamanale »  aux temps de Leulé Fouli Fak et Détié Fou Ndiogou jusqu’à la fin du cycle Ceddo qui ne s’est éteint qu’au début du XXème siècle. C’est très récent ! Une véritable guerre des quatre cents ans ! Figurez-vous,  les génocides sont presque impossibles sur une longue période. Ils  tombent comme un couperet.
Mais les peuples ont du génie, ils possèdent une grande capacité de régénérescence. Les peuples sont comme des sphinx qui renaissent toujours de leurs cendres. Les peuples ont une grande peur de l’anéantissement. Alors la disparition totale devient impossible.
Sur le bord du précipice, le Sénégal a donné naissance aux saints Marabouts, grands prieurs, jeûneurs infatigables, adeptes du silence et de la contrition, de la retraite et du cloître, qui ont répandu leur magnétisme spirituel et mystique sur les terres sablonneuses du Cayor, les berges fertiles du Fouta, du Waalo, les contrées caillouteuses du Guidimakha jusqu’à la forêt mystérieuse du Pakao.  Ce fut la plus grande querelle. Elle a été menée par une sédimentation successive de leaders, de saints marabouts très différents selon les époques, dont les tout derniers ont réussi à faire de l’Islam non plus seulement une religion de l’élite royale mais une affaire du peuple. Une grande querelle qui a pacifié et assagi les Ceddo.
« Pour être grand, il faut soutenir une grande querelle. » Qadi Ammar Fall, Thierno Souleymane Baal, Ahmadou Ndack Seck, El Hadji Malick Sy, Ahmadou Bamba Mbacké, et Cheikh Abdallah Niasse ont soutenu une grande querelle. Une querelle de type philosophique, mystique et intellectuel. Ils ont su prendre les cœurs selon une science gnostique que seuls les ermites adorateurs de Dieu  connaissent. Pour conquérir le monde, il faut se détourner du bas-monde. Et les cœurs des gens de ce sous-monde viendront à vous selon un puissant magnétisme que seuls les grands amoureux peuvent dégager. Depuis lors il n’ya jamais eu de querelle de cette dimension, une guerre aux dimensions  intellectuelle, mystique et culturelle à la fois. Les autres querelles suivantes ont été dominées par de grands intellectuels : Léopold Senghor, Cheikh Anta Diop, Majmouth Diop, Mamadou Dia, Abdoulaye Ly. C’est la querelle des indépendances. Elle a été ferme pour les uns et ambigüe pour les autres. Ce ne fut pas véritablement une grande querelle.

La prochaine grande querelle touchera les racines de notre culture ou ne sera pas. Elle sera une guerre du bilan de notre « culture sénégalaise ». Une querelle autour du droit d’inventaire de nos différents choix de vie à travers l’histoire récente. Une querelle de la mémoire ! Un peuple qui ne connait pas la vérité de son passé est obligé de mentir sur son avenir ! Ce n’est certainement pas le développement qui sera le « baromètre d’évaluation. » Le développement à quoi ça sert ? Personne ne sait ce que c’est que le développement. Tout ce qui compte c’est le bonheur qui n’est pas une notion abstraite. Allez dire  aux éclopés de la vie, les damnés de la terre, les mendiants, les clochards et les casseurs de pierres que le bonheur est une idée abstraite !  Ils attendent tous la grande querelle qui changera la vie et se détournera des vaines colères de l’actualité.

Khalifa Touré