« Le brésil est un
monstre poétique qui avale tout ce qui
s’en approche. La culture tropicale, amérindienne, portugaise et africaine,
tout ce mélange puissant a fabriqué une
littérature particulière proche du réalisme magique propre au boom latino
américain mais qui s’en distingue par la forte culture africaine. Le Brésil est
le plus grand pays noir après le Nigéria. Aujourd’hui nous avons Milton Hatoum,
Luiz Ruffato, Edyr Augusto, et quand même Paolo Coello, l’auteur le plus lu au
monde.»
On répète souvent, mais avec beaucoup d’affection que le plus
grand écrivain juif depuis Franz Kafka est la brésilienne d’origine ukrainienne
Clarice Lispector, l’auteure du
fameux « La bâtisseur de ruines ». Quand je pense qu’à côté il y a le grand écrivain
américain Philip Roth avec son sulfureux « Portnoy et son complexe »,
cela donne une idée de ce qu’est le Brésil en littérature. Clarice est surnommée à juste titre « la
princesse de la langue portugaise ». Le Brésil est le pays des Mario De Andrade (un écrivain du Sud), Machado de Assis le Balzac brésilien,
mais surtout de José Guimarães Rosa
dont l’écriture est si importante que l’on parle de révolution rosienne, avec
son œuvre monumentale intitulée « Diadorim ».
La littérature brésilienne existe depuis le 16eme siècle avec une
filiation portugaise représentée par Gregorio
de Matos et Antonio Vieira et un
rameau plus local au 19eme siècle. Elle
est faite d’une grande production, de grands auteurs, des poètes flamboyants comme Castro Alves mais surtout Cruz e Souza,
« Le Cygne noir » le plus grand poète noir du Brésil, de grands
critiques littéraires comme Antonio
Candido et des tendances littéraires esthétiques mais surtout régionales. Au
Brésil les grands écrivains s’identifient selon les postures esthétiques, le
courant, le genre mais surtout la géographie. Il ya les écrivains de la forêt,
les écrivains du Nord-est, les écrivains du Sertao(les zones arides) dont les
illustres représentants sont Afonso
Arinos et Monteiro Lobato.
Ce fut d’abord une littérature d’importation avec une forte
influence européenne, mais elle a rapidement subi le relief stéréoscopique africain du Brésil. Le cosmopolitisme
brésilien est d’une lourdeur terrible pour
toute culture étrangère. Une écriture qui fait apparaitre les « dieux »
africains de la culture Yoruba des esclaves noirs. Le « condoblé »,
cet exorcisme ritualiste africain, a quasiment fabriqué un réalisme merveilleux
propre à la littérature brésilienne.
C’est vers 1922 à Sao Paulo, avec la naissance du mouvement
moderniste que le pays prendra conscience
de sa particularité esthétique et qu’une littérature ayant comme finalité la
recherche de l’âme brésilienne va naître. Après Sao Paulo, le Nord-Est va
suivre avec le célèbre Gilberto Freyre
qui fonde le mouvement « Région et tradition » ; contre le
modernisme il s’agit pour lui
d’enraciner la littérature dans le terroir. C’est en vérité une tendance très
ancienne, qu’on retrouve dans le vieux romantisme brésilien. C’est dans ce
second courant de la littérature brésilienne contemporaine, le courant dit
régionaliste, qu’il faut situer Jorge
Amado, l’un des plus grands écrivains du XXème siècle. Mais il a réussi à
faire craqueler l’édifice régionaliste, le faire basculer vers une écriture
faite de folie burlesque : Jorge Amado, José Lins De Rego et Graciliano Ramos sont les trois
grands écrivains de la nouvelle vague régionaliste et moderniste.
Mais au début Amado a
été tenté par le Naturalisme à la
manière de Zola. Il est né dans une vieille famille bourgeoise décadente. Jorge
Amado a réussi à faire surgir, le peuple, les mendiants, les ivrognes, les
éclopés dans le roman social brésilien. Ces sous-hommes ne sont plus des
personnages du décor, de simples
marginaux. « Les deux morts
de Quinquin La flotte » est un hommage à ces nombreux désaxés de la
vie, un hymne pour le peuple, les marginaux. Pour la première fois le peuple va
s’exprimer directement en littérature, grâce à ce puissant don de sympathie
propre à Jorge Amado. Il a transformé le roman en épopée avec tout ce qu’épopée
signifie comme écarts, folie, décalage spatio-temporel,
embellissements et fantastique dont le
sommet est la résurrection dansante et
joyeuse de Quinquin. Jorge Amado est né
en 1912 à Itabuna dans une plantation de Cacao au sud de l’Etat de Bahia,
il meurt le 6 août 2001 à Salvador toujours à Bahia « la ville de tous les saints et de tous
les péchés ». Il a été élevé au milieu des hommes du peuple, des nègres et
des mulâtres. C’est ainsi qu’il ne s’est jamais coupé du peuple ; c’est
auprès de ces pauvres gens qu’il a appris à raconter, à narrer les faits dans
la simplicité du peuple. Amado est un grand conteur à la manière africaine.
« Les deux morts de Quinquin La Flotte » publié en 1971 en est une
preuve vivante.
Selon Roger Bastide
auteur de l’une des plus brillantes des préfaces jamais écrites : « Ce sont ces akpalê d’origine
africaine, « brésilianisés » qui ont appris à Jorge Amado, son art
inimitable de raconter des histoires »
Khalifa Touré