jeudi 29 novembre 2018

Nous avons beaucoup avancé pour mieux reculer !



C’est à croire que l’on passe souvent à coté de notre propre ombre, une sorte de dédoublement hallucinatoire qui nous empêche de voir le réel. Est-il possible qu’une schizophrénie collective conduise actuellement le monde ? A cause de notre obsession politique, le réel est devenu précaire. Tout le monde s’est converti à la religion politique.

La politique est devenue le jugement dernier, le critère suprême avec quoi tout le monde passe à la barre de la punition, des imprécations et des injures. Même ceux qui ne sont pas concernés passent à la trappe des invectives venant de jeunes imberbes dans les réseaux sociaux. Seuls les moines sont à l’abri. Un abri provisoire ! De nos jours,  on est politiquement bon ou mauvais. Ce n’est pas du manichéisme c’est de l’inculture qui s’ignore, faite de mauvaises copies, de plagiat et de citations hors contexte, une forme d’imbécilité contemporaine, de faiblesse d’esprit, cette maladie qui est décrite même par les textes sacrés qui, quoi que l’on dise, évitent souvent de pourfendre l’homme malgré « le livre de l’Apocalypse. » Cette politique-là une maladie contemporaine qui par manque de soins s’est enkystée et a détruit aujourd’hui les plus sages parmi nous. La sagesse n’est plus enseignée, du moins transmise par les doctes précepteurs. La crise de l’éducation c’est le problème de la transmission. Il n’ya plus de maitres ni de séances d’initiation. Aucun rituel qui relie les choses à leurs principes. Même pas l’entrée scolaire.

La solution est dans l’indifférence « bouddhique », le quiétisme et l’engagement pour la grève morale à la Franz Fanon loin d’un stoïcisme paresseux et du désengagement spirituel. L’exigence morale et intellectuelle (c’est la même chose) est l’une des clefs du futur. Il y aura une grande impasse sous forme de chaos avant l’ouverture d’une grande porte vers le futur. Chaque ouverture est aussi une fermeture, le mécanisme du fleuve oubli est déjà  passé par-là. Nous pensons être devant toutes choses mais nous sommes encore loin de la technologie qui a bâti le sphinx et les autres mégalithes. Pour les âmes il n’ya pas de début ni de fin, le début étant la fin, le flux est continu. C’est l’âme qui construit les machines par le rêve,  l’intention, les visions et les sentiments, avant que la dextérité d’une main humaine, celle de l’homo-sapiens sapiens ne dessine la machine, d’où les arts et métiers. Les machines et les outils, tout compte fait,  nous renseignent sur le mouvement de notre âme, de la houe à la moissonneuse batteuse, de la « traction avant » aux engins supersoniques. Les grands bâtisseurs sont de grands initiés, ils connaissent Dieu.  La meilleure attitude serait aujourd’hui de chercher comment s’approcher de loin en loin du monde virtuel de la politique qui n’est plus réel.

Comme une peau de chagrin le réel s’est rétréci, ratatiné par nos pieds bots, nos jambes ridicules et claudicantes qui dansent une mauvaise quadrille, une danse du diable, des trépignements de Saint-Guy qui font croire aujourd’hui que nous sommes à la fin, c'est-à-dire à la veille d’une nouvelle ère. Nous sommes dans les derniers soubresauts du chaos qui va prendre encore du temps. C’est peut-être cela l’optimisme réaliste, le temps de l’espérance, le brin d’espoir qui alimente nos réserves de vie. Mais l’espoir n’est pas l’espérance. Le monde est plus vieux que l’on ne pense, nous sommes encore plus vieux que nos jeunes corps ne paraissent. C’est cela le problème de la politique contemporaine. Elle est tellement petite, ridicule devant la « superficie » des âmes qui se rappellent sous forme de réminiscences, devant les milliards d’années d’expériences de vie. La plupart des politiciens sont de vagues promeneurs sur une terre inconnue, parce qu’ils ne connaissent pas les secrets de la vie et de la mort, les lois immuables qui organisent le changement du monde visible à partir « du grand ailleurs ».

Entre l’essentialisme politique aristotélicien et le réalisme d’Anna Arendt, il y  a un couperet, une grande condamnation de tous les héritiers politiques de l’Occident., qu’ils soient génétiques ou coloniaux. C’est comme si les politiciens cultivés sont condamnés dans une attitude incantatoire comme prostrés devant la politique  comme « art de gérer la cité » et la politique comme combat et contradictions. La dialectique de Marx n’a pas pu arbitrer cette affaire-là, le stalinisme ayant tout gâché.  L’histoire ne retient que ce que nous avons fait même si le dire est plus important que les actes.  En cela la dramaturgie Shakespearienne est-elle la solution ? « Soutenir une grande querelle » serait aujourd’hui un combat générationnel de grandes âmes qui viennent du « passé de l’homme» suffisamment expérimentées quelque soit leur âge social. C’est l’expérience de la vie continue qui fait le génie. Le génie est la conscience de la vie continue. Sinon la civilisation terrestre sera dirigée par des insouciants qui feront semblant de nous faire avancer !  


