vendredi 22 décembre 2017

Oumar Ibn Saïd, un esclave noir étrangement prédestiné( 1)

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« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Béni soit celui dans la main de qui est la royauté, et Il est Omnipotent/Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en œuvre, et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur. /Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout Miséricordieux. Ramène [sur elle] le regard. Y vois-tu une brèche quelconque?/ Puis, retourne ton regard à deux fois: le regard te reviendra humilié et frustré. » Coran Sourate 67 Verset 1 à 4.

Il est des vies qui valent plusieurs vies tellement elles sont remplies de richesses, de souffrances incroyables et  de questionnements insolubles. Celle d’Oumar Ibn Saïd, cet érudit, éminent lettré en langue arabe, grand homme de Dieu est l’une des histoires les plus étranges. Né en 1770 d’une famille très riche  dans l’actuel   Fouta Toro  (au Sénégal) Oumar fils de Saïd ou Saidou et d’Oumm Hani a passé plus de  vingt cinq années de sa vie à étudier les sciences islamiques. Il fallait  être d’une grande ouverture d’esprit et culturellement averti pour donner ces noms à sa progéniture. Tous les Saïd sont des Muhammad et Oumm Hani est la tante maternelle du saint prophète (Psl), celle dont la chambre a été le point de départ du voyage nocturne. Il est donc facile de deviner l’environnement intellectuel et spirituel dans lequel Oumar Ibn Saïd et ses parents baignait en ce milieu du 18eme siècle.  Mais notre homme partira, il va brutalement quitter le continent selon un décret céleste au contenu qui restera secret si ce n’est pour les métaphysiciens qui connaissent le langage des preuves implicites. En 1807, il va être  capturé par les armées Bambaras au cours d'un conflit militaire qui les opposait aux Peuls, puis vendu aux trafiquants d'esclaves et emmené aux États-Unis. Il ne reviendra plus jamais. Il n’a pas eu la « chance » de l’esclave d’origine guinéenne Ayuba Souleymane Diallo qui est rentré après une pérégrination extraordinaire. 

Mais ce qui sort de l’ordinaire et qui est formidable, c'est-à-dire effrayant, c’est qu’à l’époque personne n’était à l’abri de la capture et de la déportation. Du souverain le plus puissant au roturier le plus costaud en passant par des lettrés, des arabisants, des hommes d’esprit cultivés tous sont partis selon les vicissitudes du destin et l’horloge cosmique qui rythme la chance et la malchance. Mais la fortune d’Oumar Ibn Saïd est douloureusement exceptionnelle. Pourquoi sommes-nous partis ? Qu’est-ce qui explique, par l’intérieur des choses, que certaines « grandes âmes » aient quitté  l’Afrique au-delà de toute explication historique liée à l’économie mercantile, à la prédation « utile et naturelle » et incroyablement perverse ? De quoi rêvaient les captifs bien avant d’être kidnappé ? Quelle est l’histoire onirique, personnelle et intime de ces frères aux visages noirs contraints de quitter le vieux continent. Oumar Ben Saïd et ses milliers de frères noirs ne sont pas des esclaves comme on le dit façon impropre et légère, ce sont des captifs. On ne nait pas esclave, on le devient par la contrainte et la force brutale de l’homme notre prochain, qui par le même acte devient un être lointain. Alors tous les crimes sont permis.

