vendredi 26 mai 2017

La guerre des pétroleuses n’aura pas lieu !





Tous ceux qui tendent aujourd’hui vers les cinquante ans, nés dans les années 70, ont certainement vu « Les pétroleuses », un western parodique de Christian Jaque sorti justement en 1971. C’était l’époque où la RTS nous servait tous les samedis un bon film français sorti de la Nouvelle vague où Gaumont défilait devant nos yeux impatients, tout cela depuis les débuts du Cinéma. C’était aussi l’époque du manque et de la rareté artistique. Tout ce qui est rare est cher !  Face à la rareté cinématographique,  nous étions confrontés à la rareté technologique (peu de téléviseurs dans les maisons). 

Ils sont là aujourd’hui cette génération qui porte les stigmates des années blanche par-ci et invalide par-là, nourrie à la mamelle politique du grand syndicalisme des années 80, les épiques grèves notamment celle du SUDES, les états généraux de l’éducation et de la formation, les années de braise politique où la liberté de presse était rudoyée par une chancelante époque de transition démocratique, les lectures fréquentes, studieuses et rituelles du Soleil, de Xare Bi, Daan Doole Bi, de Sud hebdo où feu Ibrahima Fall se donnait à cœur joie dans l’analyse, du mensuel Wal Fadjri, de la défunte Afrique nouvelle, d’Afrique-Asie de Simon Malley,  des tirages monstrueux de SOPI  et des débuts de l’irrédentisme en Casamance.  C’était la crise politico-sociale par laquelle le vieux refusait de mourir et que le jeune avait du mal à naître ! Une génération « dangereuse », une époque très politique. Entre quarante cinq et cinquante ans aujourd’hui elle contribue à fabriquer une opinion politique dans l’élite sénégalaise. Face aux statistiques douteuses, on ne sait pas exactement combien ils sont ces quadragénaires finissants. Un immense historien méconnu, le professeur Abdoulaye Ly a vu juste, qui a consacré son œuvre d’historien au phénomène de la transition générationnelle dans les processus historiques. Il a démontré la rémanence d’un tel phénomène dans les révolutions socio-historiques en Afrique.  Mais la guerre des âges n’a pas remplacé la guerre des classes.

Alors pourquoi sommes-nous impatients aujourd’hui à nous rouler dans la fange du pétrole. Des promesses rien que des promesses de pétrole nous rendent fous ; décidément nous avons la folie facile. Notre folie n’est pas sérieuse, elle est hilarante,  parodique comme ces belles dames des « pétroleuses » de Christian Jaque dont les trépignements et les roulades violentes sur les coulées de pétrole font beaucoup plus rire que pleurer.
Au Sénégal nous avons grand hâte de voir cette terre bénie pisser le sang noir de ce liquide précieux qui a fait le bonheur, la richesse et le malheur par ailleurs. Nous allons alors passer par une période étrange où nos cerveaux ramollis par la fatigue, se pencheront sur les tables de multiplication et de comptabilité de nos malheurs. Ce sera l’heure des comptes et décomptes du Produit criminel brut, le temps où les grands brigands multinationaux nous aurons aidé à la prédation, au pillage, au tripatouillage des chiffres et au crime économique le plus dangereux : Le mensonge statistique. Nous allons alors déployer nos énergies non renouvelables à courir derrière la vérité qui se moquera de nous. La vérité nous fera payer très cher ce que l’on désir. C’est ce que l’on appelle « tenir la dragée haute à quelqu’un ».
Mais ce jour n’arrivera certainement pas, nous aurons su feinter  la malédiction du pétrole.  Nous verrons peut-être quelques gouttes de pétrole et quelques bouffées de gaz qui ne suffiront pas à nourrir nos  fantasmes. Que fait-on déjà des richesses disponibles ? Nous n’aurons pas l’occasion de construire de belles et inutiles villas habitées par des femmes-meubles, des femmes-postiches et démonstratives esclaves-complices de notre m’as-tu-vu indécrottable.

La terre du Sénégal est certainement bourrée de richesses, les clairvoyants le savent de science certaine. Les  bénédictions tant chantées avec la poitrine bombée ne sont que l’expression instinctive d’une réalité spirituelle. La vérité est plus complexe. Ces bénédictions ne datent pas d’aujourd’hui, elles sont plus anciennes.  Elles remontent aux périodes de fondation. Elles nous cachent les richesses et ressources qui vont nous tuer, jusqu’à l’avènement d’une génération méritante.  Ce pays ressemble de façon cosmique à un autre pays développé depuis longtemps par des générations qui le méritent, mais aidé en cela par la matière la plus essentielle : La ressource grise. Aucun pays ne s’est développé par la débrouillardise. Ici nous avons même des intellectuels débrouillards   qui se démerdent difficilement tant la boue et la crotte des mauvais jours nous a couvert de salissure.

