samedi 22 février 2014

MACKY SALL ET LA DEMOCRATIE POURQUOI LES DEMOCRATIES D’OPINION NE FONT-ELLES PAS LONG FEU ?








« Toutes les limitations, les conflits et même les destructions du pouvoir sont dus à la non-observation par les gouvernants des conditions auxquelles le pouvoir leur a été transmis » Léon Tolstoï, Guerre et paix, p.861, éd. de poche



Les problèmes des démocraties modernes surtout en Afrique, sont principalement liés à une pathologie qui pourrait être qualifiée d’anomalie électorale. En effet pour exister les démocraties font trop confiance aux élections, à la dévolution du pouvoir, fussent-elles légales. Or les seuls mécanismes électoraux, quelques importants qu’ils puissent être, sont loin de suffire pour garantir le respect du contrat politique et moral qui lie « le chef suprême » à ses compatriotes. En démocratie le pouvoir est toujours transmis  sous conditions. Malheureusement ces conditions ne sont pas toujours suffisamment prononcées, noyées qu’elles sont par la vague déferlante  et tyrannique de « l’opinion publique » ; l’opinion publique, cette chose informe et non moins concrète qui fait et défait les hommes politiques dans une démocratie d’opinion. L’historien Sénégalais Mamadou Diouf a vu juste lorsqu’il avançait les propos suivants : « Je préfère les sociétés ouvertes aux sociétés démocratiques où la démocratie est enserrée dans des logiques institutionnelles, un langage et une philosophie qui sont en fait prisonniers de l’histoire de l’Occident. Dans le cas des sociétés africaines francophones, le discours de la Baule de Mitterrand (1990), considéré – faussement – comme le déclencheur des transitions démocratiques, a joué un rôle considérable(…) Il a plutôt imposé un corset institutionnel et les formes les plus simples de la démocratisation, pour éviter les débordements qui auraient pu porter atteinte aux intérêts français et aux « amis africains ». C’était une manière de canaliser la démocratisation plutôt que de l’impulser. » 
En 2000, Abdoulaye Wade a été seulement élu sur la base des profondes frustrations et humiliations qui se sont sédimentées à travers les 40ans de règne « socialiste ». En vérité le programme de Fal 2000 comme tous les accords ultérieurs entre partisans politiques n’a pas pu tenir lieu de conditions. La seule « condition » qui a emmené Wade au pouvoir c’est l’affect. Lorsque cet affect a été détruit, ce fut alors  la fin du pouvoir d’Abdoulaye Wade.  Son impopularité a finalement atteint des proportions irrationnelles à cause d’un ressentiment généralisé provoqué par une quantité phénoménale d’erreurs, de fautes, d’outrages et même de provocations.
Celui qui règne par l’opinion, périra par l’opinion, à moins de partir à temps. Le temps de la politique est un temps discontinu. Il y a presque tous les dix ans une solution de continuité sur le fil de la politique. Tous les hommes politiques qui aspirent à la dignité présidentielle doivent se le tenir pour dit ; « le vouloir changer les hommes » est inscrit dans l’ordre de l’époque et l’’air du temps. Et la plus grande erreur des observateurs et des politiciens c’est de croire à la toute-puissance de la popularité ; or l’extrême popularité est le lit de l’autoritarisme et du despotisme. Tous les grands dictateurs ont d’abord été extrêmement  populaires. La popularité n’est pas forcément la démocratie. La dictature peut sortir des urnes ; Hitler a été légalement élu. Aujourd’hui les systèmes dictatoriaux ont peine à perdurer du fait de l’accélération et de la compression du temps dans les sociétés modernes. Les choses vont très vite  à tel point que les hommes chargés de gouverner n’ont plus le temps.  
Quant à Macky Sall, il vient d’être élu il ya deux ans ; c’est relativement une bonne affaire. Mais s’est-on posé la question « préjudicielle » de savoir si les conditions qui ont présidées à son élection sont suffisamment prononcées et connues de tous ? La réponse par l’affirmatif est loin d’être évidente. Un président nouvellement élu doit toujours se poser cette question : POURQUOI MOI ET PAS LES AUTRES ? De la réponse dépend l’attitude future de l’homme-président. Si la réponse est égoïste, du genre je suis le meilleur, la suite ne peut qu’être un pouvoir qui écrase ; mais si la réponse est « On m’a choisi  par ce que je suis différent », alors les citoyens pourront espérer, seulement espérer.
