jeudi 21 septembre 2017

Prière de la sérénité pour un assassin malheureux




« Mon Dieu,
Donnez-moi la sérénité
D'accepter
Les choses que je ne peux changer,
Le courage
De changer les choses que je peux,
Et la sagesse
D'en connaître la différence. »

Mais que fait cette prière fervente et sublime dans la bouche hésitante de Mr. Brooks, respectable chef d’entreprise le jour et tueur en série la nuit ? C’est dans le film éponyme de Bruce A. Evans que cette prière est dite par le tueur, à toutes les occasions qu’il revient de son acte incompréhensible, couché et blotti dans son lit, tremblotant de  stupeur et d’incompréhension face à l’impossibilité de « savoir qui il est vraiment ! »
Il nous fait plonger en des interrogations vertigineuses : Qui sommes-nous ? Que sommes-nous « destinés » à faire ? Quel est notre identité primordiale, le nom premier qui a fait de nous ce que nous fûmes avant que nous soyons ici-bas. Réponses douloureuses pour les mutants, les « revenants », les hommes-esprits  dont les moutons du passé tentent de brouter les réverses de vies antérieures  dans une personne actuelle qui attend douloureusement l’accomplissement ultime. Que la Vie est longue ! La vie d’un mort-né est une éternité. A quoi bon prier sur un enfant « innocent » qui vient de nous quitter ? Terrible question dont la réponse est toujours escamotée parce qu’elle révèle une réalité innommable : personne n’est innocent, pas même un bébé. Mais pourquoi ? Voilà la question.  « L’âme humaine est vaste, trop vaste,  je l’aurais volontairement réduit » a dit le mutant convulsif à l’écriture épileptique, il s’agit du grand écrivain russe Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
 La prière de la sérénité, une formule audacieuse qui pose l’impossibilité de la perfection humaine, au moment où les théologiens des religions de tous bords évitent de telles nuances les renvoyant à la zone grise, cet espace privilégié commun à tous les mystiques qui l’affectionnent parce qu’étant le domaine de l’histoire sainte, le déploiement des grandes connaissances. L’âme aspirant à la perfection, qui par des exercices spirituels et moraux se délestent des scories en direction du lieu où l’espace et le temps sont abolis. C’est l’arrivée en un « lieu » où il n’ya pas de d’arrivage. Voilà où réside l’idée de l’imperfection, elle n’est pas totale, l’âme n’est appelée qu’à se jeter dans la mer de l’origine première. Nos âmes sont des ruisseaux qui portent en eux la puissance du fleuve originel.
 Mr Brooks tueur interloqué  par sa propre tendance à supprimer son prochain pense être « destiné » à cette ignominie, mais le poids de l’âme lui fait dire les mots de Reinhold Niebuhr :
« Mon Dieu,
Donnez-moi la sérénité
D'accepter
Les choses que je ne peux changer,
Le courage
De changer les choses que je peux,
Et la sagesse
D'en connaître la différence. »
  Il a commis lui « Mr Brooks » et ses autres personnalités multiples, des actes qui viennent se jeter en sa personne actuelle et qui font de lui un tueur respectable. La prière de la sérénité est le sommet du Tawhid, l’effacement total à Dieu, l’extinction de la volonté. C’est du fatalisme supérieur celui de la confrérie des éveillés, la famille des Rumi et son maitre Shams e’din Tabriz tant évoquée par Mohamed Iqbal le penseur pakistanais si cher au philosophe de la tradition (transmission), Souleymane Bachir Diagne. 

  Ah que l’âme humaine est douloureusement insondable ! Reinhold Niebuhr, théologien américain, moraliste, penseur rebelle, contestataire et homme de foi très influent l’a compris lorsqu’il a formulé cette prière tour à tour attribuée à l’empereur romain Marc Aurèle, à Saint François d’Assise et même à Friedrich Christoph Oetinger alias Docteur Theodor Wilhelm. C’est le lot de ces citations aux origines « apocryphes » injustement attribuées à des personnages soi disant plus « illustres » ou bien à des auteurs qui les ont utilisés dans des ouvrages ou circonstances devenues cultes. Cette prière est bel et bien de Reinhold Niebuhr, théologien au regard subtil sur la divinité, la religion, la foi chrétienne et ce monde qui se prétend plus réel qu’est la politique et la diplomatie. Une prière devenue commune chez les alcooliques anonymes qui en font une formule thérapeutique. Même les assassins n’échappent pas la spiritualité.

