lundi 15 août 2016

Djibril Diop Mambety, le cinéaste de la ville.





L’art n’est peut-être pas une théorie de la connaissance comme la philosophie mais il reste une source insoupçonnée de savoirs qui nous échappent. On peut même dire de façon prosaïque qu’il est des artistes qui sont de loin plus profonds que ne le sont certains philosophes. Le cinéma de Djibril Diop Mambéty est malheureusement une de ses œuvres artistiques dont la contribution au « dévoilement du réel » n’est pas suffisamment mise en exergue. 

Cinéaste de l’étrange, du non-dit et de l’impensé, Djibril Diop Mambéty est sans nul doute l’un des créateurs africains les plus explosifs. Acteur, metteur en scène et scénariste, ses œuvres n’ont certainement pas fini de nous révéler les secrets de la vie. Il n’a jamais cessé de nous entrainer dans les méandres de la ville africaine, des bas-fonds, chez les petites gens, les laissés- pour-compte, « les damnés de la terre ».Cinéaste de l’urbanité, de l’underground et de la « perversion » des villes qui fabriquent fatalement un lumpenprolétariat réduit au silence comme ce vieux casseur de pierres dans « la petite vendeuse de Soleil ». Cinéaste déroutant par son symbolisme pourtant transparent, ses dialogues décalés et son nihilisme esthétique qui lui vient de la lecture de Nietzsche, Djibril Diop « sacrifie » la narratif au profit du visuel et du symbolique. En une image, il exprime beaucoup de choses. Djibril Diop est le cinéaste du fourmillement et de la multitude des images suggérées. Quel paradoxe !

La posture esthétique de Mambety est pourtant éminemment politique. Mambety est un révolté qui ne crie pas sa colère sur tous les toits. Derrière son calme apparent il ya une colère zénithale. Regardez ce chemin de croix effectué par une Afrique dévaluée à travers sa monnaie symbolisée par le personnage de « Marigo » dans « LE FRANC » qui s’en va brinquebalant avec une porte et qui tombe plusieurs fois comme Jésus Christ sur le chemin du mont Golgotha ! Que dire de ce monisme religieux et syncrétique des africains dans la mémoire de qui, sonnent le chant du muezzin et l’image du héros Ceddo et du trompettiste toujours exprimé dans « LE FRANC » ? Les sanglots longs des trompettes  sonnent la misère noire, une misère qui n’est pas noyée dans la musique grâce à  la dignité des êtres qui hantent l’espace. Chez Mambety « l’histoire » n’est pas volontairement coulée dans la musique comme dans certaines œuvres de Fellini et surtout d’Emir Kusturica. « LE FRANC » est l’un de ses chefs d’œuvres cinématographiques que l’on peut voir mais aussi et surtout écouter. Il ya des films à regarder, des films à écouter et des films à regarder et écouter à la fois. Aucun cinéphile au monde ne peut s’empêcher d’écouter les dialogues et la musique de « Le Messager » de Moustapha Akkad, « Le parrain » de Francis Ford Coppola, « Sous le Soleil de Satan » de Maurice Pialat, « Les 400 coups » de François Truffaut et « Le Vieux fusil » de Robert Enrico. Mambety, le grand frère de Wasis, est de cette étoffe. Djibril Diop est un poète de l’évasion mais aussi de la confrontation. Chez lui, il ya du comique et du tragique qui se superposent, ils ne sont pas juxtaposés comme dans la tragi-comédie. 

Chez Djibril Diop nous avons tout intérêt à chercher des réponses à nos contradictions telles qu’exprimées dans « HYENES » où les hommes cannibalisent leur semblable comme les bêtes sauvages et cela à vil prix. Mambety a tenté de nous révéler une certaine modernité africaine par une tentative de « réinvention » de l’écriture cinématographique. Voilà sa grande contribution. Du reste, il est jusqu’ici le seul cinéaste Sénégalais en sélection officielle au festival de Cannes. C’était en 1992 avec « HYENES ». Il a précédé en cela deux autres africains : le tchadien Mahamat Saleh Haroun qui a remporté le prix du Jury avec « Un homme qui crie » et le mauritanien Abderrahmane Sissako qu’il dépasse de loin en puissance poétique. Auparavant l’Afrique a remporté une palme d’or aujourd’hui oubliée, il s’agit de « Chronique des Années de Braise » de l’algérien Mohammed Lakhdar Hamina en 1975. Bref, Sir Charles Chaplin le génie absolu du cinéma n’a remporté qu’un Prix d’honneur à la fin de sa carrière. Né à Dakar en 1945, Djibril Diop Mambety est décédé le 23 Juillet 1998 emportant avec lui les secrets de sa fêlure qui était déjà manifeste dans « Touki Bouki » classé 52eme par le Magazine Empire Magazine’s « The 100 Best films of world cinema » en 2010.

