dimanche 26 juin 2016

L’avenir de la folie au Sénégal




 « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour, de folie de n’être pas fou. » Voilà le pari pascalien pour la folie nécessaire. Ce n’est plus Dieu qui est en cause mais les tribulations infécondes de l’âme humaine. Quand la folie est la chose la mieux partagée elle devient ordinaire. Alors, une vaste foire aux fous est organisée au Sénégal. Elle pousse les citoyens à pisser partout dans la capitale, la capitale de notre vie, vaste urinoir où les mauvaises odeurs viennent se mêler aux senteurs odorantes des femmes qui sont toujours sur leur  trente et un.

 Un écrivain sénégalais a voulu ainsi chercher l’irrévérence pour décrire, décrier et faire sentir le paradoxe olfactif de notre existence. Il va falloir nettoyer à grande eau les coins  et recoins, les rues de la capitale de notre vie avant que feu et sang ne viennent purifier les lieux de notre culture urbaine infectée  par des années d’insouciance et de folle confiance aux saints. Il y a plus de saints dans un coin de l’Irak que dans tout le Sénégal réuni.

Les errements de notre existence saturée de folie  viennent enfin se vautrer par lassitude dans le fétichisme des aisselles odorantes des femmes ; une image  fabriquée par un poète clairvoyant. C’est alors que les fous les plus  lucides deviennent les routiers de nos chimères infécondes. Les mauvaises odeurs ne viennent pas des femmes heureusement, elles passent  partout à travers les pores béants de notre corps social que les nouveaux types de sociologues médiatiques n’arrivent pas à comprendre. Ils marchent dans la boue de l’inculture et des symétries faciles pour soi-disant analyser les faits sociaux. Mieux vaut confier notre corps social à l’analyse des bucherons qui vont la couper de part en part. Trois pelés et un tondu, trois sociologues et un juriste nous ont tympanisé pendant des années. Il n’en reste plus qu’un seul indécrottable des media. Le grand nettoyage aura raison de lui.

 Les saltimbanques les plus agités sortent des fosses septiques de notre vie, comme des blattes peupler nos regards énamourés et prompts à tomber amoureux de n’importe quel tas de viande animé de paroles, pourvu qu’il parle à la télé. Finalement nous avons l’amour facile. La grande tragédie de l’existence est que l’homme s’habitue à tout. Elle fricote avec l’insalubrité morale. La viande faisandée de la politique n’attend pas les marchands de chère infecte pour empuantir nos veines par le sang contaminé des ânes. Nos douloureux remerciements aux affreuses fripouilles qui ont égorgé des ânes pour notre gloutonnerie. Beaucoup de carnassiers ne mangeront plus de viande. Ils viennent d’être informé qu’il y a des compatriotes qui peuvent aller très loin dans le vice. Nous sommes des hyènes qui mangeons la chère de nos semblables. Djibril Diop Mambety est le génie qui a le plus compris notre fascination pour le meurtre collectif de notre prochain. La viande d’âne qui arrive dans nos plats préfigure l’autodestruction d’une société qui fabrique de plus en plus des sociopathes qui ont choisi l’empoisonnement et l’appât du gain comme modus operandi. Des psychopathes tueurs en série, il n’y en a pas seulement en politique.

Beaucoup devront passer aujourd’hui à la moulinette et même pour certains au rouleau compresseur de la vertu. Ils seront ratatinés par la machine du bien. Leurs cris d’orfraie nous révèleront qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être. Ils ne sont rien moins que des présomptueux, faux dévots et tartuffes de la religion, des fayots de la politique. La sotte fatuité de certains francophiles qui prétendent influencer l’Afrique sous couvert de lutte anti-terroriste, la forme carrée et bizarroïde des cadres administratifs en costards qui sont heureux de savoir seulement nouer une cravate, les étudiants-mannequins des nouvelles écoles de formation qui ne sont formés à  aucune science fondamentale etc. Tous, des fous furieux candidats idéals à la refondation, sinon au licenciement collectif.    

