mercredi 13 février 2019

« Guy » la performance cinématographique d’Alex Lutz







« Guy » est à coup sûr le film de performance et du jeu d’acteur de l’année 2018-2019, bien devant « A star is born »  « the assassination of Johnny Versace » et « Bohemian Rhapsody » qui ne sont pas mal malgré l’interprétation mitigée de  Lady Gaga dans le premier film. Nous reviendrons spécialement sur « Bohemian Rhapsody » le film le plus agréable et le plus triste de l’année et la performance de Rami Malek.
Mais « Guy » est d’un tel paradoxe français pour ne pas dire latin qu’il est à souligner, une fois n’est pas coutume, puisque les films portés par les performances d’acteurs qui se transforment pour faire le jeu du personnage, au propre comme au figuré, sont traditionnellement de culture anglo-saxonne, et les États-Unis se  sont faits la spécialité d’offrir l’Oscar du meilleur acteur ou de la meilleure actrice aux interprètes qui se transforment physiquement. Des performances « hallucinantes » dit-on souvent pour choisir un qualificatif devenu commun mais souvent vrai. Pourtant dans le passé récent des acteurs à silhouette, chose rare, comme Gérard Depardieu et Michel Bouquet, nous ont offert des performances absolument géniales et hallucinantes. Il s’agit du très costumé chef-d’œuvre « Cyrano de Bergerac » et du film millimétré de Robert Guédiguian « Le promeneur du champ de Mars ». Mais l’expression artistique des pays latins et leurs interprètes et autres critiques restent dirigés par la figure d’Apollon, le culte de la mesure.
Cependant chez les anglo-saxons la démesure reste l’étalon le plus puissant de l’art. Peut-être que les influences de l’actors studio et des théories de Constantin Stanislavski ont fabriqué la centralité du jeu d’acteur dans le pays de Marlon Brando qui est le génial produit de cette école.
Pourtant « Guy », œuvre cinématographique  d’Alex Lutz est un film juste mais surtout vrai, une grande performance d’acteur interprétée par Alex lui-même qui tente de retracer la vie du chanteur de variété des années 60 Guy Jamet, un film drôle, dramatique par moments, caustique quelques fois et porté par les mots, les propos, les textes, les chants et la manière d’être de Guy Jamet qui à travers Alex qui a été vieilli en homme de 70 ans, est tout simplement  stupéfiant de vérité et de sincérité. Un film est bon quand il  est juste et vrai, lorsqu’il ne ment pas. Guy Jamet n’aimait pas Claude François, il avoue sa jalousie pour Cloclo dont la voix nasillarde ne lui plaisait pas. Pourtant la voix de Guy si l’on écoute bien, se situe entre Claude François et Michel Sardou. Mais ce qui plait surtout dans cette performance est l’apparition d’un personnage artistique qui aurait pu être désagréable, grincheux, cassant et insupportable, mais Alex réussit à faire ressortir une complexité psychologique qui nous offre finalement un personnage rebelle, indiscipliné, drôle, qui fait sourire sans faire rire aux éclats et se moque de la vie. Les jouisseurs se moquent de la vie ! Les colères du personnage contre la vie telle que les bien-pensants la voient sont mémorables. En générale les meilleures colères au cinéma sont faites de cris et  souvent appuyées par le drame de la situation. Mais la douce colère de Guy suite à la remarque du documentariste sur son passage chez Michel Drucker est l’un des sommets du film : «  … caricature comme tu dis c’est peut-être ce que je suis » s’adresse-t-il au jeune qui fait le film. Cette « tirade » colérique est un violent coup de pied à la société moderne française, comme quoi parfois il vaut mieux ne pas dire les choses, parce qu’il n’y a pas d’espace pour cela. Drucker n’est pas « l’espace » pour ces choses-là, les choses tranchantes et trop sérieuses seraient fausses: « Mais qu’est-ce que tu veux que je dise chez Drucker à la fin ? Je vais faire quoi moi je vais faire voter une loi à l’assemblée nationale chez Drucker, moi Guy Jamet, avec mes chansons qui s’appellent tendresse, « caresse ? » ; une réplique suffisante et intelligente aux partisans de la soi-disant « vérité partout » sans tenir compte de la complexité. Finalement il faut savoir écouter et laisser les principaux concernés parler.
Guy, un film politique ? Oui et non. Ce qui est sûr est que cette colère de Guy Jamet est purement apolitique, une forme d’impuissance politique qui pose de façon philosophique le problème de l’exposition du débat politique et sociétal dans l’espace médiatique, c’est l’une des limites de la modernité et de la démocratie. Guy Jamet est un anarchiste propre, en chemise blanche, qui monte sur un cheval blanc et qui manque de se tuer après une chute à la veille d’une tournée artistique. C’est un homme qui s’en fout !
Guy Jamet se moque de tout sans être impoli, c’est un homme extrêmement raffiné sans être snob, sa langue qui fait traîner les mots et ses yeux souvent torves sont au service d’une gouaille, d’un humour et d’une autodérision qui a permis au réalisateur Alex Lux de créer une sorte de distanciation ironique permettant de rendre digeste des propos et des situations parfois désagréables. Alex Lutz a réussi à envelopper son film d’un léger mais large drap fait d’humour et d’esprit. Un personnage principal, le seul d’ailleurs, qui ne se prend pas au sérieux. Il y a des désinvoltures qui sont feintes et fausses, on ne le sent à aucun moment dans le film. Le genre documentaire choisi par Alex s’y prête largement. Autant de bonnes raisons d’aller regarder « Guy » au Cinéma.

Khalifa Touré