Au reste il y a une loi politique aussi ingrate que juste. C’est que toutes les personnes qui ont concouru  à emmener le président au palais ne sont pas pour autant aptes à exercer des fonctions étatiques. Macky Sall sera confronté à cette équation comme l’a été Abdoulaye Wade. Tous les grands hommes d’Etat ont été confrontés  à ce douloureux choix qui consiste à trier dans la masse déferlante des courtisans, des courtiers, des souteneurs, des opportunistes, des technocrates, des fidèles fanatiques, des  hommes d’Etat. Ce problème a été savamment posé par Henry Kissinger et le Général Colin Powell dans leurs différents Mémoires. Cette équation est plus facile à résoudre dans les « pays développés » que dans les nôtres où la marche vers le pouvoir est souvent irrégulière, alambiquée et quelques fois même tortueuse d’où ces alliances très compliquées qui défient la raison. Voilà ainsi posée l’une des grandes faiblesses de la démocratie sénégalaise.
Il n’est pas rare d’entendre dire que le pouvoir doit se conquérir de haute lutte, après d’âpres combats comme si on n’était pas en démocratie. Ceux qui avancent cette conception de la prise de pouvoir ont pour référence « inconsciente » le parcours de Wade qui a été très difficile par ailleurs. Depuis lors, les  choses ont beaucoup changé du point de vue de la maturité citoyenne. Le parcours  d’Abdoulaye Wade n’est pas la panacée, quelque original qu’il soit, il n’est pas l’exemple suprême. En démocratie véritable le pouvoir se gagne dans le calme et la paix. La seule violence légitime en démocratie, c’est la violence du vote, la violence des urnes ; Abdoulaye Wade l’a appris à ses dépens.
Aujourd’hui Macky est attendu sur des éléments extrêmement sensibles dont la manipulation et le traitement pourront marquer à jamais son magistère :
1. Il s’agit d’abord de la question de l’Etat et de Nation. A ce propos la difficile question religieuse dont l’expression particulière est le clergé et toutes les confréries et leurs excroissances qui structurent le comportement des Sénégalais. Avec Abdoulaye Wade les Sénégalais ont assisté à la forme la plus pernicieuse de la république confrérique. Le pays a frôlé le pire avec cette approche tendancieuse des confréries par Wade. Il a flatté  l’orgueil confrérique à un tel point que des faibles d’esprit ont pensé qu’ils pouvaient à eux seuls le faire élire  à coups de gourdin. Ces cercles sectaires qui menacent même l’existence des confréries elles-mêmes  sont aussi dangereux qu’ils menacent la démocratie qui est fondée d’abord et avant tout sur la liberté et la protection de la faculté de jugement de chaque citoyen. Le Sénégal est peut-être la seule démocratie qui tolère les sectes. Dans toutes les démocraties les sectes sont interdites. Encore que à ce sujet il ya beaucoup de choses à dire. Macky Sall est attendu sur la refondation d’une république véritablement moderne où les réflexes archaïques ne pourront prospérer. Il y a lieu d’appliquer la loi de la séparation des sphères de pouvoir. La religion doit être protégée du politique. Ceci est un enjeu capital. Quant au religieux, il relève plutôt du fait social et de la conjoncture. De la compréhension et le départ qu’il faut faire de la religion et du religieux, de l’Etat et de la Nation dépend notre système démocratique.
2. Le président Macky Sall est attendu sur la question de la gouvernance qui inclue les questions relatives aux hommes qu’il faut dans le système de gouvernement, à la lutte contre la  corruption, le clientélisme et l’impunité, à la séparation des pouvoirs, la transparence dans la gestion des affaires publiques, la soumission et l’application de la loi. Macky Sall est dans l’obligation s’il veut réussir, de créer un véritable « dream team », un « bataillon blindé », un noyau dur dans le gouvernement composé des meilleurs éléments, de véritables hommes d’élite, des hommes et femmes de grande valeur. Il ne doit pas se permettre d’affecter n’importe qui aux postes de ministère de la justice, des finances, de l’intérieur et des affaires étrangères.  