jeudi 21 novembre 2019

Jack Kerouac, Dieu, la littérature, l’amitié, la bonté…





 « Satori à Paris » est  l’une des dernières œuvres, peut-être la dernière  du grand écrivain américain Jack Kerouac, dont il est convenu aujourd’hui qu’il est le chef de file de la Beat Generation qui est à la fois un courant littéraire, artistique, poétique, un mode de vie, une philosophie de la révolte, une contre-culture face à une société en « crise ». 
Malgré le capitalisme envahissant, les américains aiment les groupes, les courants d’idées, les clubs, les lobbys et les mouvements d’ensemble. Après la Lost Generation des grands romanciers-écrivains-philosophes américains, Ernest Hemingway, John Steinbeck, TS Elliot, Gertrude Stein  et autres écrivains américains de l’entre deux guerre, voilà que surgit la beat generation courant artistique qui a produit une formidable littérature contestataire à tout point de vue, qu’elle soit formelle( pas du genre nouveau  roman, du tout) ou  même thématique.  Un courant littéraire est d’autant plus excitant et ancré qu’il s’inscrit dans  le récit national et  la culture, qu’elle produise une manière de vivre et qu’elle soit le fruit d’une manière d’être. En fait les Beatnik comme on les appelle, il faut dire que le mot est rejeté par Jack Kerouac lui-même,  sont une contreculture face à l’idée  dominante américaine, la pensée sociale unique,  qu’elle trouve corsetée, cloisonnée dans l’hypocrisie et les faux-fuyants.  Selon Barry Gifford l’ami du grand cinéaste David Lynch, , la Beat generation c’est  essentiellement trois écrivains majeurs Jack Kerouac, Allan Ginsberg et William S Burroughs. Un point de vue que je partage.
 Les autres sont venus après et formeront cet attirail hétéroclite autour de l’idée informelle de révolte contre le conformisme culturel. Il faut dire que « Sailor et Lula » de Lynch qui a remporté la palme d’Or à Cannes est typique de l’esthétique de la Beat generation. Tous ces cinéastes d’aujourd’hui qui pratiquent merveilleusement la « Road Movie » comme l’allemand Wim Wenders ont subi une influence tardive de la beat generation surtout l’œuvre du maitre Kerouac « Sur la route ».  Le road movie c’est du « sur la route » cinématographique qui présente l’avantage narratif de marcher sur la perte et le gain qui est le principe même du mouvement et de la vie en générale.
La beat generation présente cette esthétique musicale, rythmique,  poétique d’une écriture avec un certain tempo régulier, mais aussi ce côté cassant fatigué, et harassé d’une vie écrasée par la modernité. Ce qui crée expressément une distorsion littéraire très agréable et très simple. Dans la simplicité il y a beaucoup de sous-entendus, plein d’insolence.  La Beat Generation  a produit des chefs d’œuvres après la grande guerre(1948) jusqu’aux années 60 comme le Fameux SUR LA ROUTE de Kerouac et le FESTIN NU de Burroughs qui sont des œuvres-culte mais des chefs-d’œuvres d’imagination artistique.