Khalifa Touré

lundi 8 août 2016

Six grandes championnes du Sénégal




De ridicules listes d’intellectuels qui font bouger l’Afrique circulent. Des cohortes de femmes, soi-disant leaders, occupent les journaux. Nous avons tout compris. Ceux, tapis dans l’ombre, qui concoctent ces listes pour influencer nos manières de penser ont tout faux de parier sur notre imbécilité. 

Dans ces top 100 ou top 10, seules deux à trois figurent les intéressent. Les autres sont là, Desmond Tutu ou  Wole Soyinka pour valider la présence de ces missionnaires coloniaux  à la peau noire, qui sont contents d’être cités. A côté, il y en a qui ne veulent pas être cités. Ils savent  qu’on veut mettre la main sur eux. Toutes nos félicitations à Ibrahima Sall, « le bouvier de l’au-delà » qui ne s’est pas déplacé pour aller prendre le Grand Prix internationale Léopold Senghor de la poésie. Il existe  encore dans ce monde, des êtres qui ne cherchent pas cette chose vulgaire appelée « succès ». Toutes ces femmes qui garnissent les listes médiatiques ont certainement quelque mérite mais en ont-elles plus que les six figures suivantes :

-Rose Dieng : L’une des intellectuelles sénégalaises les plus brillantes à coup sûr. Elle peut être classée à juste raison parmi les surdouées que notre système éducatif a produit depuis toujours. Née en 1956 elle se distingue par son intelligence précoce au Lycée Van-Vollenhoven de Dakar : 1er prix en mathématiques, en français et en latin au concours général sénégalais 1972, 2ème prix en grec, lauréate du baccalauréat section scientifique avec mention très bien et les félicitations du jury. Elle arrive en classes préparatoires au lycée Fénelon à Paris. En 1976, elle est la première femme africaine à intégrer l'École polytechnique. Eminente spécialiste en intelligence artificielle, elle a en effet soutenu une thèse de doctorat en informatique à l'université Paris-Sud sur la spécification du parallélisme dans les programmes informatiques. Elle reçoit le prix Irène-Joliot-Curie en 2005. Une vie remplie de recherches et de production savante s’éteint le 30 juin 2008 à Nice. La rue Rose-Dieng-Kuntz  qui est située au cœur du parc d'innovation de la Chantrerie, au nord-est de Nantes porte son nom. 

-Mame Younouss  Dieng : Née à Tivaouane en 1939, cette institutrice de l’époque glorieuse a grandi et étudié dans la ville  religieuse avant d’officier à la fameuse école 2 de Tivaouane ex-école des filles. Née d’une mère originaire de Saint-Louis proche d’Alioune Mbaye Paala, Mame Younouss est à juste raison l’une des deux écrivaines sénégalaises qui connaissent le mieux la société. Romancière de mœurs elle est l’auteur de « Aawo  bi» l’un des premiers romans en langue wolof publié en 1992 à Dakar avant « l’ombre en feu » publié en 1997 après une rocambolesque histoire d’écriture qu’elle nous a raconté à l’occasion de la présentation du livre à « Impressions » de Sada Kane.  Le vendredi 1er avril 2016 elle rend l’âme à son domicile à Dakar. Elle a traduit « Une si longue lettre » en langue Ouolof avec une autre grande dame des lettres africaines : Madame Aram Faal.

-Sokhna Oumou khaïry Sy : Fille de Serigne Babacar Sy Malick elle sans nul doute l’une des grandes figures sociales et religieuses du Sénégal. Cette dame aux qualités exceptionnelles a consacré toute sa vie à nourrir et vêtir les pauvres jusqu’à son dernier souffle. Surnommée « Boroom Waagn Wi » pour son expertise dans la  gestion  des charges sociales cette maison religieuse appelée « Keur gu makk » connue de tous les millions de disciples Tidiane qui convergent fréquemment vers Tivaouane.  Combien de jeunes hommes et surtout des jeunes filles, ses homonymes, ont bénéficié de sa couverture sociale et éducative. 
           
Zeyda Rokhaya Niasse : Moins connue que sa sœur Mariam Niasse, fille de Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niasse, elle est l’une des premières femmes-écrivains en langue arabe au Sud du Sahara. Intellectuelle engagée, brillante conférencière aux solides références islamiques. Elle est l’auteure de nombreux livres dont «  La part de la femme en Islam » écrit en 1975 qui a été traduit en anglais.

Safi Faye est certainement l’une  des rares grandes cinéastes de l’histoire du 7eme art. Mais elle est d’abord une ethnologue  dont le regard scientifique est volontairement édulcoré  par le langage singulier de l’art du documentaire. Née à Dakar en 1943  elle est l’auteure de  Kaddu Beykat (Lettre paysanne), Goob na nu (La récolte est finie) et « les âmes au Soleil ». Safi Faye est  la première réalisatrice noire africaine.

