La vieillesse, ce n’est
pas forcément l’âge de la sagesse ou une bibliothèque sur le point de brûler,
c’est l’heure du décompte des erreurs et des imperfections. C’est le moment de
se taire à jamais sur nos faiblesses et bassesses, nos multiples crimes non
avouables puisque nous avons traversé « le fleuve-oubli ». C’est la
période où l’on jette un regard lucide sur nos vains succès, nos réalisations
utiles qui ne font que nous rapprocher d’un pas, un pas seulement vers la
perfection, le chemin est long pour tous.
Les vieilles personnes
ne sont pas forcément heureuses en
ces temps de gérontophobie, et d’irrespect
inqualifiable envers les aînés. Elles traînent quelque chose de lourd, le poids
des âges, tous passés à agir, à penser, à dire et à faire. En l’occurrence une
grande lourdeur pèse sur leurs épaules, la vérité est que rien ne se perd, tout
est là gardé quelque part inscrit dans le grand parchemin de la vie éternelle .
Nous sommes immortels, impérissables, voilà le problème, il n’y a de sagesse et
de sainteté que l’expérience intérieure et spirituelle des grandes terreurs du
passé de l’humanité, des terribles purifications « naturelles » mais
aussi des grandes époques d’illumination qui aident l’âme humaine au discernement,
à la lucidité, à la grande compréhension de ce qu’elle est véritablement. Les jeunes
africains s’entrainent maladroitement à jeter les vieux à la poubelle en
faisant des choses qu’ils ne comprennent pas. Parfois les vieux choisissent de
mourir collectivement. C’est comme s’ils se donnaient le mot « Allons-y
ensemble ! ». Et tout un quartier
est dégarni en une année. Il n’est plus rare de remarquer que les vieux partent
dans la même période. Une manière d’accélérer le renouvellement, personne ne
veut rester seul ici, dans la solitude totale, désarmé devant une jeunesse au
langage corporel difficile à déchiffrer. Le moyen âge est là, classe moyenne
prolétarisée et pseudo bourgeoise parfois, qui est occupée à aller et venir prétendant
développer le pays. Quel pays ? Le pays n’existe pas ! Un pays sans
les vieilles personnes !
C’est cela l’avantage de la dernière vieillesse, alors
commence la marche vers la perfection. Il faut du temps, beaucoup de temps à l’âme
pour « savoir », atteindre la sagesse pour certains, l’illumination
pour d’autres ou encore le paradis. Mais il existe des formules pour raccourcir la
marche de l’âme. La vieillesse est nécessaire mais elle n’est pas suffisante.
Il n’y a pas plus malheureux qu’un mort-né. Seuls les initiés entendent leur
cri strident. « J’aurai du rester ! », mais d’autres choisissent
de vite repartir face à la dette, à l’illettrisme, au scepticisme, à la pollution
atmosphérique, à la politique contemporaine, aux injures … L’actualité du monde
agit sur les âmes.
Les vieux d'aujourd’hui sont plus inquiets que les vieilles
femmes qui ont plus de finesse, elles savent négocier et même se rendre
complices s’il le faut, de la dictature puérile des jeunes. Que faire ? Tous les moyens sont bons
pour survivre en ces temps apocalyptiques. Lorsqu’on atteint l’âge de la
vieillesse on est confronté au mur du
silence ; les « gens » font semblant de vous écouter. Il y a
quelque chose de tragique dans la vieillesse de « la fin des temps »,
aucune civilisation n’y échappe, cette tragédie est dans le regard impuissant et
amoureux que les vieux jettent sur une jeunesse qui commet les mêmes erreurs. Mais
l’histoire ne se répète jamais. Les grandes périodes sont plusieurs fois
millénaires. Tous les cent mille ans il y a une Révolution cosmique, la vraie,
la seule.
Un vieil écrivain, dernier empereur gallo-romain, qui a
dirigé un vieux pays à la forme hexagonale pensait que « la vieillesse
est un naufrage » : autoflagellation, autodérision ou lucidité d’un
rhéteur avide de formules ? Mais il faut convoquer la litote pour
comprendre ce vieux gaulois. En Afrique, au Sénégal, une vieille chanteuse au
teint très noir(les femmes noires ne sont plus tout à fait noires), une
cantatrice à la voix presque masculine dira la formule finale adressée à la
jeunesse : « Ils
auraient eu pitié de vous s’ils étaient vos géniteurs » formule mal
traduite, mais le sujet de la vieillesse en vaut la chandelle. A l’époque ceux
qui trépignaient au son de cette musique entrainante ne comprenaient pas le
message, elle annonçait la période du suicide collectif dans l’Atlantique pour
fuir la misère, la vraie misère et la misère imaginée, toutes les deux provoquées
par l’échec des élites.
La vieillesse est un sacerdoce, un grand service rendu, ne
serait-ce que d’avoir été là, d’avoir fait son chemin. Poursuivre son destin
jusqu’au bout c’est le but de la vieillesse.
Khalifa Touré