Le vice du paraître et de la personnalisation jouissive a contaminé les animateurs qui se croient toujours au septième ciel devant les caméras mobiles de nos chaines de télé où tout le monde est à l’abri même les trompeurs, les obsédés et les maniaques. Beaucoup d’animateurs n’ont pas d’âme. Comment peuvent-ils animer alors? Nous avons eu droit à un grand moment de télé lorsque cet imam  a injurié le père de Birima le fou de « Jakkaarloo ». C’est bien fait pour nous!  Mais autour de cette table, le plus fou n’est pas celui que l’on pense. C’est cela la télé que les jeunes et les femmes préfèrent à leurs mères.
Pour beaucoup de jeunes, les injures s’adressent à la mère. Ils pratiquent l’auto-injure. C’est le comble de la folie ! Cette incroyable impolitesse adressée à soi et à la mère a quelque chose d’incestueux et de suicidaire. Un de ces jours, ces jeunes commettront quelque chose d’innommable. Ils sont animés d’une colère malsaine. Leur mine patibulaire renseigne sur un vide éducatif qui appelle à être comblé par les pierres de la vertu. Quitte à les lapider, il va falloir qu’ils marchent droit. On n’injurie pas sa mère. Ceux parmi eux qui ont du cœur ont pris le large. L’Atlantique est le saint suaire de ces enfants qui ont préféré leur mère à la justice qui embastille et libère qui elle veut. Un de ces jours il va falloir procéder à la dissolution de la justice.

Quant aux entrepreneurs moraux ils hantent les séances de chants religieux à l’affût des regards féminins. L’argent est le mobile de leurs crimes, ils n’ont même pas d’alibi. Ils chantent les louanges du Prophète (PSL) comme s’ils s’adressaient au Dammeel Madiodio. Leurs jours sont comptés, eux et ces Oustaze braillards qui prétendent commenter des vers poétiques. Les balivernes et sornettes qu’ils racontent sur l’histoire religieuse de ce pays sont particulièrement prisées par les chauffeurs de taxis et de cars « Ndiaga Ndiaye ». Ce n’est même pas de l’histoire mémorielle. Ce sont des histoires à dormir debout. Ils continuent à raconter des Hadiths apocryphes qui font rire les jeunes étudiants des facultés de Sharia. Mis à part Cheikh Tandian le « Hadithologue » de la RDV ils sont peu nombreux à pouvoir donner des avis islamiques motivés. Alors les jeunes assoiffés de Dieu se réfugient auprès des gourous « musulmans » et des églises délinquantes qui organisent des orgies et écument les cinémas désaffectés de Dakar qui ont finit de diffuser les derniers films pornographiques.  
Ici finit l’éloge de la folie ordinaire avant que la bête immonde ne sorte des entrailles de la terre.

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com

samedi 18 juin 2016

Chronique de la folie ordinaire (suite)





Après « l’éloge de la folie » à la manière d’Erasme de Rotterdam, c’est alors qu’avancèrent les fous les plus furieux que le monde ait connus. Les professeurs, les vrais, sous leurs lourdes toges officiant ex-cathedra une science que les pauvres carabins n’arrivent pas à saisir par des méninges non pas fatiguées mais déjà habituées à autres choses. Ces choses de l’inculture et de la vulgarité qui provoquent la méningite intellectuelle.

 Les cerveaux ramollis et chloroformés par les ambiances nocturnes qui manquent de poésie. Ils manquent de cet oxygène appelé « culture », qui les presse jusqu'à l’étouffement. Pauvres étudiants, bientôt ils ne seront bons que pour les flots moutonnants de la mer à côté de « Cheikh Anta Diop ». Faut il brûler l‘université sénégalaise ?  Jeter les étudiants à la mer ? Beaucoup d’entre eux ne savent pas nager. Ils vont couler comme pierre à l‘eau « profonde » préférant glouglouter dans l‘eau salée à la poursuite d’une naïade aux seins nus, que de se noyer dans les eaux spirituelles de William Butler Yeats, Dimitri Mendeleïev ou Léon Walras. Les plus sérieux répondent aux appels des belles sirènes. Le romantisme est passé par là ! Plus tard ils se marieront peut être avec les filles qui ont su rester chastes.  

