vendredi 26 janvier 2018

PORTRAIT SPIRITUEL DU PRESIDENT MAMADOU DIA




« L’exaltation de la matière et de la  quantité est peut-être révolutionnaire pour une conception donnée de la révolution, elle n’est sûrement pas africaine, parce que dépourvue de dimension métaphysique » Mamadou Dia


Une sémanalyse du mot de Joseph Ki Zerbo « un grand baobab habité par un peuple d’oiseaux » adressé au premier président du conseil des ministres  de la République du Sénégal donnerait une forme de glose des plus étranges tellement l’homme Mamadou Dia fut un être secret malgré sa présence publique dans la scène politique post-indépendance. Le baobab est l’arbre-roi de la savane,  symbole de  longévité et de  force totémique. Tout peu changer en cet arbre emblématique sauf la stature, quel que soit  la saison. Il est large pour accueillir tous les bruyants enfants du pays. C’est un arbre-nid qui offre le gîte, le couvert et la liberté à tous « ses enfants ». Mamadou Dia est mystérieux et surtout habité  comme le géant de la savane africaine.
Qui connait l’homme quant au fond ? Mamadou Dia était-il à sa place parmi ces caïmans de la mare politique ? « La mare au diable » pour écrire comme Madame George Sand, cette mare aux larges étendues qui a eu raison de l’homme. En politique Mamadou Dia n’était pas poisson dans l’eau, il étouffait, manquait d’oxygène en ces lieux empuantis par l’odeur pestilentielle du péché de l’indifférence, de l’incurie et de ce manque criard de souci moral pour son prochain. En politique les hommes sont des lointains, ils ne sont jamais proches du cœur, cet organe qui porte le secret du secret, ce pour quoi l’homme est grand parmi les créatures de Dieu. Mamadou Dia l’a compris qui récitait journalièrement un nombre inconnu d’oraisons mohammadiennes (Salat Ala Nabi) en des heures fixées et connues lors même que son  œil extérieur soit définitivement entré dans la nuit, la belle nuit des Khawatirs(  la méditation divine). Le drame du monde est que la plupart des hommes qui aspirent à diriger n’ont jamais traversé des périodes d’initiation. Les âmes qui dans les longs cycles de la vie n’ont jamais goûté à la révélation seront confrontés à l’argument ultime Créateur Suprême. Mamadou Dia a été initié au soufisme musulman. 

Son innocence n’a pu résister devant l’époque, l’hypocrisie de l’époque, la méchante époque, la tortuosité du temps des hommes politiques. Aï King le grand poète chinois nous a interpellé sur « l’époque ». L’époque, un état ou un fait ? En tout cas une période étrange en un poème stoïque : « Ah ! que les éloges les plus sublimes, les calomnies les plus perfides/ les haines les plus inexpiables  et les coups les plus mortels/ s’élèvent vers moi, de l’abîme du temps ! » C’est l’époque donc qui joue pour ou contre les grands hommes : « Personne ne souffre plus que moi/  fidèle et destiné à toi, mon époque, muselé par le silence, le silence d’un prisonnier/  avant son exécution capitale/ je garde le silence, n’ayant pas assez de mots/ sonores comme le tonnerre roulant dans le ciel bas de l’été » écrit le poète chinois.  La réflexion sociologique ou politiste sur l’époque est impuissante à comprendre ce phénomène. L’époque est du domaine  de la métaphysique.
 Mamadou Dia comme Aï Qing fut un grand militant mais pas seulement, non pas de ce militantisme clownesque des grands perdants de la vie terrestre. Pour pardonner douze années de déportation loin des siens il faut plus qu’une vie et de simples convictions politiques. Mamadou Dia « le premier Maodo » n’est  pas en ces lieux où on le cherche, ce banal militantisme, cet engagement d’écolier,  il possédait sans nul doute une dimension spirituelle intemporelle qui réside dans son impétueux désir de bien faire et d’améliorer les choses. Mamadou Dia avait un grand lien, attaché qu’il était en une anse solide, la corde de la vérité dans les affaires des hommes. Il était attaché à quelque chose de plus grand que la patrie. Les frontières patriotiques sont diffuses, elles s’effacent devant le feu ardent de la foi. La patrie est idolâtrie pour les saints, du moins cette patrie-là  en ces « langues » immatures qui ignorent l’origine des choses. La patrie est la terre des ancêtres, le « faa soo »,  la terre nourricière des pères fondateurs, le lieu de sépulture où reposent nos pères, et ce lieu est diffus, c’est l’espace sacré où  vont et viennent les âmes  anciennes qui nous soutiennent et nous accompagnent dans l’évolution vers le perfectionnement.