Chaque partie de la terre nourricière a  son pendant cosmique et cela depuis le Big-bang créateur. Cette science est toujours là pure comme l’eau de Kaolin. Toute création est explosion, artistique, technologique, économique.  C’est la génération suivante qui aura mérité ces richesses qui en bénéficiera. Ce sera la génération de la grande exigence morale.  Notre rôle se limitera aujourd’hui à faire des enfants,  les éduquer, les aider à muter vers la gestion du futur. La bataille aujourd’hui est une guerre démographique face au futur problème de la transition démographique qui selon les prévisions va s’accélérer : «  l’allongement continu de l’espérance de vie ne suffit plus à compenser la chute de la natalité, et le rythme de progression de la population retourne lentement vers les niveaux faibles. » (Thomas Piketty). Tout dépend de ces aller-retours, même l’éternité. Les systèmes qui ne sont pas conscients de ces mouvements démographiques doivent-ils se préoccuper  de ressources pétrolières ?

Khalifa Touré


mardi 16 mai 2017

Le bel avenir de la guerre !





« La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens » Claus Von  Clausewitz

Il ya vingt deux ans, six années après la chute historique du mur de Berlin apparaissait un texte prémonitoire, un livre inspiré qui n’a rien à voir avec l’audace ou la provocation : « Le bel avenir de la guerre» de Philippe Delmas comme un tonnerre dans le ciel optimiste de l’après chute du communisme est l’une des prophéties intellectuelles les plus justes de la fin du XXème siècle. Il disait une chose simple et fort juste tellement évidente qu’on ne la voyait pas : La guerre n’est pas finie. La fin de la menace communiste ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’affrontement armé de grande ampleur.  

Depuis lors, les  différents mondes ne cessèrent de s’affronter sans pour autant aboutir à une conflagration généralisée comme les deux grandes guerres. Quelques années auparavant entre 1990- 1991 c’était « la première guerre » du golfe menée par George Bush père et le général Norman Schwartzkopf. Ce fut la première grande guerre après la paix et l’espoir infini  en la fin d’une époque. On a eu droit aussi la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988 qui a fait 500 000 mille morts et 1 200 000 blessés. Tout le monde croyait à la résolution définitive de l’impasse nucléaire. La guerre nucléaire n’a pas eu lieu pensait-on. Malgré la crise des fusées à Cuba entre les USA et l’URSS qui a frôlé la catastrophe atomique, les stratèges ont continué à parler de l’Utopie nucléaire dont la signification affère à l’impossibilité pour le principe de la peur à garantir la paix. L’arme atomique était si terrifiante et la peur  panique d’une catastrophe généralisée entrainant la disparition de l’espèce humaine était d’une évidence telle que la perspective de l’utiliser était peu envisageable dans une guerre mondiale. C’est alors que le monde entra dans une rhétorique du désarmement censée respecter et perpétuer  les doctrines du pacifisme héritées de la Société des nations et puis ensuite l’organisation des Nations unies. Il n’ya pas plus complexe que les relations internationales, la diplomatie et la gestion de la paix.