Khalifa Touré

mercredi 13 septembre 2017

CES GRANDS ECRIVAINS QUI ONT CONNU LA FOLIE(SUITE ET FIN)








« Il n’ya point de génie sans un grain de folie !» Aristote selon Sénèque

Ce n’est pas la folie en guenilles qui parle, ce n’est la folie risible qui provoque l’hilarité d’une foule passante plus folle que tous les fous, ce n’est pas la folie ridicule du pseudo-artiste faisant le fou devant la populace crédule, ce n’est pas la revendication de la folie des trafiquants de personnalité qui écument nos malheureux jours…

Il s’agit plutôt des fous furieux de la littérature, ces penseurs qui se sont trituré les méninges jusqu’à…la folie. Parmi eux se présente à nous Virginia Woolf l’anglaise, qui a inventé et créé même une forme d’écriture aujourd’hui synonyme de modernité et de noble rébellion, en tout cas une grande maîtresse de la littérature. Elle a introduit une puissante légèreté en littérature  avant Gide qui a voulu tracer une dialectique descendante pour une littérature trop aérienne, trop bourgeoise en nous offrant ses fameuses « Nourritures terrestres. »  L’auteure de « La promenade au phare » et « Mrs Dalloway » est aussi importante que William Faulkner et James Joyce même si elle n’est pas de la même étoffe. Elle appartient à la confrérie des maîtres de « l’écriture moderne », rien à voir avec le nouveau roman. Mais elle était malade la dame au visage mélancolique, aux pensées sombres, follement amoureuse d’un homme qui l’aimait à la folie et la soutenait dans la folie qui guettait un esprit qui fuyait la folie.  Un rôle magnifiquement interprété, néanmoins édulcoré par une hallucinante Nicole Kidman dans « The Hours » de Stephen Daldry, le biopic consacré à l’auteure en 2001. Virginia Woolf n’était pas folle comme Camille Claudel l’autre génie de la Sculpture trente années internée en asile psychiatrique, la géniale sœur de Paul Claudel, qui a vécu avec le maître August Rodin. « Je ne serai plus psychiatre » a écrit Gérard Hof tellement l’internement est une prison,  une permanente torture depuis Michel Foucault et « Vol au dessus d’un nid de Coucou » de Milos Forman, depuis toujours alors.  Le 28 mars 1941 Virginia Woolf finira « tranquillement » dans les eaux de la Ouse, lestée par ses propres pierres, cherchant la délivrance finale dans le mouillement. Est-ce le dernier acte d’écriture d’une femme gravement souffrante qui a cherché la source d’inspiration finale dans la matière liquide parmi les éléments ? 

Avant de partir elle a écrit ceci en l’intention de son mari : « J'ai la certitude que je vais devenir folle : je sens que nous ne pourrons pas supporter encore une de ces périodes terribles. Je sens que je ne m'en remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et ne peux pas me concentrer. Alors je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu m'as donné le plus grand bonheur possible... Je ne peux plus lutter, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. [...] »
 Comme Virginia Woolf, Ernest Hemingway s’est donné la mort. Figure emblématique  de la lost generation, cet homme a lutté éperdument contre la folie( la dépression n’est pas la démence).  Dépressifs de pères en fils, le père d’Hemingway est le seul à ne pas s’être donné la mort depuis des générations. Aujourd’hui la fille d’Hemingway lutte contre une dépression nerveuse. Malédiction, mal « héréditaire » où fêlure d’un écrivain de génie, Hemingway est l’écrivain le plus populaire de la lost generation, moins « hermétique » que son collègue William Faulkner, il aura donné ses lettres de noblesse à une écriture éminemment narrative et néanmoins poétique dans ses images fantastiques puisées d’un réel proche et certain. La scène de l’enfant qui traverse les rails et qui certainement va se faire écraser est une anthologie. Le narrateur doit-il fermer les yeux face à la survenue « prochaine » d’un acte horrible ? Telle est la question dans « Mort un après-midi ». Ernest Hemingway est le philosophe de l’échec dans la victoire : « Nous sommes fascinés par la victoire, et c’est la défaite au lieu de la mort que nous cherchons à éviter » (p.39, ed. Gallimard 1938).
   Alors arriva le plus fou parmi les furieux, Antonin Arthaud dont l’œuvre, la vie, la tête, le visage, l’expression et même les documents sonores peuvent rendre fou un amateur atteint de dépression nerveuse. Son œuvre peut réveiller la folie en latence. Antonin Artaud a construit une œuvre en osmose même avec son corps et son esprit. Une sincérité radicale qui l’a rendu fou. L’homme n’était pas un faux-fuyant de l’art, de la philosophie et de la morale comme ces personnages sans envergure de Françoise Sagan dans « Les faux-fuyants ».  Théoricien du théâtre, génial auteur du « Théâtre et son double », acteur , écrivain , essayiste, dessinateur et poète francais, il est l’inventeur du théâtre de la cruauté qui vient entre autres sources des douleurs qu’il a subi toute sa vie.  Sauf chez le philosophe marxiste Louis Althusser qui a étranglé sa femme, la folie a pris des allures narratives dans la vie de certains grands écrivains. Quand on devient fou, il ne reste qu’une chose : mourir. La folie est la pire des souffrances !

Khalifa Touré