vendredi 15 mars 2019

Oraison funèbre à Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Maktoum





Ô grand esprit magnifique ! Es-tu celui qui était là lorsque rien n’était… Sauf la face Sublime de l’Etre Suprême.
Ton odyssée à travers les corps, les âges, les époques, les climats et les saisons nous reste inconnue aujourd’hui tombée dans les abysses de l’insondable Mystère. L’Homme cet inconnu ! Tu es encore parti pour toujours noyé dans la totalité de l’humanité ultime. Comme le général à la crosse d’ivoire Patton  le preux chevalier tombé après la guerre, l’âme ne soutenant plus la vie monotone de cette paix factice :
A travers l’enfantement des siècles
Au milieu des pompes
Et des vicissitudes de la guerre
Je me suis battu
J’ai lutté désespérément
Et mon sang a coulé des milliers de fois sous les étoiles
Comme tout au long d’une route éternelle
De voir cette lutte immémoriale.
J’ai combattu sous bien des noms
Sous bien des costumes.
Mais c’était toujours moi. »

Enfin pour toi mais hélas pour nous ! Reviendras-tu imparfait, insatiable et soucieux, sous d’autres formes ? A l’orée du Sahel, dans cette ambiance crépusculaire, l’esprit fatigué par les allées et retours incessants s’est enfin libéré des velléités de la corporéité. Libre enfin de toute attraction, dansant allégrement, trépignant vigoureusement, gambadant à souhait, bondissant à jamais et chantant gaiement le Nom Inconnu. Cent vingt neuf mots (129) de l’Attribut de la Subtilité ( Ya Latif) pour dire notre tétanisation devant l’événement comme Mansour Halladj l’incompris devant la Kaaba, pendant longtemps. A l’image de Samy Davis Junior le génial nègre danseur que tu as chanté en l’un de tes poèmes mystiques lui intimant l’ordre de claquer les talons en l’honneur des houris femmes du Paradis.

Qui se souvient de  cet inconnu, Apôtre magnifique de Jésus fils de Marie ? Disparu pour de bon, ô esprit divin tu as tenu l’outre pleine d’eau auprès de l’homme qui a marché sur l’eau par la volonté du Nom Suprême. Tu étais là bien avant les siècles derniers  comme Souheyl Abdoulahi Toustéri qui dit se souvenir de Yawma Alastou le grand jour où toutes les âmes ont acquiescé. Ta fascination pour Issa Ibn Mariam, le Souffle de Dieu, a valu à Aldo Moro prince-martyr d’Italie le secours possible du prophète Muhammad Le Paraclet, Paix Bénédiction et Salut à son âme pure.

Ô grand esprit ! Pourquoi tant de tourbillon de la pensée ? La déroute des faibles d’esprit t’a valu bien des reproches. Le coq à l’âne des sottes gens parmi les hommes est une symétrie du langage mystique dans ton vocabulaire qui défie la pesanteur pour entrer dans l’abstraction. Tu as défié l’intelligibilité de façade par la Mahrifa, la métaphysique et la cinquième dimension. Sorti de l’ombre de la retraite et de l’incubation mystique tu nous libéré du Nassoute entrainé, exercé, accoutumé au Lahout, au Djabarout, au Malakout et même au Haahout. Ceux qui doutent de la science de Barhama, Abdessalam Yassine, Djeylani et Tidiany seront privés de Mahrouf Keurhi l’ancien.  Par toi nous sommes habitués à l’au-delà, le côté caché des choses,  l’esprit universel mais surtout le ZIKR cette voix de l’univers.  Quelle est cette voix inaudible qui susurre à notre oreille la gravité des choses  et des êtres ?  Quelle est cette voix qui nous dit qu’elle est la voix d’une autre voie plus haute que la voix d’Oumm Kalthoum ? C’est le ZiKR. Il ya autant de voies que de pèlerins.

Ô grand esprit tu as parlé à travers Siisa le fils d’Adam, Idriss Enoch Eukhnoukh Kheunoukh le céleste homme aux noms multiples, Ouzeyr le sauveur de la Thora, Socrate le monothéiste, Bouddha le Sage, Platon le détenteur du Nom Caché, Galileo Galilei le vertigineux, Hegel le phénomène de l’Esprit, Nietzche le parfait inconnu qui cherchait, Ibn Arabi le réceptacle des mystères , Jalal Ad Din Rumi le mystique atomiste, Léonard Da Vinci le rêveur du grand œuvre, Saint-Augustin la voix du ciel, Fiodor Dostoïevski le mystique en transe , Victor Hugo le fantastique sondeur de l’âme, Shakespeare la parole mise en scène et… Al Maktoum le Cacheté.

La politique t’a valu cette étrange après-midi ô toi esprit policé dès l’origine que nul polissage profane ne peut atteindre. A l’heure des oraisons mystiques, ta poignée de sable aux grains à la puissance de l’atome voulut exploser sur les ennemis de la Solidarité Sénégalaise envoyés par un poète désemparé qui hante un palais improbable. C’est connu ! le secret de la fission de l’atome est révélé dans le laboratoire des mystères depuis Rumi au 13eme siècle. Alhamdou lillAh Dieu Soit loué, finalement la volonté n’a pas voulu.  Ah ! la volonté, ce feux étrange qui consume jusqu’à l’extinction entre les mains du père Aboul Hassan Shazaly le Maitre du maitre de Boussayri le chantre de Muhammad qui ta valu Fa ileyka Yaabna Mouhammadine Naadaanii.