D’autre part le véritable sujet d’où il est attendu est la lutte contre la corruption, une question complexe souvent mal posée. Le continent africain est aujourd’hui faussement défini à travers  la corruption au moment où d’autres dynamiques silencieuses sont en train de « travailler » positivement nos sociétés. Entre la corruption comme fléau qui ravage nos économies et la corruption comme concept, il ya un départ à faire. Le professeur Diouf a peut-être raison de penser que Le concept de corruption appartient « à l’effort d’objectivation d’un continent qui semble résister à la mise en ordre scientifique et à la normalisation ».
 Tout cela dépend de la gouvernance, de la méthode de gouvernement dont le président a la charge d’inventer. La question pour le règne de Macky Sall est d’isoler la corruption afin qu’elle ne prenne pas des proportions systémiques. « La corruption est devenue aujourd’hui l’élément par lequel on montre que l’Afrique dysfonctionne, alors que, quand on se livre à la comparaison réciproque, on se rend compte qu’elle ne dysfonctionne pas. Elle est plutôt incapable de gérer la corruption sans mettre en danger les institutions et le bien commun »affirme toujours Mamadou Diouf. La réponse au phénomène de la corruption ne doit pas être faible vue l’ampleur et la dangerosité du problème. Proposer l’audit des chantiers d’Abdoulaye Wade  est une banalité en matière de gestion, c’est le moins que l’on puisse faire. Le défi est de s’attaquer au mécanisme même de la corruption en plus de la répression de l’enrichissement illicite. Le président Macky Sall devra prendre des actes spectaculaires de nature à violenter et secouer les éléments corruptogènes dans l’imaginaire des sénégalais, notamment le népotisme qui, à l’origine, est une forme de favoritisme liée à la relation avunculaire et donc maternelle. Il faut aller jusqu'à la matrice, là où les choses naissent. Nos mères ne peuvent pas être coupables de mettre au monde des enfants corrompus. La corruption est maternée dans nos foyers. Mais en vérité elle est une construction et chaque société a tendance à bâtir sur la matrice.   
Macky Sall ne doit pas oublier que ses difficultés dans le PDS ont commencé lorsqu’il a voulu entendre Karim Wade au sujet des chantiers de l’ANOCI. Que personne donc ne vienne dire qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières, une formule qui n’a aucun contenu judiciaire en démocratie. S’il ya des sorcières il faut les chasser, s’il ya des démons il faut les exorciser. Macky et ses hommes ont l’obligation d’ouvrir des enquêtes sur l’origine de certaines fortunes. S’il ne le fait pas il aura mal débuté son règne et contribuera à l’économie de la prédation.
Les Sénégalais l’attendent vivement sur le phénomène de la reptation politique autrement appelée « transhumance ».  S’il n’adopte pas une attitude vigoureuse face à ces politiciens qui rampent comme des batraciens vers le nouveau pouvoir il n’aura pas compris que Wade a bâti sa propre impopularité en acceptant de recycler des politiciens que les Sénégalais avaient sanctionnés bannis.
3. Enfin la question sociale reste le dossier le plus sensible ne serait-ce que du point de vue de l’urgence et de la demande immédiate. A ce sujet le problème le plus difficile est la question du chômage qui a atteint dans notre pays « un niveau métaphysique » pour reprendre la formule du professeur Hamady Aly Dieng. Le Sénégal est l’un des rares pays démocratiques où le taux chômage n’entre pas en ligne de compte dans le débat politique. Aux Etats-Unis jusqu’à une date récente aucun président n’a été réélu avec un taux de chômage supérieur à 7,4 pour cent.  Qu’on ne s’y trompe pas, au rythme où vont les choses si la vague déferlante du chômage n’est pas endiguée, il y aura un grand  nombre de jeunes qui ne trouveront jamais un travail licite durant toute leur vie.
 Tout compte fait, le Sénégal devra évoluer vers une démocratie sociale. Il y a certainement un grand détour à faire pour réconcilier les Sénégalais avec la plus noble des politiques.