Ils en ont marre de la théorie mathématique des fractales ces étudiants, la grammaire générative et transformationnelle de Noam Chomsky les rebute, les cérébrales  tentatives de Ludwig Wittgenstein avec son assommant Tractatus logico-philosophicus les font fuir à toutes jambes. « Toutes ces choses  ne sont pas faites pour nous, c’est des trucs de blancs » m’a dit un jour une étudiante. « Des billevesées de bourgeois », dira un crétin qui se prend pour un communiste. N’est pas communiste qui veut ! Décidément la chronique de la folie et des sottises humaines est plus longue que prévue. Foutue « démocratie » !  elle a  sanctifié  les pires gredins que la terre ait portés.

Quant aux professeurs ils ne  portent pas la barbe comme les savants, ils sont tous rasés de près. Le syndrome du bouc est passé par là. Mieux vaut ne pas ressembler à ce mâle de la chèvre dont la réputation de lubricité est loin de la sagesse de la barbe qu’il porte dans toutes ses saillies. " Les Stoïciens ont la prétention de voisiner avec les dieux. Qu'on m'en donne un qui soit trois ou quatre fois, mettons mille fois stoïcien; peut-être, dans le cas qui nous occupe, ne coupera-t-il pas sa barbe, emblème de sagesse qu'il partage avec le bouc » a écrit l’humaniste hollandais du XVIème siècle. Mais peu s’en faut que le noble savoir glisse sur la peau lisse et se brise les pattes. 

Décidément l’ambiguïté n’est pas seulement une aventure, sa présence obsessionnelle dans les symboles se joue de notre perverse habitude d’analyste et de chroniqueur à tout interpréter. Il n’ya pas plus ambigus que les prédicateurs religieux et ultra-médiatiques. La majorité n’a pas le niveau du brevet en sciences islamiques. Un jeune quidam qui ignore totalement le Nassikh Wal Mansoukh (l’abrogeant et l’abrogé) se permet de faire le « Tafsir » à une Télé privée bien connue. Le plus prisé des « Oustaze » médiatiques sénégalais ne parle presque pas l’arabe. Si ces énergumènes qui pratiquent l’islamo-business ne sont pas « fous », la folie n’existe pas en ce pays des plus grands lettrés en langue arabe : Serigne Cheikh Tidiane Sy, Mame Khalifa Niass, Cheikh Tidiane Gaye. L’une des sommités mondiales des sciences coraniques est sénégalais, il s’appelle Muhammad Al Hassan Bousso.

Que dire des chroniqueurs d’aujourd’hui, cette race d’écrivains désemparés, auréolés d’une vraie, parfois surfaite réputation  de scribe à la plume fine et tranchante plutôt que lucide. « Les chroniques italiennes » de Stendhal sont passées par là donnant au genre une once de noblesse. Guy de Maupassant un fou, un vrai, mort de syphilis, d’amour et de démence a écrit près de mille chroniques dans les journaux Gil Blas et Le Gaulois pendant dix ans. Ecrire des chroniques pendant dix ans ! Il ne faut surtout pas le faire ici. C’est de la folie ! Les plus mauvais livres sont quand même des livres, même si personne ne les lit. Le chroniqueur a l’avantage d’être lu. Le mauvais écrivain a l’avantage d’être un auteur qui provoque la pitié en demandant qu’on le lise. Quel avantage malheureux ! « Lisez-moi s’il vous plait, il ya au moins une bonne phrase dans mon bouquin. » Il faut être fou pour écrire. De grands penseurs n’ont rien écrit, ils ont préféré penser et parler. Ils ne sont pas fous ! La graphomanie, cette manie à écrire à tout va,  n’était pas encore inventée. 

Avancent alors, les « gens saignants » des écoles que personne n’ose critiquer. Ils saignent de partout parce qu’ils font saigner l’enseignement tout de même et malgré tout. Ils ont le malheur de professer sans chaire, au bas de la chaire même. Un peu de carriérisme, une thèse, doctorale ou non et quelques articles les feront monter à cette chaire tant convoitée. Donnez aux « gens saignants » ce qu’ils demandent et qu’on en finisse!

