« Chez moi ne
subsiste plus que le rejet empirique d’une société en pleine putréfaction. Je
n’aime pas l’asphyxie qui ne tue pas » Ibrahima Sall, Les routiers de
chimères.
Il n’est pas
toujours mauvais de rappeler que le mot « Maslaa » est un dérivé
lointain du concept de « Maslakha » propre à la Shari’a, au droit
musulman. Au-delà des cinq finalités de la Shari’a que sont la préservation de
la foi, de la vie, de la raison, des
biens et de la filiation il est communément admis de façon consensuelle(Ijma)
que la Maslakha est le moyen adéquat pour atteindre les objectifs de la
loi c’est à dire la recherche du bien
commun, de l’intérêt général. Tout ce qui est inutile, nocif, nuisible et n’entre pas dans l’intérêt
du bien commun n’est pas maslakha, quelque soit la beauté et la logique de formulation de la loi. La Maslakha est tout procédé juridique qui rend possible la protection
des finalités de la loi. C’est cela la définition juridique. C’est à la
fois un but et un procédé. Toutes les grandes écoles juridiques, les plus
connus, celles qui n’ont pas complètement disparues et même celles dont les
avis juridiques survivent toujours ont admis cette conception. Elle a guidé tous
les avis juridiques connus depuis les premiers, ceux des seuls huit compagnons
qui étaient compétents pour légiférer, je vous renvoie aux « fondements du
Hadith » de Mahmoud T’ahane. Qu’il soit d’extraction Hanafite, Awzaahite,
Jaririte, Sawrite, Malikite, Laythite, Chafi’ite, Hanbalite et Zâhirite, toutes les lois
islamiques passent par la Maslakha. Même
le très littéraliste et redoutable juriste espagnol Ibn Hazm Al Andalousie a
admis la pré-éminence objective de la Maslakha en droit musulman. Les grands spécialistes
de USUL Al FIQ (la science des fondements et des principes du Droit) qui sont
nombreux parmi les Chafi’ite comme l’incontournable Ash’atibi, et l’universel
Imam Ghazali, l’Imam Harameyn Al Djouweyni
auteur du fameux « Kitab Al Waraqat » partout récité qui est l’abécédaire
de ‘Ousoul dans nos pays malikites, le fameux juriste Hanbalite Abdel Qadr
Djeylani qui n’est connu sous nos cieux que dans sa dimension soufie et Ibn Qudama
Al Maqdissi l’ont admis. De même que les malikites espagnols Qourtoubi et Ibn
Rouchd (Averroès).
Mais par quelle extraordinaire, par quelle opération, par
quelle « diablerie » la notion de maslakha s’est muée en maslaa terme
ouolofisé. Elle signifie aujourd’hui « une diplomatie sociale
corrompue ». Au-delà de la simple évolution sémantique qui n’est pas difficile à expliquer, le mot a été passé à la
moulinette du modèle islamo-ouolof propre au Sénégalais. Elle est devenue un
vocable, une « philosophie », un mode de vie, une boutade, un sujet
de plaisanterie loin et encore loin du concept juridique décrit tantôt. Elle est
même aujourd’hui décriée par les sénégalais eux-mêmes qui la considèrent comme
une variante sociale de l’hypocrisie. La crise du modèle islamo-ouolof aidant,
ce goût immodéré de la métaphore impertinente, des mots dérivés dans notre
parler, cette peur de dire les choses comme elles sont, cette folie langagière
qui est devenue de façon illusoire un cocon de sécurité, nous en sommes venus à
nous éloigner du Bien, de la Vérité, du bien dire, du dire les choses vraiment.
Et la Maslakha est devenue Maslaa au nez et à la barbe des religieux. Le
Sénégal une société complexe mais insuffisamment analysée !
Seyd El Hadji Malick Sy l’un des preux réformateurs de la
société sénégalaise est l’auteur d’un étrange aphorisme figuratif que son petit
fils Cheikh Tidiane Sy répète en toutes circonstances : « Au Sénégal,
la Sounna ne vaincra jamais les coutumes ! » Il est difficile de
trouver une « formule sociologique » plus juste pour qualifier
l’ambivalence dans les croyances religieuses au Sénégal. Au Sénégal,
le religieux est très prégnant. Mais attention ! L’omniprésence du religieux ne
signifie toujours pas que la Religion en tant que telle, joue son rôle
transcendant. Malgré ce brouillamini
religieux, les Sénégalais
éprouvent des difficultés à convoquer la religion dans sa dimension spirituelle
et morale. Ils entretiennent un rapport étrange avec la religion, un
rapport qui peut être qualifié d’attraction-répulsion. Tout ceci concourt à
expliquer la propension des Sénégalais à afficher de façon ostensible leur
appartenance religieuse et dans le même temps, leur amour presque
« culturel » du mondain, de la
Teranga.
Mais c’est aussi et surtout la débrouillardise qui travaille au corps
notre religiosité. Les sénégalais sont bricoleurs jusqu’en matière religieuse.
Les confréries en souffrent beaucoup. Ils sont dans le constructivisme à
l’accès, les sénégalais. Brutalement
nous nous rendons compte que nous
sénégalais sommes très complexes, sophistiqués et bariolés de couleurs
multiples. Nos alliances sont multiples, nous croyons en une chose et son
opposé, nous sommes ceci et cela à la fois, ces conflits de légitimé produisent
le chaos social tant décrié, cette incurie, cette indiscipline et cette peur
provisoire de la mort, cette
« asphyxie qui ne tue pas ». (A suivre)
Khalifa Touré
Salam à chaque fois qu'on vous lise, je consulte le dictionnaire, tellement vous nous enseignez. chaque jour. Merci.
RépondreSupprimerSalam à chaque fois qu'on vous lise, je consulte le dictionnaire, tellement vous nous enseignez. chaque jour. Merci.
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