C’est à croire qu’Oumar Ben Saïd Al Fouti devait partir selon un décret et un vœu incompréhensible formulé par les anciens. C’est à partir de cette « hypothèse originelle» que l’on doit envisager la continuité spirituelle et  génétique du peuple noir depuis le commencement des choses. Selon le métaphysicien Sénégalais Habib Mbaye fils de Hadj Mbaye Déguène disciple de Hadji Mansour Sy le grand,  les ancêtres ont « programmé » le départ, ils l’ont voulu selon un vœu incroyable dont l’encodage reste  à dévoiler. Le peuple noir est toujours en marche, un jour viendra, nous saurons ! Et si l’âme d’Oumar Ibn Saïd pouvait nous parler à partir de l’Isthme des morts, le Barzakh de la station intermédiaire, nous saurions tout. Mais notre homme arrivé malgré lui aux Amériques a pris le soin de nous parler, il a beaucoup écrit après mille et une souffrances. Il va falloir interroger tous les domaines subtils de la connaissance pour percer certains mystères. La science Irfanique (métaphysique) qui questionne l’intemporalité est rarement convoquée en la matière or toutes les questions qui touchent l’homme ont une dimension ontologique. L’étoile d’Oumar Ibn Said a quitté son siège provisoire pour aller se loger dans un autre firmament. Cet homme et tant d’autres était destiné à transmettre la lumière mohammadienne. Il n’est jamais revenu, il n’a pas pris femme, il n’a aucune descendance, le contraire aurait étonné. Il n’est pas le seul parmi les maitres-pionniers à connaitre un tel destin. Il  est des lumières qui n’admettent pas la transmission lignagère.  Aujourd’hui il est vénéré aux Usa et son œuvre est cité partout.  

C’est ainsi que notre homme comprenant toutes ces choses a tenté de tout ramener à l’origine divine de l’homme et sa liberté inaliénable que seul le grand détenteur du pouvoir suprême lui a conféré. Alors Oumar Ibn Saïd fit une exégèse remarquable de la Sourate  67 Al Moulk en rapport avec sa  situation d’esclave et l’ignorance et l’inculture et l’incivilité de tous ceux qui pense qu’un homme peut être supérieur à un autre au point de le posséder comme une marchandise et de le vendre.
«  Certes, Nous avons honoré les fils d'Adam. Nous les avons transportés sur terre et sur mer, nous leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures. » Coran Sourate 17 verset 70
Ceux qui sont partis par les mers Noé, Ulysse, Bakary II,   Oumar Ibn Saïd, Ayuba Souleymane Diallo, Ahmadou Bamba, le grand Cheikh Hamallah dont l’histoire est encore à raconter et toutes les  grandes figures inconnues, méconnues, ignorées ou oubliées ont perpétué les grandes vertus et la patience permanente à leurs manières différentes et selon des fortunes particulières. Ils ont  vogué à bord des tristes caravelles,  tous autant qu’ils sont de la grande famille de l’humanité, ils ont eu le souci du métissage et de la quête universelle. C’est  une force implacable  que de partir par les mers qui pendant une période immémoriale a recouvert presque la terre entière. Le souci de la mer, le pied marin, l’intrigue et la fascination magique du moutonnement infini de la mer peuplée d’êtres multiples, de créatures étranges sont parmi  les grands fantasmes de l’homme.  Mais il est des départs inénarrables, des « partir » aux senteurs de parturientes, des adieux qui ne nous mènent pas à Dieu mais entre les mains des hommes qui sont les vrais démons qui n’attendent pas trois heures du matin pour sortir. La traite négrière s’est faite à midi, par des démons de midi  « sur les routes de Midi » ! Autant dire en plein jour.  