 Quant aux journalistes ils ne sont plus mal fagotés comme à l‘époque de ce fameux « débraillé travaillé » qui donnait un profil inquiétant et mystérieux à ces hommes et femmes qui sentaient la grande culture, le tabac, l‘eau de Cologne et… l’eau  de vie parfois. D’autres types suivront, et même des prototypes qui viendront peupler notre regard. Alors suivra le temps où seront nettoyées les écuries d’Augias « le fou ».

Khalifa Touré



dimanche 12 juin 2016

Éloge de la folie au Sénégal(1)






Il ya bien des années, le brillant  journaliste  Moustapha Sène, l’une des plus fines plumes de la presse Sénégalaise publiait un dossier  documenté et très intelligent sur la vie des malades mentaux au Sénégal, surtout en milieu urbain. C’était l’époque où le Soleil daignait encore briller de mille feux éclairant les foyers de nos consciences endolories par le mal du siècle : l’inculture. Depuis lors il s’est passé beaucoup de choses indésirables sous les rayons de ce Soleil qui brille encore dans un monde qui n’a que faire de la lumière, préférant les ombres de l’écriture « précipitée » et inaccomplie. 

Ansoumane Ndione et sa confrérie de dépressifs incompris n’étaient pas encore sortis de l’ombre des maisons. Tous les « fous » sortent d’une maison faut-il le rappeler. La dépression, cette fêlure de l’âme qui a tué Ernest Hemingway, étouffé Charles Baudelaire dans les volutes du Haschisch et les inspirations de l’alambic. Les magnifiques Abdou Anta Ka et Khady Sylla sont les enfants de cette « maladie » géniale…des génies…créateurs. Décidément le romantisme est le sommet de la vie, la frontière du réel. Le romantisme c’est la démesure et la mort ! Il ya un déficit de romantisme au Sénégal. Les gens préfèrent la romance. Le poète Ibrahima Sall l’a dit : « De nos jours, il n’est pas de pureté qui ne frise l’immoralité. Surtout chez ceux qui ne font jamais rien comme les autres. Les temps ont mûri et les romantiques déboussolés par l’agonie du Grand Siècle ont choisi le romanesque. Les solutions de facilité ou de lâcheté n’existent pas. Elles ne sont que la courbe démagogique de la dégénérescence de nos semblables. »

Un romantisme de cape et d’épée défendrait le Sénégal contre les envahisseurs culturels. Suffisamment de romantisme ferait sortir non pas des machines à « mafé » mais des appareils qui nous feraient sortir de l’esclavage du travail. Avec  le règne de l’abondance,  l’envie de travailler à mort nous passera. Il faut moins de romance et beaucoup de romantisme pour construire une technopole, une « Silicon Valley » ou les enfants de l’Afrique viendraient tester leur génie…créateur, leur folie ordinaire. Un autre temps sortira de ces centres de diffusion de la vie. « Il n’ya pas de génie sans un grain de folie » disait Blaise Pascal. Les capitaines d’industries feront le reste. Ils feront croître le reste par leur folie ordinaire et parfois…extraordinaire : des industries du livre, de la musique, du cinéma, de l’électricité, des Télécom, de l’agro-alimentaire en attendant la grande métallurgie et la sidérurgie.  Il faut le vouloir pour posséder les industries qui dépendent différemment des quatre éléments : l’air, le feu, la terre et l’eau. Alors viendra la croissance, le grand mouvement, non pas vers le développement mais vers ce qui est plus essentiel : l’équilibre de la vie, la Paix. 

