« Guy » est à
coup sûr le film de performance et du jeu d’acteur de l’année 2018-2019, bien
devant « A star is born » « the assassination of Johnny
Versace » et « Bohemian Rhapsody » qui ne sont pas mal malgré l’interprétation
mitigée de Lady Gaga dans le premier
film. Nous reviendrons spécialement sur « Bohemian Rhapsody » le film
le plus agréable et le plus triste de l’année et la performance de Rami Malek.
Mais « Guy » est d’un tel paradoxe français pour ne
pas dire latin qu’il est à souligner, une fois n’est pas coutume, puisque les
films portés par les performances d’acteurs qui se transforment pour faire le
jeu du personnage, au propre comme au figuré, sont traditionnellement de
culture anglo-saxonne, et les États-Unis se
sont faits la spécialité d’offrir l’Oscar du meilleur acteur ou de la
meilleure actrice aux interprètes qui se transforment physiquement. Des
performances « hallucinantes » dit-on souvent pour choisir un
qualificatif devenu commun mais souvent vrai. Pourtant dans le passé récent des
acteurs à silhouette, chose rare, comme Gérard Depardieu et Michel Bouquet,
nous ont offert des performances absolument géniales et hallucinantes. Il
s’agit du très costumé chef-d’œuvre « Cyrano de Bergerac » et du film
millimétré de Robert Guédiguian « Le promeneur du champ de Mars ».
Mais l’expression artistique des pays latins et leurs interprètes et autres critiques
restent dirigés par la figure d’Apollon, le culte de la mesure.
Cependant chez les anglo-saxons la démesure reste l’étalon le
plus puissant de l’art. Peut-être que les influences de l’actors studio et des
théories de Constantin Stanislavski ont fabriqué la centralité du jeu d’acteur
dans le pays de Marlon Brando qui est le génial produit de cette école.
Pourtant « Guy », œuvre cinématographique d’Alex Lutz est un film juste mais surtout
vrai, une grande performance d’acteur interprétée par Alex lui-même qui tente
de retracer la vie du chanteur de variété des années 60 Guy Jamet, un film
drôle, dramatique par moments, caustique quelques fois et porté par les mots,
les propos, les textes, les chants et la manière d’être de Guy Jamet qui à
travers Alex qui a été vieilli en homme de 70 ans, est tout simplement stupéfiant de vérité et de sincérité. Un film
est bon quand il est juste et vrai,
lorsqu’il ne ment pas. Guy Jamet n’aimait pas Claude François, il avoue sa
jalousie pour Cloclo dont la voix nasillarde ne lui plaisait pas. Pourtant la
voix de Guy si l’on écoute bien, se situe entre Claude François et Michel
Sardou. Mais ce qui plait surtout dans cette performance est l’apparition d’un
personnage artistique qui aurait pu être désagréable, grincheux, cassant et
insupportable, mais Alex réussit à faire ressortir une complexité psychologique
qui nous offre finalement un personnage rebelle, indiscipliné, drôle, qui fait
sourire sans faire rire aux éclats et se moque de la vie. Les jouisseurs se
moquent de la vie ! Les colères du personnage contre la vie telle que les
bien-pensants la voient sont mémorables. En générale les meilleures colères au
cinéma sont faites de cris et souvent
appuyées par le drame de la situation. Mais la douce colère de Guy suite à la
remarque du documentariste sur son passage chez Michel Drucker est l’un des
sommets du film : « … caricature comme tu dis c’est peut-être ce que
je suis » s’adresse-t-il au jeune qui fait le film. Cette « tirade »
colérique est un violent coup de pied à la société moderne française, comme
quoi parfois il vaut mieux ne pas dire les choses, parce qu’il n’y a pas
d’espace pour cela. Drucker n’est pas « l’espace » pour ces
choses-là, les choses tranchantes et trop sérieuses seraient fausses: « Mais qu’est-ce que tu veux que je
dise chez Drucker à la fin ? Je vais faire quoi moi je vais faire voter
une loi à l’assemblée nationale chez Drucker, moi Guy Jamet, avec mes chansons
qui s’appellent tendresse, « caresse ? » ; une réplique
suffisante et intelligente aux partisans de la soi-disant « vérité partout »
sans tenir compte de la complexité. Finalement il faut savoir écouter et
laisser les principaux concernés parler.
Guy, un film politique ? Oui et non. Ce qui est sûr est
que cette colère de Guy Jamet est purement apolitique, une forme d’impuissance
politique qui pose de façon philosophique le problème de l’exposition du débat
politique et sociétal dans l’espace médiatique, c’est l’une des limites de la
modernité et de la démocratie. Guy Jamet est un anarchiste propre, en chemise
blanche, qui monte sur un cheval blanc et qui manque de se tuer après une chute
à la veille d’une tournée artistique. C’est un homme qui s’en fout !
Guy Jamet se moque de tout sans être impoli, c’est un homme extrêmement
raffiné sans être snob, sa langue qui fait traîner les mots et ses yeux souvent
torves sont au service d’une gouaille, d’un humour et d’une autodérision qui a
permis au réalisateur Alex Lux de créer une sorte de distanciation ironique
permettant de rendre digeste des propos et des situations parfois désagréables.
Alex Lutz a réussi à envelopper son film d’un léger mais large drap fait
d’humour et d’esprit. Un personnage principal, le seul d’ailleurs, qui ne se
prend pas au sérieux. Il y a des désinvoltures qui sont feintes et fausses, on
ne le sent à aucun moment dans le film. Le genre documentaire choisi par Alex
s’y prête largement. Autant de bonnes raisons d’aller regarder « Guy »
au Cinéma.
Khalifa Touré