Ruben Um Nyobé est sans nul doute le premier martyr de l'indépendance
africaine. Sauvagement assassiné en 1958 par l’armée colonialiste française,
lui et ses compagnons de l'Union des populations du Cameroun(UPC), Félix Moumié
et Ernest Ouandié, cette figure
historique est moins connue que Cabral et Lumumba mais avec un destin plus
tragique. Um Nyobé est une référence
incontournable pour tous les militants des causes justes. Sa pensée politique
et son action ont été le catalyseur de l'esprit de libération africaine dans
les années 40 et contribué de façon indélébile à l'émergence d'une conscience
Africaine.
D’ethnie Bassa, Ruben Um Nyobé ce bel
homme à la figure angélique, à la prestance remarquable, toujours bien habillé,
naquit à Eog Makon près de Boumnyébel à 70 Km de Yaoundé au Kamerun en 1913 en pleine guerre mondiale. Ce fils de
paysans fit ses études primaires dans les écoles
presbytériennes. Marié en 1944, il se
sépara de son épouse pour prendre le maquis en 1955. Auparavant il fit parti des cercles de jeunesse politique anti-nazis. Il
dira plus tard en toute lucidité que l’heure n’est plus de « s’opposer à l’hitlérisme comme en 1939, mais au
colonialisme tout court. » Désigné par Mongo Béti comme
« l’homme qui va donner une âme à son pays » le 18 octobre
1945 il est nommé secrétaire général adjoint de la confédération syndicale USCC.
Très tôt Um Nyobé
compris qu’il était grand temps, et que l’heure était venue de passer à autre
chose. Dès 1952, il appela à l’indépendance du pays conviant toutes les
composantes nationales à l’unité pour la libération. Il provoqua l’ire de
l’Etat colonial français qui ne demanda ni plus ni moins que son élimination
physique. La réaction violente de Pierre Messmer sonne encore comme un couperet
sur le crâne de Um. L’Hallali était sonné, l’envie de meurtre , la chasse à
l’homme était déclenchée. L’Union des
populations du Cameroun UPC créé en Avril 1948 fut le cadre organisationnel de
la lutte qui du reste dépassa le cercle d’un simple parti politique.
Le Nkaa Kunde (la revendication d’indépendance) menée par l’
UPC fut alors une véritable tragédie, une histoire horrible
faite de tueries collectives, de massacres de civils, de traques et
d’assassinats ciblés. La guerre de libération des populations du Cameroun est
l’une des trois guerres les plus meurtrières de l’armée coloniale française. On
parle de trois à quatre cents mille morts
selon diverses sources. Elle
a touché toutes les composantes des
populations, notamment les Bamilékés et les Bassas. Une évocation ethnique qui
provoque encore une polémique inutile et honteuse lorsque l’on sait que la
lutte de libération s’est déroulée sous la bannière de l’unité des populations
du Cameroun.
Les exactions inimaginables qui ont été perpétrées par l’armée coloniale française
au Cameroun sont comparables à celles de la guerre d’Indochine et les tueries
de la guerre d’Algérie. Seulement, ce qui s’est passé au Cameroun reste
méconnu, il n’est même pas considéré comme une guerre par l’historiographie
coloniale qui est toujours en cours et cela va de soi. S’il n’est même pas
permis de parler de guerre peut-on parler de génocide, ce mot interdit aux
autres pour les raisons que l’on sait. Cette
guerre dont personne ne veut parler est toujours en cours. La conscience
collective de ces populations qui ont tant souffert le martyr reste toujours
habitée par les esprits de tant de morts anonymes et de d’illustres
disparitions.
L’un parmi eux le fameux Ruben Um Nyobé est aussi grand aussi
fort aussi intrépide que Patrice Lumumba. Avec Steve Biko, Um est l’un des
trois suppliciés de la conscience noire africaine. Inimaginable, barbare et
cruel que ce que l’armée coloniale a fait subir à ce preux chevalier de la
lutte de libération. Traqué par les tueurs de l’armée coloniale
et sachant par des présages nocturnes sa mort prochaine, il se réfugia dans la
forêt. En allant prendre le bain
chaud qu’on lui apprêta ce matin du 13 septembre, avant la fusillade, Mpodol (ce
lui qui porte la voix) aurait prononcé cette phrase énigmatique : « je m’en vais, pour la dernière fois,
verser de l’eau moi-même sur mon crâne ». Il a été abattu, lui, sa belle-mère
Ruth, Pierre Yem Mback et Jean-Marc Poha. Le 03 novembre 1960, son compagnon de lutte Félix Moumié a
été empoisonné par les services secrets français dans un restaurant en Suisse.
Quant à Ernest Ouandié il est mort fusillé par les autorités camerounaises
dirigées par Ahmadou Ahidjo le 15
Janvier 1971. Une histoire incompréhensible. Dans la nuit du 06 au 07 janvier
2009 Marthe la veuve de Félix Moumié est assassinée à Ebolawa à son domicile, 59 ans après son mari. Une
véritable tragédie africaine pour ne pas dire grecque. Ce pays frère africain a
besoin d’exorcisme spirituel. Tous les phénomènes prémonitoires qui ont présidé
à la mort d’Um devront être interprétés sans complexe aucune à la lumière de
nos connaissances endogènes : la multiplication des phénomènes funestes, les
visions prémonitoires collectives d’Um Nyobé et de sa compagne, les grosses et
agressives fourmis jaunâtres qui avaient investi la mallette blanche que
portait Um Nyobé, le déchaînement des éléments le soir du 10 Septembre, le
violent orage dans la forêt qui a égaré les fugitifs etc. Il s’est passé au
Kamerun quelque chose de grave, de fort, de funeste pour toute l’Afrique.
La mort d’Um Nyobé fut « un coup décisif au mouvement insurrectionnel
en Sanaga-Maritime » selon la presse
française de l’époque. Le chant populaire à lui consacré berce encore les cœurs
éplorés :
« C’était le treizième
jour du neuvième mois de l’année 1958
Mpodol avait accompli
sa promesse
Il s’offrit en sacrifice pour le
Kunde
« J’ai choisi de renaître à mon pays
« Je me suis offert pour sa délivrance
« Quant à vous, réjouissez vous aujourd’hui « Réjouissez-vous! »
Khalifa Touré