mardi 3 juillet 2018

Pèlerinages mémorables à la Mecque








Et c’est un devoir envers Allah pour les gens qui ont les moyens, d’aller faire le pèlerinage de la Maison. Et quiconque ne croit pas… Allah se passe largement des mondes » Sourate Ali Imran versets 96/97



Comme saint Ibrahim Adham sur le chemin de la Mecque, Aboul Qacim Djouneydi Salik ou la reine de saintes Rabia Al Adawiya de Bassora, ce fut une grande épopée mystique et un triste voyage que ce pèlerinage légendaire digne des anciens d’un saint homme fils du plus saint fils de Mamina Cheikh Muhamed Fadel qui offrit cent enfants prodigieux sertis de facultés spirituelles presque effrayantes et de dons de thaumaturgie qui n’existent plus. Il s’agit de Cheikh Mouhamdoul Mamoune Al Kébir, vingt neuvième fils et grand frère de Cheikhna Cheikh Saadbou l’incomparable saint homme qui effectua le pèlerinage à la Mecque pour ne jamais revenir selon une pratique et presque un rituel parmi beaucoup de saints qui ont foulé les lieux saints autour de la pierre noire surélevée par Ibrahim le patriarche le plus sage, le Maitre de ceux qui cherchent la rectitude. En effet Cheikh Mouhamdoul Mamoune Haidara partit à la Mecque attiré par les effluves gnostiques et mystiques de ce lieu doté d’un magnétisme divin à nul autre égal mais aussi par l’appel du sang. Les Ahlou Mamina auxquels il appartient sont Ahlou Beyt Rassoul ils descendent directement  du prophète Mouhamad (PSl) et sont d’une particularité et d’une stature mystique que personne n’a pu percer jusqu’ici. Ils appartiennent à la grande école soufi qui a engendré Nimzatt de Cheikhna Cheikh Saadbou le trente deuxième fils ,  le plus rayonnant, lui et son grand frère Mal’ainy le quatorzième,  le grand résistant à la pénétration coloniale au Maroc qui repose à Tiznit. C’est donc dire que le chemin de la Mecque est semé de mystères pour ces athlètes de Dieu, ces preux chevaliers de la foi.
Ce n’est qu’un jour connu parmi les jours du Seigneur des mondes que Cheikhna Cheikh Saadbou écrit dans ses Khawwatim » avoir reçu une lettre  lui annonçant le décès de son frère, lettre dans laquelle son compagnon de la Mecque affirme sans ambages que Dieu a élevé Cheikh Mouhamdoul Mamoune devant tous les savants Mecquois de l’époque de par sa science. Personne ne sait jusqu’au jour d’aujourd’hui s’il a laissé une progéniture. Il faut dire que beaucoup de saints attirés par les effluves, le symbolisme caché et la sacralité des lieux choisissent de ne plus revenir. Seyd El Hadji Malick a voulu le faire, mais le maitre des lieux lui a inspiré de revenir continuer sa mission ici au Sénégal. Nous reviendrons sur le pèlerinage de ce géant parmi les géants.
 Dans la même lignée paternelle chez les enfants de Cheikh Mouhamad Fadel se distingua Cheikh Al Hadramé le neuvième fils qui lui-même eut vingt et un enfant dont Abbas le père Cheikhna Cheikh Tourad  dont il s’agit ici. Cheikh Tourad ould Abass ould Hadramé ould Cheikh Muhamed Fadel est avec Cheikh Makhfou de Casamance fils de Cheikh Mohamed Tayeb Al Khayar ould Mohamed Fadel l’un des disciples de Cheikhna Cheikh Saadbou les plus étonnants. Ils sont au nombre de 664 connus de la Mauritanie à la Guinée touchés par la grâce divine par les œuvres de Cheikh Saadbou. Du jamais vu dans les annales du Soufisme, tous fabriqués et transformés littéralement en saints Wali dotés de pouvoirs thaumaturgiques par le Cheikh des deux rives.
Quant à Cheikh Tourad, Cheikh Saadbou lui a fait don de secrets inestimables et grandes capacités oratoires en plus d’un charisme spirituel qui convertissait tous ses vis-à-vis. En un jour de vendredi connu, il a fait goûter la mort mystique à 207 personnes. Lettré hors pair, poète inspiré et saint homme doté de miracles connus, lorsqu’il arriva à la Mecque, il s’arcbouta à la Kaaba et professa une intention secrète sous forme de poème, il lui fit alors dicté qu’il ne reposera pas à la Mecque mais à Dakar qui sera son centre de rayonnement. Aujourd’hui son mausolée se trouve au Cimetière de Soumbédioune à Dakar, pourtant il n’est venu au Sénégal que deux fois contrairement à ce que l’on pense. Il avait émis le vœu d’être enterré là où il rendra l’âme conformément aux traditions des prophètes. Cheikh Tourad était un soufi orthodoxe. Au moment où il effectuait son pèlerinage il tomba malade à la Mecque. Il savait que l’heure était proche.  Comme il ne pouvait plus retourner par Bateau, le gouverneur de l’AOF, à l’époque affréta un avion spécial pour son retour. A son arrivée à Dakar, il y séjourna quelques temps avant de rendre l’âme en 1946. Ce fut l’un des pôles mystiques les plus rayonnants de son époque qu’il a dominé par sa puissance. Il a sauvé beaucoup d’âmes et guidé même des saints dans les sentiers difficiles qui mènent au Tabernacle grâce à son maitre, l’inénarrable Cheikhna Cheikh Saadoul Aby. La suite  donnera les pèlerinages du maitre fondateur Cheikh Oumar Tall Al Fouti, El Hadji Malick Sy, Serigne Fallou et Mame Cheikh Anta Mbacké.

