« Satori à Paris » est l’une des dernières œuvres, peut-être la
dernière du grand écrivain américain
Jack Kerouac, dont il est convenu aujourd’hui qu’il est le chef de file de la
Beat Generation qui est à la fois un courant littéraire, artistique, poétique,
un mode de vie, une philosophie de la révolte, une contre-culture face à une
société en « crise ».
Malgré le capitalisme envahissant, les américains aiment les
groupes, les courants d’idées, les clubs, les lobbys et les mouvements d’ensemble.
Après la Lost Generation des grands
romanciers-écrivains-philosophes américains, Ernest Hemingway, John Steinbeck,
TS Elliot, Gertrude Stein et autres
écrivains américains de l’entre deux guerre, voilà que surgit la beat generation courant artistique qui a produit
une formidable littérature contestataire à tout point de vue, qu’elle soit formelle(
pas du genre nouveau roman, du tout) ou même thématique. Un courant littéraire est d’autant plus
excitant et ancré qu’il s’inscrit dans le récit national et la culture, qu’elle produise une manière de
vivre et qu’elle soit le fruit d’une manière d’être. En fait les Beatnik comme
on les appelle, il faut dire que le mot est rejeté par Jack Kerouac lui-même, sont une contreculture face à l’idée dominante américaine, la pensée sociale
unique, qu’elle trouve corsetée,
cloisonnée dans l’hypocrisie et les faux-fuyants. Selon
Barry Gifford l’ami du grand cinéaste David Lynch, , la Beat generation c’est essentiellement trois écrivains majeurs Jack
Kerouac, Allan Ginsberg et William S Burroughs. Un point de vue que je partage.
Les autres sont venus après et formeront cet attirail
hétéroclite autour de l’idée informelle de révolte contre le conformisme culturel.
Il faut dire que « Sailor et Lula »
de Lynch qui a remporté la palme d’Or à Cannes est typique de l’esthétique de
la Beat generation. Tous ces cinéastes d’aujourd’hui qui pratiquent
merveilleusement la « Road Movie » comme l’allemand Wim Wenders ont
subi une influence tardive de la beat generation surtout l’œuvre du maitre Kerouac
« Sur la route ». Le road
movie c’est du « sur la route » cinématographique qui présente
l’avantage narratif de marcher sur la perte et le gain qui est le principe même
du mouvement et de la vie en générale.
La beat generation présente
cette esthétique musicale, rythmique,
poétique d’une écriture avec un certain tempo régulier, mais aussi ce
côté cassant fatigué, et harassé d’une vie écrasée par la modernité. Ce qui crée expressément une distorsion littéraire très agréable et très simple. Dans la simplicité
il y a beaucoup de sous-entendus, plein d’insolence. La Beat Generation a produit des chefs d’œuvres après la grande guerre(1948) jusqu’aux
années 60 comme le Fameux SUR LA ROUTE de Kerouac et le FESTIN NU de
Burroughs qui sont des œuvres-culte mais des chefs-d’œuvres d’imagination
artistique.
Il faut dire que le chef de file Jack est devenu fameux bien après, après que
l’incompréhension et l’étroitesse d’esprit sont passées de mode. La lecture de
SATORI A PARIS m’a fait découvrir, un
autre Jack Kerouac, loin des clichés, très loin de l’artiste vagabond même s’il
a écrit LE VAGABONG SOLITAIRE, un Jack
Kerouac raffiné, très raffiné, savant,
très cultivé à la manière de Louis Ferdinand Céline qu’il a beaucoup lu ; c’est
Céline qui disait « mon problème c’est que je suis un homme
raffiné ». Un vagabond raffiné que cet écrivain américain d’origine
québécoise donc française né en 1922 à Lowell dans le Massachussetts, rien
à voir avec la culture du roman des
grands écrivains du sud des Etats-Unis, il va créer LA LITTERATURE DE L’INSTANT,
cette écriture qui feint d’être spontané, qui tente de casser le verbe mais qui
reste très bavard, très orale, très populaire. Il deviendra cet écrivain-culte
symbole d’une contre-culture après avoir déposé le manuscrit de son
chef-d’œuvre SUR LA ROUTE chez son éditeur et partir faire le tour du monde. Jack
Kerouac est un écrivain désinvolte et raffiné. Et c’est le goût du voyage, de l’ailleurs et
des équipées sauvages qui l’emmèneront à entreprendre ce Pèlerinage dans son
pays d’origine, la France ; C’est après avoir lu Châteaubriant, Voltaire et Montherlant qu’il se décida à
quitter la Floride et se rendre en France pour étudier l’origine de son
patronyme. Il faut dire que les Kerouac sont
bretons et ce sera le sujet, le lieu et le temps même de ce récit
autobiographique qui nous permet de visiter les bibliothèques de France, les
cathédrales, les hauts lieux de la culture et découvrir la manière d’être et de faire de ces gallo-romans de l’hexagone, d’interpréter les choses à la française, le
décalage culturel etc.
