Une société dont la machine à
fabriquer le Bien est en panne est une société malade. Mais le Bien n’est pas
seulement une construction sociale, c’est aussi et surtout une question de transcendance qui touche à notre
spiritualité. Voilà la grande difficulté ! Sans verser dans un
constructivisme de mauvais aloi, on peut affirmer que là où le bât le blesse c’est
lorsque le Bien devient un problème de
possibilité sociale. Pour beaucoup de citoyens les logiques de survie
auxquelles ils sont confrontés depuis les années d’ajustement structurel,
diminuent leurs capacités de choix d’ordre moral et poussent vers des solutions
à la limite de l’honnêteté. Il ya au Sénégal un problème de consensus moral.
Depuis des années nous avons du mal à s’accorder sur ce qui est bien et ce qui
est mal. De plus en plus des hommes et des femmes passent à l’acte :
corruption, concussion, prévarication, parjure, détournement de biens publics,
transhumance des politiciens et des électeurs, manipulations en tout genre, mensonge
éhonté, violences physique et symbolique sur les citoyens sans parts… Mais
l’une des manipulations les dangereuses et confine au macabre est la sorcellerie
qui remonte à la nuit des temps. C’est une pratique protéiforme dont le vocable
a désigné mille et une choses différentes relevant spécialement des sciences occultes.
Elle a aussi désigné des pratiques soi-disant anthropophagiques et alimente
ainsi les superstitions les plus folles et provoqué la mise à mort horrible de
personnes innocentes. Mais ce dont il
s’agit aujourd’hui au Sénégal, qui défraie la chronique, ce sont les pratiques
répétées de profanation de tombes qui est à l’évidence l’un des rituels de la nécromancie. Il n’ya pas tant à s’en étonner. Autant dire
qu’on feint d’être étonné par de telles pratiques qui même si elles sont faites
à la faveur de la nuit sont connues de
tous. C’est devenu un secret de polichinelle qu’au Sénégal, le pouvoir, la politique et la sorcellerie ou «
maraboutage » sont des pratiques
intimement liées. La consultation des devins, des voyants ou autres
«clairvoyants» sensés interroger les esprits de la nuit pour agir en «modifiant
» la trajectoire du destin sont des œuvres devenues courantes et banales pour
les hommes de pouvoir en général ; pas forcément les hommes politiques. Selon
les spécialistes sénégalais de la démonologie les trois secteurs les plus infectés
au Sénégal sont le monde politique, le secteur du commerce, le sport en
particulier les Navétanes et la lutte. Le monde « religieux » est de plus en plus concerné par cette affaire. Il
ya aussi la sorcellerie diffuse dans la société qui s’est essentiellement
féminisée à cause des conflits matrimoniaux.
On feint d’oublier qu’un homme politique sénégalais et pas
des moindres, affirmait sans ambages que ses « marabouts » étaient plus puissants que ceux de ses homologues
africains. Un de ses farouches opposants fit alors un « voyage initiatique » en traversant la boucle magique
de l’Afrique de l’ouest : la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali, le
Bénin pour revenir au Sénégal. Personne ne s’est interrogé sur ce voyage qui
n’avait aucun enjeu politique. Dans la mairie d’une ville près de Dakar, à la
suite de travaux de réfection, trois corps avaient été découverts ensevelis et
couverts de linceul noir en direction du coucher du soleil. Tout portait à
croire que c’était un meurtre sacrificiel et rituel compte tenu du modus
operandi utilisé dont le symbolisme renvoie à des références blasphématoires. Un
fait paradoxale dans un pays où l’Islam et le Christianisme, deux religions qui
condamnent les pratiques occultes ou magiques, occupent le haut du pavé social
et sont les principaux déterminants qui structurent l’imaginaire social. Mais
le fait social est que la magie blanche est tolérée par les religieux. Sous des
dehors de modernité, le Sénégal vit toujours à l’ère de la pensée magique, des
superstitions, des croyances aux bons ou mauvais augures. Les hommes de pouvoir
ont du mal à quitter le monde du bois
sacré. D’un point de vue historique la permanence de la cosmogonie africaine
traditionnelle dans sa face politique est d’une évidence éclatante au Sénégal.
Le pouvoir c’est de la jouissance qui
autorise la convocation et même l’invocation d’entités autres qu’humaines en
dehors bien entendu du monde de la raison, du visible et de la transparence.
Une interrogation sur ces différentes pratiques qui sont loin d’être marginales
est d’un intérêt sociologique certain. Elle peut surtout nous renseigner sur
l’état de notre société et sur l’usage déficitaire de la raison dans le monde
politique africain. Nos hommes politiques n’ont pas confiance à la raison, à la
force de persuasion et la pertinence d’un programme. Des hommes de pouvoir
capables de mettre en veilleuse leur raison ! Alors toutes les folies
imaginables sont permises : Folie sexuelle, folie financière, folie des grandeurs
et folie « mystique ». Une
économie politique de la
sorcellerie, du sexe et des œuvres magiques serait d’un intérêt scientifique
certain. C’est ainsi que le politicien confiant de son immunité mystique
conférée par le sorcier entame une
grande carrière de prédateur économique et social. Tout va passer sous le
rouleau compresseur de l’impunité (femmes, argent, véhicules, villas) jusqu’à
ce que qu’un décret présidentiel plus sorcier viennent mettre fin à la carrière
très mystérieuse du ministre. En attendant le décret divin.