mercredi 12 juillet 2017

Jorge Amado, la littérature brésilienne et la culture africaine






« Le brésil est un monstre  poétique qui avale tout ce qui s’en approche. La culture tropicale, amérindienne, portugaise et africaine, tout ce mélange puissant  a fabriqué une littérature particulière proche du réalisme magique propre au boom latino américain mais qui s’en distingue par la forte culture africaine. Le Brésil est le plus grand pays noir après le Nigéria. Aujourd’hui nous avons Milton Hatoum, Luiz Ruffato, Edyr Augusto, et quand même Paolo Coello, l’auteur le plus lu au monde.»

On répète souvent, mais avec beaucoup d’affection que le plus grand écrivain juif depuis Franz Kafka est la brésilienne d’origine ukrainienne Clarice Lispector, l’auteure du fameux « La bâtisseur de ruines ».  Quand je pense qu’à côté il y a le grand écrivain américain Philip Roth avec son sulfureux « Portnoy et son complexe », cela donne une idée de ce qu’est le Brésil en littérature. Clarice  est surnommée à juste titre « la princesse de la langue portugaise ». Le Brésil est le pays des Mario De Andrade (un écrivain du Sud), Machado de Assis le Balzac brésilien, mais surtout de José Guimarães Rosa dont l’écriture est si importante que l’on parle de révolution rosienne, avec son œuvre monumentale intitulée « Diadorim ».
La littérature brésilienne  existe depuis le 16eme siècle avec une filiation  portugaise représentée par   Gregorio de Matos et Antonio Vieira et un rameau  plus local au 19eme siècle. Elle est faite d’une grande production, de grands auteurs, des poètes flamboyants comme Castro Alves mais surtout Cruz e Souza, « Le Cygne noir » le plus grand poète noir du Brésil, de grands critiques littéraires comme Antonio Candido et des tendances littéraires esthétiques mais surtout régionales. Au Brésil les grands écrivains s’identifient selon les postures esthétiques, le courant, le genre mais surtout la géographie. Il ya les écrivains de la forêt, les écrivains du Nord-est, les écrivains du Sertao(les zones arides) dont les illustres représentants sont Afonso Arinos et Monteiro Lobato. 
   
Ce fut d’abord une littérature d’importation avec une forte influence européenne, mais elle a rapidement subi le relief stéréoscopique  africain du Brésil. Le cosmopolitisme brésilien est d’une  lourdeur terrible pour toute culture étrangère. Une écriture qui fait apparaitre les « dieux » africains de la culture Yoruba des esclaves noirs. Le « condoblé », cet exorcisme ritualiste africain, a quasiment fabriqué un réalisme merveilleux propre à la littérature brésilienne.  

C’est vers 1922 à Sao Paulo, avec la naissance du mouvement moderniste  que le pays prendra conscience de sa particularité esthétique et qu’une littérature ayant comme finalité la recherche de l’âme brésilienne va naître. Après Sao Paulo, le Nord-Est va suivre avec le célèbre Gilberto Freyre qui fonde le mouvement « Région et tradition » ; contre le modernisme il  s’agit pour lui d’enraciner la littérature dans le terroir. C’est en vérité une tendance très ancienne, qu’on retrouve dans le vieux romantisme brésilien. C’est dans ce second courant de la littérature brésilienne contemporaine, le courant dit régionaliste, qu’il faut situer Jorge Amado, l’un des plus grands écrivains du XXème siècle. Mais il a réussi à faire craqueler l’édifice régionaliste, le faire basculer vers une écriture faite de folie  burlesque : Jorge Amado, José Lins De Rego et Graciliano Ramos sont les trois grands écrivains de la nouvelle vague régionaliste et moderniste. 

 Mais au début Amado a été tenté par le Naturalisme à  la manière de Zola. Il est né dans une vieille famille bourgeoise décadente. Jorge Amado a réussi à faire surgir, le peuple, les mendiants, les ivrognes, les éclopés dans le roman social brésilien. Ces sous-hommes ne sont plus des personnages du décor, de simples  marginaux. « Les deux morts de Quinquin La flotte » est un hommage à ces nombreux désaxés de la vie, un hymne pour le peuple, les marginaux. Pour la première fois le peuple va s’exprimer directement en littérature, grâce à ce puissant don de sympathie propre à Jorge Amado. Il a transformé le roman en épopée avec tout ce qu’épopée signifie comme  écarts, folie, décalage spatio-temporel, embellissements et fantastique  dont le sommet est la  résurrection dansante et joyeuse de Quinquin. Jorge Amado est né en 1912 à Itabuna dans une plantation de Cacao au sud de l’Etat de Bahia, il meurt  le 6 août 2001 à Salvador  toujours à Bahia  « la ville de tous les saints et de tous les péchés ». Il a été élevé au milieu des hommes du peuple, des nègres et des mulâtres. C’est ainsi qu’il ne s’est jamais coupé du peuple ; c’est auprès de ces pauvres gens qu’il a appris à raconter, à narrer les faits dans la simplicité du peuple. Amado est un grand conteur à la manière africaine. « Les deux morts de Quinquin La Flotte » publié en 1971 en est une preuve vivante.

 Selon Roger Bastide auteur de l’une des plus brillantes des préfaces jamais écrites : «  Ce sont ces akpalê d’origine africaine, « brésilianisés » qui ont appris à Jorge Amado, son art inimitable de raconter des histoires »

Khalifa Touré


samedi 8 juillet 2017

…ET MAINTENANT QUE FAIRE ?



