« La gloire est le deuil éclatant du bonheur », disait Madame de Staël
L’on oublie souvent que le plus prestigieux des prix
littéraires, « Le Prix Nobel de Littérature » en l’occurrence,
est passé à coté de quatre grands monuments de la littérature mondiale. Il
s’agit de Léon Tolstoï, Franz Kafka, Emile Zola et Aimé Césaire. Ce fut un grand regret et même
une « bourde monumentale » que l’Académie Royale n’aborde presque
jamais. C’est la partie honteuse à cacher. Autant dire qu’un prix littéraire
reste très « utile » mais il n’est pas forcément le nec plus ultra,
la pointe acérée de l’œuvre de toute une vie. Les grands artistes n’ont jamais
couru derrière les lauriers même s’il faut savoir que toute œuvre artistique
est appelée à la reconnaissance et au succès. Jean Paul Sartre a
refusé le prix Nobel de Littérature par orgueil ! Ce « philosophe du
devenir » ne pouvait concevoir une consécration qui figerait son œuvre et
sa vie dans le moule d’un trophée « philosophiquement
douteux ». Aujourd’hui on glose à souhait sur la « sincérité »
ou non d’un tel acte mais le fait est déjà établit qu’un écrivain a refusé le
prix Nobel avec tout l’argent qui l’accompagne.
Nous savons aujourd’hui
que le principal critère de l’académie royale c’est de primer une œuvre
suffisamment idéaliste. Si le jury est passé
à coté de Kafka, Tolstoï, Emile Zola et Aimé Césaire
c’est qu’il ya eu méprise ! Il s’est royalement trompé (et certainement de
bonne foi) sur le contenu littéraire, la portée politique, et le but
philosophique de ces quatre grands édifices. Quoi de plus « idéaliste »
que les écrits de ces quatre écrivains dont les œuvres sont enracinées et
rayonnantes sur la culture mondiale. Une
grande œuvre se reconnait en partie à sa tonalité et son amplitude. Il est
difficile de s’imaginer l’influence de ces quatre auteurs. Quand je pense qu’Albert Camus est l’un des éclats de Franz Kafka et même pas
le plus brillant. Aucun commentaire sérieux de « L’étranger » ne peut se faire sans la référence à Franz
Kafka. Il est le maitre incontesté d’autres
grands maitres comme le russe Alexander
Soljenitsyne (lisez Une journée
d’Ivan Denissovitch), l’anglais
George Orwell (1984 est une œuvre kafkaïenne), le prix Nobel colombien Gabriel Garcia
Marquez (parcourez le très chaotique Cent
ans de solitude), le jeune et génial français mort à 39 ans Boris Vian (lisez l’équarisseur ou l’écume des jours).
Mais le plus rayonnant des écrivains «kafkaïens »
est l’immense Samuel Beckett, prix Nobel de littérature, auteur du très
hermétique « En attendant Godot ».
A part la bible, il n’ya pas un texte
aussi influent que celui de Kafka sur l’écriture cinématographique. Les
films de grands cinéastes comme Woody
Allen, Tim Burton, Léo Carax,
William Friedkin et bien d’autres portent la marque du maitre de Prague. Il
a influencé le pop’art, la musique, la peinture
etc. Il est le maitre de la clôture
de l’enfermement et de la possible liberté par la mort. Il aurait pu écrire
comme Léon Tolstoï l’a fait à sa tante Alexandrine : « Quoi que je fasse, je suis
toujours persuadé que du haut de ces pyramides quarante siècles me contemplent
et que le monde périra si je m’arrête». voilà le sommet de l’orgueil
littéraire qui aurait pu frapper Emile
Zola (l’autre Balzac), le
géniteur des Rougons-Macquart, le seul
grand naturaliste et même Aimé
Césaire dont une bonne partie de l’œuvre n’est pas encore dignement lue et
commentée. Il aurait fallu de grands spécialistes de l’herméneutique, de la trempe de Jacques Derrida, Erich Auerbach,
Valentin Mudimbe ou Edward Saïd pour affronter ce volcan littéraire qu’est
Aimé Césaire. Il nous légué une œuvre himalayesque faite de poèmes, de
discours, d’essais et pièces de théâtre.
Et pourtant ces
quatre grands maitres de la littérature mondiale n’ont jamais été retenus par
le jury du Prix Nobel. Mais cela n’entame en rien le prestige et la reconnaissance que le prix confère à
son récipiendaire. Cette année le jury a retenu la canadienne Alice Munro, nouvelliste, auteure d’une
quinzaine de livres. Du reste rien ne justifie l’absence de Milan Kundera au palmarès. Même si on
devine qu’il peut le refuser comme il a refusé d’entrer à l’académie française.
Nous attendons les prix Nobel des américains James Ellroy et Don de Lillo.
Tout compte fait, les Jurys et les auteurs qui reçoivent les
prix doivent donc rester très modestes
parce qu’il ya eu plus fort qu’eux. Combien de critiques et de jurés se
sont trompés sur la valeur littéraire d’une œuvre et se sont vus démentis par
l’histoire. Il y a longtemps un écrivain du nom de Stendhal était chahuté par les lecteurs savants et érudits de son époque qui ne le pensaient pas
suffisamment digne d’intérêt. Mais il a fallu du temps pour découvrir la
qualité profonde, la subtilité et la substantifique moelle de la technique
narrative de ce romancier de
longue haleine qui prend son temps. Lisez « Le rouge et le noir »
vous serez convaincus que ce grand artiste
n’écrivait pas pour les paresseux. Il une forme particulière d’exploitation du
temps narratif faite de fausses lenteurs et d’accélérations subites. Lorsqu’on
aime Stendhal on aimera certainement les films du maitre danois Ingmar Bergman ; l’art est une grande
famille.