  Oumar Ibn Saïd est certainement de ces grandes âmes prédestinées. Il était naturellement surpris et interloqué d’être capturé et vendu à des brigands marchands d’esclaves et des Nassaras qui ne savaient rien de sa culture d’origine. Il écrira plus tard une autobiographie d’une tristesse larmoyante, pleine de nostalgie et de regrets, le déracinement est la pire des tortures : "Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Remerciement à Dieu, pour sa bonté, sa générosité et ses bienfaits. Je ne peux écrire ma vie, ayant beaucoup oublié de ma langue ainsi que de la langue des arabes. De plus, je ne maitrise qu'un peu la grammaire et le vocabulaire. Oh mes frères, je vous le demande, au nom de Dieu, ne me blâmez pas, pour mes yeux qui sont faibles au même titre que mon corps. Mon nom est Omar ibn Saïd; mon lieu de naissance est Fouta-Toro, entre les deux rivières... Là vint une grande armée dans notre pays. Ils ont tué beaucoup de personnes. Ils m'ont capturé, et emmené dans l'océan, et vendu aux mains d'un chrétien qui m'a acheté et emmené en bateau dans l'océan. Nous avons voyagé dans l'océan pendant un mois et demi jusqu'à ce qu'on arrive à un endroit appelé Charleston."  Personne ne peux imaginer la fracture morale et les blessures internes d’un homme qui durant toute sa vie a été éduqué selon le précepte et la philosophie de «  Wa la qad karam-naa Banii Adama » (Certes, Nous avons honoré les fils d'Adam).  Tombé par  malchance   entre les mains d’un méchant propriétaire d’esclave, il subira les pires maltraitances. Il s’enfuit vers le nord plus « clément », aperçoit au loin une maison de Dieu, une église, attiré par les effluves divines, cet impérieux besoin musulman de prier, advienne que pourra il entre dans le temple et innocemment il va être capturé dans la maison de Dieu. Il faut dire que des esclavagistes étaient nombreux à l’époque comme ce fameux Charles Lynch  d’où est tiré le verbe anglais to lynch issu de The Lynch law (« la loi de Lynch »).
Il finira entre les mains  du général James Owen de Bladen County son propriétaire jusqu’à sa mort en 1864 à l’âge de 94 ans. Oumar Ben Saïd a disparu la même année où El Hadji Oumar Al Foutihou s’est éthéré à partir des falaises de Bandiagara. Il aurait été pris à l’époque où les puissantes armées Bambaras du Kaarta ont attaqué le Fouta sous le magistère du preux Almamy Abdel Qader Kane, c’est en cette même année 1807 que l’Almamy a été assassiné. 
A ceux qui sont partis par les mers, la terre, le désert et ses sables mouvants,  la terre-mère pleure encore le voyage forcé.


Khalifa Touré

jeudi 7 décembre 2017

De quoi Ndiassane est-il le nom ?




« Le breuvage que nous préparons pour l’éléphant ne saurait être versé dans le gosier d’une fourmi.» Imam Hassan Al Basri.
Fondé en 1883(1884 ?) par Cheikh Bou Mouhamed fils de Cheikh Bou Nahama Kounta  le jeune, Ndiassane qui se trouve à quelques encablures de Tivaouane, est une localité qui frappe l’esprit des visiteurs par la distance, le retrait et la modestie sociale qui  caractérisent les âmes qui hantent ce haut lieu de la Qadiriya. Les Kounta sont une illustre et très ancienne lignée de saints-mystiques-musulmans qui descendant de Okba Ben Nafi’i Al Moustadjaab décédé en 683 à Sidi Okba en Algérie qui lui-même remonterait à l’ancêtre du Prophète Muhammad (PSL), le fameux Quraich Ibn Malick communément appelé Fihr, dont la famille du Prophète Mouhamed (PSL) porte le nom.  Okba qui a jusqu’à nos jours des homonymes à Ndiassane est bien cet illustre compagnon du Prophète(PSl) qui reçu l’ordre d’Oumar Ibn Al Khatab d’explorer l’Afrique à l’époque où Amr Ibn Aas était gouverneur d’Egypte. Il entra par la Tunisie actuelle et « fonda »la fameuse mosquée de Kairouan, mondialement connue. Ses explorations l’aurait mené jusqu’aux confins du Fleuve Sénégal. En tous les cas il a traversé tout le Sahara pour ensuite remonter vers le Nord. Selon Cheikh Sidy Mouhamed khalifa Al Kounti fils de Cheikh Sidy Moctar El Kébir,  Okba Ben Nafi’i est mort martyr, assassiné du haut de son Minbar, lorsqu’il prononçait son Qutba un jour de vendredi. 