mercredi 14 novembre 2018

Fabien Eboussi Boulaga, quand la mort étreint les philosophes











« Le Muntu est l’homme dans la condition africaine et qui doit s’affirmer en surmontant ce qui conteste son humanité et la met en péril. C’est à lui de faire l’évaluation de sa situation, de ce avec quoi et contre quoi il a à compter pour se faire une place, sa place dans un monde commun, dans le dialogue des lieux en quoi il consiste concrètement. »
   C’est l’auteur de ces paroles, lui,  Eboussi Boulaga le philosophe du Muntu, qui nous a fait aimer la philosophie africaine. A distance son nom  sonnait bizarre et en même temps nous  apprenait à penser et  philosopher par les textes et les extraits. En effet et un jour viendra  quelqu’un écrira « La philosophie par les extraits et les manuels ». Quoi que l’on dise la philosophie est une discipline rigoureuse qui s’apprend par l’exercice et la fréquentation régulière et permanente des textes. Une manière d’entretenir l’amour de la sagesse. Les normaliens précepteurs des classes terminales n’ont pas tort. Ils se sont toujours faits fort de dire aux disciples de s’exercer à frotter leurs jeunes esprits aux rugueux extraits des textes d’Edmund Husserl, Frederich Hegel ou Jacques Derrida.
   Il faut d’abord apprendre à philosopher avec les auteurs réputés difficiles ou hermétiques avant de faire du militantisme intellectuel, chose commune du reste. Le dangereux renversement de la perspective éducationnelle fait qu’aujourd’hui il existe des historiens, des sociologues, des ethnologues, des anthropologues et des critiques littéraires sont en meilleure posture philosophique que bien des « philosophes attitrés ». Voilà une belle manière de mourir en philosophie.
On ne dit jamais aux étudiants que soutenir une thèse présuppose que la thèse elle-même ne tient pas à priori (il n’ya pas d’à-priori en philosophie), il faut la soutenir, la tenir en bas, lui trouver des fondements, des linéaments subtils d’où le questionnement sous forme de problématique. Le problème en philosophie c’est qu’elle n’a jamais raison. Quel paradoxe ! Avoir raison serait ennuyeux pour une « discipline » fondée sur la rationalité. Mais elle sait que la raison n’est qu’une seule lumière parmi d’autres. Avoir raison en philosophie c’est regarder d’un seul œil. C’est le borgne qui indique le chemin en ce cas là. Vous voyez ? Voilà un handicap  quelque soit le brio de la rhétorique. Lorsque la philosophie a cessé d’être amour et sagesse  (ce n’est que cela), elle est devenue un ensemble de techniques devenues le corpus sclérosé en dehors de quoi aucune philosophie ne peut être. La philosophie devient alors un problème de géo-localisation. Où se trouve alors la philosophie ? Existe-t-il une philosophie diffuse dans les sociétés humaines, comme le pense les « ethno-philosophes » autrement désignés par Paulin Hountondji comme  Alexis Kagamé et le révérend père Placide Tempels et même assez loin de nous, Alexis de Tocqueville qui pense que la philosophie est diffuse dans la société américaine? Certainement que non, selon Marcien Towa.
 Nous étions intrigués et admiratifs rien qu’à entendre les noms du triangle philosophique, Fabien Eboussi Boulaga, Paulin Hountondji et Marcien Towa de la bouche pertinente du professeur de philosophie de classe terminale, le défunt Michel Diouf brutalement arraché à l’affection d’une génération d’élèves aspirants-philosophes à la sagesse socratique. Comment meurt-on en philosophie ? Comment un philosophe meurt-il ? Gilles Deleuze s’est donné la mort, Socrate a bu tranquillement la ciguë, Louis Althusser et Frederich Nietzsche ont sombré dans l’outre-raison appelée vulgairement folie. C’est le philosophe qui meurt ou l’homme qui décède? Il est à croire que la philosophie peut mourir en l’homme, avec l’homme, si l’on est tenté par le vœu des adeptes du déclin des idoles.
Fabien Eboussi Boulaga n’a jamais été une idole. Il a tenté selon une perspective quasi polémique de dé-fétichiser le christianisme. Pour un prêtre ordonné en 1969 ce fut, dit-on aujourd’hui, un acte de courage, comme si le courage ne venait pas forcément du cœur. C’était en 1970 dans un ouvrage intitulé « Christianisme sans fétiches », mais ce fut d’abord  le fameux « Démission » où il appelait au départ progressif des missionnaires qu’il annonçait son prochain retrait de la vie ecclésiastique.  En effet lorsqu’il décida de quitter la compagnie de jésuites en 1980, il « confesse » avoir perdu la foi depuis 1969. Eboussi Boulaga a perdu la foi… en quoi ? Telle est la question. On ne perd pas la foi comme ça. Il est resté un homme de grande conviction, très convaincu des choses et soucieux des êtres, de l’homme bantou, l’africain, face à la problématique  de l’existence dans cette longue période où l’homme africain est confronté à la négation même de sa propre mort, d’où l’inactualité de son ouvrage liminaire « Le bantou problématique ».  Quant au chef-d’œuvre de la philosophie africaine «  La crise du Muntu », le texte dont les extraits sont les plus cités par les potaches africains, qui font de l’homme le plus grand philosophe africain tout simplement,  avant que tous les autres ne s’emparent de cet texte très « dense », touffu même sur la problématique de l’identité surtout dans la pensée post-coloniale. Eboussi Boulaga est omniprésent dans les réflexions de l’historien camerounais Achille Mbembé.  
Il ya une verve tranchante et non moins optimiste qui fait plaisir  chez Fabien Eboussi Boulaga : « C’est dans notre relation aux autres, y compris à nous-mêmes devenus autres pour nous-mêmes, que nous faisons l’expérience d’échapper à nous-mêmes. » dit-il.
 S’il fallait conclure voici ce qu’on dirait la suite de Fabien Eboussi Boulaga : « Faire acte de pensée et de lucidité, voilà l’essentiel au-delà des étiquetages scolaires, disciplinaires et partisans. »
Khalifa Touré


vendredi 2 novembre 2018

Respect ! Aretha Franklin










Elle est partie Aretha Franklin, elle est montée l’âme  d’Aretha Franklin haute comme sa voix, haute et aiguë  à la fois, voilà la tessiture d’Aretha Franklin, cette signature vocale qui est un don de Dieu et qui fait dire Ah ! c’est du Aretha Franklin. Comme disait nos ainés des années 70 et 80.
Ces dandy des cités africaines, jeunes gens élégants, cheveux « afro », libres pattes d’éléphant, souliers hauts talons impeccablement cirés et même astiqués, qui  se plaisaient à écouter la musique de nos frères et sœurs noirs-américains. Mais parfois des manières affectées ressemblant aussi à ces rastaquouères du XIXème qui affectaient quelque personnalité élégante. C’était de l’Otis Redding, Ah ! « (Sittin' On) The Dock of the Bay » enregistré quelques jours avant sa disparition tragique dans un accident d’avion à l’âge de 26 ans.   Et encore… et encore « I've got dreams to remember», quelle voix ! Avant que la voix sensuelle et mortellement langoureuse de Marvin Gaye ne vienne s’interposer. « Sexual Healing » est un véritable intermède musical, une pause, parenthèse vers le futur disco, cette musique légère,  dansante et éphémère. J’en connais qui se sont « tués » à écouter BoneyM.
 Après les électrophones « ancestraux » les délicieux grincements des tourne-disques sonnent encore dans les oreilles. Ce furent aussi les cris aigus de James Brown the godfather of soul à la très longue «  It’s a man’s man’s man’s world »  et Tina Turner la voix souventes fois et par moments masculine ou féminine au besoin dans son célèbre « What's Love Got To Do With It »  peut-être une manière de panser les plaies que son musicien de mari Ike lui a infligé.  C’était l’époque où les garçons battaient les filles, il n’ya pas de honte à la dire. On les bat toujours d’ailleurs, d’où le « Respect » de la frêle Aretha Franklin. Un tube évocateur qui a déchiré !!!  C’était aussi l’époque où les femmes quémandaient le respect : « (Hoo) Ce que tu veux (Hoo)Baby, je l’ai(Hoo) Ce dont tu as besoin( Hoo) Sais-tu que je l’ai ?(Hoo) Tout ce que je demande( Hoo) C’est un peu de respect quand tu rentres à la maison(juste un peu). Hey baby juste un peu (juste un peu) quand tu rentres à la maison (juste un peu) monsieur (juste un peu). »  Le « Respect » d’Aretha Franklin n’est pas seulement une chanson d’amour c’est une demande expresse. Toute sa vie musicale ne peut certainement pas être résumée par cette chanson emblématique. Mais elle reste inoubliable comme un refrain.
  Au reste, est-il encore possible d’écouter de la bonne  musique ? Telle est la question pour les oreilles fines  à l’écoute des voix du ciel, celles des séraphins qui arpentent l’espace irisé. Aretha Franklin est sans nul doute l’une des voix noires  les plus hautes. Elle est de la lignée des quatre  grandes voix du Jazz : Nina Simone, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Billie Holiday et de « l’impératrice du Blues » Bessie Smith,  mais d’une autre époque, l’époque du vrai showbiz, la musique commerciale de qualité (c’est possible par moments!) Elle est de la veine « soul », cette musique de l’âme. Lorsque le chanteur a des « bleus à l’âme » sa musique devient du Blues. Le Blues c’est de la « retro- soul music »  au tempo lent, mélancolique et plaintif. Le blues tient aussi du Jazz, tout est lié. A coup sûr Michael JacksonAretha FranklinR. KellyStevie WonderWhitney Houston et Mariah Carey sont les chanteurs de R&B populaire les plus connus et peut-être les plus talentueux, leurs liens avec James Brown est indéniable musicalement parlant ( si leurs musiques peuvent être définies à partir du rythme).    
Le « Respect » d’Aretha Franklin est un cri strident au respect de l’autre moitié de l’homme. Un cri aux senteurs et couleurs féminines,  ce cri qui touche quelque part dans l’âme, cette voix qui nous fait quelque chose, ce quelque chose de joyeux, d’une joie nostalgique qui nous arrache des larmes. Ce n’est plus de la musique simplement mais des souvenirs, des réminiscences et des ressassements, un ensemble de sons, de couleurs et d’odeurs et de situations, des visages très tôt arrachés à notre affection, des âmes vite parties devenues angéliques.
Aretha Franklin a vendu 75 millions de disques et reste aujourd'hui l'artiste féminine ayant vendu le plus de disques vinyles dans l'histoire de l'industrie discographique. Après une longue carrière musicale et une vie presque sans grands « heurts et malheurs » comme tous ces grands artistes fêlés jusque dans l’âme, on peut dire qu’elle a eu beaucoup de chance malgré ce cancer du pancréas qui va l’emporter le 16 Août 2018 à Detroit dans le Michigan à l’âge de  soixante seize ans. Elle laisse derrière elle quatre enfants éplorés et des millions d’inconditionnels anonymes ou illustres dont le président Barack Obama qu’elle ne cessait jamais de faire pleurer. Salut l’artiste !
Khalifa Touré