Les dix jours passés en France à trimballer entre Paris et la
Bretagne lui feront subir ce Satori, ce sentiment d’illumination qui est le
sujet sous-jacent du livre. Il écrit : « Quelque part, pendant ces dix derniers jours passés à Paris (
et en Bretagne), j’ai reçu une sorte d’illumination, qui semble-t-il, m’a une
fois, de plus transformé, orienté dans une direction que je vais sans doute
suivre, cette fois encore, pendant sept ans de plus : bref ça a été un
satori : mot japonais désignant « illumination soudaine »,
« un réveil brusque », ou, tout simplement, un « éblouissement
de l’œil »
Il lui semble que le
Satori a été provoqué p ar un chauffeur de
taxi nommé Raymond Ballet, mais il n’est sûr de rien, par moments dans récit,
il l’attribue à d’autres faits, d’autres
situations. Il l’attribue quelques fois
à ces longues discussions et bavardages avec de jeunes français dans un bar, pourquoi
pas à au Requiem de Mozart entendu
quelque part, il n‘est sûr de rien. C’est la nature, l’essence même du Satori qui est un
moment subliminale, mystique qui peut
arriver à n’importe qui d’entre nous à la suite d’un voyage long ou cours, des
rencontres nouvelles et qui change complètement notre vie, notre perception du
monde. Page 61 par exemple
Jack Kerouac qui « se cache derrière le narrateur »
est venu en France pour savoir qui il
est, entreprendre des recherches poussées sur sa généalogie, un sujet difficile
délicat et dangereux, on ne sait pas si on peut tomber sur un ancêtre tueur en
série, génocidaire ou déserteur… l’auteur va vivre des moments palpitants où
l’occasion lui est donné dans ce livre
de jeter un regard réaliste et beaucoup
d’humour noir sur la vie française. Alors Jack Kerouac nous fait découvrir sa
grande culture, ses références littéraires françaises, Balzac, Hugo, Chateaubriand, il parle même d’un Sénégalais un certain Pape Kane, au
passage ; c’est un récit où il y a plein de choses de la vie française et
du caractère des hommes en général. Etonnamment Jack Kerouac a une grande maitrise
de la sémantique historique française et il parle de l’origine des mots sans
lourdeurs scientifiques, c’est un livre agréable, délicieux, une grande comédie humaine. Des phrases
inoubliables, agréables et parfois d’un génie insolent : «
-
Ce récit que je fais uniquement par amitié, ce qui est, parmi
beaucoup d’autres (celle que préfère), une définition de la littérature
-
Mais sentant la sinistre odeur de
« littérature » qui flotte autour de moi…
-
Je
suis trop esclave du bavardage et de la langue, la peinture m’ennuie, et il
faut toute une existence pour apprendre à peindre
-
-
Aussi séduisants que soient l’art et la culture, ils sont inutiles s’il n’y a
pas la sympathie,
-
Les
poètes de génie ne sont que décorations murales s’ils n’ont pas la poésie de la
bonté et de la Caritas »
Khalifa Touré