mercredi 25 juin 2014

Le cosmopolitisme racial de la coupe du monde Brésil 2014.

 

 


«S’efforcer d’être à la fois européen et noir exige une forme particulière de double conscience. Je ne dis pas que le fait d’assumer l’une de ses identités inachevées, ou les deux à la fois, épuise les ressources subjectives d’un individu. Mais lorsque les discours racistes, nationalistes ou ethniquement absolutistes orchestrent les rapports  politiques de sorte que ces identités semblent s’exclurent mutuellement, occuper l’espace qui les sépare ou tenter de montrer leur continuité est considéré comme un acte d’insubordination politique relevant de la provocation, voire de l’opposition pure et simple. »  Paul Gilroy

Qui n’a pas remarqué la forte présence des joueurs noirs dans cette coupe du monde Brésil 2014? Les noirs ont toujours été là. Mais des « joueurs de couleur »dans les équipes allemande, Belge, Suisse, Italienne, qui l’eut cru il ya trente ou quarante ans ? La diversité n’est pas que raciale dans cette coupe du monde, elle est aussi ethnique. Des  Khedira et Mustafi dans l’équipe Allemande ?  Et Mesut Özil ? Il ne représente certainement plus cette tête de turc tant chahutée pendant des générations. Regardez par ailleurs ces joueurs belges en Afro ! Que s’est-il passé pour qu’on en arrive à ce mélange peu ordinaire, ce métissage  ethnico-racial ? On peut dire sans risque de se tromper que la plupart des équipes qui sont en lice pour cette coupe du monde sont diversement composées. Les équipes d’Amérique centrale comme le Honduras, le Costa Rica et l’équateur sont essentiellement noires. Le Brésil qui est le plus grand pays noir (90 millions) après le Nigeria ne nous a pas servi cette fois-ci beaucoup de footballeurs de couleur. Cela est certainement du à un concours de circonstances.

 Mais il faut à la vérité dire qu’au pays du ballon rond, le football n’est pas l’apanage des noirs. Jusque dans les années trente les joueurs noirs étaient interdits à Fluminense, club-phare du Brésil.  Le légendaire Garrincha, dribleur à la fameuse feinte de corps est d’origine amérindienne, Tostao(le premier Pelé blanc), Zico (le 2ème), l’élégant Socrates, Rivelino (qui a inventé le flip-flap, dribble spectaculaire) et Carlos Alberto  ont la peau claire. L’une des équipes brésiliennes les plus colorées (sinon la plus) est celle d’España 82. Des savants du ballon rond osent affirmer que c’est la plus belle équipe que le Brésil ait présenté, avec des joueurs noirs comme Junior, Antonio Carlos Cereso, Paolo Isidoro, Serginho, Luizinho. Quant à la France, elle est sans nul doute, l’équipe la plus africaine du mondial  2014. Les Matuidi, Sakho, Cissokho, Pogba et Patrice Evra (né à Dakar) sont les héritiers des Marius Trésor, Jean Amadou Tigana, Gérard Janvion, Jean Pierre Adams (d’origine sénégalaise), José Touré(le fils de l’international malien Bako Touré) ou Lilian Thuram. Un fait notable : Raoul Diagne, le fils de Blaise Diagne né en Guyane française, a connu 18 sélections en équipe nationale de France.

Autant dire que la France est la terre d’élection des footballeurs noirs. Un fait qui n’est pas du goût de tout le monde. Il n’ya pas longtemps Laurent Blanc a failli provoquer le scandale en suggérant l’instauration d’un système de cotât dans les centres de formation français afin d’éviter le déséquilibre noir-blanc dans le football français. Il a certainement dit tout haut un mot qui se « murmure tout bas ». La source du problème est ailleurs. La France a élaboré un modèle sociopolitique incapable de penser la race. Aucun courant politique ou philosophique français n’échappe à ce modèle qui prône un universalisme décoloré. Cette idée émise par Laurent Blanc, est impensable dans des pays comme le Honduras, l’Equateur, le Costa-Rica ou le Brésil. C’est comme si les habitants de Salvador de Bahia ou Belo horizente, bref tous ceux du sud noir du Brésil se mettaient à dire qu’il ya trop de blancs dans l’équipe du Brésil. Seul le football et le bonheur qu’il procure les intéressent. Pour la France, le pays le plus politique d’Europe selon Karl Marx (déjà !), donc le plus idéologique et « le moins amical » (on oublie que la politique participe de la guerre et l’idéologie appartient au soupçon), la race et la culture sont des essences immuables. La proposition de Laurent Blanc n’a rien à voir avec le racisme. Lorsqu’il émettait son idée, il n’était pas conscient de répéter un schéma qui est inscrit dans « l’ADN historique » de la France. La France n’est pas raciste mais elle est trop jacobine, anti-pluraliste donc peu-démocratique, trop républicaine. Elle écrase même ses propres subalternes.

