mercredi 23 janvier 2019

Agressions urbaines au vu et au su de tout le monde !





Après un match de lutte des jeunes filles agressées au vu et au su de tout le monde, molestées par un groupe de jeunes garçons comme des molosses en mal d’éducation, agrippées aux inutiles téléphones portables, cellulaires des temps modernes qui ont quand même servi à filmer ces scènes presque cocasses pour nos regards émoussés qui ont vu tant de choses anormales jusqu’à la banalisation. Ils sont de retour les agresseurs. 
Dans « Mort un après-midi » l’écrivain Ernest Hemingway décrit la situation psychologique très particulière de cet homme pris dans une situation gênante de devoir regarder un enfant traverser les rails au moment où le train filait à vive allure. Faut-il regarder ou non ? Telle est la question. Ce n’est pas seulement notre sens moral qui est ici convoqué mais notre humanité c’est-à-dire nos réflexes d’adhésion ou de rejet mais surtout notre faiblesse à laisser faire, à regarder. Il n’est pas interdit de voir, mais à force de regarder les plus abjects des gestes délictueux vont se transformer un jour en crime. Voilà qui est dit ! Ce n’est plus du « Pickpocket » comme dans le film du génial Robert Bresson, mais nous sommes presque dans le racket à la manière de ces affranchis romancés par les films de Martin Scorsese. 
    
Ces agressions juvéniles dans la rue sont presque un prolongement des jeux dangereux auxquels s’adonnent les jeunes ados. Le problème est que les enfants ne jouent plus, ils ne dansent plus, ils ne chantent plus, c’est pathologique.  Très vite ils font comme les grandes personnes, autrement dit,  ils agissent en pensant faire comme  les vieilles  personnes, une manière pour eux de crâner bêtement. Les jeunes ne font qu’interpréter, et leur herméneutique morale est biaisée par l’immaturité.

Ils font ça aux jeunes filles insouciantes de la rue, qui restent au mauvais endroit comme ils le font avec les autres, leur mère, leur sœur, leur copine… La ligne rouge est déjà franchie, ces agressions sont incestueuses.  La force est naturelle mais la violence qui se transforme en voie de fait est inadmissible. Il faut savoir se défendre dans la rue ! Voilà le mot de trop qui est lâché, cynisme utilitaire qui assure l’équilibre de la terreur. Mais le problème est que les agresseurs et les victimes ne sont pas de la rue, ils n’ont rien à voir avec ces marginaux qui sont dans la rue et qui n’ont rien à voir avec les actes crapuleux. Ces groupes de morveux qui « chipent » les affaires des filles et s’excitent de leurs cris et piaillements aigus auraient pu faire autre chose dans une sombre ruelle ! Il faut faire gaffe. Le crime sexuel n’est pas loin. Il faut endiguer les vagues avant qu’il ne soit trop tard.  De toutes les façons comme des villes vont disparaître par l’érosion, des cultures, des peuples, des Etats aussi, par l’insouciance et surtout par la corrosion morale. C’est lorsqu’il y a défaillance de vue à force de regarder le spectacle de la vie que les pauvres gens se rendent compte du mal. Il y a véritablement quelque chose de malsain  dans cette affaire-là. Nous sommes déjà atteints par les excès du spectacle, notre regard sera ébloui par la lumière aveuglante de la vérité de la vie. La vie n’est pas méchante, c’est nous qui sommes méchants à force de laisser faire.

Il faut secourir ces jeunes impolis sans éducation à qui les promoteurs de sensations fortes peu scrupuleux offrent des plateaux d’expression de la violence gratuite. Violence pour violence, quant aux lutteurs, ils y gagnent quelque chose, beaucoup même et la page est tournée  même pour ceux qui passent de vie à trépas, tués par l’émotion ou la bêtise.

 Il est étonnant de constater qu’il n’existe plus de brigands mais plutôt des voyous et des bandits et…ceux qu’ont désignent aujourd’hui comme « agresseurs » habituels ou occasionnels. C’est normal, les brigandages, les rapines et la prédation sont passés à la grande économie chez les brigands à col blanc qui alimentent le « Produit Criminel Brut » selon le mot du juge Jean de Maillard. Les brigands ne sont plus ces voleurs romancés qui sortent brusquement des grottes et qui enrichissent la littérature classique mais ils sont devant nous et agissent « au vu et au su de tout le monde » comme les  dangereux jeunes insouciants de la société d’en bas. Ils sont l’envers et l’endroit de la même pièce. La société humaine est une grande famille.