mardi 2 octobre 2018

Yasunari Kawabata, un écrivain venu de l'au-delà







Kawabata possède  un style étrange. Dans un recueil de deux nouvelles inédites  le tout premier prix Nobel de littérature(1968) pour le Japon s’incruste parmi les  écrivains majeurs de la littérature mondiale du 20ème siècle.

Vénéré au Japon et en occident, il est né à Osaka le 14 Juin 1889 et mort en 1972. Né prématuré à sept mois et maladif durant toute sa vie, il sera marqué par la solitude, la beauté et la mort. Une thématique qui traverse son importante œuvre faite de courts récits et de romans écrits sans aspérités et fioritures. Il a écrit « Les belles endormies » qui a influencé Gabriel Garcia Marquez, et « Pays de Neige », « Le grondement de la montagne ». Son écriture et même son physique particulier sont l’objet d’un culte dans les milieux savants au Japon. On a même écrit sur ses cheveux, hirsutes et saillants. L’existence depuis 1970 d’une société académique spécialisée dans les études sur Kawabata au japon montre à quel point cet homme est important. On peut même dire qu’il a produit un autre grand maitre de l’écriture, il s’agit de l’immense Yukio Mishima. Un dépouillement stylistique différent de ceux que l’on retrouve chez d’autres grands écrivains caractérise son œuvre importante. Chez Kawabata, le dépouillement est visuel, contemplatif et pas toujours elliptique. Il va à l’essence des choses. Ses textes sont étranges comme s’ils nous révélaient quelque chose qui vient de l’au-delà. Lisez : «  L’odeur ? La mienne, sans doute. Ma grande silhouette n’apparait-elle pas dans la pénombre ? Regarde bien. Il se peut que mon ombre ait attendu mon retour.
La pemiere Nouvelle intitulée (LE BRAS)  est une belle métaphore de la solitude de l’écrivain.  « Un texte hallucinant de beauté !», je me demande pourquoi les japonais écrivent si parfaitement bien. C’est le pays de la contemplation et de l’écriture. Peut-être parce que le Japon est le pays du signe et de l’écriture. Rolland Barthes n’a certainement pas tort d’avoir consacré au Japon son chef d’œuvre intitulé « L’empire des signes ». Ils ont certainement  été pendant des millénaires exposés à la contemplation « des joies du pays pur » qu’ils  sont facilement enclin au zen, au satori, cette illumination propre à la mystique de toutes les religions. La lecture de ce texte d’une beauté indicible peut emmener le lecteur vers un état voisin de celui de l’auteur : la transe. Depuis que Franz Kafka a renouvelé la littérature en nous racontons l’histoire d’un homme qui se réveille brusquement et se rend compte qu’il s’est transformé en insecte, des récits comme « Le Bras » ont trouvé sens sous le plume de grands écrivains comme Kawabata. Récit Kafkaïen et première nouvelle de ce livre, ce texte fantastique nous raconte une histoire étrange. Par une soirée brumeuse dans une ville où il se passe des choses étranges, les horloges se détraquent, la radio annonce  que les femmes enceintes  ne doivent pas sortir et les hommes dépressifs devraient rester chez eux, un homme étrange assis à la table d’un bar-restaurant reçoit une demande des plus étranges venant d’une femme assise devant lui : « Je peux te prêter mon bras pour un soir.» L’homme ayant accepté, la femme détache son bras et le dépose sur les genoux de l’étrange inconnu. C’est le début d’une folle soirée qui se déroule entre le restaurant, la rue où des véhicules étranges passent avec des femmes aux couleurs violettes et la chambre de l’inconnu qui en réalité est un écrivain qui vit dans la solitude de l’écriture : « La solitude n’est-elle pas la présence de quelque chose ? » dit le narrateur. C’est l’occasion pour Kawabata d’entrer dans un développement esthétique sur la beauté du corps, la solitude et le désir de converser qui ronge l’écrivain au point de se contenter d’un bras. Apparemment pour Kawabata la beauté est  dans les formes courbes. Un attachement presque fétichiste qui le pousse à détacher son propre bras pour y greffer celui de la femme. C’est alors qu’il tombe dans une torpeur étrange. Il finira par arracher le bras de la femme.  Le travail de l’écrivain, la solitude et l’incubation littéraire loin des salons peut mener donc à des découvertes et des expériences inouïes comme celle de cet auteur.
Quant à la deuxième nouvelle, « La beauté tôt vouée à se défaire » c’est l’une des œuvres les plus étranges de la littérature moderne. C’est un regret, sentiment fort puissant de la disparition de deux jeunes filles assassinées par un homme du nom de Saburo Yamabe. La perte est certes un sentiment romantique mais il ya rien de lyrique dans ce texte : Kawabata ne chante pas, il célèbre la beauté dans la mort. Comment des êtres partis révèlent-ils une étrange beauté qui saisit jusqu’à l’âme de ceux qui sont restés ! « La beauté tôt vouée à se défaire est une autopsie littéraire de deux meurtres. » Comment le matériau littéraire tente d’aller au-delà de l’incompréhension publique, des aveux du coupable, de la chronique judiciaire du journaliste et du verdict des juges. LA LITTERATURE EST AU DELA DE TOUT CELA ! Takiko et Tsutako sont deux jeunes filles sans histoire assassinées dans leur sommeil par un homme, Saburo, qui reconnait mais ne comprend pas son geste. Il accepte la sentence et finit par se donner la mort. Il est finalement « impossible de dire s'il agissait tombé sous le coup de la folie ou pris d'un ultime sentiment de vie, qui aurait trouvé son expiation à travers le meurtre de deux colombes en plein envol. « Entre l'absurde, la solitude et les impressions innommables: la Beauté [est toujours] tôt vouée à se défaire. »
La vérité judiciaire symbolisée par une sentence prononcée par un tribunal suffit-elle pour comprendre un geste criminel ? L’écrivain-psychologue tente d’aller au-delà de cette vérité judiciaire pour nous offrir une esthétique de la mort et du geste criminel. Jusque dans la mort les deux jeunes filles restent figées dans la beauté.  « J’ai écrit ces lignes avec le mince espoir de célébrer l’esprit de ces trois personnes dont la beauté, malgré son éclat, est tôt vouée à se défaire ».