Une certaine élite française et même la plupart des afro-centristes (disons-le) agissent comme si la race est un point fixe, alors qu’elle est une continuité. Autre affaire française à souligner, en rapport avec le sujet, est la méfiance presque maladive que ce pays entretien avec l’argent, « les gens riches » anciennement ou récemment pauvres. Vous ne pouvez imaginer « la pression » que subissent les joueurs français. On pense en France qu’ils gagnent beaucoup trop d’argent, ils ne sont pas suffisamment éduqués dit-on, des enfants gâtés en quelque sorte ! Il est vrai que dans ce pays lorsqu’on n’a pas fait Science Po, l’ENA ou HEC Paris on est presque considéré comme un intrus dans la sphère élitiste. Ceux qui pensent que le débat autour de « la division internationale du travail du capital social » est éculé se trompent. Il nous poursuit toujours jusque dans le monde du football. On n’a pas besoin d’être marxiste pour partager la phrase de Gayatri Spivak : « Le travail d’Antonio Gramsci sur les classes subalternes développe le débat position de classe /conscience de classe repéré dans Le Dix-huit Brumaire ». Les footballeurs français ont une position de classe sociale subalterne malgré les millions qu’ils gagnent et le plaisir qu’ils offrent.

Dans ce pays on tolère plus un banquier un peu voyou, bénéficiant dun parapluie financier honteux qu’un jeune Paul Pogba auteur d’un petit geste d’énervement. S’il avait commis l’acte d’Alexandre Song ou celui d’Assou Ekotto, « on aurait sorti la guillotine » pour parler comme Patrice Evra. Tout le monde a entendu ce jeune talent d’origine Sénégalaise dire bizarrement « Moi je m’aime ». Autrement dit si vous ne m’aimez pas, moi je m’aime. La preuve en est que c’est un homme politique, Daniel Cohn Bendit, qui a fait le meilleur décryptage des propos d’Evra. Nous revenons à la politique voyez-vous ! Ces jeunes français ont faim, ils ne jouent que pour eux-mêmes parce qu’ils sont mal aimés. Les Suisses l’ont appris à leurs dépens. Oh ! Que ça fait mal d’assumer une double conscience dans un contexte qui n’en veut pas. A ce propos lisez le livre le plus important écrit depuis plus de trente ans  sur la question : L’Atlantique noir, de l’anglo-africain Paul Gilroy, professeur titulaire, dépositaire de la chaire de sociologie Anthony Giddens de la London School of Economics. Quasi méconnu dans le monde francophone surtout en France, PAUL GILROY est une référence incontournable lorsqu’il s’agit des questions relatives à la racialité, à la double conscience, à l’identité et à la modernité. L’un des plus éminents intellectuels du monde !

  Ce fort cosmopolitisme racial constaté dans cette coupe du monde est donc un phénomène essentiellement lié à notre modernité, à l’urbanité et  à des événements  modernes récents (je dis bien récents) comme le mercantilisme, la traite des nègres, la colonisation et les grandes migrations économiques. A voir toutes ces figures noires qui peuplent et colorent cette fête mondiale du football, on peut avoir une idée de la profondeur de la saignée subie par l’Afrique. Certains footballeurs d’origine arabe ou africaine sont des figures de l’ailleurs et du départ. Il s’agit des Karim Benzema, Jérôme Boateng, Mario Balotelli, Dany Welbeck (d’origine ghanéenne), Sami Khedira (Père tunisien) ou, Vincent Company. D’autres comme l’excellent gaucher Costa-ricien Joël Campbell, les anglais Daniel Sturridge et  Josy Altidore, le butteur équatorien Enner Valencia sont des produits de la plus brutale des  immigrations, une immigration forcée : la traite des nègres. Dans les années 90, période de la vague des footballeurs noirs en équipe d’Angleterre avec les Paul Parker et compagnie, l’entraineur disait que si les onze meilleurs anglais étaient noirs il n’y aurait pas un seul blanc dans l’équipe nationale. Tout le monde se souvient du talentueux gaucher afro-anglais John Barnes qui a donné du fil à retordre à l’exceptionnelle Argentine de Diego Armando Maradona au Mexique en 1986.