Khalifa Touré


vendredi 11 janvier 2019

Le dur métier de scandale public






C'est le lot des grands meneurs d'hommes, les bergers inspirés, les anciens leaders, c'est le métier par excellence des prophètes, un métier dangereux, beaucoup sont morts parmi les prophètes d'Israël assassinés par des âmes égarées et organisées qui habitent le corps des clergés de tout genre.
Que ceux qui sont prêts à mourir s'approchent, le mont Golgotha n'est pas loin. Cette après-midi-là il s'est passé "une vérité" qui défie les faits aujourd’hui racontés. Les hommes ont oublié que le plus grand scandale est la proclamation de l'Unicité de Dieu, le monisme existentiel pour les initiés. Tous les révolutionnaires et autres anarchistes, libéraux ou démocrates sont des enfants de chœur, ils n'arrivent pas à la cheville des prophètes, confrontés à leur égo, leurs héritiers sont devenus des fous désemparés.
Aujourd'hui les meilleurs scandales sont les artistes qui ont proclamé la sacralité du sexe, cette partie dite honteuse, pourtant organe sacré. Ce n'est pas pour rien que le féminin absolu soit éternel. Mais ils sont peu nombreux à l'avoir dit, les autres sont dans la surexposition, la vulgarité. Entre Sigmund Freud et ses " Trois essais sur la théorie sexuelle", Frederich Nietzche son "Par-delà le bien et le mal" , François Villon, Charles Baudelaire et le soft-scandale d'aujourd'hui avec  "Soumission" de Michel Houellebecq, l"Inceste" de Christine Angot, c'est le grand écart. "American Psycho" de Breat Easton Ellis est du pur scandale à l'américaine, une autre échelle. Ce qui choque ici ne dérange pas ailleurs. Quant aux œuvres du Marquis de Sade, elles seraient scandaleuses à toutes les époques, dans tous les espaces parce qu'elles sont philosophiques. "Les prospérités du vice", "Justine ou les malheurs de la vertu", mais surtout "La philosophe dans le boudoir" sont peut-être de l'ordre du mal, au sens philosophique du mot. C'est la face sombre du génie comme celle de Louis Ferdinand Céline. Un génie peut-il être un salaud?
 Il y a scandale et scandale! Les portraits arrondis et tropicaux de Gauguin sont de merveilleux scandales pour les académiciens. Quant au Jazz et ses dérivés, n'a-t-il pas écorché les oreilles des âmes sensibles habituées à la musique tonale des classiques. " Le cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire et "Nations nègres et culture"  de Cheikh Anta Diop sont d'un scandale. N'eut-été la fièvre surréaliste de l'époque, le poète antillais serait plus scandaleux. Le plus délicieux des scandales contemporains est la poétesse et chanteuse française Brigitte Fontaine. Elle est d'une insolence exquise et raffinée. Qu'elle folie assumée! "Le déserteur" de Boris Vian et son collège de Pataphysique ne sont pas loin. Les déhanchements scandaleux d'Elvis Presley ne sont rien derrière les pas de danses asymétriques et incompréhensibles du chanteur sénégalo-gambien Moussa Ngom. Ses reculades sur scène et ses battements d'ailes de canard valent un milliard. Paix à son âme! Son refus du succès est le plus grand scandale.  Le génial Chanteur Souleymane Faye est du même "acabit", son plus grand scandale est la sincérité de sa musique et  sa manière d'être. Il y a quelque chose de plus fort que lui qui l'habite et qui fera de lui peut-être dans "une vie ultérieure", un guide, un meneur.  Finalement le scandale est compliqué, complexe et même étriqué.
C’est ainsi que vont les malheureux ouvriers du scandale public, parmi eux il y a des ingénieux héritiers des mages et des prophètes. D’autres parmi eux ont bu jusqu’à la lie la coupe édulcorée du scandale public. Mais il y a la multitude qui brave les interdits de factice, ils revendiquent la folie, drapés de leur manteau de faux semblants ! Ce sont les faux fuyants de l’Art, au-dessus d’eux il y a les êtres sincères, ceux qui ont choisi d’être vrais, un métier périlleux. Ils sont loin de la mercantilisation de l’art. Ils peuvent gagner de l’argent, peu ou prou, beaucoup d’argent ou peu mais ils sont libérés de l’esclavage des biens matériels. Un métier compliqué et même complexe. Il y en a de toutes sortes, des révolutionnaires, des réactionnaires, des partisans du chômage, des saints, des salauds et même des fripouilles…