 Même s’il n’est pas un philosophe du temps comme Bergson ou Mohamad Iqbal, il a beaucoup lu et écrit sur le temps qu’il est. Les  hommes qui font fi du temps ne sont pas des hommes comme il faut, ils ont oublié qui ils sont. Le temps c’est la totalité. Mamadou Dia a vécu longtemps pour savoir qu’au-delà de toutes choses palpables, il ya dans le temps qui va  une vérité innommable qui soigne toutes les épreuves de la vie.
« Alif Lam Mim, Est-ce que les gens pensent qu’on les laissera dire : «  Nous croyons ! » sans les éprouver ? Certes nous avons éprouvé ceux qui ont vécu avant eux ; Ainsi, Allah connait ceux qui disent la vérité et ceux qui  mentent » Coran Verset 1à 3, Sourate 29
Tels ont été les versets étincelants que le président Mamadou Dia a inscrit dès le premier jour  sur les murs de ce misérable cachot de la prison de Kédougou (à 685 Km de Dakar sous une chaleur de pierre rouge). Quoi de plus symbolique que la Sourate L’Araignée en cette prison crasseuse. Mamadou Dia vient d’être  condamné à la déportation à perpétuité ce 13 Mai 1963, ses autres ministres Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Alioune Tall et Joseph Mbaye à   20 ans de prison.

