Depuis qu’il lui a été donné de marcher sur terre, l’homo-sapiens a
toujours quitté les zones hostiles où la vie humaine était précaire vers les prairies
où l’herbe est verte partout. Il découvrira plus tard le tragique de
l’existence humaine. En vérité si l’herbe est verte partout, il y en a qui est
vénéneuse. Que l’on soit disciple du très controversé Darwin ou adepte du
créationnisme, le fait est qu’il n’a jamais été dans le fort de l’homme de se
donner volontairement la mort. Il est inscrit dans l’ADN historique de l’espèce
humaine d’aimer, d’adorer et de s’accrocher à la vie, quitte même à tuer son
prochain. Aussi, notre Lébou préféré, l’écrivain Abass Ndione, a-t-il raison
d’affirmer sous sa barbe chenue que « les
émigrés clandestins ne sont pas des suicidaires.» On n’a pas besoin de
lire Emile Durkheim pour savoir que l’émigré clandestin n’est pas dans le mode
opératoire du suicide. Il veut vivre ! Il faudrait être plus sourd, muet et
aveugle que le personnage de La Brute de Guy Des Cars pour ne pas entendre le
cri de ces pauvres hères qui prennent des pirogues, bravant une mer hostile
vers une Europe animée d’un grand désir d’apartheid. Une Europe plus hostile
que la mer. « Barça ou Barzagh », « Mbekk mi », autant de
formules qui nous font voir ces aventuriers des temps modernes, hommes femmes
enfants, comme des béliers mythologiques, donner des coups de cornes sur la
crête d’une mer qui ne leur offre que la mort. Décidément l’avenir se refuse à eux. Leurs ancêtres
n’ont-ils pas fait le même chemin ? On n’ose même pas dire que l’histoire se
répète. Restons dans les proportions raisonnables. Ah l’Atlantique !
Il est devenu tout noir à force
d’engloutir et de voir autant de noirs passer. Depuis que l’éminent Paul Gilroy
a jeté son fameux « L’Atlantique noir » sous le ciel assombri du
monde des idées, nous savons que cet espace est à la fois un cimetière et un
vaste monde de création et de recréation de l’identité noire. L’ADN historique
et génétique des visages noires les plus divers est passé par là : William
Dubois, Martin Luther King, Jimmy
Hendrix, Spike Lee….La migration qu’elle soit volontaire ou involontaire est un
phénomène complexe et contemporain qui participe de notre modernité commune.
C’est une histoire africaine mais aussi une histoire européenne. Les anciens
systèmes, mercantile ensuite capitaliste,
ont par différents moyens poussé les hommes à partir ou bien même aller chercher
des bras pour les faire travailler. Le capitalisme carnassier a aussi inventé
un imaginaire euro-centré qui a cette faculté « démoniaque » de
siphonner les consciences des autres peuples. Un système terriblement efficace
dont les vecteurs principaux sont la langue, la littérature, le cinéma et la musique. Quoi que vous fassiez, ils partiront.
Même les femmes enceintes s’en vont. Ils sont possédés par le « démon »
Europe. Ceux qui ont réussi à passer ne raconteront jamais leur mésaventure. Ils
sont partis sur les routes d’une terre africaine malmenée et outragée par une
élite qui a fini de cannibaliser les peuples et installer une prédation
économique sans précédent. Depuis le fameux rapport Berg des années 80 nous
savons que les dirigeants politiques africains n’ont même pas profité des
marges de manœuvres laissées involontairement par les féroces institutions de
Bretton Woods. Ces marges, quelque soit leur étroitesse était suffisamment
« lisses » pour laisser passer de grandes politiques de croissance.
Mais ils n’ont rien fait, occupés à suivre et caresser les anciens maîtres.
L’esclave n’aime pas son ancien maître. Seulement il croit l’aimer. A force de
brimades et de terreur, il en venu à un état d’imbécilité voisin de la démence.
Il est vrai que des cas comme celui de Jean Bedel Bokassa et bien d’autres plus
récents relèvent peut-être de la psychiatrie. Il ya des maladies mentales non
encore diagnostiquées! Qu’ont-ils fait contre les effets dévastateurs de la
sécheresse des années 70, l’exode rural, le dépeuplement des campagnes, le
déséquilibre dans les villes, l’analphabétisme, le très dangereux
analphabétisme ? Alors, les braves fils de l’Afrique se sont mis à braver
le désert. Certains se font battre et torturer dans le Sahara, d’autres se font
« enculajailler » par des maures lubriques. Ils reviennent
complètement paumés s’ils ne perdent pas la tête. Dans leur folie ils racontent
des choses terribles et vraies. Certains qui sont passés ne diront jamais
qu’ils ont été violés. Il y en a qui ne reviendront jamais. Ils sont
morts ! D’autres sont dans des caves, de grands trous creusés dans le
désert où ils subissent les pratiques barbares de l’époque des Razzias. Ils ont
le malheur d’habiter des pays où l’on hésite encore entre la liberté et la
servitude. Les hommes sont mortels, mais les civilisations se suicident !
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