Mais il est à se poser la question de savoir   ce qui a poussé le guide fondamental Cheikh Ibrahim Niasse   à s’envoler autant de fois vers la Mecque. Sa circumambulation autour de la Kaaba est presque hallucinante  et donne le vertige mystique aux non avertis. Elle est faite d’unicité et de multiplicité à la fois qui rappellent le fameux vers de Cheikhna Cheikh Saadbou « Attoufou bi Beyti Lahi ». Dans les chemins qui mènent à Dieu, il ya autant de voies que de pèlerins.
  Et ce fut le voyage presque interminable du pôle mystique Cheikh Oumar Tall Al Fouti, le guerrier intrépide à la foi d’airain, le preux chevalier, la grande âme qui a sauvé tant d’âmes perdues. El Hadji Oumar c’est l’écrivain en marche, le grand poète à cheval. Son pèlerinage à la Mecque est un acte fondateur, un parcours initiatique dans la voie soufi selon les préceptes de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif. Il ya pèlerinage et pèlerinage, celui de Cheikh  Oumar est un viatique pour tous les aspirants. En 1828 il partit à la Mecque accomplir les rites sacrés selon la pratique, les faits et gestes de son idole le prophète Mohamed PSL. Après le pèlerinage à la Mecque, la rencontre mémorable avec le grand maitre tidiane Cheikh Mouhamad Ghaly à Médine fait partie des événements les plus insignes dans les annales du Tidianisme. La Tarbiya cette pratique mystique selon une formule  incommunicable que seuls quelques grands saints détiennent comme le grand Sidy Mouhtar Al Kounti, Cheikhna  Cheikh Saadbou et El Hadji Ibrahima Niasse le grand pèlerin, fut le point d’orgue de cette rencontre entre deux grands Amoureux et qui consacra définitivement El Hadji Oumar jusqu’à nos jours d’aujourd’hui après qu’il se soit éthéré dans les falaises de Bandiagara le 12 février 1864.