La sinistre prison de Kédougou n’a rien à voir avec ce Rebeuss d’aujourd’hui  à l’image faussement romantique préfabriquée par des politiciens de peu d’envergure qui pensent et osent même dire que  c’est le meilleur tremplin pour aller au Palais. Il n’y avait pas cette explosion médiatique d’aujourd’hui ; ni téléphone portable encore moins Internet. Rebeuss est une prison dorée comparée à Kédougou de l’époque. Mamadou Dia racontera plus tard en des mots à fendre le cœur que durant toutes ces années d’embastillement les prisonniers ne « s’entendaient » qu’aux moments de prier. Ce sont les jours scandés par les oraisons et le symbolisme mystique des différentes stations de l’Unicité de Dieu qui ont été les seuls compagnons de ces prisonniers-martyrs. La prière est théophanie !
Aucune communication avec le monde extérieur, un isolement total. Même dans les pires prisons du monde, seuls les criminels, les prisonniers dangereux étaient isolés dans les cloîtres. L’histoire de Mamadou Dia et de ses quatre amis est à pleurer à mort. Je connais au moins deux grands lecteurs qui ont versé de chaudes larmes à la lecture des Mémoires de Mamadou Dia avant de fermer le livre. Après avoir lu Mamadou Dia on n’est la plus la même personne.
Mamadou Dia est à coup sur le père de l’Etat du Sénégal comme le pense le Pr Djibril Samb. Outre ses innombrables inventions et créations (ENEA, Dakar comme capitale du Sénégal, Le plan quadriennal avec le père Louis Joseph Lebret…)  Mamadou  Dia a pris des décisions inattendues, mais la plus mystérieuse est la création de la SAR( société de raffinage du Sénégal) en 1961 dans un pays dépourvu de ressources pétrolières. Il confiera plus tard à Jean Michel Seck DG de la SAR, un homme précieux du reste ,  « qu’il était persuadé que l’on découvrirait du pétrole et du gaz au Sénégal. »  Mamadou Dia n’était pas un visionnaire, ce mot tant galvaudé, c’était un mystique. Les âmes initiées savent et sentent des vérités inaltérables. Cet homme n’était pas ordinaire loin s’en faut. Il a « enterré tous ses ennemis », ils sont tous morts avant lui. Des hordes de « marabouts » ont été partout convoyés pour « s’occuper » de lui, enfermés en « Khalwa » pour s’en prendre à son double, mais ceux qui se sont pris à l’oiseau blanc ont été foudroyés. On ne s’attaque pas à la colombe, c’est le symbole de la Paix.
Mamadou Dia et ses preux amis ont échappé de peu à la peine capitale. La confrontation à la mort est l’un des sommets de l’épreuve et de la spiritualité. Ils auraient pu être exécutés et le Sénégal allait perdre à jamais son innocence. Peu de gens savent que des dirigeants européens et même africains qui n’étaient pas particulièrement des amis de Mamadou Dia ont refusé de venir au Sénégal tant que les prisonniers de Kédougou n’étaient pas libérés. Même le pape Jean XXIII  a demandé leur libération. Tout cela n’a pas fait fléchir Senghor, même lorsque l’on apprit que Mamadou Dia commençait à perdre la vue. La Realpolitik a eu ses heures sombres au Sénégal ! Le Cardinal Thiandoum est l’un des rares sinon le seul a lui avoir rendu visite. Un grand guide musulman de ce pays s’occupait particulièrement de sa famille qui était préparée depuis des années à vivre de grandes privations. Mamadou Dia est l’intégrité faite homme! Il ne s’est pas enrichi. 
Mais le gouvernement Karmique qui ne pardonne pas veille au grain. Des hommes comme Mamadou Dia possèdent une puissante protection Karmique . Tout ce qui leur arrive est de l’ordre de la purification et de la mutation. L’administration Karmique commandée par la Justice immanente qui est au-dessus de tout et qui est le Tout même. Elle n’a rien à voir avec la vengeance, Senghor a eu son lot de desenghorisation. La desinghorisation fut une série de menées tellement humiliantes pour le poète-président qu’elle mérite tout un livre. Tout comme les humiliations, isolements et même menaces d’expulsion subits plus tard par Senghor après qu’il a quitté le pouvoir et qui ont fait réagir un puissant souverain africain sont une grave injustice, la déportation de Mamadou Dia, Valdiodio N’diaye , Alioune Tall, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye est tout aussi injustifiable, une énormité dont le Sénégal ne s’est pas remis.   
Faites très attention au Sénégal ! C’est le pays qui n’a pas voulu d’un homme comme Mamadou Dia. Pour tous ceux qui prétendent réformer ce pays les biographies de Mamadou Dia et Seydi El Hadji Malick Sy sont incontournables. Ceux qui négligeront ces deux hommes l’apprendront à leurs dépens. Ils ont la particularité d’avoir été particulièrement persécutés par la culture du pays et par l’époque. Il ya peut être en ce pays des choses qui ne bougeront jamais, ils sont de l’ordre du paradigme malveillant. Pourtant Mamadou Dia a pardonné, il a toujours gardé une certaine tendresse pour Senghor, le Sénégal c’est cela aussi, ne l’oublions jamais.

Khalifa Touré





lundi 22 janvier 2018

C’est ainsi que meurent les pères de famille!







Rester en vie n’a jamais été la vocation des hommes, c’est pourquoi toutes ces formes d’entrainement de survie ancestrales comme modernes ont été inventées. Citoyens de tous les pays du monde, les hommes qui vont mourir vous saluent ! Ce n’est pas un salut de gladiateurs esclaves de la bravoure inutile, mais un geste d’adieu à pas feutrés. Elle est loin la Rome antique  d’où sont partis tous les mythes fondateurs des peuples de l’Ouest. Les hommes meurent en silence par un orgueil d’une simplicité ancestrale. Qui envoie les hommes à la mort ?... Les  hommes eux-mêmes, surtout à la guerre, mais aussi les femmes, les enfants, les belles-mères et le patron du système capitaliste. Les hommes meurent au bureau, à l’usine, à l’hôpital. Ils meurent d’asthénie dans la rue,  l’orgueil des hommes les renvoie à la rue. 