Les jeunes qui ne suivent que la ligue des champions, se pourléchant les lèvres devant le FC Barcelone ou Chelsea depuis quelques années sont finalement conditionnés à ne croire qu’au football européen. Ils sont les premiers à être surpris devant cette coupe du monde avec la débâcle de l’Espagne, L’Italie et l’Angleterre. Savent-ils ce que font River Plate et Boca Junior en Argentine ou Fluminense, Corinthiens et Flamengo au Brésil ? Le Brésil exporte plus de 1000 joueurs par an. Aucun autre pays ne le peut. En vérité les amateurs ne connaissent que le football européen. La mondialisation dont on parle est en vérité une Europe qui se mondialise. En regardant l’Europe on pense voir le monde. C’est valable pour le Sport, l’Economie, la Littérature et le Cinéma.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Le talentueux Algérien Rachid Mekhloufi, quatre sélections en équipe de France et deuxième meilleur butteur de Saint-Etienne était une curiosité à la fin des années 50. Il en est de même pour le virtuose tunisien Taraq Diab en coupe du monde 1978. Leur héritier « arabe », Karim Benzema et Marwane Felleini de la Belgique sont plus à l’aise aujourd’hui. Entre temps il ya eu des phénomènes comme les algériens Rabah Madjer, Lakhdar Belloumi et les marocains Aziz Bouderbala et Mouhamed Timoumi. Au reste le roi du Ballon Edson Arantes Do Nascimento dit « Pelé » (Une apparition qui a inventé des choses que l’on répète aujourd’hui sur tous les terrains du monde) raconte encore aujourd’hui, avec un brin d’ironie, que lors de la fameuse coupe du monde organisée par la Suède en 1958, des supporters suédois le suivaient partout dans les rues, promenant leurs petites mains blanches dans sa chevelure crépue de nègre, histoire de voir si la couleur noire pouvait  tacher leurs mains. Ils n’ont jamais vu de noir de leur vie, les pauvres ! 

Les noirs ont toujours été là mais pas tant que ça. Léonidas le brésilien est la première perle noire du football mondial. Meilleur butteur du mondial de 1938, il est l’auteur d’une des plus longues carrières du football (1929-1951). Le surdoué Larbi Ben Barek, dribleur hors pair, est l’autre perle noire qui n’a jamais disputé de coupe du monde et pour cause. Mais il est  le premier grand footballeur Africain de renommée mondiale bien avant le Mozambicain Eusebio (auteur de neuf buts en coupe du monde avec le Portugal). Sans nul doute l’un  des meilleurs footballeurs de tous les temps, très méconnu même parmi les aficionados du ballon rond aujourd’hui. Marocain de nationalité, il a effectué la plus longue carrière en équipe de France (1938-1954). Pelé dira de lui «  si je suis le roi du football Ben Barek en est le dieu.» Cela laisse deviner tout le talent de cet attaquant qui a d’abord joué au milieu. L’immense Salif Keita le malien, sociétaire de l’AS Saint-Etienne, l’un des meilleurs footballeurs africain de tous les temps, n’a pas eu la chance de disputer une coupe du monde. Rappelons que Didi, l’un des membres du célèbre quatuor magique brésilien (Pelé, Didi, Vava, Garrincha) est noir jusqu’aux orteils.

Ce cosmopolitisme racial, cette fête du football montre peut-être que le monde tente d’aller paradoxalement au-delà des races, se situer dans l’entre-deux. C’est là où réside la puissance subversive et la dimension politique du football. Le football est un insolent pied de nez contre les crispations identitaires.Le sport roi possède ce pouvoir magique de traverser les interstices des différentes cultures pour offrir une image diffuse et continue de la civilisation contemporaine. Un avis aux racistes de tout bord, qu’ils soient blancs, noirs, jaunes ou rouges.

 Khalifa Touré
776151166/709341367




mardi 17 juin 2014

15 films qui m’ont complètement touché depuis 2000.