 Les malades mentaux, ces « conquistadores de l’oubli » qui arpentent les méandres d’une conscience troublée par le voisinage de la vérité. La vérité, ce monde encore inconnu dont les frontières mouvantes finiront par happer les apparences factices et évanescentes de notre monde fait de contre-vérités. Il ne s’agit pas de cette folie nécessaire ou maladive mais d’une perverse revendication de la folie. De nos jours le monde dresse le tapis rouge pour une vulgaire parade de faux-fous qui éclaboussent notre intelligence. C’est le règne des fous qui ne savent même pas faire le pitre comme « Koutia », cet enfoiré magnifique. Ils sont en politique, drapés des pâles oripeaux du « je veux servir mon pays ». D’autres écrivent avec on ne sait quel organe de l’homme. Les danseurs trépignent pitoyablement sur une musique du diable qui finit lui-même par s’énerver de voir tant de nullité dans la fabrication du mal. Alors les diablotins de la politique, de la consultance, de la religion, et du show-biz entrent dans la danse avec leurs frêles jambes claudicantes. Ils ne vont même pas plus vite que la musique. C’est la musique qui ne veut pas d’eux. 

Alors la chronique des folies ordinaires et extraordinaires chez les sénégalais s’impose. Une critique des escrocs professionnels, des filous de tout acabit, des bonimenteurs patentés dans nos maisons, à la rue, dans la jungle politique, chez les débatteurs accro à la télé et indécrottables sur leur piédestal de manipulateurs ridicules  et même les braillards assourdissants d’un bruissement continu et arythmique qui se veut musique et que les plus jeunes appellent « sons ». Seuls les peintres sont gentils en ce pays. Parce qu’on ne les connait pas. Les autres ont tous des envies de meurtre. Ailleurs un chanteur farfelu a réprimé son envie de meurtre en écrasant un hérisson. Ici on n’écrase pas des porcs-épics, mais on tue le sport, la culture et l’environnement par « les mauvaises odeurs » qui sortent de nous. Des religieux se passent la corde au cou en tuant la foi. Mais le cadavre de la religion bouge encore nous rappelant la forfaiture. Nous nous enfuyons devant notre ombre que l’on ne reconnaît même pas, pensant que c’est l’ange de la mort qui arrive. Nous avons tellement péché que nous avons peur de l’avenir. La fin est toujours proche, seuls les « fous » le savent. La mort et la folie étant voisines. 

KHALIFA TOURE 
sidimohamedkhalifa72@gmail.com

samedi 4 juin 2016

Un peuple- une foi- un but ?






L’affaire Ousmane Sonko est fort intéressante et importante d’un point de vue de la médiatisation politique, mais elle n’est pas encore essentielle, elle ne touche pas encore à l’essence des choses. C’est un épiphénomène.

 Il faut dire que le discours politique contemporain tel qu’il est décliné dans les media est confronté à l’obstacle rédhibitoire de la dénonciation médiatique. Le temps des media exerce un empire répressif sur le discours politique en le transformant en une simple actualité qui passe, comme le temps qui passe… C’est pourquoi le discours politique de dénonciation sera incapable de prendre en compte les raisons profondes de la corruption des mœurs, le refus de payer les impôts, la ruse fiscale et autres affaires illicites. Le temps politique refuse de se libérer du temps médiatique. Le sentiment patriotique et la confiance morale en l’avenir et à la destination de  l’investissement sont indispensables pour le citoyen qui paye les impôts. Les sénégalais ont l’esprit du don, ils sont capables de donner, tant qu’ils ont confiance. Ils contribuent dans les dahiras et donnent à longueur d’années des « Hadiya » parce que leur geste est soutendue par un sentiment moral de confiance en une rétribution future. Les sénégalais n’ont pas foi à la juste destination des impôts qu’on leur demande. Ils n’ont pas forcément raison. Mais tout est question de foi. C’est au leadership politique d’inventer une mystique du don soi.  

Malheureusement l’élite a perdu ce capital symbolique. Si pendant ces nombreuses années d’indépendance l’élite francophone qui a exclusivement géré ce pays avait démontré par des résultats économiques concrets que le contribuable n’a pas tort de contribuer, beaucoup auraient  eu confiance au système étatique de taxation. Nous sommes victimes de la crise de confiance dans cette affaire qui, à bien des raisons, confirme des pratiques que tout monde connait : Les exonérations, la ruse avec la norme qui n’existent pas qu’à l’assemblée nationale. Au même moment, de petites entreprises qui ont investi dans des œuvres de l’esprit comme les maisons d’édition locale croulent sous le poids de la pression fiscale au moment où d’autres sénégalais bénéficient de « privilèges fiscaux ».