Khalifa Touré



vendredi 24 août 2018

Ces saints musulmans venus d’Europe





Qui l’eût cru,  des saints musulmans grands maitres spirituels venus du froid ! Quelle offense à Dieu que de penser ainsi. Mais que faire ! Les hommes historiques sont ainsi faits, ils ne savent que ce qu’ils voient et ne croient que ce qu’ils entendent dirent depuis toujours. Le pourquoi serait même inélégant.  Dieu est partout !
Ils sont partout ces âmes fortes qui savent de science certaine ! Cachées dans ces enveloppes corporelles, ces carcasses humanoïdes qui nous cachent tant  de choses. Chaque corps cache une âme, un grand secret. Dieu sait et par sa science d’autres savent qui est qui.  Parmi eux il y a le grand René Guénon, l’un des plus grands intellectuels du XXème siècle, « figure inclassable » dit-on mais ce que l’on peut retenir de lui est ce qu’il est devenu par la suite, un grand maitre mystique  qui a fini ses jours au Caire en 1951 en prononçant « ALLAH »  la formule de la totalité, le nom aux quatre lettres de l’Etre Suprême, Lui qui Est : L’ampleur ou même l’amplitude du rayonnement guénonien peut se mesurer à la puissance des personnalités soufies et intellectuelles qu’il a influencées et qui sont en quelque sorte ses disciples, si l’on peut dire. La plupart sont de puissants intellectuels convertis à l’Islam soufi. Il s’agit de l’illustre soufi saint musulman, maitre mystique, le roumain Michel Valsan ou Mustafâ 'Abd al-Azîz le fondateur de l’école akbarienne du nom du grand maitre des maitres le cheikh Al Akbar Ibn Arabi Al Khatimi(). Michel Valsan est l’un des plus éclatants exégètes et continuateurs de Guénon. Il a repris la découverte guénonienne qui est une vérité immuable selon laquelle la doctrine traditionnelle (qui est l’origine de tout) est une « boussole infaillible », une « cuirasse impénétrable ». Tout cela justifie des les mots de Charles-André Gilis : «  L'enseignement de René Guénon est l'expression particulière, révélée à l'Occident contemporain, d'une doctrine métaphysique et initiatique qui est celle de la Vérité unique et universelle. Il est inséparable d'une fonction sacrée, d'origine supra-individuelle, que Michel Vâlsan a définie comme un « rappel suprême » des vérités détenues, de nos jours encore, par l'Orient immuable, et comme une « convocation » ultime comportant, pour le monde occidental, un avertissement et une promesse ainsi que l'annonce de son « jugement ». 
L’œuvre du grand maitre français René Guénon Alias ’Abd al-Wâhid Yahyâ est donc un rappel de nos origines traditionnelles c'est-à-dire « divines », elle est parfois présentée comme une simple critique de l’occident mais elle dépasse cette critique circonstanciée et géoculturelle. C’est un rappel pour l’humanité !  Tous ceux qui ont parcouru le chemin et franchi les différentes étapes connaissent par expérience que le grand rappel de notre vie depuis les origines s’opère dès  que l’aspirant arrive à la source principale, le Tabernacle originel. C’est pourquoi René Guénon s’évertuait à répondre aux critiques qui affirmaient qu’il n’exposait pas ses sources, qu’il n’était pas obligé de toujours donner ses sources. Comment peut on expliquer les sources les sources de la Baraka ? C’est le Sheikh Abder-Rahman Elish El-Kebir de la tarîqa shâdhilite   qui l’initia au soufi l'initia au soufisme et l’élève au grade de Mouqaddam. 
Sa définition de la tradition pour nous musulmans soufis ouest-africains est étonnante de vérité : «  ce à quoi s'applique le nom de tradition, c'est ce qui est en somme, dans son fond même, sinon forcément dans son expression extérieure, resté tel qu'il était à l'origine ; il s'agit donc bien là de quelque chose qui a été transmis, pourrait-on dire, d'un état antérieur de l'humanité à son état présent. (Aperçus sur l'initiation, p. 63). Nous savons tous ici au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie, en Guinée, peut-être plus qu’ailleurs que certaines choses se transmettent. Cette connaissance universelle, métaphysique est la tradition définie par Guénon et transmise par des cheikhs maitres spirituels authentiques. René Guénon a eu du mal à la faire admettre à une grande masse européenne comme nos grands « marabouts » maitres mystiques authentiques l’ont réussi. En vérité dans cet espace géographique ouest-africain il ya beaucoup d’âmes qui « savent », des initiés parfois qui s’ignorent. René Guénon s’est heurté au jugement dernier de la raison occidentale animée par des philosophes non initiés presque ignorants des états mystiques  de l’être puisqu’ils se suffisent des connaissances sclérosées  distillées dans les universités. Peut-on savoir quand on n’a pas goûté ? C’est cette connaissance gustative de tous les mystiques soufis, quelque religion qu’ils professent  qui est hors de portée de certaines approches universitaires. Mais certaines âmes ont compris, comme celle de notre maitre Michel Valsan héritier de grands pôles du Soufisme : d'Abu-l-Hassan ach-Châdhilî, d''Abdul-Qâdir al-Jilânî, d'Ibn 'Arabî, et d'Abdu-l-Wâhid Yahyâ (René Guénon), le grand Muqaddam suisse fondateur la tariqa Maryamiyyah  Frithjof Schuon Alias Isâ Nûr ad-Dîn, son disciple et ami suisse, le pérennialiste, le juif devenu soufi musulman Léo Chaya qui pris le nom S. Abdul Quddus, le belge  Charles-André Gilis ou Abd ar-Razzâq Yahyâ, l’anglais grand ammi de René Guénon et disciple de  Frithjof Schuon, Martin Lings (Abu bakr Siraj Ad-Din)… Tous ces « grands chefs religieux » comme on dit au Sénégal sont des « marabouts » européens, de grandes âmes qui devraient guider les autres. Ils sont ainsi désignés depuis « yawma alastou », le jour de la grande interrogation. Dans la suite de l’article seront exposées de façon succincte la vie et l’œuvre de ces grands « marabouts » européens qui sont tous dans le sillage de René Guénon ce grand esprit né le 15 novembre 1886 à Blois, en France, et mort le 7 janvier 1951 au Caire. Son dernier mot fuit « ALLAH !»
