mardi 18 avril 2017

Ruben Um Nyobé, le martyr d’une guerre coloniale oubliée




Ruben Um Nyobé est sans nul doute le premier martyr de l'indépendance africaine. Sauvagement assassiné en 1958 par l’armée colonialiste française, lui et ses compagnons de l'Union des populations du Cameroun(UPC), Félix Moumié et Ernest Ouandié, cette  figure historique est moins connue que Cabral et Lumumba mais avec un destin plus tragique.  Um Nyobé est une référence incontournable pour tous les militants des causes justes. Sa pensée politique et son action ont été le catalyseur de l'esprit de libération africaine dans les années 40 et contribué de façon indélébile à l'émergence d'une conscience Africaine.

D’ethnie Bassa, Ruben Um Nyobé ce bel homme à la figure angélique, à la prestance remarquable, toujours bien habillé, naquit  à Eog Makon près de Boumnyébel à 70 Km de Yaoundé au Kamerun  en 1913 en pleine guerre mondiale. Ce fils de paysans fit  ses études primaires dans les écoles presbytériennes. Marié en 1944, il  se sépara de son épouse pour prendre le maquis en 1955. Auparavant il fit parti des cercles de jeunesse politique anti-nazis. Il dira plus tard en toute lucidité que l’heure n’est plus de  « s’opposer à l’hitlérisme comme en 1939, mais au colonialisme tout court. » Désigné par Mongo Béti comme « l’homme qui va donner une âme à son pays » le 18 octobre 1945 il est nommé secrétaire général adjoint de la confédération syndicale USCC.

Très tôt Um Nyobé  compris qu’il était grand temps, et que l’heure était venue de passer à autre chose. Dès 1952, il appela à l’indépendance du pays conviant toutes les composantes nationales à l’unité pour la libération. Il provoqua l’ire de l’Etat colonial français qui ne demanda ni plus ni moins que son élimination physique. La réaction violente de Pierre Messmer sonne encore comme un couperet sur le crâne de Um. L’Hallali était sonné, l’envie de meurtre , la chasse à l’homme était déclenchée.  L’Union des populations du Cameroun UPC créé en Avril 1948 fut le cadre organisationnel de la lutte qui du reste dépassa le cercle d’un simple parti politique. 
Le Nkaa Kunde (la revendication d’indépendance) menée par l’ UPC  fut alors  une véritable tragédie, une histoire horrible faite de tueries collectives, de massacres de civils, de traques et d’assassinats ciblés. La guerre de libération des populations du Cameroun est l’une des trois guerres les plus meurtrières de l’armée coloniale française. On parle de trois à quatre cents mille morts  selon  diverses sources. Elle a  touché toutes les composantes des populations, notamment les Bamilékés et les Bassas. Une évocation ethnique qui provoque encore une polémique inutile et honteuse lorsque l’on sait que la lutte de libération s’est déroulée sous la bannière de l’unité des populations du Cameroun.
Les exactions inimaginables qui  ont été perpétrées par l’armée coloniale française au Cameroun sont comparables à celles de la guerre d’Indochine et les tueries de la guerre d’Algérie. Seulement, ce qui s’est passé au Cameroun reste méconnu, il n’est même pas considéré comme une guerre par l’historiographie coloniale qui est toujours en cours et cela va de soi. S’il n’est même pas permis de parler de guerre peut-on parler de génocide, ce mot interdit aux autres pour les raisons que l’on sait.  Cette guerre dont personne ne veut parler est toujours en cours. La conscience collective de ces populations qui ont tant souffert le martyr reste toujours habitée par les esprits de tant de morts anonymes et de d’illustres disparitions. 

