Kawabata possède un style étrange. Dans un recueil de deux
nouvelles inédites le tout premier prix
Nobel de littérature(1968) pour le Japon s’incruste parmi les
écrivains majeurs de la littérature mondiale du 20ème siècle.
Vénéré au Japon et en occident, il est né à
Osaka le 14 Juin 1889 et mort en 1972. Né prématuré à sept mois et maladif durant toute sa vie, il sera
marqué par la solitude, la beauté et la mort. Une
thématique qui traverse son importante œuvre faite de courts récits et de
romans écrits sans aspérités et fioritures. Il a écrit « Les belles endormies » qui a
influencé Gabriel Garcia Marquez, et « Pays de Neige », « Le
grondement de la montagne ». Son écriture et même son physique particulier
sont l’objet d’un culte dans les milieux savants au Japon. On a même écrit sur
ses cheveux, hirsutes et saillants. L’existence depuis 1970 d’une société
académique spécialisée dans les études sur Kawabata au japon montre à quel
point cet homme est important. On peut même dire qu’il a produit un autre grand
maitre de l’écriture, il s’agit de l’immense Yukio Mishima. Un
dépouillement stylistique différent de ceux que l’on retrouve chez d’autres
grands écrivains caractérise son œuvre importante. Chez Kawabata, le
dépouillement est visuel, contemplatif et pas toujours elliptique. Il va à
l’essence des choses. Ses textes sont étranges comme s’ils nous révélaient
quelque chose qui vient de l’au-delà. Lisez : « L’odeur ? La mienne, sans doute. Ma
grande silhouette n’apparait-elle pas dans la pénombre ? Regarde bien. Il
se peut que mon ombre ait attendu mon retour.
La pemiere Nouvelle
intitulée (LE BRAS) est une belle métaphore de la solitude de
l’écrivain. « Un texte hallucinant
de beauté !», je me demande pourquoi les japonais écrivent si parfaitement
bien. C’est le pays de la contemplation et de l’écriture. Peut-être
parce que le Japon est le pays du signe et de l’écriture. Rolland Barthes n’a
certainement pas tort d’avoir consacré au Japon son chef d’œuvre intitulé
« L’empire des signes ».
Ils ont certainement été pendant des
millénaires exposés à la contemplation « des joies du pays pur »
qu’ils sont facilement enclin au zen, au
satori, cette illumination propre à la mystique
de toutes les religions. La lecture de ce texte d’une beauté indicible peut
emmener le lecteur vers un état voisin de celui de l’auteur : la transe. Depuis que Franz Kafka a renouvelé la littérature en nous
racontons l’histoire d’un homme qui se réveille brusquement et se rend compte
qu’il s’est transformé en insecte, des récits comme « Le Bras » ont
trouvé sens sous le plume de grands écrivains comme Kawabata. Récit
Kafkaïen et première nouvelle de ce livre, ce texte fantastique nous raconte une histoire étrange. Par une
soirée brumeuse dans une ville où il se passe des choses étranges, les horloges
se détraquent, la radio annonce que les
femmes enceintes ne doivent pas sortir
et les hommes dépressifs devraient rester chez eux, un homme étrange assis à la
table d’un bar-restaurant reçoit une demande des plus étranges venant d’une
femme assise devant lui : « Je
peux te prêter mon bras pour un soir.» L’homme ayant accepté, la femme
détache son bras et le dépose sur les genoux de l’étrange inconnu. C’est le
début d’une folle soirée qui se déroule entre le restaurant, la rue où des
véhicules étranges passent avec des femmes aux couleurs violettes et la chambre
de l’inconnu qui en réalité est un écrivain qui vit dans la solitude de
l’écriture :
« La solitude n’est-elle pas la présence de quelque chose ? »
dit le narrateur. C’est l’occasion pour Kawabata d’entrer dans un développement
esthétique sur la beauté du corps, la solitude et le désir de converser qui ronge l’écrivain au point de se contenter d’un bras. Apparemment pour Kawabata la beauté
est dans les formes courbes. Un
attachement presque fétichiste qui le pousse à détacher son propre bras pour y
greffer celui de la femme. C’est alors qu’il tombe dans une torpeur étrange. Il
finira par arracher le bras de la femme. Le travail de l’écrivain,
la solitude et l’incubation littéraire loin des salons peut mener donc à des
découvertes et des expériences inouïes comme celle de cet auteur.
Quant à la deuxième
nouvelle, « La beauté tôt vouée à
se défaire » c’est l’une des œuvres les plus étranges de la
littérature moderne. C’est un regret, sentiment fort puissant de la disparition
de deux jeunes filles assassinées par un homme du nom de Saburo Yamabe. La perte est certes un sentiment romantique
mais il ya rien de lyrique dans ce texte : Kawabata ne chante pas, il
célèbre la beauté dans la mort. Comment des êtres partis révèlent-ils une
étrange beauté qui saisit jusqu’à l’âme de ceux qui sont restés ! « La beauté tôt vouée à se défaire est une autopsie
littéraire de deux meurtres. » Comment le matériau
littéraire tente d’aller au-delà de l’incompréhension publique, des aveux du
coupable, de la chronique judiciaire du journaliste et du verdict des juges. LA LITTERATURE EST AU DELA DE TOUT
CELA ! Takiko
et Tsutako sont deux jeunes filles sans histoire assassinées dans leur sommeil
par un homme, Saburo, qui reconnait mais ne comprend pas son geste. Il accepte
la sentence et finit par se donner la mort. Il est finalement « impossible de dire s'il agissait tombé
sous le coup de la folie ou pris d'un ultime sentiment de vie, qui aurait
trouvé son expiation à travers le meurtre de deux colombes en plein envol.
« Entre l'absurde, la solitude et
les impressions innommables: la Beauté [est toujours] tôt vouée à se
défaire. »
La vérité judiciaire symbolisée par une sentence prononcée
par un tribunal suffit-elle pour comprendre un geste criminel ? L’écrivain-psychologue
tente d’aller au-delà de cette vérité judiciaire pour nous offrir une
esthétique de la mort et du geste criminel. Jusque dans la mort les deux jeunes
filles restent figées dans la beauté. « J’ai écrit ces
lignes avec le mince espoir de célébrer l’esprit de ces trois personnes dont la
beauté, malgré son éclat, est tôt vouée à se défaire ».
Khalifa Touré