René Guénon auteur du fameux «  Les états multiples de l’être » est sans nul doute par sa stature, la profondeur de sa pensée, sa grande humilité, son adhésion au soufisme Shazalite, le maitre mystique le plus influent d’occident.
 Cet Occident qu’il a tout le temps mis en garde contre lui-même. René Guénon eut une influence indélébile sur Mircea Eliade, Raymond Queneau  et André Breton. Mais  ses véritables « disciples » presque tous convertis au soufisme musulman et tous initiés à la science gnostique héritée des grands maitres soufis de l’Orient , Sidi Abdoul Qadr Djeylani «  Al Ghawss Samadani » le recours ultime, le grand Qutb pôle mystique Aboul Hassan Shazaly et le maître des maitres Mohiédine Ibn Arabî Al Khatami… Ce dernier a inspiré l’école akbarienne de notre maitre l’Emir Abdel Kader d’Algérie qui a écrit « Le livre de Haltes » que tous les aspirants  devront lire, et les autres dont Moustapha Abdel Aziz Michel Valsan le roumain qui comme Abdel Kader bénéficia d’une expérience personnelle et unique de lien intérieur avec le Cheikh Al Akbar Ibn Arabî. Dans un recueil regroupant une partie de ses articles intitulé « L'Islam et la fonction de René Guénon » (Éditions de l'Œuvre, Paris, 1984) ses principales idées sont exposées.
Sur ce plan René Guénon a raison de dire que cette vérité ignorée par cet occident coupé de ses liens orientaux est transmissible,  non par les modalités connues et fabriquées par l’esprit occidental mais d’une transmission directe et interne. L’Initiation traditionnelle c’est comme remplir une bouteille vide, c’est à force d’oraisons, en venir à la charge ultime qui nous révèle à nous-mêmes et répond à la question « qui sommes nous ? »
 Victor Hugo cet initié n’a-t-il pas dit  « Je m’ignore ; je suis pour moi-même voilé, DIEU seul sait qui je suis et comment je me nomme », (Nous reviendrons sur le cas Victor Hugo). Le cheminement est une multitude de dévoilements à l’issu duquel l’aspirant connait son véritable nom, son moi mystique. La présence répétitive de l’esprit d’Abdel Qadir Djeylani au moment de la mort de Michel Valsan est une expérience miraculeuse, une forme de « théophanie incantatoire ».  Quant au maitre suisse fondateur la tariqa Maryamiyyah  Frithjof Schuon Alias Isâ Nûr ad-Dîn, ce grand Mouqaddam a grandement influencé Michel Valsan. Né le 18 juin 1907 à Bâle et mort le 5 mai 1998 à Bloomington (Indiana), Frithjof Schuon  s’est inspiré de René Guénon dans sa quête métaphysique. Dès sa prime jeunesse, ce petit génie, enfant précoce a très tôt « senti » la vocation spirituelle. L’initiation était nécessaire pour lui. Il voulut se rendre en Inde mais c’est vers l’Algérie que son âme se dirigea. Il s’initia à la Tarîqa Shazaly auprès d’Ahmed Al Alawi. Il a dès lors compris qu’il faut un maitre, mais un maitre authentique. A l’issu de sa tarbiya( « éducation de l’âme) le Cheikh Alawi lui remis la Idjaza (Certificat) en ces termes : « ... je l’ai autorisé à répandre l’exhortation islamique chez les hommes de son peuple, parmi les Européens, en transmettant la parole du tawhîd... »
Le juif devenu soufi musulman Léo Chaya  pris le nom S. Abdul Quddus. Ce grand ascète est un ami et correspondant de Frithjof Schuon. Il adhéra à la voie fondée par ce dernier. Il aborda le soufisme sous l’angle du traditionalisme. Son appartenance à l’école pérennialiste inspirée de René Guénon est connue de tous, elle est devenue même une pièce d’identité. L’âme est appelée à  l’initiation aux vérités traditionnelles et immémoriales qui ont fondé la création du monde. Ce n’est pas un vulgaire  retour aux sources mais un retour à soi, un retour à Dieu. Ce n’est pas pour rien qu’il a écrit : « La Création en Dieu : à la lumière du judai͏̈sme, du christianisme et de l'islam ». 
Enfin le grand « Marabout » anglais Martin Lings (Abu bakr Siraj Ad-Din), ce saint homme au visage rayonnant, à l’habit oriental, à la barbe fournie. Inspiré toujours par René Guénon cet éminent professeur et intellectuel anglais se rendit au Caire et se convertit à l’Islam Soufie. Sa biographie du prophète Mohamed(PSL) publiée en 1983 est une référence mondiale.  Sa thèse de doctorat sur le soufi algérien Ahmad al-Alawi est aujourd’hui intournable. Tous ces preux chevaliers venus du froid, harnachés de science gnostique sont tous des esprits supérieurs qui ont sauvé tant d’âmes. Paix et bénédiction sur eux !
Khalifa Touré


jeudi 9 août 2018

Oscars 2018, « La forme de l’eau » ou la revanche du cinéma

 
 
 
Le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro vient de prendre sa revanche après que le festival de cannes s’est détourné de son génial « Le labyrinthe de Pan » en 2006, un autre de ses films à « créatures fantastiques".

Il faut dire que depuis bientôt deux décennies le monde du cinéma en général et les jurés en particulier ont la manie de primer davantage ce que l’on peut appeler « les films à scénario » au détriment des œuvres à forte mise en scène. Le mouvement du cinéma est oscillatoire, il tangue entre les grandes mises en scènes, les films à forte réalisation et les films idéels, les œuvres à fortes idées. On dirait que nous sommes aujourd’hui dans une période du scénario. Les grands cinéastes iraniens Jahfar Panahi et Asghar Farhadi sont de formidables cinéastes à scénario. Regardez «  Une séparation », « Le passé », « Le client ». Ken Loach le britannique a bâti sa réputation sur les remarquables films à scénario qui lui ont valu deux palmes d’or.