Cependant, « la communauté internationale » a tort aujourd’hui de négliger l’escalade  verbale  et militaire entre les États-Unis et la Corée du nord ; ce laxisme s’explique par la culture de la paix née de la guerre froide qui était fondée sur l’utopie nucléaire. La guerre froide est une exceptionnelle période de paix dans l’histoire européenne selon Philippe Delmas. Tout le monde se dit qu’il n’y aura pas d’affrontement nucléaire. C’est impossible ! Mais on oublie que ce fut le même discours et le même optimisme accompagnés par les chansonnettes, les fleurs et les embrassades énamourées qui ont accompagné les jeunes soldats qui se rendaient au front en 1945. « C’est impossible ! Il ya eu trop de morts en 14-18 où le gaz a été utilisé, les hommes ne sont pas assez fous pour déclencher une deuxième guerre mondiale avec autant de machines à tuer » se disait-on. Aujourd’hui on observe des fous qui jouent à se faire peur avec des joujoux des plus mortels. Si les coréens pensent que les « yankees » tiennent trop à la vie et que toutes les manœuvres militaires dans la péninsule coréenne ne sont que pur manœuvre ils se trompent. La puissante Chine est là et elle peut exercer un étranglement financier contre les USA,  rien n’est sur ;  le pays de Deng  Xiaoping peut appliquer le principe du découplage stratégique qui permettait aux américains  lors de la guerre froide, d’envisager un faible engagement militaire et même une neutralité en cas de guerre conventionnelle menée par l’Urss contre l’Europe Occidentale. Le découplage est un principe de dissociation fondé sur l’idée que le jeu n’en vaut pas la chandelle en cas d’affrontement résiduel et circonscrit. L’attitude de la Chine, un pays qui a des intérêts financiers à défendre et qui ne veut  pas « bazarder » sa conquête mondiale d’autres espaces vitaux comme l’Afrique, va certainement dans le sens de la préservation des intérêts financiers. N’oublions pas que la Chine est un pays politiquement « communiste » et économiquement capitaliste. C’est le premier créancier des Usa comme elle dépend aussi du pays de l’Oncle Sam selon le principe évident de la Co-dépendance.  On aurait pu s’attendre à une vigoureuse réaction de la Chine contre l’administration Trump histoire de protéger la Corée du Nord mais rien n’y fit.  On a eu droit qu’à des  gesticulations dignes des formules les plus raffinées de la diplomatie française. Toutes ces puissances sont prédatrices, elles ont ceci de commun d’être animées par une bête féroce dans la préservation des intérêts économiques. Ils sont même capables de  tempérer l’orgueil national pour des raisons économiques et financières. Il ya quelques années la flotte américaine a coulé et détruit un sous marinier nucléaire, la fine fleur de la marine Russe transportant la torpille la plus aboutie en matière de balistique. Il n’ya eu aucune suite…militaire à cette affaire qui n’a pu être réglée qu’ailleurs sur un autre terrain. C’est cela la REALPOLITIK à la Bismarck.

Le déclenchement des hostilités ne dépend toujours pas de la stratégie militaire, des manœuvres tactiques ou de la doctrine, c’est une mécanique dont l’engrenage est complexe et incompréhensible. Personne ne peut savoir les causes véritables d’une guerre. Il a fallu deux mille pages pour un génie comme Léon Tolstoï pour venir à bout d’une telle problématique. Lorsque les japonais ont anéanti la base américaine de Pearl Harbour, face aux exultations après l’opération le chef militaire japonais plein de sagesse a prononcé ces mots prémonitoires : «  Je crains d’avoir réveillé un géant qui dormait ». Il ne faut pas que le mythe du peuple guerrier, du militarisme ancestral nous fasse croire qu’il existe des « ethnies »,  des cultures plus aptes naturellement à la défense militaire que d’autre. Un peuple peut être plus aguerri  qu’un autre, mais face à la menace de mort toutes les cultures sont capables de férocité.

«  Il n'est nullement démontré que les buts vers lesquels tend l'humanité soient la liberté, l'égalité, l'évolution ou la civilisation. »  a écrit le grand Léon Tolstoï dans Guerre et  paix.  L’homme cet être complexe  venu d’ailleurs, ce voyageur intemporel, oublieux du pacte originel a toujours guerroyé à travers  les siècles. Que de larmes ont coulé, que de sang versé sur l’autel fondamental, cette terre souillée par la haine, la jalousie et la colère. Mais l’une des causes évidentes de la guerre est l’envie, le vouloir et l’ambition, ce sentiment contraire au bonheur. On ne la voit jamais venir la guerre, cette monstrueuse activité « contraire à la raison et la nature humaine » comme cette première guerre mondiale africaine dont on ne parle jamais.
Sur les vertes rives du Limpopo, non loin des terres couvertes de laves volcaniques du Nyiragongo, à travers les milles collines d’une contrée forestière un million de fois violée par le génocide, les grands lacs aux eaux rougis par le sang des innocents, des criminels et des prédateurs féroces, il s’est déroulé tant d’exactions, de viols, de meurtres, d’assassinats, de massacres  et de rapines que les bantous ont plongé dans la première guerre mondiale africaine. Certes une guerre mondiale par l’ampleur et la densité du nombre de victimes en proportion aux territoires occupés mais aussi le nombre important des pays impliqués.  « Nous sommes tous africains » dirai-je devant  devant une telle tragédie, un malheur aussi grand, une épreuve si âpre.  Il s’agit de la guerre du Congo. 

