Dépités par tant de
députés à la mission incertaine, à la langue de bois et quelques fois pendant
les jours heureux des hommes cultivés au langage fleuri par des propos
savoureux, le peuple se voit aujourd’hui sollicité et forcé à mander des hommes
et femmes parfois honnêtes et brillants mais aussi beaucoup d’hurluberlus,
d’énergumènes comme la politique sait en
fabriquer depuis toujours. Ils ne trouveront jamais le peuple assis là, à la
place de la liberté, leur jetant des fleurs aux senteurs colorées par le désir
de bonheur et la fièvre de vivre comme il faut. Certains députés ne méritent même pas des fleurs fanés.
En guise de revanche ils retourneront au peuple le plus épiné parmi les bouquets de
rose. Les hommes politiques dans notre système clientéliste fabriqué par les
électeurs eux-mêmes se vengent toujours des services rendus aux clients. Un bon
politicien est un homme qui se sent toujours mal aimé ou apprécié
insuffisamment par une « populace » qui comprend de plus en plus. C’est
à croire qu’en politique, il y a du génie
à créer l’attelage le plus hétéroclite du genre humain. A côté il y a le
fructueux marché de la colère politique, où d’habiles entrepreneurs moraux, à
la bile intacte, font semblant « de n’être pas d’accord ».
A la veille des
élections des filous de la pire espèce, des chasseurs de prime et coupeurs de
route parmi les gens du peuple cherchent à détrousser les politiciens. Ils leur
vendent monts et merveilles jusqu’à l’âme de l’électeur. Ils organisent des
manifestations religieuses pour « couper la tête » ou « donner
un coup de marteau » sur la tête du politicien, selon l’expression,
autrement dit ces hommes sont des escrocs et ils sont du peuple, parmi les défavorisés. Contrairement à
ce qu’affirme l’illustre Kéba Mbaye, la politique est le plus dur des métiers.
C’est un métier la politique, vue à partir d’un certain niveau. Il ya des niveaux d’engagement politique incompatibles
avec la non maîtrise de notre temps de travail. Tous ceux qui dans leur vie ont
été au feu de l’action militante, politique ou autre, ne diront jamais que la
politique n’est pas un métier. Dans toutes les grandes organisations politiques
du monde, il y a des hommes et des femmes
dont la principale tâche est de faire tourner la machine politique ;
ce sont les « chaudronniers » des grands partis politiques, tellement
occupés et préoccupés que le temps ne leur permet plus de faire autre chose.
Ils démissionnent alors de la fonction publique pour se consacrer au parti.
Des romantiques indispensables à l’action
militante ces gens! Rien à voir avec ces politiciens qui ne peuvent même pas se targuer d’être chômeur. Un chômeur est
un homme qui a déjà travaillé et qui a perdu son emploi. Cette race de politiciens
n’a jamais exercé de métier, ils vont siéger bientôt dans un gouvernement. Ils
auraient mieux fait de rester parlementaire dans une sorte de Shadow Cabinet
pour apprendre le métier de ministre et d’homme d’Etat.
Du reste, si la députation fondée sur le sentiment de
participation et de représentation nationale n’existait pas, les hommes l’auraient
inventé tellement la souveraineté en elle-même ne peut être transférée. Quel
paradoxe ! L’homme a une vocation historique et même traditionnelle à
déléguer sa souveraineté tout en sachant qu’elle ne peut l’être quand au fond.
Est-ce à dire que par conséquent que la démocratie n’existe absolument nulle
part ? On ne saurait le dire, puisque cette affirmation péremptoire est
d’une part la traduction maladroite d’un conflit de principes, certaines
cultures acceptant mal cette forme de gouvernement moderne, d’autres par contre
voulant ériger la démocratie au rang de l’universel tout en sachant
expressément la non réductibilité de la démocratie au bonheur des hommes. Les
hommes sont-ils meilleurs en démocratie ? A quoi sert la démocratie
sénégalaise ? Puisque tout est question d’évolution à partir de valeurs
intermédiaires vers les principes les plus susceptibles d’emmener l’homme dans
la grande étape de la connaissance de soi même, il est donc plus sage d’aller
de l’avant, advienne que pourra !
La démocratie sénégalaise n’est pas
une démocratie parlementaire, c’est une démocratie présidentialiste, une démocratie
de la souveraineté du chef. Toute la contradiction, notre contradiction à nous, est là présente dans notre incapacité
à évoluer vers un modèle de représentation non pas conforme à notre culture (cela
ne veut pas dire grand-chose, parfois), mais vers un équilibre dans la vie
publique. Le présidentialisme démocratique et parlementaire n’existe qu’aux États-Unis,
c’est plus qu’une exception, c’est une
fabrication de l’histoire, des tempéraments, des hommes petits et grands, de la
géographie et même de la nature. Un président hyper-puissant qui peut déclencher
l’ « executive order » et un redoutable congrès qui a son mot à
dire jusque dans la formation du gouvernement, sans que l’un n’empiète sur
l’autre, cela n’a jamais existé qu’aux États-Unis (pour ce que l’on en sait).
L’Amérique est un exemple, un bon exemple de cohabitation doucement
belliqueuse entre la Présidence et le Congrès mais elle n’est pas un modèle, parce qu’elle est inimitable.
Contrairement à une idée répandue, la démocratie est l’une
des formes de gouvernement les plus décriées, les plus soumises à la critique
intellectuelle. La démocratie, déclare en effet Constantin Posedonostsev,
c’est : « la tyrannie des
partis, la manipulation des suffrages, l’hypertrophie du moi personnel, le
nivellement des esprits par le biais du pouvoir incontrôlé des organes de
presse. » Pour être davantage
près du peuple, l’on devrait réfléchir sur les limites de la démocratie.
Khalifa Touré