 Somme toute, la tribu des Kounta est à la fois une lignée familiale et une chaine de transmission mystique qui est en l’occurrence l’objet d’un étrange « Tawassoul » élaboré par un disciple en danger qui chante le nom de Dieu à travers les œuvres  des illustres Kounti comme Cheikh Sidi Moctar El Kébir cité par Cheikh Ahmadou Bamba dans « Massalik Al Djinaan » , Cheikh Sidy Yahia le grand, Cheikh Sidy Oumar Cheikh, Cheikh Sidy Mouhamed Khalifa et le fameux Cheikh Ahmad El Bekkaye de Oualata.
Les Kounta sont rattachés à une double chaine de transmission dont l’une vient d’être évoquée et l’autre qui les fait remonter au lion de Baghdâd, Le grand Cheikh Abdoul Qadir Djeylani et au-delà de ce grand pôle mystique, les grands maitres du soufisme qui se sont transmis les « secrets », recettes et méthodes de la réforme de l’Homme que sont Taadjal Arifina Aboul Wafaa (le maitre de Cheikh Djeyli), Abou Muhammad As-shambaki, Schibli le grand cité par Baye Niasse dans son ouvrage «  Kashf Al Albass », Al Imam Al Akbar Djouneydi Al Baghdâdi, Sirri Saqati, Mahrouf Al Karhi, Habib Al Adjam,  Daouda Ta-i, jusqu’à l’Imam Hassan Al Basri. Même le célèbre Djalal Ad-diin Souyouti qui, aujourd’hui, est classé dans la tendance « salafiste » figure étrangement dans la chaine de transmission mystique des Kounta. L’on ne sait pas que Souyouti a dirigé la prière mortuaire du grand Soufi Abdou Wahab Chahraani que le grand Seyd Al Hadji Malick Sy a chanté en quelques vers mémorables. Décidément tous les chemins soufis mènent à Imam Hassan Al Basri, le plus illustre des Tabihi selon les habitants de « Chaam »-la grande Syrie ; pour les irakiens il est l’équivalent vertueux du médinois Saïd Ibn Moussayib et certainement aussi lumineux pour les Tabihi qu’Abou Bakr As-Siddiq le fut pour les Sahabas. La plupart des « Silsila » ou chaines mystiques de bons nombres de soufis remontent à cet illustre disciple de l’Imam Ali Ibn Abi Talib qu’est Hassan Al Basri. Pour ceux qui ne connaissent pas le soufisme, la silsila est importante pour la véracité et l’authenticité de la science transmise, qu’elle soit gnostique, livresque ou pratique. Il existe même des silsila  et des Idjaaza en sciences du Hadith.

La généalogie est certes une re-construction mais  de nombreux travaux dont ceux de Thomas Edward Whitcomb et G. Salvy reviennent sur les origines lointaines des Kounta avec une approche scientifique. Si vous lisez le livre de la  célèbre Maryse Condé consacré à Tombouctou vous aurez une idée de ce que représente les Kounta dans lequel l’un des plus illustres Kounta Cheikh Ahmad El Bekkaye le grand enterré est évoqué. Connu pour ses lamentations et jérémiades pour avoir raté un seul Rakka à la mosquée Il repose à Oualata depuis 1504, à la lisière du Mali, de l’Algérie et de la Mauritanie  apres avoir été enterré à deux reprises, ses dons de thaumaturgie et sa grande crainte de Dieu sont tétanisant, il vivait parmi des lions. C’est lui qui fit des Kountas de grand prédicateurs, islamisateurs et directeurs spirituels dans tout le  Sahara. Quant à Cheikh Sidi Moctar Al Kounti (1730-1811) le plus grand maitre mystique des Kounta, grand propagateur de l’Islam, vénéré par tous les saints dont Cheikh Ahmadou Bamba et le grand Cheikh Sidiya de Boutilimit, il repose à Bou L’Anwar. Sa grande figue est partout l’objet d’études et de thèses. Selon Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niasse, Sidy Moctar El Kounti est l’un des rares guides qui détiennent le secret de la « Tarbiya » la guidance du Mourid jusqu’à l’enceinte de Dieu ; l’un de ses éclats mystiques et non le moindre est  Sidi Mohamed Khalifa Al Kébir dont la dernière demeure est localisée en Mauritanie. Sidy Mohamed Khalifa a authentifié la véracité divine de la Khatmiya professé par Cheikh Tidiane Chérif. A un certain niveau de présence divine les confréries n’existent plus, elles s’effacent «  tous ceux qui montent convergent ».  