Bien des années plus tard, son héritier à  tous points de vue El Hadji Malick Sy tellement savant que son ami et frère en Islam Cheikhna Cheikh Saadbou affirma «  son école est la meilleure des écoles et son Wird n’est comparable à aucun autre wird ». Le Cheikh des deux rives Saadbou connait son sujet, il a lui-même donné le wird tidiane à certains de ses grands disciples dont l’étonnant cheikh Aldiouma Ba de Guet Ardo, le Wird Shazaly à d’autres et  le wird de Sidi Abdoul Qadr Djeylani le grand à  la majorité des cheikh qu’il a intronisé. A un certain niveau de pratique et d’élévation spirituelles il n’ya plus de frontières confrériques. C’est l’universalisme et l’humanisme  qui autorisent ces postures dans le soufisme d’en haut, celui des maitres.  Du reste toutes les confréries authentiques musulmanes sont d’essence Djouneydite et remontent tous à Aboul Qacim Djouneydi jusqu’à l’Imam Hassan Al Basri. Nous sommes tous en grande majorité musulmane au sud du Sahara de la voie Djouneydite, de rite Malikite et  théologie Ash’arite. Tous nos  chefs religieux de quelque obédience qu’ils soient appartiennent à ces trois grandes écoles qui organisent la vie religieuse du Maghreb au Sud du Sahara selon une continuité et une unité visibles dans toutes les pratiques, les postures et modes de pensée. Toutes les Fatwas de Seyd El Hadji Malick Sy notamment sur la Zakat de l’arachide et ceux de Baye Niasse  ont été élaborées selon les normes du rite Malikite. Ce rite qu’El Hadji Malick a largement contribué à vulgariser. Son pèlerinage à la Mecque à l’âge de Trente trois ans donne une idée de l’homme et de la grandeur de son dessein. Enfant prodige, juriste émérite, fin lettré, savant en tout il étonne encore aujourd’hui les aspirants par la rareté, l’étrangeté de son trône mystique. Il apparait sous à ceux qui vient sous une triple formes. C’est l’un des rares mystiques dont la vision est rarissime, il échappe au regard même de certains saints qui ne peuvent le connaitre tellement il est singulier dans son étrangeté. Qui a entendu une fois dire « j’ai vu El Hadji Malick en rêve ? » Ils sont rares. El Hadji Malick est un mystique mais d’une mystique authentique adossée au  Coran et à la Sounna, ce qui malgré les apparences est une prouesse, un prodige. L’ivresse mystique n’a jamais réussi à le noyer et l’égarer. Son pèlerinage et son retour furent des bienfaits incommensurables pour la culture islamique au sud du Sahara.

Quant à El Hadji Ibrahima Niasse, c’est le pèlerin le plus étonnant par le nombre de fois qu’il est allé à la Mecque. Son premier pèlerinage à la Mecque en 1937 est mémorable.  Ce fut la fameuse rencontre avec l’Emir de Kano Bayero. Ce jour là sans que personne ne le sache la Fayda Tidianya commença à se déverser sur le Nigeria depuis la Mecque.  Chez Baye Niasse le Hadji à la Mecque est une marque distinctive, un tampon mystique qui caractérise l’homme dès avant son apparition sur terre annoncée expressément par Ousmane Dan Fodio le grand Marabout Peulh du Nigéria qui est allé jusqu’à décrire son physique notamment sa face lumineuse, sa fameuse barbe et ses yeux globuleux. Baye Niasse est un homme prodigieux qui draine pas moins de cent quarante cinq millions d’âmes sur terre. Lorsque l’on sait que « supporter » une seule âme dans la voie mystique relève de la gageure. Il détient le secret de l’accession extinctive au tabernacle qui intrigue encore aujourd’hui après sa disparition physique en 1975 à Londres. Dans la voie soufi Baye Niasse est une cime inaccessible qui porte une science convoitée, celle de « l’accès à Dieu » qui a fait tant jaser et qui a attiré des millions d’âmes, et même des savants de tous bords dont les mauritaniens de la lignée prophétique qui sont venus littéralement se jeter dans la mer mystique de Baye Niasse. A Kossi reposent 19 Chourafa (descendants du prophète) qui étaient venus s’initier à la Maarifa auprès de Baye Niasse. « C’est par la littéralité de la Charia et la Lumière éclatante » qu’il emportait les âmes à Dieu, selon ses propres mots. Un de ses anciens « maitres » mauritaniens qui lui offert même la Idjazaa (l’agrément chez les Tidianes) est venu plus tard devenir son disciple. Du jamais vu !