L’un parmi eux le fameux Ruben Um Nyobé est aussi grand aussi fort aussi intrépide que Patrice Lumumba. Avec Steve Biko, Um est l’un des trois suppliciés de la conscience noire africaine. Inimaginable, barbare et cruel que ce que l’armée coloniale a fait subir à ce preux chevalier de la lutte de libération.  Traqué par les tueurs de l’armée coloniale et sachant par des présages nocturnes sa mort prochaine, il se réfugia dans la forêt. En allant prendre le bain chaud qu’on lui apprêta ce matin du 13 septembre, avant la fusillade, Mpodol (ce lui qui porte la voix) aurait prononcé cette phrase énigmatique : « je m’en vais, pour la dernière fois, verser de l’eau moi-même sur mon crâne ». Il a été abattu, lui, sa belle-mère Ruth, Pierre Yem Mback et Jean-Marc Poha. Le 03 novembre 1960, son compagnon de lutte Félix Moumié a été empoisonné par les services secrets français dans un restaurant en Suisse. Quant à Ernest Ouandié il est mort fusillé par les autorités camerounaises dirigées par Ahmadou Ahidjo  le 15 Janvier 1971. Une histoire incompréhensible. Dans la nuit du 06 au 07 janvier 2009 Marthe la veuve de Félix Moumié est assassinée à Ebolawa à  son domicile, 59 ans après son mari. Une véritable tragédie africaine pour ne pas dire grecque. Ce pays frère africain a besoin d’exorcisme spirituel. Tous les phénomènes prémonitoires qui ont présidé à la mort d’Um devront être interprétés sans complexe aucune à la lumière de nos connaissances endogènes : la multiplication des phénomènes funestes, les visions prémonitoires collectives d’Um Nyobé et de sa compagne, les grosses et agressives fourmis jaunâtres qui avaient investi la mallette blanche que portait Um Nyobé, le déchaînement des éléments le soir du 10 Septembre, le violent orage dans la forêt qui a égaré les fugitifs etc. Il s’est passé au Kamerun quelque chose de grave, de fort, de funeste pour toute l’Afrique.

La mort d’Um Nyobé fut « un coup décisif au mouvement insurrectionnel en Sanaga-Maritime »  selon la presse française de l’époque. Le chant populaire à lui consacré berce encore les cœurs éplorés :
« C’était le treizième jour du neuvième mois de l’année 1958
Mpodol avait accompli sa promesse
Il s’offrit en sacrifice pour le Kunde
« J’ai choisi de renaître à mon pays « Je me suis offert pour sa délivrance
« Quant à vous, réjouissez vous aujourd’hui « Réjouissez-vous! »

Khalifa Touré





jeudi 13 avril 2017

Le Voleur de Bicyclette et le tueur de la nation





En 1948, sort un film italien en pleine période néo-réaliste. Ce chef-d’œuvre incisif du cinéma mondial raconte la vie d’un pauvre homme poussé par la misère à voler une bicyclette pour son fils, histoire de  tenir encore son rôle précaire de père devant les yeux envieux et innocents de son rejeton. « Le voleur de Bicyclette »de Vittorio De Sica entra dans la légende et la culture mondiale en posant la question mortelle : Qu’est-ce que l’homme est prêt à faire pour défendre les restes d’une dignité déjà perdue ? 

Cependant , les hommes qui poussent les pauvres gens à  perdre leur dignité s’empiffrent de nourritures inutiles et engagent au suicide une nation faite de gueux ,de mendiants et de pauvres hères qui s’en vont au gré du vent fouettés par la misère, la honte et l’envie de hurler derrière le taux de croissance et l’Economie, cette « science nébuleuse » selon Carlyle. La vie moderne et contemporaine n’est plus regardée sous l’angle de la condition humaine sous prétexte de mort du communisme comme si  l’Homme et sa naturelle incapacité de repentir appartenait à Marx l’ambigu, Lénine ou Engels. Malgré le passage indélébile d’André Malraux la morgue et le mépris avec lesquels on se détourne de la condition humaine sont parmi les grands signes de décadence de notre temps.