C’est donc dire que les Kounta ont essaimé en Mauritanie au Maroc, au Niger,  au Mali et aujourd’hui au Sénégal. Ils sont les principaux artisans de l’expansion musulmane au Sahara entre le 11ème et le 16ème siècle. De sérieux travaux universitaires en attestent. C’est l’une des lignées musulmanes les plus présentes dans la littérature scientifique et les thèses universitaires. Je vous renvoie à celle de Fatima Bibed : « Les Kuntas à travers quelques extraits de l’ouvrage Al-Tara’if Wa tala’ id de 1756 à1826 » soutenue à l’Université d’Aix Marseille en 1997.
Mais les Kounta ou Ahlou Kounti n’ont pas toujours été des qadr, ils ont été ce qu’ils sont, c'est-à-dire une dynastie religieuse à tendance mystique et expansionniste musulmane, avant que l’un de leurs illustres ancêtres n’adhère à la Qadiriya qui est la première confrérie mystique musulmane recensée, elle remonte au 13ème siècle. Même le patronyme Kounta n’a été vulgarisé véritablement qu’entre le 16ème et le 18ème siècle. Le premier à porter le patronyme Kounta est Cheikh Sidy Mouhamed fils de Sidy Aly et père du fameux Ahmad Al Bekkaye de Oualata (15ème Siècle). La Qadiriya compte aujourd’hui 29 branches à travers l’Inde, la Turquie, l’Albanie, la Syrie, l’Egypte, la Mauritanie, le Mali, le Sénégal etc. C’est ainsi que vivent les preux chevaliers du Tassaouf qui  passent d’expériences en expériences en quête d’accomplissement mystique. Beaucoup de saints mystiques apparentés aujourd’hui au Tidianisme ou à la Qadiriya ont connu d’autres expériences dans la Khalwatiya, la Chazaliya la Naqchabandiya, la Dabaaqhiya, la Mouriidiya du Caucase, la Mawlawiya ou bien d’autres confréries. C’est le cas du grand pôle mystique Cheikh Ahmed Tidiane Chérif Al Fatimiya qui a connu la Khalwatiya. L’illustre Cheikh Saadoul Abihi qui appartient à la branche Faadaliya de la Qadiriya (du nom de son père Cheikh Mouhamed Fadel) offrait généreusement le Wird Qadr, Tidiane et Chaazalite.  

En effet c’est Cheikh Sidi Oumar Cheikh Al Kounti fils de Ahmad El Bekkaye de Oualata qui se fit disciple pendant 30 ans du grand Cheikh Mouhamed Ibn Abdoul Karim Al Maghiily et reçu de lui les clefs de la Qadiriya, c’était au 16ème siècle. Retenons que c’est le même Al Maghiily venu d’Irak qui a introduit la Qadiriya en Afrique. Maghily est le disciple du célèbre Jalal Adine Souyouti. C’est ainsi que se développa deux branches Kounti de la Qadiriya : la Qadiriya Bekkaiya  du nom de Ahmad El Bekkaye de Oualata et  la Qadiriya Mukhtariya, du nom de Cheikh Sidi Moctar El Kébir. Il ya aussi la Qadiriya Seydiya de l’immense Cheikh Sidiya El Kébir  de Boutilimit en Mauritanie qui appartient à une autre lignée. La fameux et très étrange Cheikh Yaaqoub ould Baba appartient à cette branche lumineuse.