-Khady Sylla : Parcours singulier et atypique que celui de Khady Sylla cette brillante élève, crack ou surdouée de l’école sénégalaise des années 70. Née à Dakar le 27 mars 1963 elle arrive en France après un brillant parcours scolaire. Elle abandonne tour à tour les prestigieux HEC et Hypokhâgne pour se consacrer à sa passion : l’écriture et le cinéma. En 2005, elle remporte le prix du meilleur premier film au Festival international du documentaire (FID) de Marseille, pour son film Une fenêtre ouverte. Elle a auparavant publié en 1992 le fameux roman « Jeux de mer ».
Autant de figures féminines qui sont de véritables athlètes dans leurs domaines respectifs.

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com
 

mardi 2 août 2016

La rage et l’orgueil au Sénégal (suite et fin)




Il existe des colères « saines », des colères pathologiques,  des colères feintes, des colères sans lendemain et même des colères empruntées. 

Les colères « saines » sont passagères, elles viennent des êtres sincères dont les cœurs produisent une lumière du Bien qui leur dicte de revenir à la raison, à la foi. Les colères pathologiques sont l’œuvre des fous, véritables endimanchés en costume-cravate ou en grand boubou, ils sont nombreux parmi les politiciens et les pauvres gens qui sont obsédés par le pouvoir et qui hantent les milieux religieux et culturels, les media, le mouvement associatif…Ils valent moins que les entrepreneurs politiques. Les colères feintes viennent des individus qui ont une personnalité mensongère. Leurs fourberies dépassent Scapin. Le crocodile ne veut pas de leurs larmes. Ce terrible reptile s’enfuirait devant eux. Simuler la colère sur les plateaux de télévision ! C’est le sommet. Ils ne font pas partie des gens normaux parce qu’ils n’ont peur de rien, sauf de leur déchéance prochaine. Ils n’ont aucune forme d’honneur.

 Le seul protocole qui vaille pour les voleurs de l’argent de pauvres c’est de leur couper la main. Alors beaucoup de mains tomberont à terre pour faire le bonheur des chiens et des loups affamés par l’indigence collective. Vous les verrez chialer comme des mioches qui ont peur devant un gros molosse qui aboie rageusement. Mais ils pensent bêtement que le chien n’aboie que lorsque la caravane passe. Ils ne verront même pas l’ombre des pitbulls qui leur sauteront à la gorge. Quant aux colères sans lendemain ils viennent malheureusement des peuples, les groupements politiques conscients et organisés que l’on appelle « peuple » et qui sont régulièrement en colère tous les dix ans selon une loi inconnue. Ils ne réaliseront jamais la révolution spirituelle parce qu’ils sont piratés par les colères feintes, ceux qui ont une âme de girouette et qui connaissent la direction du vent. Ils seront les premiers à freiner la marche du changement parce qu’ils étaient dans le coup. 

Le feu de la colère est bien à l’origine de biens des révolutions qui finissent tôt ou tard par se tasser. Le monde se passerait bien de la colère. Mais que faire ? Les gouverneurs civils et politiques de ce bas monde s’arrangent toujours à vous mettre en rogne. Alors fusent les injures les plus vulgaires, les insultes les plus savantes mais aussi les silences les plus implosives. On dirait que les roitelets de ce bas monde qui se voient toujours  grands et roi parmi les rois  se nourrissent de notre colère. La lucidité n’est pas la première qualité des gouvernants de ce monde décadent. En état d’ébriété permanente, certains pour avoir trop souvent levé le coude mais d’autres sont grisés par les vulgaires clinquants du pouvoir. 

Cependant, la plus risible des colères est la colère empruntée. C’est l’œuvre des idiots et des imbéciles qui pensent qu’ils sont en colère. Ils ont une personnalité définitivement immature. Ils sont prêts à se battre pour Cristiano Ronaldo, Koutia et Bouba Ndour, Modou Lo et Wiri Wiri. A chacun son héros. Ils auraient bien voté pour Donald Trump « le hérisson » parce que « guerrier la » ; un guerrier qui n’a jamais fait la guerre. Ceux qui se prennent pour intelligents ont perdu leur capital symbolique à force de ruse politicienne. Ils n’ont que leurs yeux pour pleurer aujourd’hui. Naguère personne n’osait critiquer un enseignant.

Apparait alors, l e fantasme le plus répandu aujourd’hui : « la lutte vers le sommet ».  L’embouteillage d’hommes et de femmes sans envergure donne une image vulgaire des premières loges. Ils oublient que l’arrière-garde doit être protégée, défendue par les contre-attaques sournoises. Mais à l’arrière-garde, on n’est pas visible, quelques vigoureux que soient les coups infligés à l’ennemi. Tout cela provoque la rage, l’orgueil et finalement un sentiment plus noble : La fierté.
Mais en attendant, les roitelets et leurs épigones appelés « opposition »  ignorent la métaphore de la salamandre. Ce cousin du margouillat est sensé brûler la case pour que renaisse une autre vie. C’est l’animal le plus susceptible de phobie. Il nous rappelle que le feu couve. La case va brûler. Les femmes le sentent, elles qui ont peur de ce reptile. Leurs cris informeront les initiés qui ont toujours compris qu’il faut que le monde aille quelque part.

Khalifa Touré
sidimohamedkhalifa72@gmail.com