La première guerre mondiale africaine parce qu’elle oppose pour la première fois sur le continent noir les armées de six pays africains : Le Congo, le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Burundi et le Zimbabwe. Une guerre qui n’intéresse que les chercheurs, une guerre pourtant documentée. Selon Collette Braeckman, auteure de plusieurs livres sur l’Afrique,  tout a commencé avec le génocide des Tutsis  au Rwanda en 1994 qui a fait au moins 800 mille morts en moins d’un an. La tragédie Rwandaise est toujours là enfouie sous nos crânes de rescapés honteux d’une guerre programmée qui a suscité les thèses les plus farfelus, les informations les plus erronées mais une littérature abondante.  A l’ombre d’Imana, des fantômes bouffis de colère viennent réclamer justice aux bourreaux qui ont organisé cette folie collective : “Plus personne ne veut porter cette mémoire trop lourde […] Les survivants gênent, les prisonniers gênent. On veut figer les souvenirs par des monuments de pierre”.  C’est le sommet de la tragédie, Pandémonium la capitale de l’enfer où des prêtres ont tué, fait assassiner et dénoncer leurs ouailles. Non loin de là au « petit pays » de Gaël Faye, le Burundi,  éclate une guerre civile inattendue le 21 octobre 1993 à la suite d'un coup d'État contre Melchior Ndadaye . Que de morts entre Tutsis et Hutus, autant de déplacés et de réfugiés jusqu’en 2005. C’est à croire qu’Imana(le dieu unique des Rwandais et des Burundais) est en colère dans cette région des mille collines et des grands lacs, là où coule le plus grand, le lac Victoria ou lac Ukéréoué la source du plus long affluent du Nil, le Nil Blanc. Ce fleuve plein de légendes de mythes et de fantasmes parfois meurtriers. Amin Maalouf a vu juste, les identités sont parfois meurtrières.

Mais cette guerre mondiale africaine n’est plus identitaire, c’est une guerre lâche, une sale guerre  une guerre des ressources minières et de l’occupation des espaces vacants, une guerre de la surpopulation. C’est la plus terrible des guerres parce qu’elle est la résultante du vol, le terrain de déploiement le plus fertile à l’instinct de prédation. Le Coltan ce minerai qui n’a rien de maudit si ce n’est le mal des hommes, des acheteurs, des exploitants  des accros au téléphone portable est aujourd’hui la cause l’une des organisations de rapine les plus honteuses de l’histoire africaine.  
Ce métal stratégique est utilisé dans la fabrication de condensateurs pour les équipements électroniques, il entre également dans la composition d'alliages de cobalt et de Nickel dans l’aéronautique. Il est alors aisé de comprendre l’implication des puissances prédatrices dans cette guerre sans nom. Il provoque aujourd’hui la mort de milliers de personnes parce qu’il est férocement convoité par les rapaces les plus insatiables. La région du Kivu en détient 80% des réserves mondiales. La guerre a un bel avenir dans cette région plus même qu’en Syrie une autre guerre mondiale qui ne dit pas son nom.

 Alep le terre de Salah Eddine Ayyoubi, Saladin le preux, le vertueux, le Tikrīti de Damas,   le pays de Bilal le célèbre compagnon qui   repose au cimetière historique de Bab al-Saghir dans le quartier sud de la vieille ville de Damas  et le dernier martyr Saïd Ramadan Bouti assassiné dans sa mosquée. Pourquoi Damas a-t-il attiré tant de grands hommes qui ont fini par y élire domicile ? Un embouteillage de prophètes, de saints et de démiurges dont les réverbérations trop intenses dépassent les vulgaires visions géostratégiques et provoquent immanquablement des incidents de criticité lorsque les hommes, insouciants qu’ils sont, pensent que l’on peut renverser un système sans la volonté du ciel. Le programme secret du monde se déroule tranquillement sans aucune influence externe. La Syrie un pays pas comme les autres, un pays-frontière entre deux religions qui en réalité ne font qu’un. L’Iran avec tout ce qu’il représente ne laissera pas faire. La Syrie,  terre mystérieuse où se déroule une guerre mondiale au sens propre du mot. Un pays ruiné jusqu’au beau, d’une beauté dantesque,  une terre gouvernée par la terreur depuis le père Hafez. Un pays aussi dévasté que l’Europe après la guerre. Alors  les hommes seront fatigués, ils déposeront les armes, le pays va se relever en attendant une autre guerre. La guerre mondiale aura toujours lieu.

Khalifa Touré