Quant aux oscars 2018, on peut dire que «  Three Billboards Les panneaux de la vengeance » de Martin Mc Donagh est un excellent film mais il est loin derrière le formidable « La forme de l’eau » de Guillermo Del Toro. Encore une fois l'oeuvre de Martin est un excellent film à scénario, une histoire de justice et de vengeance à l’américaine. Le portrait émouvant d’une dame de fer tenu par une effrayante Frances Mc Dormand qui lutte contre toute une ville pour que justice lui soit rendue. Sa fille a été violée et brulée vive et depuis des années l’enquête n’avance pas. Elle décide de prendre les choses en main, à sa manière. Un bon film, mais comme tous les bons films d’aujourd’hui, l’auteur ne prend aucun risque dans la mise en scène. Rien que la présence de l’acteur Sam Rockwell qui tient le rôle du flic ambigu quasi-analphabète et au fond pas mauvais, vaut le détour. Son oscar du meilleur acteur dans un second rôle est amplement mérité ainsi que celui de Frances, dans le premier rôle.
Beaucoup de films encensés et même primés ces dernières années s’éloignent nettement de la créativité « scénique ». C’est le cas de « Moonlight » qui a remporté l’oscar du meilleur film l’année dernière. Un film moyen, une œuvre passable pour un Oscar, l’un des plus mauvais depuis vingt ans. Il faut à la vérité dire que depuis « Million Dollars Baby » de Clint Eastwood 2004 aucun film oscarisé n’a pu frôler le chef-d’œuvre. Cette année 2018 c’est un cinéaste-cinéphile qui vient d’être primé, un grand connaisseur, un réalisateur qui a regardé beaucoup de films depuis les classiques. Ses commentaires sur le cinéma fantastique espagnol en particulier démontrent une grande culture cinématographique et un regard profond sur les grandes œuvres. Il faut dire qu’il ya des réalisateurs de renom qui ne sont pas cinéphiles du tout et qui ne s’en cachent pas. Nous sommes d’ailleurs dans une période de films-makers, de « faiseurs de films » qui n’ont même pas vu « Sunrise » de Murnau, pour reprendre le reproche de Claude Chabrol fait aux nombreux critiques contemporains. La nouvelle vague française et le néoréalisme italien n’en parlons pas.


Guillermo Del Toro est l’un des plus grands créateurs cinématographiques, il fait du cinéma et pas seulement des films. Ses œuvres peuvent être étudiées et commentées dans les écoles de cinéma. Depuis « l’échine du diable » un véritable chef-d’œuvre moderne qui (parait-il lui a pris treize années d’écriture, jusqu’à « La forme de l’eau » qui est le sommet aujourd’hui en pensant par « le labyrinthe de Pan » un conte fantastique à arrière-plans historiques et politiques ( la guerre d’Espagne), Guillermo Del Toro semble nous dire que le cinéma est au fond un roman fantastique . Ses œuvres sont « littéraires » si l’on peut dire, comme les classiques : La règle du jeu » de Jean Renoir, « Citizen Kane » d’Orson Welles, « l’Ordet » de Karl Dreyer, Amarcord » de Fellini, « le mépris » de Jean Luc Godard, « Van Gogh » de Maurice Pialat. Mais l’auteur y met sa fantaisie, son éclectisme, son goût du fantastique et ses références historico- sociales (la guerre froide, le racisme et l’intolérance dans « La forme de l’eau »), un nouveau conte philosophique et esthétique autour d’une romance classique, non pas de la belle qui a raison de la bête à la fin mais le sujet est magistralement inversé. Allez regarder le film ! il ya tout ce qu’un cinéphile peut aimer, jusqu’à la photographie en clair jaunie et obscure digne de Nestor Almendros, elle est tenue par Dan Laustsen, la musique est d'Alexandre Desplat(Primé), les mises en abymes et les références au grand écran surtout aux péplums et la salle obscure sont un appel à l’art cinématographique. L’eau n’a pas de forme, elle prend ici la forme de l’amour puisqu’elle est source de vie. C’est tout le sens de la chute finale du film. C’est l’eau qui donne la vie et permet la renaissance. Elise Esposito une jeune femme muette, rôle tenue par une hallucinante Sally Jenkins est la véritable héroïne de ce roman dont la voix du silence résonne dans le cœur de la créature qui est loin d’être bête. « La forme de l’eau » est un poème humaniste qui fait renaitre sans fanfaronnades le cinéma et la mise en scène avec tout ce qu’elle comporte de délices musicaux et de citations filmiques.
Khalifa Touré







mardi 3 juillet 2018

Pèlerinages mémorables à la Mecque








Et c’est un devoir envers Allah pour les gens qui ont les moyens, d’aller faire le pèlerinage de la Maison. Et quiconque ne croit pas… Allah se passe largement des mondes » Sourate Ali Imran versets 96/97