Que faire devant le grand mur de la stagnation historique ? Face à la fin imminente de cette démocratie, que faire ? Face aux enfants qui n’attendent pas l’âge adulte pour tuer, comme s’il était permis de tuer, que faire ?

Dans la cour de l’école au lieu de jeux de marelle ou de cache-cache Bang ! le coup de feu est parti vers la poitrine d’un autre enfant qui n’a pas vu l’éclair, cela fait trois ans dans la banlieue de Dakar capitale du Sénégal,  fait divers diversement apprécié maintenant oublié. Etre au ban de la capitale, « je suis de la banlieue » est devenu une sorte de privilège masochiste et inconfortable dans toutes les grandes villes du monde moderne, de Djakarta à Karachi, de Nairobi à Durban, de Paris à New York… Et voici que la lame tranchante du couteau lacéra la poitrine d’un autre enfant, un innocent. Il n’ya plus d’âge pour se servir du couteau. Ces enfants en colère, d’une colère sincère et malsaine sont tout simplement mal éduqués par des adultes fatigués qui regardent ailleurs. La peur de la ringardise, la honte de faire vieux jeu aux yeux  d’un monde qui se vautre dans un snobisme de surface nous auront tués à petit feu. Demain ce sont les adultes qu’il faudra éduquer et ce sera le règne de la terreur, le  gouvernement de la tyrannie.  

Que voulez-vous d’un monde où il n’est plus permis de dire Merci, s’il te plait, je vous en prie, je voudrais que vous m’excusassiez… ? Des formules de politesse frappées d’obsolescence dans toutes les langues du monde, même dans les cultures qui naïvement pensent qu’elles sont plus authentiques, plus originelles, plus…culturelles que les autres. Notre modernité, cette démocratie qui appelle à toutes les formes d’ouverture imaginable nous interdisent de rire et pourfendre la médiocrité, l’impolitesse, la manque de raffinement, le défaut des bonnes manières. Même les idiots constitutionnels ont droit au chapitre. Tout cela n’est bon que pour grand-mère et papi, parait-il. 
  Les jeunes qui aujourd’hui refusent de grandir et cultivent la paresse jusque dans les règles d’hygiène auront fort à faire. Ils baissent le pantalon, le caleçon en l’air mais bientôt ils se feront remonter les bretelles par  leurs petits enfants, au propre comme au figuré. Ce sera la révolution du sous-vêtement, de l’accessoire vestimentaire.  L’horrible « Papa tu saignes du nez ! » sortira de la bouche de ces futurs enfants étonnés devant tant de nudité vestimentaire et verbale.
  Les plus perspicaces, les voyants parmi les plus clairvoyants ont diagnostiqué une grande crise de la perception dans la « postmodernité ». C’est le problème de l’entendement qui est ici posé, comme diraient les philosophes cette espèce menacée qu’il faudra protéger comme le tigre blanc. Il n’y a aucun jugement à suspendre dans un monde ou depuis cent ans il est interdit de faire ce qu’ils appellent « un jugement de valeur ». Le  plus grand mal de l’Education aujourd’hui est la crise de la transmission. Il n’ya plus de maîtres ni précepteurs. La spiritualité de l’Education n’est plus ce qu’elle était. Les cultures, les civilisations qui ne maîtrisent plus leur mode de transmission des valeurs et leurs centres de fabrication et de diffusion du savoir ont été aliénées. 
 
 La seule chose à faire c’est d’ouvrir la brèche : c’est le programme culturel et civilisationnel du futur. Qu’il s’agisse naguère de Nicolaï Tchernychevski célèbre auteur du « QUE FAIRE ? » qui a inspiré Vladimir Lénine, d’Alexander Soljenitsyne, de Lech Valesa  et du  Pape Jean Paul II, le travail historique fut de taper dans le mur, un exercice intellectuel et culturel harassant jusqu’à l’apparition de la brèche. Il faudra du temps et des hommes pour trouer le mur de la honte. Des hommes têtus qui s’entêterons à dire qu’il n’ya pas d’antivaleurs, ce sont les valeurs elles-mêmes qui ne sont immortelles. Le problème est toujours dans le consensus moral, l’ensemble de ces choses appelées pompeusement « système de valeurs ». Le problème, la grande faille est l’absence de transcendance dans ce « système de valeurs. » Nos sociétés ont failli le jour où elles ont cru que leurs valeurs modernes ne sont pas évaluables.
    
Seule la foi, la science et la fiction nous restent  pour partir, quitter la stagnation, sortir de la crise du faux mouvement, du mouvement politicien, des révolutions dites de Jasmin ou de velours. La politique du faux-fuyant c’est le mur de la stagnation, un vrai paradoxe. La foi pour réguler le Bien et la Mal, la science pour alimenter la technologie et la fiction pour la créativité artistique, pour fouetter l’imagination créatrice, cette énergie indispensable pour « ouvrir la brèche ». Mais encore faudrait-il être conscient de la présence horizontale du mur, le mur au-delà duquel il ya le salut provisoire. Mais les gadgets de la liberté que sont la démocratie, le bulletin de vote, la liberté d’expression et l’Administration vont retarder l’évolution des hommes vers les mutants du futur. ( A suivre)

Khalifa Touré