Il faut dire que le chef de file Jack  est devenu fameux bien après, après que l’incompréhension et l’étroitesse d’esprit sont passées de mode. La lecture de SATORI A PARIS  m’a fait découvrir, un autre Jack Kerouac, loin des clichés, très loin de l’artiste vagabond même s’il a écrit LE VAGABONG SOLITAIRE, un Jack Kerouac raffiné,  très raffiné, savant, très cultivé à la manière de Louis Ferdinand Céline qu’il a beaucoup lu ; c’est Céline qui disait «  mon problème c’est que je suis un homme raffiné ». Un vagabond raffiné que cet écrivain américain d’origine québécoise donc française né en 1922 à Lowell dans le Massachussetts, rien à voir avec la culture du roman des  grands écrivains du sud des Etats-Unis, il va créer LA LITTERATURE DE L’INSTANT, cette écriture qui feint d’être spontané, qui tente de casser le verbe mais qui reste très bavard, très orale, très populaire. Il deviendra cet écrivain-culte symbole d’une contre-culture après avoir déposé le manuscrit de son chef-d’œuvre SUR LA ROUTE chez son éditeur et partir faire le tour du monde. Jack Kerouac est un écrivain désinvolte et raffiné.  Et c’est le goût du voyage, de l’ailleurs et des équipées sauvages qui l’emmèneront à entreprendre ce Pèlerinage dans son pays d’origine, la France ; C’est après avoir lu Châteaubriant,  Voltaire et Montherlant qu’il se décida à quitter la Floride et se rendre en France pour étudier l’origine de son patronyme. Il faut dire que les Kerouac  sont bretons et ce sera le sujet, le lieu et le temps même de ce récit autobiographique qui nous permet de visiter les bibliothèques de France, les cathédrales, les hauts lieux de la culture et découvrir la manière d’être et  de faire de ces gallo-romans de l’hexagone,  d’interpréter les choses à la française, le décalage culturel etc.  
Les dix jours passés en France à trimballer entre Paris et la Bretagne lui feront subir ce Satori, ce sentiment d’illumination qui est le sujet sous-jacent du livre. Il écrit : «  Quelque part, pendant ces dix derniers jours passés à Paris ( et en Bretagne), j’ai reçu une sorte d’illumination, qui semble-t-il, m’a une fois, de plus transformé, orienté dans une direction que je vais sans doute suivre, cette fois encore, pendant sept ans de plus : bref ça a été un satori : mot japonais désignant « illumination soudaine », «  un réveil brusque », ou, tout simplement, un « éblouissement de l’œil »
Il  lui semble que le Satori a été provoqué p ar un chauffeur de taxi nommé Raymond Ballet, mais il n’est sûr de rien, par moments dans récit, il l’attribue à d’autres faits,  d’autres situations. Il l’attribue  quelques fois à ces longues discussions et bavardages avec de jeunes français dans un bar, pourquoi pas à  au Requiem de Mozart entendu quelque part, il n‘est sûr de rien. C’est la nature,  l’essence même du Satori qui est un moment  subliminale, mystique qui peut arriver à n’importe qui d’entre nous à la suite d’un voyage long ou cours, des rencontres nouvelles et qui change complètement notre vie, notre perception du monde.    Page 61 par exemple
Jack Kerouac qui « se cache derrière le narrateur » est venu en  France pour savoir qui il est, entreprendre des recherches poussées sur sa généalogie, un sujet difficile délicat et dangereux, on ne sait pas si on peut tomber sur un ancêtre tueur en série, génocidaire ou déserteur… l’auteur va vivre des moments palpitants où l’occasion lui est  donné dans ce livre de jeter un regard réaliste et  beaucoup d’humour noir sur la vie française. Alors Jack Kerouac nous fait découvrir sa grande culture, ses références littéraires françaises, Balzac,  Hugo, Chateaubriand, il parle même  d’un  Sénégalais un certain Pape Kane, au passage ; c’est un récit où il y a plein de choses de la vie française et du caractère des hommes en général.  Etonnamment Jack Kerouac a une grande maitrise de la sémantique historique française et il parle de l’origine des mots sans lourdeurs scientifiques, c’est un livre agréable, délicieux, une grande  comédie humaine.  Des phrases inoubliables, agréables et parfois d’un génie insolent : « 
-          Ce récit que je fais uniquement par amitié, ce qui est, parmi beaucoup d’autres (celle que préfère), une définition de la littérature
-         Mais sentant la sinistre odeur de « littérature » qui flotte autour de moi…
-         Je suis trop esclave du bavardage et de la langue, la peinture m’ennuie, et il faut toute une existence pour apprendre à peindre
-         - Aussi séduisants que soient l’art et la culture, ils sont inutiles s’il n’y a pas la sympathie,
-         Les poètes de génie ne sont que décorations murales s’ils n’ont pas la poésie de la bonté et de la Caritas »
Khalifa Touré