Autre « exemple illustratif », le plus grand
romancier français du 20ème siècle Marcel Proust avec son long
et magistral « A la recherche du
temps perdu » a été ignoré par
le prix Nobel. Froidement accueilli
par la critique de l’époque, il obtint
tardivement le Prix Goncourt et
mourut dans la solitude de l’incubation littéraire à l’âge de 51 ans. Avec les
philosophes Bergson, Muhammad Iqbal
et les grands cinéastes Michelangelo
Antonioni et Alain Resnais, Marcel Proust est le grand maitre du temps en que durée. Son
« travail » sur le souvenir reste jusqu’à ce jour inégalé. Quant au
prix Nobel attribué au philosophe
Henri Bergson, elle fut une décision très avisée. C’était une manière de dire
que la littérature c’est après tout la possession d’une écriture. Dans cette
veine Jacques Derrida a été oublié.
Il méritait le prix Nobel. Dans toute
l’histoire de la philosophie occidentale c’est le penseur qui le plus lu,
commenté et expliqué les textes littéraires. En tant que philosophe, les
services qu’il a rendus à la littérature restent à ces jours inégalés.
En Afrique l’ivoirien Ahmadou
Kourouma raillé pour sa non-maitrise de la langue française, le malien Yambo Ouloguem injustement soupçonné
de plagiat et le congolais Sony Labou Tansi accusé à tord d’avoir
eu des « nègres » ont fermé le caquet à plus d’un « prof »
de français. A ce propos lisez les commentaires vraiment extraordinaires faits
par Achille Mbembe dans son dernier
livre « Sortir de la grande nuit, Essai sur l’Afrique décolonisée », vous
respecterez définitivement ces trois grands auteurs. Ils constituent selon
l’auteur le premier moment marquant de l’afropolitanisme.
Pour soldes de tout compte, les prix littéraires ont été
inventés par des hommes généreux qui ont voulu valoriser l’art, la culture, la
littérature. Les prix littéraires sont donc utiles même sil faut noter le
paradoxe que la littérature appareille en dehors du monde utilitariste. C’est
la raison pour laquelle il faut dire et souligner que l’argent qui accompagne
les prix est bien utile mais si elle n’est pas manipulée par des « mains
propres » elle peut écorner le prestige du prix littéraire. Au Sénégal
« la valeur monétaire » du grand
prix du chef de l’Etat pour les
lettres qui vient d’être élevé à dix (10) millions de francs CFA est une
bonne chose mais elle peut attirer des
« vautours de l’écriture », des auteurs à la réputation surfaite, des
écrivains à tout vent qui produisent des « galimatias et des borborygmes »
indigestes pour parler comme le critique Lamine
Samb. La priorité au Sénégal c’est de réfléchir et d’élaborer une politique
du livre avec une orientation inclusive qui prend en compte la diversité
linguistique et esthétique de notre littérature. Le jury du grand prix a
couronné il n’ya pas longtemps Cheick
Aliou Ndao pour l’ensemble de son
œuvre ; il le mérite bien.
Mais le jury ne peut pas se complaire à primer des
auteurs bien établis. Il court le risque de passer à coté de grandes œuvres
produites par de talentueux anonymes. On oublie souvent de dire que « l’Aventure Ambiguë » fut une œuvre
singulière écrite par un parfait inconnu. Le grand prix du chef de l’Etat n’a
pas l’ampleur du prix Nobel. Il faut à notre avis que tous les auteurs
concourent au même titre devant un jury compétent. C’est plus transparent !
Quant au jury, il faut qu’il se conforme à ce qu’on peut appeler une exigence
de lecture. Les meilleurs jurys au monde sont hétéroclites, diversifiés,
inclusifs, composés de grands lecteurs ; ils ont un président tournant
dont la « nécessaire subjectivité » oriente utilement le choix du
jury. Un prof de français n’est pas
forcément un bon président de jury de prix littéraire. Bernard Pivot est
membre du Jury du prix Goncourt ; il
n’est pas prof de lettres, mais un
lecteur boulimique et avisé. Cela suffit ! On ne peut pas ignorer
l’actualité de la littérature mondiale qui permet de renouveler notre savoir et
vouloir juger un écrivain de notre époque avec la vieille méthode de la thématique.
Véronique Petetin, spécialiste de
Rolland Barthes, a raison de dire sur le plateau de l’émission « IMPRESSIONS » qu’une rentrée
littéraire ne devrait pas se faire seulement par des cérémonies, mais par la
parution de livres. Beaucoup de « littéraires » sont toujours enfermés dans cette conception
scolaire qui les empêche de voir que la flamme de la littérature est ailleurs,
entretenue certainement par des Michel
Houellebecq, Bret Easton Ellis,
Jonathan Little, Yasmina Khadra et bien d’autres.
Khalifa Touré
776151166/709341367
Bien vu, j'aime votre objectivité, car tout le monde sait comment les lauréats des prix sont choisis chez nous, suivez mon regard.
RépondreSupprimerPertinente analyse
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