Tout le monde s’est converti à l’athéisme, l’athéisme des valeurs, l’incroyance, le désespoir, ce péché froid, le plus froid des péchés. Notre hyperréalisme est en train de nous tuer. Ce refus de rêver, cette obsession malveillante de rester dans ce réel inventé par notre sottise et nos vices nous empêchent de créer des machines, de rester chez nous, d’écrire de bons livres et faire de bons films  bref de domestiquer notre savoir.
 Des pratiques qui sont nôtres et qui datent de l’époque coloniale (une simple coïncidence opportuniste pas forcément colonialiste) continuent à vivre, entretenues par nos coutumes, notre paresse, notre routine et nos vices. La bourgeoisie d’Etat qui profite et s’accapare de tout est plus qu’une pratique au Sénégal francophone c’est une culture qui vient d’en bas. Nous sommes une communauté qui court derrière des chimères avec la poésie en moins. La démocratie libérale et « la bonne gouvernance » ce concept de la Banque mondiale sont les deux chevaux de Troie dans cette  troisième guerre mondiale contre l’Afrique et les pays en voie de développement. La bonne gouvernance ca n’existe pas. Il n’ya que le gouvernement des hommes qui vaille. C’est l’Esprit qui gouverne les hommes et administre les choses, contrairement à ce que pensent les communistes ! Le plan n’est qu’un moyen.

En attendant de recevoir l’ordre de nous développer nous allons gagner le marché de l’optimisme béat, de l’unité factice et du panafricanisme peu sincère. Comme au sommet de la Baule, on attend le jour où nous  recevrons  l’ordre de nous développer. Et  ce sera à la Saint-Glinglin ce mot d’ordre. Mais,  que l’Afrique a bougé ! Elle a bougrement bougé d’en bas sans ses intellectuels, malgré ses pauvres bougres de politiciens.

Les hommes ont une expérience ancestrale de l’affront. Leur capacité à répéter les mêmes erreurs, à offrir leur confiance aux mêmes hommes-épouvantails  faits de la même étoffe et du même acabit est hallucinant. Les psychiatres ont matière à cogiter, diagnostiquer et curer cette affaire qui relève peut-être de la démence collective. Une sorte de masochisme social et politique nous pousse au plaisir malin de la répétition et la manie mécanique de changer un boulon corrompu par un autre aussi défectueux.
 Ainsi va la vie sociale avec ces politiciens qui nous pompent l’air, nous privant d’oxygène. La guerre est déclarée ! Le temps est venu de se prévaloir de sa propre turpitude. «  Nous avons tous volé ! » a dit le tonitruant Jean Paul Dias rappelant la sortie fracassante d’Abdoulaye Diack le défunt maire de Kaolack. Paix à son âme ! Ne parlons pas des morts, même s’ils ont ratiboisé l’argent du peuple. Ce peuple qui n’a jamais existé selon des sociologues soi-disant libéraux. Nous avons eu droit à un fameux « Tous nos soucis financiers sont terminés » d’Abdoulaye Wade l’argentier. Autant dire qu’il y a une généalogie de la désinvolture financière chez nos dirigeants. 

Il n’ya qu’un seul parti politique au Sénégal, c’est le Grand Parti du Sénégal(GPS)  et ce parti n’est pas  que politique, il est social, culturel, économique, religieux.  Mais le paradoxe est que personne n’ose  prendre le parti du Sénégal craignant la mort, les contraintes et les privations. Ils en ont fait les frais, les Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop et Tidiane Baydy Ly. Ceux qui crient au changement s’accrochant ridiculement à des Assises nationales où un 23 juin comme un Bernard Lhermitte, pensent à tort qu’ils sont différents refusant ainsi l’introspection. Ils n’ont rien d’un ermite. D’autres se sont perdus dans la tentation de la reconnaissance internationale. On en a marre d’eux ! Ils sont en train de tuer la Nation. Au même moment le pauvre père cisaillé par la douleur d’être père, le drame de la  condition humaine de paternité, vole un vélo pour son fils qui n’a rien compris dans l’actualité misérable de son pays. Son père ira en prison pour rien et lui l’enfant innocent sera la proie des pédophiles. Ainsi va le monde !

Khalifa Touré