Comme saint Ibrahim Adham sur le chemin de la Mecque, Aboul Qacim Djouneydi Salik ou la reine de saintes Rabia Al Adawiya de Bassora, ce fut une grande épopée mystique et un triste voyage que ce pèlerinage légendaire digne des anciens d’un saint homme fils du plus saint fils de Mamina Cheikh Muhamed Fadel qui offrit cent enfants prodigieux sertis de facultés spirituelles presque effrayantes et de dons de thaumaturgie qui n’existent plus. Il s’agit de Cheikh Mouhamdoul Mamoune Al Kébir, vingt neuvième fils et grand frère de Cheikhna Cheikh Saadbou l’incomparable saint homme qui effectua le pèlerinage à la Mecque pour ne jamais revenir selon une pratique et presque un rituel parmi beaucoup de saints qui ont foulé les lieux saints autour de la pierre noire surélevée par Ibrahim le patriarche le plus sage, le Maitre de ceux qui cherchent la rectitude. En effet Cheikh Mouhamdoul Mamoune Haidara partit à la Mecque attiré par les effluves gnostiques et mystiques de ce lieu doté d’un magnétisme divin à nul autre égal mais aussi par l’appel du sang. Les Ahlou Mamina auxquels il appartient sont Ahlou Beyt Rassoul ils descendent directement  du prophète Mouhamad (PSl) et sont d’une particularité et d’une stature mystique que personne n’a pu percer jusqu’ici. Ils appartiennent à la grande école soufi qui a engendré Nimzatt de Cheikhna Cheikh Saadbou le trente deuxième fils ,  le plus rayonnant, lui et son grand frère Mal’ainy le quatorzième,  le grand résistant à la pénétration coloniale au Maroc qui repose à Tiznit. C’est donc dire que le chemin de la Mecque est semé de mystères pour ces athlètes de Dieu, ces preux chevaliers de la foi.
Ce n’est qu’un jour connu parmi les jours du Seigneur des mondes que Cheikhna Cheikh Saadbou écrit dans ses Khawwatim » avoir reçu une lettre  lui annonçant le décès de son frère, lettre dans laquelle son compagnon de la Mecque affirme sans ambages que Dieu a élevé Cheikh Mouhamdoul Mamoune devant tous les savants Mecquois de l’époque de par sa science. Personne ne sait jusqu’au jour d’aujourd’hui s’il a laissé une progéniture. Il faut dire que beaucoup de saints attirés par les effluves, le symbolisme caché et la sacralité des lieux choisissent de ne plus revenir. Seyd El Hadji Malick a voulu le faire, mais le maitre des lieux lui a inspiré de revenir continuer sa mission ici au Sénégal. Nous reviendrons sur le pèlerinage de ce géant parmi les géants.
 Dans la même lignée paternelle chez les enfants de Cheikh Mouhamad Fadel se distingua Cheikh Al Hadramé le neuvième fils qui lui-même eut vingt et un enfant dont Abbas le père Cheikhna Cheikh Tourad  dont il s’agit ici. Cheikh Tourad ould Abass ould Hadramé ould Cheikh Muhamed Fadel est avec Cheikh Makhfou de Casamance fils de Cheikh Mohamed Tayeb Al Khayar ould Mohamed Fadel l’un des disciples de Cheikhna Cheikh Saadbou les plus étonnants. Ils sont au nombre de 664 connus de la Mauritanie à la Guinée touchés par la grâce divine par les œuvres de Cheikh Saadbou. Du jamais vu dans les annales du Soufisme, tous fabriqués et transformés littéralement en saints Wali dotés de pouvoirs thaumaturgiques par le Cheikh des deux rives.
Quant à Cheikh Tourad, Cheikh Saadbou lui a fait don de secrets inestimables et grandes capacités oratoires en plus d’un charisme spirituel qui convertissait tous ses vis-à-vis. En un jour de vendredi connu, il a fait goûter la mort mystique à 207 personnes. Lettré hors pair, poète inspiré et saint homme doté de miracles connus, lorsqu’il arriva à la Mecque, il s’arcbouta à la Kaaba et professa une intention secrète sous forme de poème, il lui fit alors dicté qu’il ne reposera pas à la Mecque mais à Dakar qui sera son centre de rayonnement. Aujourd’hui son mausolée se trouve au Cimetière de Soumbédioune à Dakar, pourtant il n’est venu au Sénégal que deux fois contrairement à ce que l’on pense. Il avait émis le vœu d’être enterré là où il rendra l’âme conformément aux traditions des prophètes. Cheikh Tourad était un soufi orthodoxe. Au moment où il effectuait son pèlerinage il tomba malade à la Mecque. Il savait que l’heure était proche.  Comme il ne pouvait plus retourner par Bateau, le gouverneur de l’AOF, à l’époque affréta un avion spécial pour son retour. A son arrivée à Dakar, il y séjourna quelques temps avant de rendre l’âme en 1946. Ce fut l’un des pôles mystiques les plus rayonnants de son époque qu’il a dominé par sa puissance. Il a sauvé beaucoup d’âmes et guidé même des saints dans les sentiers difficiles qui mènent au Tabernacle grâce à son maitre, l’inénarrable Cheikhna Cheikh Saadoul Aby. La suite  donnera les pèlerinages du maitre fondateur Cheikh Oumar Tall Al Fouti, El Hadji Malick Sy, Serigne Fallou et Mame Cheikh Anta Mbacké.

Mais il est à se poser la question de savoir   ce qui a poussé le guide fondamental Cheikh Ibrahim Niasse   à s’envoler autant de fois vers la Mecque. Sa circumambulation autour de la Kaaba est presque hallucinante  et donne le vertige mystique aux non avertis. Elle est faite d’unicité et de multiplicité à la fois qui rappellent le fameux vers de Cheikhna Cheikh Saadbou « Attoufou bi Beyti Lahi ». Dans les chemins qui mènent à Dieu, il ya autant de voies que de pèlerins.
  Et ce fut le voyage presque interminable du pôle mystique Cheikh Oumar Tall Al Fouti, le guerrier intrépide à la foi d’airain, le preux chevalier, la grande âme qui a sauvé tant d’âmes perdues. El Hadji Oumar c’est l’écrivain en marche, le grand poète à cheval. Son pèlerinage à la Mecque est un acte fondateur, un parcours initiatique dans la voie soufi selon les préceptes de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif. Il ya pèlerinage et pèlerinage, celui de Cheikh  Oumar est un viatique pour tous les aspirants. En 1828 il partit à la Mecque accomplir les rites sacrés selon la pratique, les faits et gestes de son idole le prophète Mohamed PSL. Après le pèlerinage à la Mecque, la rencontre mémorable avec le grand maitre tidiane Cheikh Mouhamad Ghaly à Médine fait partie des événements les plus insignes dans les annales du Tidianisme. La Tarbiya cette pratique mystique selon une formule  incommunicable que seuls quelques grands saints détiennent comme le grand Sidy Mouhtar Al Kounti, Cheikhna  Cheikh Saadbou et El Hadji Ibrahima Niasse le grand pèlerin, fut le point d’orgue de cette rencontre entre deux grands Amoureux et qui consacra définitivement El Hadji Oumar jusqu’à nos jours d’aujourd’hui après qu’il se soit éthéré dans les falaises de Bandiagara le 12 février 1864.

Bien des années plus tard, son héritier à  tous points de vue El Hadji Malick Sy tellement savant que son ami et frère en Islam Cheikhna Cheikh Saadbou affirma «  son école est la meilleure des écoles et son Wird n’est comparable à aucun autre wird ». Le Cheikh des deux rives Saadbou connait son sujet, il a lui-même donné le wird tidiane à certains de ses grands disciples dont l’étonnant cheikh Aldiouma Ba de Guet Ardo, le Wird Shazaly à d’autres et  le wird de Sidi Abdoul Qadr Djeylani le grand à  la majorité des cheikh qu’il a intronisé. A un certain niveau de pratique et d’élévation spirituelles il n’ya plus de frontières confrériques. C’est l’universalisme et l’humanisme  qui autorisent ces postures dans le soufisme d’en haut, celui des maitres.  Du reste toutes les confréries authentiques musulmanes sont d’essence Djouneydite et remontent tous à Aboul Qacim Djouneydi jusqu’à l’Imam Hassan Al Basri. Nous sommes tous en grande majorité musulmane au sud du Sahara de la voie Djouneydite, de rite Malikite et  théologie Ash’arite. Tous nos  chefs religieux de quelque obédience qu’ils soient appartiennent à ces trois grandes écoles qui organisent la vie religieuse du Maghreb au Sud du Sahara selon une continuité et une unité visibles dans toutes les pratiques, les postures et modes de pensée. Toutes les Fatwas de Seyd El Hadji Malick Sy notamment sur la Zakat de l’arachide et ceux de Baye Niasse  ont été élaborées selon les normes du rite Malikite. Ce rite qu’El Hadji Malick a largement contribué à vulgariser. Son pèlerinage à la Mecque à l’âge de Trente trois ans donne une idée de l’homme et de la grandeur de son dessein. Enfant prodige, juriste émérite, fin lettré, savant en tout il étonne encore aujourd’hui les aspirants par la rareté, l’étrangeté de son trône mystique. Il apparait sous à ceux qui vient sous une triple formes. C’est l’un des rares mystiques dont la vision est rarissime, il échappe au regard même de certains saints qui ne peuvent le connaitre tellement il est singulier dans son étrangeté. Qui a entendu une fois dire « j’ai vu El Hadji Malick en rêve ? » Ils sont rares. El Hadji Malick est un mystique mais d’une mystique authentique adossée au  Coran et à la Sounna, ce qui malgré les apparences est une prouesse, un prodige. L’ivresse mystique n’a jamais réussi à le noyer et l’égarer. Son pèlerinage et son retour furent des bienfaits incommensurables pour la culture islamique au sud du Sahara.