Mais la mort masculine la plus ancienne est cette tension presque bête de toujours défendre sa réputation d’homme digne de ce nom. Quelques fois il vaut mieux ne pas être homme, non pas femme ni garçon, mais  un simple être humain plein de faiblesses : faiblesse sexuelle ( la honte  absolue dit-on), faiblesse financière( un homme doit être forcément riche pense-t-on), faiblesse plastique( un homme n’est pas forcément beau). Les hommes se tuent à l’orgueil et au silence. Pour défendre leur état d’hommes ils sont prêts au sacrifice suprême, au suicide même.
Etre homme, est-ce un état ou un fait ? A l’origine nous sommes et seront toujours des hommes qui vont faire des choses, de  grandes ou de petites choses. Autrefois à l’école on enseignait « La leçon de choses » qui plus tard est devenue «  Observation ! », la fameuse leçon d’Observation, comme si les choses étaient faites seulement pour être observées. Cela est fort juste mais après l’observation il faudrait non pas agir mais « faire ». Tout le développement tel qu’il est conçu aujourd’hui est sorti de « La leçon de choses » devenue « Leçon d’Observation ». Mon Dieu !  on ne réfléchi pas suffisamment sur les mots.   

 Les hommes sont des adeptes de l’utilitarisme, ils sont fétichistes face aux outils du travail manuel. Les hommes de sexe masculin sont des êtres qui vont, ils sont en mouvement, souvent inutilement. Un homme doit toujours faire quelque chose pour éviter  l’opprobre, l’hallali et la méchante hypocrisie des hommes et des femmes. Ils vont mourir très tôt. Il ya des hommes qui cherchent l’oisiveté, la bohême, le farniente, en s’incrustant dans les subtils codes sociaux qui paradoxalement permettent de tendre la main d’une manière où d’une autre. Tant que ca ne fait pas de mal, il vaut mieux l’accepter, il n’ya plus de gêne à se la couler douce dans le lit douillet des femmes âgées. Dans nos sociétés vivent de plus en plus des hommes à la langue  mielleuse qui ne vivent pas de petits métiers mais de petites et grandes magouilles. La langue est mielleuse mais le cœur est fielleux. Des escrocs en costume et cravate, des mendiants en grand boubou, ils ne sont pas bêtes, ils vivront longtemps parce qu’ils sont malhonnêtes. Des hommes qui mêlent rastaquouères et dandys sortis du XIXème siècle français avec cette propension mondiale  à la jouissance, à l’ostentation, à la prédation. La barre est devenue très haute en manière d’expression des désirs. Les hommes ne veulent plus être riches ils veulent être très très riches, richissimes. 

 Ils sont balourds les hommes, presque niais dans cette impérieuse tendance à cacher leur souffrance aux odeurs de testostérone, sous les muscles qui tendent à disparaître sauf dans les foires aux hommes stripteaseurs qui rodent en dehors des quatre murs.  Ceux là savent ce qu’ils font. Ils cultivent la paresse sous prétexte de culture physique. Ne vous en faites pas, il n’est pas loin le jour où ils vont se faire remonter le pantalon tombant par leurs propres enfants. C’est cela aussi la mode, elle agit sous le mode de l’évanescence, de la disparition. Même à la renaissance la mode ne veut reprendre les formes antérieures. C’est ainsi que  finissent les jeunes gens parés de choses factices. La « leçon de choses » des anciens devenue « leçon d’observation » ne leur a rien servi.
 Au XIXeme un grand poète a écrit un livre au titre étrange : « Mort parce que bête » il s’agit de Friedrich Nietzsche. Il n’y a pas plus clairvoyant ! C’est ainsi que meurent les pères de famille.

Khalifa Touré