Quant à Cheikh Bou Nahama le jeune, il reçu l’ordre de son maitre  Cheikh Sidi Mokhtar de venir s’installer dans le monde noir. Cheikh Sidi Mokhtar appris à son disciple Bou Nahama que les Kounta issus de la Branche Taleb Bocar d’où est issu Bou Nahama étaient destinés au métissage avec les «nègres.»   En effet c’est à partir de Bou Nahama qui a épousé une femme noire, du nom de Sakhéwer Diop, apparentée à l’aristocratie Cayorienne, d’où est issu Cheikh Bou Mouhamed kounta de Ndiassane, que les Kounta (du Sénégal) se sont métissés et ont commencé à se « négrifier ». Les localités de Guyy Yett, Sancc Buuna, Ndeer et Ndiassane sont tous des excroissances de Ndanq Kajoor fondé par Cheikh Bou Nahama en 1800 à l’époque du Dammel Birima Fatma Thioub. Cheikh Bou Mouhamed Kounta ne verra jamais son illustre père décédé avant sa naissance en 1843. Il a grandit auprès de ses grands frères avant de se déplacer vers les terres de Ndiassane qu’il fonda en 1883 et qu’il ne quitta jamais jusqu’à son rappel à Dieu le 13 Juillet 1913. Cela explique peut-être en partie l’enclavement non pas géographique de la localité, parce que Ndiassane est presque sur la route nationale, mais un enclavement qui pendant longtemps reposait sur la méfiance et une volonté de préserver un héritage et éviter de se mêler des choses de ce bas monde. Pourtant, fait paradoxal, Cheikh Bou Mouhamed Kounta entretenait des relations épistolaires avec Paul Marty. Il a même accepté d’envoyer l’un de ses illustres fils Sidy Moukhtar Kounta à la première guerre mondiale qui revint saint et sauf.  La plupart de ses enfants ont essaimé à travers le Sénégal. Son premier successeur Cheikh Al Bekkaye, le père de Abdou Bekkaye et Bou Bekkaye a conduit brillamment les affaires jusqu’en 1929. Quant à Cheikh Sidy Lamine Kounta, il ne résidait pas à Ndiassane avant son accession au Califat. Il a eu un long et très étonnant magistère qui dura de 1929 à 1973. Cette fameuse bâtisse qui surplombe Ndiassane est l’œuvre de cet homme austère et mystérieux. Comme son père Cheikh Bou, il possédait beaucoup de biens mais n’en jouissait pas. Presque toujours habillé de la même manière il n’hésitait pas en plein chant religieux de venir retirer le bâton des mains du joueur de « Tabala » qui s’emballait trop. Autant dire qu’il serait étonné de la tournure musicale endiablée que prend aujourd’hui le « Tabala » qui  à l’origine accompagnait cet oratorio  caractérisque de certains ordres mystiques comme la Maoulawiya de Djalal Ad-diin Rumi, qui inspire depuis toujours les Derviche tourneurs mondialement connus. Cette austérité, ce refus de se mêler des affaires de ce monde vient en partie de Baye Sidi Lamine comme on l’appelle affectueusement. Il n’a accepté de recevoir le Président Senghor qu’une seule fois. A Ndiassane c’est la loi coutumière et islamique qui était en cours au temps de Baye Sidy. La gendarmerie n’intervenait jamais. Les conflits étaient arbitrés à l’ombre du Cheikh. A l’image du fondateur, les habitants de Ndiassane voyageaient rarement. Au contraire la plupart des disciples ont rallié Ndiassane en émigrant du Mali, de la Haute-Volta, de la Guinée Bissau et de la Gambie. Pourtant Cheikh Bou Kounta n’a presque jamais quitté Ndiassane. A part Baye Mamadou Kounta (3ème Calife et père du guide actuel, El Hadji Mame Bou) et Cheikh Abdourakhmane Kounta (grand dépositaire de secrets mystiques)  qui vivaient à Ndiassane, Cheikh Sidi Yahia le pieux vivait à Latmengué dans le Saloum avant d’accéder à la charge califale. Un homme affable, d’une grande modestie pour ceux qui l’ont connu. Il a quitté ce bas monde en laissant derrière lui l’image d’un saint caché parmi ses semblables. Son successeur et fils cadet de son père Baye Bou Kounta, le Hafiz dépositaire du coran vivait à Tiaryak au Saloum. Bou Nahama était à Sédhiou et Cheikh Sidy Aly Kounta, le père de Mohiédine Ahmed Bachir Kounta est décédé en Gambie. L’une de ses filles Sokhna Mariam Kounta était l’épouse de Serigne Babacar Sy. La bâtisse qu’elle habitait à Tivaouane est toujours dénommée Ndiassane. Ayant vécue longtemps, cette dame au teint très clair et à la face lumineuse avait fréquemment les yeux rivés sur le livre saint qu’elle lisait toujours. Mais la plus inoubliable de ses filles reste Sokhna Lalla Aicha Bou, réputée pour son austérité et ses connaissances gnostiques. 