 1.     Le pianiste : Quoi que je fasse, je ne peux m’empêcher de citer ce chef d’œuvre du cinéaste polonais Roman Polanski. Film hallucinant comme l’interprétation de son acteur principal, Adrien Brody.
2.     Amour :  la deuxième palme d’or du cinéaste autrichien Michael Haeneke. Un film presque parfait sur la fin de vie. Deux vieillards qui luttent non pas pour vivre mais pour s’en aller dignement. Un film qui fait réfléchir.
3.     Bug : Le huis clos le plus démentiel que j’ai regardé. L’américain William Friedkin y a mis toutes ses peurs. « Il ya dans ce film tout ce que pense sur l’Amérique » a-t-il dit. L’acteur Michael Shannon  n’y a jamais été aussi fou.
4.     A Vif : Certains ont été surpris par cette descente aux enfers de l’actrice Jodie Foster. Mais moi j’ai aimé. Neil Jordan film avec un réalisme psychologique étonnant, cette femme qui tue après avoir été sauvagement agressée. Dans le combat il arrive que le Bien et le Mal se confonde semble-t-il nous dire.  
5.     Donnie Darko :   Film Kafkaïen au sens qu’il nous arrive des choses que l’on ne comprend pas. William Kelly  entre en scène de façon magistrale avec ce film  à la fois étonnant et effrayant.
6.     Trois enterrements : Bertrand Tavernier a eu raison de dire que l’acteur-réalisateur Tommy Lee Jones possède une écriture formidable. En témoigne ce western moderne d’une rare audace. Un homme décidé à tenir parole déterre son ami pour aller l’enterrer dans son village d’origine. Un voyage périlleux où le meurtrier va connaitre la punition et la pénitence.  
7.     La môme : Sans nul doute la meilleure biographie depuis 2000. Ce film est un chef d’œuvre d’Olivier Dahan sur la vie d’une des plus grandes artistes du 20ème siècle, la chanteuse française Edith Piaf. L’interprétation de Marion Cotillard est hallucinante.
8.     Entre les murs : Ce film fait peur à ceux qui réfléchissent sur l’avenir de nos sociétés modernes. Laurent Cantet pointe du doigt la redoutable question de l’éducation. «  Quand les bornes sont franchies, il n’ya plus de limites » ; les élèves qui sont entre les murs de cette classe n’en sont pas conscients. «  Un film étonnant » selon Sean Penn qui lui a décerné la palme d’or.
9.     21 Grammes :   Mon Dieu, quel film ! Le meilleur du mexicain Alejandro Gonzalez Innaritu. Si vous supportez la narration fragmentée vous pourrez apprécier ce film qui est un véritable coup de point. Il ya tout dans ce film : La divinité, la vie, la mort, le destin, l’amour.  Les acteurs Sean Penn, Benicio Del Toro et Naomi Watts forment un trio explosif.  Inénarrable !
10.                        L’échine du diable : Le chef d’œuvre mexicain de Guillermo Del Toro. L’un des films les plus étranges de ces dernières années. Del Toro y a mis tous ses fantasmes : l’impuissance, la procréation, la fin des choses, la menace qui pèse sur l’existence.
11.                        Une séparation : Tous les couples mariés devront regarder ce chef d’œuvre de mise en scène dialoguée. L’iranien Asghar Farhadi  nous révèle depuis des années que les relations entre les êtres humains sont incontrôlables.  Film à consommer sans modération
12.                         A history of violence :  Le Canadien David Cronenberg nous fait ici une surprise magnifique avec ce film qui fait beaucoup réfléchir sur la notion de repentance. Les scènes de violence y sont décrites avec un réalisme qui vous coupe le souffle
13.                       Elephant : Comment  perpétrer un massacre après avoir joué et écouté tranquillement  Beethoven ? Tel est la question que le cinéaste américain Gus Van Sant « ne tente pas de résoudre ». La colère cache une grande souffrance a-t-on dit. Mais ces jeunes ados qui s’en vont tuer sac à dos ne montre aucun signe de haine ou de colère.
14.                        La pirogue : Ce huis clos à ciel ouvert du Sénégalais Moussa Touré est « fantastique » au sens esthétique du mot. Tout est mis en œuvre pour nous révéler la naïveté, l’espoir, la détresse et la souffrance des candidats africains à l’émigration. Ce qui fait « plaisir » dans ce film c’est qu’il est tout bonnement bien fait.
15.                       Bamako :  Rien que pour la scène du vieux paysan africain plein de sagesse  qui prend la parole dans ce tribunal étrange où les problèmes du monde sont discutés avec d’étonnantes références cinématographiques, je citerai ce film militant du mauritanien Abderrahmane Sissako.