KHALIFA TOURE
776151166/709341367


samedi 8 février 2014

Mais pourquoi cette frénésie à publier des recueils de poèmes ?



« Etre poète en temps de détresse, c’est alors : chantant, être attentif à la trace des dieux enfouis. (Partir) de l’essentielle misère de l’âge, (alors même que), plus la nuit du monde va vers son minuit, plus exclusivement règne l’indigence, de sorte que son essence se dérobe » Martin Heidegger, Pourquoi des poètes ?
     
Contrairement au philosophe Allemand  c’est à croire que la poésie est devenue un genre mineur. Du moins au Sénégal. Tout le monde se met à la poésie, même un diseur de poèmes comme Pape Faye. Il vient de publier un recueil, il est dans son droit puisqu’il ne manque pas talent, dit-on. Le feu Lucien Lemoine qui nous a fait pleurer en déclamant divinement « A Villequier » et « Elégie à Philippe Maguilen Senghor » ne s’est jamais perdu en fanfaronnades et autres prétentions « poétiques ». Suffit-il d’avoir une diction travaillée à force de hurlements et d’ahanements à vomir  au bord de la mer  pour se déclarer poète avec fort menaces et justifications lancées (à priori) aux critiques comme pour dire : « Tenez-vous bien à l’écart messieurs les critiques ! Personne ne m’empêchera d’entrer dans le cercle prestigieux des poètes ». Oh mon Dieu ! Où irons-nous avec le succès ? Voilà  un signe et même un symptôme de peur panique, un réel manque de confiance en soi. Un écrivain a-t-il besoin t’anticiper  la critique. Si vous êtes sûr  de votre métier, écrivez, et les critiques feront le reste ! La critique est d’ailleurs un prolongement de l’œuvre. Elle fonctionne à rebours, à rebrousse-poil ou dans le sens du poil. Elle est « au service » de l’œuvre et non de l’auteur.

Un diseur au talent immense comme Raymond Devos ne s’est jamais mépris sur sa voie, certains textes qui étaient de son propre cru ont même contribué à enrichir la langue française, il était bien meilleur que beaucoup de poètes. Un autre diseur comme Fabrice Lucini occupe une place insigne dans les milieux littéraires français par son talent à déclamer des textes difficiles comme ceux de Derrida, Céline ou Nietzsche. Autant dire que le rôle de déclameur de poèmes n’est pas dévalorisant. Il y a de la « baraka » dans la littérature, lorsqu’elle est sincère. Des hommes comme Bernard Pivot en France ou Sada Kane au Sénégal n’ont pas fait œuvre d’écrivain mais ils sont devenus importants grâce à leur rôle de découvreur littéraire. A chacun son rôle  même si l’on peut passer du rôle de découvreur à auteur. Certains l’ont réussi avec brio.

Quant  au « poétique », il tient de la substance, c’est une flamme secrète qui brûle et se consume au-delà des mots, des images et des métaphores. La poésie c’est l’au-delà de la forme. C’est une autre forme différente de la forme des mots. L’immense Victor Hugo l’a compris, qui a dit  en substance « est poétique tout ce qui est intime en tout ».

 Le travail,  la sculpture et le polissage des mots  n’est que la voie, indispensable certes, pour s’élancer, s’élever  gaiement vers « l’immensité profonde».La poésie « permet » de parler de toutes choses parce qu’elle est au-delà de toute chose. Mais lorsqu’elle  s’arrête  en chemin, lorsqu’elle n’est pas suffisamment vigoureuse pour aller « Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées/ Des montagnes, des bois, des nuages, des mers » bref au-delà des choses, elle devient un simple procédé, une répétition. Comme pour pasticher le grand cinéaste Jean Luc Godard, nous dirons que la poésie est un moyen d’expression majeur, dont l’expression a disparu, il est resté le moyen. A lire « Pourquoi des poètes ? » de Martin Heidegger, un texte dans lequel le philosophe discute et prolonge l’élégie du grand poète romantique allemand Hölderlin  intitulée « Pain et Vin » nous serons définitivement convaincus que la poésie « c’est autre chose », elle ne part pas de rien. En temps de détresse les poètes naissent de la terreur puisqu’en temps de détresse  le temps est long. La poésie a donc affaire  au temps et à la longueur. Prenez votre temps messieurs les poètes ! Heidegger estime que la terreur « prise pour elle-même comme cause possible d’un virage, ne peut rien tant qu’il n’ya pas de revirement des mortels. Mais le revirement des mortels n’est pas évident. Autrement dit il ne suffit pas de souffrir pour être poète, il faut un revirement, une sorte de  vacillement après la terreur. C’est un processus étrange, une ignition qui tient de « la cuisine » intérieure.

Le grand poète Serigne Cheikh Tidiane Sy a dit fort justement « le désert fabrique soit des poètes ou des soufis » ; une conception atmosphérique de la poésie qui n’est pas sans relations avec le temps. Ah ! N’est pas poète qui veut. Lorsque les mortels sont sur les traces de la  divinité  ils produisent de la poésie « il n’ya de revirement des mortels que lorsqu’ils prennent site dans leur propre être » a-dit Martin  Heidegger. Pensez-vous que tout ceci est facile ?