Quant à El Hadji Ibrahima Niasse, c’est le pèlerin le plus étonnant par le nombre de fois qu’il est allé à la Mecque. Son premier pèlerinage à la Mecque en 1937 est mémorable.  Ce fut la fameuse rencontre avec l’Emir de Kano Bayero. Ce jour là sans que personne ne le sache la Fayda Tidianya commença à se déverser sur le Nigeria depuis la Mecque.  Chez Baye Niasse le Hadji à la Mecque est une marque distinctive, un tampon mystique qui caractérise l’homme dès avant son apparition sur terre annoncée expressément par Ousmane Dan Fodio le grand Marabout Peulh du Nigéria qui est allé jusqu’à décrire son physique notamment sa face lumineuse, sa fameuse barbe et ses yeux globuleux. Baye Niasse est un homme prodigieux qui draine pas moins de cent quarante cinq millions d’âmes sur terre. Lorsque l’on sait que « supporter » une seule âme dans la voie mystique relève de la gageure. Il détient le secret de l’accession extinctive au tabernacle qui intrigue encore aujourd’hui après sa disparition physique en 1975 à Londres. Dans la voie soufi Baye Niasse est une cime inaccessible qui porte une science convoitée, celle de « l’accès à Dieu » qui a fait tant jaser et qui a attiré des millions d’âmes, et même des savants de tous bords dont les mauritaniens de la lignée prophétique qui sont venus littéralement se jeter dans la mer mystique de Baye Niasse. A Kossi reposent 19 Chourafa (descendants du prophète) qui étaient venus s’initier à la Maarifa auprès de Baye Niasse. « C’est par la littéralité de la Charia et la Lumière éclatante » qu’il emportait les âmes à Dieu, selon ses propres mots. Un de ses anciens « maitres » mauritaniens qui lui offert même la Idjazaa (l’agrément chez les Tidianes) est venu plus tard devenir son disciple. Du jamais vu !

Voilà Baye Niasse l’ami de Serigne Fallou Mbacké le fils du prodigieux de Cheikh Ahmadou Bamba qui lui a donné le  nom du saint de Hawdou le père de Cheikhna Cheikh Saadbou, l’immense Cheikh Muhamed Fadel ould Mamine. El Hadji Fallou le marabout des laissés-pour-compte, ces pauvres êtres que le destin a matraqué, gens de Dieu que les grands de ce monde pauvres égarés eux-mêmes ont voulu toujours écraser. Combien de personnes ont été sauvées par Serigne Fallou qui avaient maille à partir avec l’injustice ? Personne ne sait. Serigne Fallou possédait la « Idjaaba », la grande baraka, son pèlerinage en 1928 est un chef-d’œuvre tant l’image de Cheikh Ahmadou Bamba était présente dans les mémoires. Dès le départ pour les lieux saints il formula ce triste vœu plein de piété filiale : « Allez en ziarra à la Mecque puis rendre visite au prophète Mohamed (PSL) ensuite offrir toutes récompenses à ces dévotions, à mon défunt père Cheikh Ahmadou Bamba.” Il était en compagnie de  Mame Cheikh Anta Mbacké le frère de Serigne Touba.

Cheikh Anta Mbacké de son vrai nom Cheikh Sidy Moukhtar en souvenir du grand pole mystique du 18eme siècle saharien le maitre des Kounta Cheikh Sidy Moukhtar Al Kounti que  Serigne Touba évoque dans son chef-d’œuvre « Massalik Al Djinane » dans la même foulée que l’Imam Ghazaly, Abdel Qadir Djeylani et Cheikh Mohamed Yadaly Addeymani de la tribu Deymane de Mauritanie. Au passage Sidy Boubacar Deymany qui vivait à Boutlimit  a donné le wird tidiane en premier à Tafsir Abdou Cissé  le saint de Djamal dans le Saloum. Et le fils ainé de Serigne Touba Cheikh Mohamed Yaddaly Mbacké qui n’a pas vécu longtemps sur cette terre porte le nom de ce grand pole Entre le Sahara, la Mauritanie, les saints maures et nous, il ya beaucoup d’explications à faire dans la perspective d’une parenté mystique et même consanguine indéniables.  Mame Cheikh Anta auréolé de toutes ces souches spirituelles fut un homme prédestiné. Dieu lui accorda une grande richesse. C’est lui  qui s’est acquitté de tous les frais du fameux pèlerinage. Fils de Mame Mor Anta Saly le grand fondateur de l’université de Mbacké Kajoor et de Sokhna Asta Walo cet homme fut à la fois un savant, un pieux et l’argentier du mouridisme. Les colons ont vite compris qu’il fallait « l’éliminer ». C’est pourquoi dès son retour de la Mecque il fut arrêté et déporté de 1930 à  1940 à Ségou au Mali. A son retour d’exil  il décida dans un accès de soufisme extraordinaire d’abandonner ses activités économiques pour se consacrer uniquement à quelques tâches agricoles. Le temps est proche où je dois rejoindre celui pour qui je travaillais  disait-il. L’année suivante il rendit l’âme en 1941 à Darou Salam.

Vingt années auparavant disparaissait en 1922 l’un des plus grand  maitre soufi de la Sénégambie, il s’agit de Mame Abdoulaye Niasse, le père de Cheikh Ibrahima Niasse. Tous ses enfants sont extraordinaires notamment Mame Khalifa Niasse l’un des plus grands lettrés en langue arabe au Sud du Sahara sinon le plus grand et El Hadji Mohamed Zeynab Niasse. Son pèlerinage à la Mecque en 1890 et son retour à Fez au Maroc auprès du Pole caché Seyd Ahmed Tidiane Chérif Al fatimi Al Khassani est un événement qui concerne tous les aspirants au sud du Sahara. Mame Abdoulaye Niasse est revenu accompli et serti de cadeaux venant de son maitre. Cet homme fut l’un des guides les plus précieux pour le Sénégal c’est la raison pour laquelle ceux qui savent  ont tout fait pour qu’il revienne de son exil en Gambie. Il lui fut autorisé à revenir en 1910 pour continuer son enseignement et son rayonnement spirituel. N’eut été cela qui peut imaginer le vide spirituel qui aurait frappé le Saloum, la Gambie et tout le Sénégal. Cet ainsi que vont et viennent les saints parmi les âges les temps et les espaces voulus par Dieu. Leur mission est essentiellement spirituelle, le reste n’est que bénéfices et conséquences matérielles périssables. Ils sont nombreux dans une certaine échelle et peu nombreux dans d’autres selon  l’architecture du monde spirituel tel que le Maitre des mondes l’a voulu.
Paix et salut sur toutes les âmes qui aspirent à la vérité cachée.
Khalifa Touré