Ousmane Sonko, et toute une génération de jeunes politiques comme Mansour Ndiaye et même Babacar Diop sont encore vierges de toute pensée, pratiques et errements traditionnelles de la politique. Mais ils ont le malheur d’appartenir à un système qui est en train de faillir et dont ils dénoncent la corruption. Il faudra du temps et même une révolution pour inventer un autre système. Le modèle francophone, technocratique, islamo-ouolof et bureaucratique est en train de s’essouffler depuis longtemps. Dès les années 90 le CODESRIA annonçait la crise profonde du modèle islamo-ouolof qui est le paradigme essentiel qui informe toutes nos pratiques étatiques et sociétales. Au lieu de contre-valeurs à dénoncer ce sont les valeurs du modèle qui sont en train, depuis un peu plus de  vingt ans, de révéler leurs propres limites.

Mais ce qui n’a jamais été suffisamment étudié et documenté  est la crise de la « francophonie » au Sénégal qui en elle-même est un code moral, un mode de vie. Jusque dans les années 80, dix ans après Mai 68, ce modèle restait encore attrayant, formant des cadres brillants, monopolisant les espaces séculiers de distribution des gains politiques et de la rente économique. Mais contre toute attente des phénomènes puissants de contrepouvoir se sont involontairement ligués pour la réduire  en une entité purement symbolique : Il s’agit de l’exode rural qui depuis les années 70 a jeté des millions de ruraux dans les villes contribuant ainsi à la modification de l’urbanité individualiste telle qu’elle était conçue par les cadres occidentalisés. Des ruraux se sont établis et enrichis en ville. Il ya aussi la contribution importante de l’émigration qui a remis en cause le pouvoir des cadres francophones qui faisaient naguère la pluie et le beau temps. Dans beaucoup de villages ils n’ont plus le vent en poupe, d’autant plus qu’ils gagnent peu. Pour l’élite francophone, ces deux rouleaux compresseurs sont malheureusement arrivés à un moment de grande mondialisation où les outils matériels de la modernité (sauf les concepts) sont accessibles à tous. Les lettrés, au lieu de continuer leur indispensable mission de forgeron de concepts se sont mis à discuter aux analphabètes, les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Alors, ils n’ont plus rien à revendre. Pas même le français qu’ils parlent mal et même douloureusement. Personne n’a remarqué que les patrons sénégalais s’expriment mieux en français que les ténors syndicaux de l’enseignement. Les signes de la crise sont partout présents. L’expression de la langue française au Sénégal est une question de milieu et de classe sociale. La crise de l’école qui a produit aujourd’hui des cadres qui n’ont rien de superbe sera le dernier coup de semonce qui va enterrer le modèle élitiste francophone. Elle a perdu de sa superbe et son charme face à une société qui a déjà pris sa revanche sans coup férir. Personne ne croit plus aux politiques en costume cravate qui parlent français à la télé. Ils sont presque suspects aux yeux des ruraux de la ville et des villages qui ont maintenant tout compris.

Malheureusement tous ces jeunes loups de la politique qui veulent tout changer sont confrontés à problèmes qui sont essentiels et formidables, c'est-à-dire effrayants. La principale menace qui guette le Sénégal est la crise de la culture au sens de « code moral ». La faillite de l’élite francophone est une défaite d’ordre culturel et moral. Personne ne croit plus en nous ! Et, relativement, nous n’avons pas encore fait grand-chose disons-le. Même pas de bons livres. Si la société politique n’a pas la lucidité d’investir dans la ré-éducation, le ré-armement culturel et moral de l’élite, elle aura beau dénoncer mais elle ne pourra empêcher ce pays d’entrer en phase de crise généralisée que personne ne souhaite.  

Khalifa Touré