« Les hommes sont
si nécessairement fous que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de
n’être pas fou » Blaise Pascal
Contrairement à l’idée commune et partout répandue, ils ne
sont pas nombreux ces grands esprits qui sont allés au-delà de la raison. Ils
ont tous arpenté le « Jardin aux sentiers qui bifurquent », non pas à
l’aveuglette comme le très lucide Jorge Luis Borges, mais par des chemins
différents, les uns par la corruption du
corps physique la syphillis montant à la tête, les autres par la fêlure devenue
une grande faille à l’âme , cette maladie des grands anxieux parmi les grands
hommes. « Moi mon âme est fêlée » disait Charles Baudelaire, un autre « fou » par une autre tour
de folie. Un mystère que la folie, comme
la mort, deux états de transformation
liés par l’inanité de l’homme que Frederich Nietzshe a « combattu »
par un nihilisme actif aujourd’hui dévoyé. Fort comme la folie devrait-on dire
comme l’affirmait un autre autre « fou », Maupassant parmi les
grands écrivains: « Fort comme la mort » un livre à lire
absolument ! Il est clair que la folie tient de la mort.
La folie nietzschéenne est l’une des plus mystérieuses parce
qu’elle est à la fois circonstancielle, livresque et mystique . Que de mots ,
de gloses et de controverses sur la décomposition mentale du poète le plus
dyonisiaque jamais créé. « Le 3 janvier 1889, alors qu’il erre
dans les rues de Turin, Nietzsche se précipite sur un cheval sévèrement battu
par son cocher et l’embrasse. Le philosophe utilise son corps comme un bouclier
face au fouet du bourreau. Il enlace le museau de la bête, sent le souffle
haletant sur son visage et s’effondre en larmes. C’est le dernier sursaut
nietzschéen avant le crépuscule » a écrit Mathieu Giroux. Tous ceux
qui ont lu Dostoievski auront rapidement fait le lien. J’aurai parié que le philosophe russe aurait pu avoir raison d’un esprit aussi rugueux et impénétrable
que celui de Frederich Nietzche. Tous ceux qui ont lu le grand « romancier »
russe feront le lien avec cette fameuse scène onirique, ce rêve de Raskolnikov
dans « Crime et Chatiment ». Frederich Nietzsch a dit sans ambages « Dostoieveski est le seul qui m’ait
appris quelque chose en psychologie ». Ces différentes scènes ont
définivement installé Dostoiveski comme le plus grand « philosophe »
russe et le maître de la dramaturgie onirique. Quelles scènes, quelles
pages ! Qui eût cru que le rêve de Raskolnikov ressemblerait à s’y
méprendre à la « fin tragique » du lecteur le plus illustre ? Le
philosophe Prussien a lu ce rêve maudit de Raskolnikov, le cheval, cette
malheureuse haridelle éflanquée à l’impossible, horriblement torturée, battue par
toute une foule en furie et en état d’ébriété.
Est-ce l’enfant-Nietzsche
qui s’est jetté au cou du cheval cette
après-midi de Turin ? Que se sont-ils dit dans cette étreinte, cette
triste ambrassade qui renvoie aux origines communes ? Qu’a dit le cheval
pour rendre fou le « surhomme » de ce siècle finissant ? Que
savons nous des bêtes ? Autant de questions dont les réponses sont à
chercher dans les métaphysiques anciennes, ces croyances ignorées et chahutées.
Dans le rêve Dosteievskien il est clair que cette jument n’est pas un cheval,
c’est un symbole qui se situe au dela de la métaphore , c’est la figure tropologique
qui représente une entité méconnue, indiscible
parce que c’est un jeune enfant qui tente de sauver l’animal . Cette après-midi
le philosophe de l’éternel retour a cessé de douter, il a eu une révélation par
la « voix » de ce chaval torturé qui le fait bondir et pleurer avant
de se transformer dans « la folie ». Lui est apparue une certitude
qui rend fou . Auparavant à l’automne
1888 il a écrit dans Ecce Homo, un livre autobiographique, poétique et chaotique : « Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude »
Non loin en France ce
fut le cas de Guy de Maupassant, le plus grand écrivain-nouvelliste-conteur
francais, le génie du fantastique à la forme pelliculaire, le chroniqueur
torrentiel, l’homme aux six grands romans et aux centaines de nouvelles, le maître
de l’écriture, obsédé par la mauvais temps, la paternité incertaine et le
féminin… L’homme qui s’est jetté à raison perdue dans la littérature et dans
les femmes : « J'ai la
vérole ! enfin la vraie, pas la misérable chaude-pisse, pas
l'ecclésiastique christalline, pas les bourgeoises crêtes de coq, les
légumineux choux-fleurs, non, non, la grande vérole, celle dont est mort
François Ier. Et j'en suis fier, malheur, et je méprise par-dessus tout les
bourgeois. Alléluia, j'ai la vérole, par conséquent, je n'ai plus peur de
l'attraper ! ... » écrit-il dans un style pamphlétaire et
auto-suicidaire. L’auto-dérision et la démence ont tué Maupassant. Le
pessimisme maupassantien transparait dans son désespoir et sa haine de
l’hypocrisie et la cruauté des hommes surtout dans « Boule de Suif »
et « Une vie ». Mais c’est dans « Le Horla » que la folie
des hommes et la déraison de l’écrivain apparait. il meurt en 1893 peu avant
ses quarante-trois ans. (A suivre)
Khalifa Touré