Voilà Baye Niasse l’ami de Serigne Fallou Mbacké le fils du prodigieux de Cheikh Ahmadou Bamba qui lui a donné le  nom du saint de Hawdou le père de Cheikhna Cheikh Saadbou, l’immense Cheikh Muhamed Fadel ould Mamine. El Hadji Fallou le marabout des laissés-pour-compte, ces pauvres êtres que le destin a matraqué, gens de Dieu que les grands de ce monde pauvres égarés eux-mêmes ont voulu toujours écraser. Combien de personnes ont été sauvées par Serigne Fallou qui avaient maille à partir avec l’injustice ? Personne ne sait. Serigne Fallou possédait la « Idjaaba », la grande baraka, son pèlerinage en 1928 est un chef-d’œuvre tant l’image de Cheikh Ahmadou Bamba était présente dans les mémoires. Dès le départ pour les lieux saints il formula ce triste vœu plein de piété filiale : « Allez en ziarra à la Mecque puis rendre visite au prophète Mohamed (PSL) ensuite offrir toutes récompenses à ces dévotions, à mon défunt père Cheikh Ahmadou Bamba.” Il était en compagnie de  Mame Cheikh Anta Mbacké le frère de Serigne Touba.

Cheikh Anta Mbacké de son vrai nom Cheikh Sidy Moukhtar en souvenir du grand pole mystique du 18eme siècle saharien le maitre des Kounta Cheikh Sidy Moukhtar Al Kounti que  Serigne Touba évoque dans son chef-d’œuvre « Massalik Al Djinane » dans la même foulée que l’Imam Ghazaly, Abdel Qadir Djeylani et Cheikh Mohamed Yadaly Addeymani de la tribu Deymane de Mauritanie. Au passage Sidy Boubacar Deymany qui vivait à Boutlimit  a donné le wird tidiane en premier à Tafsir Abdou Cissé  le saint de Djamal dans le Saloum. Et le fils ainé de Serigne Touba Cheikh Mohamed Yaddaly Mbacké qui n’a pas vécu longtemps sur cette terre porte le nom de ce grand pole Entre le Sahara, la Mauritanie, les saints maures et nous, il ya beaucoup d’explications à faire dans la perspective d’une parenté mystique et même consanguine indéniables.  Mame Cheikh Anta auréolé de toutes ces souches spirituelles fut un homme prédestiné. Dieu lui accorda une grande richesse. C’est lui  qui s’est acquitté de tous les frais du fameux pèlerinage. Fils de Mame Mor Anta Saly le grand fondateur de l’université de Mbacké Kajoor et de Sokhna Asta Walo cet homme fut à la fois un savant, un pieux et l’argentier du mouridisme. Les colons ont vite compris qu’il fallait « l’éliminer ». C’est pourquoi dès son retour de la Mecque il fut arrêté et déporté de 1930 à  1940 à Ségou au Mali. A son retour d’exil  il décida dans un accès de soufisme extraordinaire d’abandonner ses activités économiques pour se consacrer uniquement à quelques tâches agricoles. Le temps est proche où je dois rejoindre celui pour qui je travaillais  disait-il. L’année suivante il rendit l’âme en 1941 à Darou Salam.

Vingt années auparavant disparaissait en 1922 l’un des plus grand  maitre soufi de la Sénégambie, il s’agit de Mame Abdoulaye Niasse, le père de Cheikh Ibrahima Niasse. Tous ses enfants sont extraordinaires notamment Mame Khalifa Niasse l’un des plus grands lettrés en langue arabe au Sud du Sahara sinon le plus grand et El Hadji Mohamed Zeynab Niasse. Son pèlerinage à la Mecque en 1890 et son retour à Fez au Maroc auprès du Pole caché Seyd Ahmed Tidiane Chérif Al fatimi Al Khassani est un événement qui concerne tous les aspirants au sud du Sahara. Mame Abdoulaye Niasse est revenu accompli et serti de cadeaux venant de son maitre. Cet homme fut l’un des guides les plus précieux pour le Sénégal c’est la raison pour laquelle ceux qui savent  ont tout fait pour qu’il revienne de son exil en Gambie. Il lui fut autorisé à revenir en 1910 pour continuer son enseignement et son rayonnement spirituel. N’eut été cela qui peut imaginer le vide spirituel qui aurait frappé le Saloum, la Gambie et tout le Sénégal. Cet ainsi que vont et viennent les saints parmi les âges les temps et les espaces voulus par Dieu. Leur mission est essentiellement spirituelle, le reste n’est que bénéfices et conséquences matérielles périssables. Ils sont nombreux dans une certaine échelle et peu nombreux dans d’autres selon  l’architecture du monde spirituel tel que le Maitre des mondes l’a voulu.
Paix et salut sur toutes les âmes qui aspirent à la vérité cachée.
Khalifa Touré