Parmi ceux qui publient aujourd’hui il y en a un ou deux qui promettent de la poésie. La poésie n’est pas morte. Mais penser qu’il suffit de rêvasser, rimailler ou faire de ridicules concordances internes pour faire œuvre de poète relève de « la complicité ». C’est se rendre complice de la décadence contemporaine. Aujourd’hui la verbosité et la grandiloquence tiennent lieu de poésie. L’on ne sait pas que chez de grands poètes comme Senghor, Arthur Rimbaud ou même Adrienne Rich on trouve des « choses » qui s’apparentent à  la naïveté ou la simplicité alors qu’il n’en est rien. Un vers peut être narratif et atteindre les cimes de la poésie.  Du reste « le poétique » n’est pas l’apanage des rimailleurs. Qui est plus poète que le romancier japonais, prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata ? Lisez le sublime « La beauté tôt vouée à se défaire » ou son étrange texte intitulé « Le bras »vous serez « déchirés » de plaisir poétique. Il écrit: « Plus que toute autre chose, ils me faisaient penser à des larmes de tragédie. Jour après jour, nuit après nuit, la fille s’appliquait à polir une beauté tragique. Cela imprégnait  ma solitude, et c’était peut-être ma solitude qui, en gouttant sur les ongles de la jeune fille, y formaient ces larmes tragiques ». Ceci vous  donne une idée de l’écriture de Kawabata et c’est la moindre des remarques.

 A lire certains recueils de poèmes lancés sur le marché littéraire au Sénégal, on ne peut s’empêcher de dire : « Ont-ils vu une séquence d’un film de Djibril Diop Mambéty ». Aussi incongrue que cette question puisse être. Ils ne comprennent pas que les effluves poétiques viennent de la culture en général. Un poète est forcément un homme cultivé. La puissance poétique exhalée par le cinéma underground de Mambéty Diop, le mysticisme panthéiste du grand cinéaste Térence Malick ou l’ambiance gothique, funèbre et cauchemardesque des films de Tim Burton  aideraient peut-être  bons nombres de poètes à s’éclater. Ne savent-ils pas que  de l’éclatement du cœur nait la poésie ? Regardez « les moissons du ciel » avec la subtile photographie de Nestor Almendros ou « The tree of life », vous saurez que « le poétique » n’est souvent pas là où on le cherche. Certes les écritures  cinématographique et littéraire sont différentes mais l’exemple historique de la rencontre esthétique entre Marguerite Duras et Alain Resnais a produit un film inoubliable comme « Hiroshima mon amour ». Le fameux « Garde à vue » est à vrai dire une œuvre commune à Claude Miller et Michel Audiard qui est un véritable écrivain.
  
On oublie souvent que le grand musicien Bop Dylan est pressenti pour le prix Nobel de littérature depuis des années. Beaucoup de poètes ont à apprendre de la verve torrentielle de mots sortis de la bouche d’un musicien « anarchiste » comme Georges Brassens. Que dire de Jacques Brel aux textes larmoyants et évocateurs ? Quant à Serge Gainsbourg il a confessé que son courage à chanter lui vient de l’écrivain  Boris Vian lorsque ce dernier a chanté « Le déserteur » avec cette désinvolture légendaire qu’on retrouve au Sénégal chez Souleymane Faye et Wasis Diop particulièrement à plusieurs variantes près. Qui ose dire que des musiciens étranges comme Miles Davis ou bien aujourd’hui Jim Jarmush, Iggy Pop et Brigitte Fontaine ne sont pas des poètes ? 

Autrefois Sarah Vaughan, Billie Holiday, Bessie Smith et Ella Fitzgerald ont été les voies féminines les plus hautes de l’histoire du Jazz. Elles ont déclamé le texte jazzique et l’ont emmené un niveau d’explosion poétique inégalé. La plus part des musiciens ne sont pas des poètes. Mais il y en a certainement une bonne poignée qui dépasse des auteurs proclamés. Même une musique incandescente comme l’Afro-beat de Fela  Anikulapo  Kuti et son héritier de fils Fémi Kuti est une source intarissable de poésie par sa puissance incendiaire.

Au Sénégal, le pays de Léopold Senghor, mis à part Amadou Lamine Sall, un « poète établi » à qui il reste de quitter la confrérie bruyante des écrivains pour devenir un poète solitaire , Samba N’diaye qui arrive au grand galop avec ses « marrons glacées », un ou deux autres poètes connus et peut-être une poignée de parfaits inconnus et invisibles,le tableau est morose. On nous sert une nourriture infecte de poésie depuis quelques temps. La poésie est comme le chant, elle fait vite déraper. Il est facile de chanter faut. « Pas de musique pour de grandes oreilles » a dit Mozart.

Khalifa Touré

776151166/709341367