Pour solde de tout compte, on peut dire que l’histoire des Kounta reste interminable même si comme toutes les confréries aujourd’hui elle est confrontée à de grands défis dont le principal est le « Tadjdid » (renouvellement). Etrangement le meme phénomene s’est posé pendant deux siecles jusqu’à l’avénement de Cheikh Sidy Moctar.   Cet homme providentiel, ce messie disons-le, ce Moudjtahid (réformateur) qui sera à la fois un cheikh Mourabbi (éducateur) et un pâtre qui conduit le troupeau est indispensable à tout ordre mystique. Nous ne pensons pas que les Dahira et autres associations peuvent tenir ce rôle. Mais en attendant l’arrivée de cet « être providentiel » les actions de ces organisations restent utiles dans un monde moderne qui construit des théories douteuses sur « le leadership de groupe » fondées sur les carences du monde contemporain et les incapacités de l’homme moderne. Djalal Ad-din Souyouti a dit  dans son fameux « Massalik Al Khounafa fi Waalideyhi Al Mustapha »,   que même dans les heures les plus sombres de l’humanité, il y aura au moins sept personnes qui dirigeront de part et d’autres  les affaires de l’humanité et donneront à Dieu les raisons de garder ce monde vivant. Jusqu’à la preuve du contraire Souyouti a raison. Le leadership n’est-il pas spirituel, intime, personnel et permanent. Vive le soufisme !

Khalifa Touré

samedi 2 décembre 2017

Les premiers ici sont-ils les derniers ailleurs?




« Alors il s’assit, appela les douze, et leur dit: Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous. (Marc 9:35)
Plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers. (Marc 10:31) »

Tels sont les saints propos de Jésus fils de Marie, le souffle de Dieu le Très Haut, qui convoqua les Khawariyiine (Apôtres-vicaires) du Seigneur des mondes dans cet exercice de dévoilement de la Vérité, de purification de l’âme et de lutte contre le soi-impérieux. Mais aujourd’hui, tout le monde veut être devant oubliant l’arrière garde à la merci du mal ! A l’injonction de Jésus «  Qui sont mes  alliés en Dieu ! » les apôtres répondirent selon le Coran «  Nous sommes les alliés de Dieu ». Alors naquit la flamme de l’Amour et du Pardon et plus tard la Salam dans le désert de l’Arabie. 

  Le défaut de perception associé à l’oubli consubstantiel au fils du premier Adam est l’une des sources du mal. Zoroastre, Moïse, Bouddha, Jésus et Muhammad, Paix et Salut sur eux, ont tous eu pour mission de soigner les âmes malades et rebelles à la Lumière.  Le problème de l’homme est d’ordre optique, c’est le panorama qui fait défaut, l’œil est l’organe essentiel, mais « l’œil » du cœur. Le cœur est le  siège par excellence des grandes connaissances gnostiques d’où le verbe coranique : « Ils ont des cœurs mais ne comprennent rien ! » Sourate Ahraf.

