A quoi bon écrire si ce n’est pour voir l’œuvre de sa vie conspuée et
regardée avec une morgue hautaine par les bourgeois de troisième
génération ? Ils vous achètent quelques bouquins pour se faire bonne
conscience et décorer leur palais construit avec l’argent faisandé du commerce
de l’Afrique.
« L’Etat honteux » comme
disait le fou furieux poète congolais ! La Société sans vergogne, l’Elite déconfite.
Faites gaffe ! Méfiez-vous des anciens pauvres qui ne seront jamais vraiment
riches, c’est-à-dire riches de la
lassitude d’être riche, riches du bonheur d’être riche au-delà de l’argent.
C’est à croire que l’argent est sale. Mais que non ! Les alchimistes, les
vrais détenteurs du pouvoir de transformation l’ont compris au-delà de tout
fantasme autour de la pierre philosophale. Toute transformation surtout celle
du nom de Dieu est alchimique. Il faudra un jour écrire au-delà de tout loin des miasmes sordides
du pétrole brut.
Les scribes se contentent des miettes
que leur jettent ceux qui sont haut perchés et attendent de dégringoler dans un
bruit à vous crever le tympan. Nous sommes bien loin de l’Egypte antique qui ne
cesse de nous parler à travers parchemins et Papyrus décryptés jusqu’au palimpseste. Il y a tellement de scribes en ce pays, ouvriers de l’écriture
arabesque qui transcrivent à longueur d’années toutes les formules chimiques du
bonheur, des versets coraniques opérationnels, loin des préoccupations
pseudo-esthétiques des apprentis écrivains. Il y a en ce pays des scribes
professionnels qui répètent sur papier blanc avec encre noire, des millions de
caractères mystiques pour gagner quelques milliers de francs, d’autres quelques
millions, eh oui, ils sont rares. Le produit de leurs œuvres d’écriture
mystique est ingurgité par ceux-là même qui s’empresse de les traiter de
charlatan en public mais qui nuitamment vont solliciter leurs services.
L’écriture est partout !
Attention fuyez ! Ils vont tuer,
massacrer, génocider dans leur grande chute mortelle, ces pouffiasses. Ah ! que ça fait du bien lorsqu’un
criminel choit. Un peu de cynisme ça ne fait pas trop mal tout de même. Ce doit quand même faire drôlement mal la
chute éléphantesque de ces animaux sauvages qui dirigent le monde. Il n’ya
guère, leurs rires narquois et leurs œillades sataniques se gavaient de la misère noire de l’écrivain,
noire comme le pain noir de la sombre misère. « Du pain, du pain, du
pain » est le cri sourd et pudique des misérables dans leur évolution
germinale. Ah la classe moyenne supérieure, quand tu nous tiens ! Les
anciens pauvres empêchent la révolution.
La classe moyenne supérieure est la muraille de Chine, pardon (sacrilège!),
la muraille de la honte qui a oublié les mâcons du cœur. Une position de classe
précaire, sans conscience politique de classe. Pour elle, l’essentiel est
d’être là-dedans. Regardez-les jubiler, se pourlécher les babines en un geste
lubrique ! Ils ne savent pas que le mirliton chante mieux que le bâton de
Maréchal. D’ailleurs le bâton ne chante pas. Sinon il chante faux. Le chant rocailleux,
caverneux, effrayant et braillard des intellectuels qui n’ont même pas l’excuse
d’être organique. Les invertébrés ont quand même un organe. Ils sont au-dessus
de la terre. Ils rampent au moins vers quelque chose.
Les intellectuels c’est comme les femmes, ils
sont fascinés par le pouvoir. Trop fascinés, presque tétanisés parce que regardant fixement et pendant des siècles le
pouvoir politique aux mains de psychopathes en costard. Les politiciens leur en
ont fait baver. Mais je préfère les femmes,
elles valent mieux que les intellectuels. Elles sont belles, mais pas toujours.
Elles sont la sève nourricière. Permettez cette psychanalyse de cuisine. Elle vaut
ce qu’elle vaut puisque nos mères, nos épouses ne cessent de cuisiner pour
nous. La cuisine, le laboratoire le plus
intelligent.
Il n’y a pas plus moche qu’un
intellectuel dans la cour du roi. Sur cette terre foulée et pourrie par des
millions de pieds assassins, il n’ya que la beauté qui compte.
Va-t-en ! naguère grand prix du
chef de l’Etat pour des lettres illisibles jusques aux palimpsestes. Reste dans
ton Nord de misère hautaine jadis Saint-Louis du Sénégal. Les pauvres ! Ils
ne savent pas que le Nord, comme l’Orient musulman, est la boussole. A quoi
sert de savoir où se trouve le Nord si les entrepreneurs politiques ont
périclité ? Mon cher conteur-Ifé, tu vas dormir dans la rue. Ça leur est
égal ! Parmi tes semblables, diront-ils. La rue n’est elle pas le gîte naturel
du poète ? Commentent les experts en histoire littéraire préfabriquée. Ils
vous réciteront des « Charles Baudelaire était pauvre comme Job. Il allait
chercher des catins jusqu’en Europe du Nord. George Orwell, le dernier prophète
de la littérature, est mort clochard. Céline le gueux, l’un des deux seuls
maîtres de la parole française (avec Aimé Césaire) a quand même terminé un
bouquin quelques heures avant la mort !»… Et patati et patata ! Tous
victimes de la division internationale du travail, ces forgerons de l’imaginaire.
Le chien aboie la caravane s’arrête au dessus des dunes. Chien philosophe
parle-nous ! Au secours le règne animal veille sur nos consciences
corrompues par l’argent blanc mal blanchi. Le chien de l’écrivain est tendu de façon
priapique comme le chien du fusil. Bang ! Coup de feu, coup de sang dans
les veines révolutionnaires du poète national Ibrahima Sall. Alors la race des
profiteurs aux abois tombe et se remet debout.
Les voleurs ont la peau dure.
Livrons-les tous au guérillero de la
banlieue ! Il va tous les passer à la Kalachnikov des langues africaines,
avant que la société indiscrète des écrivains francophiles le mette au ban.
Mais l’ombre du pharaon Anta Diop lui
viendra au secours. La doublure mystique de Bandiagara viendra guider la
fabrication du Grand Livre, le livre ultime que l’argent ne pourra acheter. Il
sera idéalement exposé, Le Livre, et le peuple viendra s’agenouiller, se
recueillir en une prière salvatrice devant les mots balsamiques du poète de la
Nation qui nous viendra des limbes de la vérité. A quoi bon écrire ?
Khalifa Touré