Nous avons eu ici sous les tropiques, un Sembène Ousmane écrivain et grand cinéaste, un rebelle, un incompris impertinent jusqu’à la fin qui s’est souvent trompé sur l’homme sénégalais, la société sénégalaise telle qu’elle est, mais c’est « de bonne guerre », le propre des artistes politiques c’est de se tromper, c’est leur mission, ils ne cherchent pas la perfection et leur imperfection subjective fait la beauté et l’intemporalité de leurs œuvres, ils prêtent le flanc à la critique parce qu’ils sont dogmatiques. C’est leur manière de faire œuvre utile. Quant à Djibril Diop Mambéty grand cinéaste africain, l’un des plus grands artistes du XXème siècle, il fit scandale surtout par son regard particulier : comment peut-on faire un cinéma à la fois populaire, symbolique et parfois hermétique. Il l’a réussi ! Comment peut-on être à la fois présent par la vérité et la vraisemblance de ses personnages défigurés et distant par ce discours poétique ? Les  plus grands cinéastes sont des « scandales publics » et parfois privés. Le très réactionnaire Elia Kazan de l’époque du Mc Carthysme, le maniacodépressif Howard Hughes et son gigantisme cinématographique sont  des exemples particuliers. Aujourd’hui le « cinéaste public » le plus scandaleux et le plus « dangereux » reste Lars Von Trier. « Dangereux » est pris ici au sens de «  A dangerous method » du grand cinéaste canadien David Cronenberg, une conception freudienne du danger. Peut-être que Lars cherche-t-il trop le sandale à travers ses déclarations ambiguës ? Pourtant « Anti-christ » et « Melancholia » sont regardables. Un cinéaste comme Clint Eastwood a frôlé le danger avec «  Mystic River » son meilleur film avec « Million Dollar Baby », mais personne n’a trouvé à y redire. Il n’est pas loin de réveiller les bas instincts.  Vincent Gallo, lui, est inqualifiable à la fois comme réalisateur et acteur. Il est formidable au sens latin du mot, c’est à dire fascinant et effrayant.
Quant aux cinéastes Catherine Breillat et Virginie Despentes elles cessent d’être scandaleuses lorsqu’elles ne sont plus publiques. La Censure les empêche d’aller plus loin. Peuvent-elles encore aller plus loin après ce qu’elles ont fait. La fameuse scène de Sharon Stone dans « Basic Instinct » du Hollandais Baz Luhrmann n’est rien devant « le travail » de ces deux vieilles coquines. «  Anatomie de l’enfer » du japonais Nagisha Oshima est le sommet de la luxure, de la concupiscence poétique , c’est le chef-d’œuvre du genre. «  L’amant » de Jean Jacques Annaud, une belle adaptation de « Hiroshima mon amour » de Marguerite Duras, est un scandale intermédiaire entre le film de Oshima et celui de Catherine Breillat.
 Les scandales artistiques sont de toutes sortes et de tous lieux.  Le poète Ibrahima Sall de « La génération spontanée » et des « Mauvaises odeurs » est le véritable scandale de la littérature  sénégalaise. Son scandale n’est pas seulement esthétique (il écrit comme personne et dans tous les genres ou presque), son scandale est  éditorial dans un certain sens, difficile de trouver ses livres et d’obtenir des informations sur l’homme. Il est le « meilleur » écrivain sénégalais en son genre hélas, ce qui est le plus grand scandale du reste. Autre grand scandale et impertinence éditoriale et celle de l’Editeur africain Seydou Nourou Ndiaye des Editions Papyrus qui ne publie sincèrement qu’en langue africaine sauf rare exception ! Un choix « scandaleux » avant que tout le monde se mette à éditer ou publier opportunément par-ci et par là des livres en langues africaines.  Voici la voie royale des grands scandales du XXIème siècle, ceux de la représentation des cultures dans le monde à travers leur mode d’expression linguistique.

Khalifa Touré