 Ils sont nombreux parmi les proclamés premiers qui n’ont pas de cœur, sinon de la pierre  à la place du cœur moins que Pierre Képhas le saint rocailleux illustre compagnon d’Issa Ibn Mariam, révolutionnaire à la foi d’airain. L’utopie socialiste est née peut-être de ce sentiment primitif,  ce doute quant à la faculté de l’homme d’avoir du cœur. La suite est connue de tous ! Depuis Valéry Giscard d’Estaing les socialistes n’ont plus le monopole du cœur, du moins en rhétorique. Les Religions ne sont pas socialistes heureusement. Elles ne sont pas non plus libérales. Les idées socialistes sont libérales chez les anglo-saxons. Voilà la science politique confuse, complexe et culturelle. Qui sont les derniers parmi les socialistes et les premiers parmi les libéraux ?  Les méchants parmi les premiers ici seront sont les maudits ailleurs parmi les derniers.  Shakespeare le saint laïc l’a compris qui a dit en des propos lumineux : « Si les empires, les grades, les places ne s'obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n'étaient achetés qu'au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés. » dans Le Marchand de Venise.

Il s‘en est fallu de peu que la catin honnie de tous qui s’est donnée à tous les hommes de la terre engendra le saint des saints. Oui ! les voies du Seigneur sont insondables. « Mais les braves gens n’aiment pas qu’on suive un autre chemin qu’eux(…) Je ne fais pourtant pas de mal à personne en ne suivant pas les chemins qui ne mènent pas à Rome » dit George Brassens l’anarchiste. La mauvaise réputation des derniers à l’échelle terrestre est parfois la bonne chez les premiers pour ceux qui croient au ciel.  Tous les anarchistes du monde auraient aimé être Jésus de Nazareth et marcher sur l’eau comme un surhomme, ce que le grand Nietzsche n’a jamais réussi. Alors chemin faisant la femme de joie pécheresse ineffable descendit dans le puits, puiser de l’eau pour le chien haletant de soif, ce qui lui vaut le Salut éternel malgré une longue vie de culbute illicite, l’hallali des hypocrites, le jugement derniers des gens de bien qui prétendent avoir reçu un certificat de bonne conduite de la main droite du Créateur Lui-même.  Les derniers sont parfois les premiers en une autre vie, une autre situation.  Que les orgueilleux pleins de morgue, de  gloriole et  de mépris royal se tiennent cois ! Ils vont la fermer un jour dans le royaume terrestre. 

Que font les saints en enfer en compagnie des serpents, des singes, des hyènes et des chiens? Ils ne sont solidaires du règne animal que dans la punition. Il est vrai que certains premiers autoproclamés, médiatiquement soutenus, reçus avec pompe dans les palais royaux, sous les lambris dorés et les lustres qui vont se fracasser sur leur tête insouciante devant les regards faussement énamourés ne font que crier et « trompetter » leur dernière place dans l’Insigne Assemblée. Premiers à la queue ils marcheront à la queue leu leu pour franchir la dernière porte de la misère, mais à reculons. Ils sont indignes de la file indienne puisqu’ils n’ont jamais guerroyé, sauvé une seule vie ; s’ils ont une seule fois tendu la main c’est pour mépriser. Leurs paumes rosies par l’oisiveté manuelle et honteuse ressemblent au derrière du chimpanzé. Ils sont derrière le chimpanzé, ils n’ont jamais rien donné.  Les premiers sont parfois les derniers. Il ya tellement de fortunes de la misère  dans ce monde : Misère morale, marasme spirituel, crise métaphysique ! Ce n’est pas le capitalisme qui l’a inventé, mais l’affairisme, l’inculture et pire ! la mercantilisation de la culture. Plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers »

Khalifa Touré