Tu as parlé, parlé, parlé jusqu’à l’extinction de la voix dans la parole elle-même. C’est alors que la parole s’est faite homme, assise sur le promontoire de la vie, jetant un regard crépusculaire vers l’horizon infini, le bras levé comme un orant nous désignant le monde  des formes éternelles. Dans notre illumination nous n’avons vu que le doigt au lieu de la lune de la Vérité. Habitués aux noms, aux déterminants et aux qualificatifs nous avons oublié que le soufisme est une essence sans nom. Ne sont grands parmi les poètes que les esprits qui possèdent une parole haute qui se moque du firmament bravant les lignes de la vie.  Qui l’eut cru Serigne Cheikh Tidiane Sy ambassadeur présentant lettres de créances un lionceau en laisse ? Jamais homme n’a vu une métaphore aussi rugissante sur les bords fertiles du Nil, un lion tenant un lion devant le lion de la Nation arabe. L’esprit omniprésent était là surveillant la mise en scène qui échappa alors au monde profane par une opération du Saint esprit. Il  parti se loger dans les mystères véridiques anciens à l’ombre des corps  momifiés de Narmer, Touthmôsis et Toutankhamon.  Ô ! grand esprit tu nous as appris l’étonnement de l’âme devant ce corps qui refuse de pourrir dans la décomposition  refusant la poussière. C’est alors que le corps de l’homme éternua dans le tombeau recevant le ZiKR, le rappel du néant originel, brusquement il se décomposa provoquant la tranquillité, un ouf de soulagement dans l’âme. Ce fut ta manière terrifiante de parler de la mort.

 Pendant 13 longues années de retraite que de fantasmes développés à ton sujet démentis par une sortie souventes fois annoncée par de courtes missives à la tonalité nietzschéenne : « Un homme d’honneur doit toujours refuser d’être réveillé par un clairon ».  Finalement le souverain longiligne et haineux toute jalousie bue, recula après la terreur socialiste.  Ah ! le conflit, l’effroyable confrontation ! Révélée à nous par l’oniromancie de Joseph Fils de Jacob il s’en est fallu de peu que le PARC A MAZOUT devienne le 16 Février lorsqu’un « quidam » appela à la marche selon la version d’un futur souverain au crâne tondu.  Puis ce fut la salle de l’Unité Africaine où l’Unicité de Dieu se déploya  jusqu’au Pont Faidherbe entre les eaux salées et l’eau douce de Saint-Louis le pieux souverain. Le fils de Shamharouss était là salué par ta générosité.  Alors ce fut à Tivaouane d’accueillir l’esprit héliporté provoquant des scènes regrettables pour toi le disciple de l’inconnu Maodo ton seul Maitre que le grand Babacar Sy t’a offert.  

 Et puis ensuite vinrent les cinq années de retraite califale. Serigne Cheikh ou le califat mode d’emploi. Mode de vie, le vicariat fut toujours là présent depuis Adam, depuis David depuis Abou Bakr le véridique compagnon: Inni Djahiloune Fil ardi Khalifa. La mort, l’au-delà du bas monde, la métaphysique, les seuls thèmes depuis que l’esprit est sorti. Personne n’y a prêté attention ! Ton évocation de la Sierra-Léone, de Mobutu Sese Seko kuku Ngbendu Waza Banga  et sa probable mosquée et les « Afaarid » qui sont les Djinns les plus maléfiques, ont maintenu dans l’effroi plus d’un initié. Mais certains parmi eux connaissent les liens avec le Sénégal de Bour Sine Koumba Ndoffene. Ils vivent longtemps dans le mal, migrant de lieux en lieux, de souverains en souverains, d’époques en époques ces créatures immondes. L’esprit nous a averti ! Jusque dans la mort il n’a cessé de nous étonner. Il a choisi de reposer en ce lieu jadis stigmatisé par les croyances ancestrales du Cayor. Stupéfait par l’événement aucun Tivaouanois n’y a prêté oreille. La leçon est dite, le Maitre a parlé !

 Trois cent cinquante mille ans auront suffit à l’homme-esprit de s’éteindre définitivement  dans l’être ultime. Reposes en Paix Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Maktoum! Que ton âme vogue gaiement dans l’immensité profonde en compagnie des prophètes, des saints, des véridiques et des martyrs !

Khalifa Touré/Critique littéraire

mercredi 6 mars 2019

« Les marrons du feu » de Samba N’diaye le Saint-louisien



Tirer les marrons du feu, il n’y a certainement pas geste plus généreux que  braver Vulcain pour offrir au monde des mots incandescents, des jeux de mots, des images fugaces mais surtout de puissants sentiments exprimés par un poète de la langue et du mot juste sans être précieux. 

Samba Ndiaye est délicieux, agréable et  malicieux par moments, d’où « Les marrons glacés » publiés en 2013  à l’Harmattan Sénégal qui ont connus un franc succès critique dans les milieux littéraires au Sénégal et font  découvrir un poète inspiré par la spiritualité.  Avec « Les marrons du feu » Samba Ndiaye se révèle comme un poète du paradoxe en nous offrant une poésie gustative avec des évocations délicieuses de la gastronomie. C’est comme s’il nous faisait voir que l’on ne peut cuisiner sans risques. Le processus créatif est certainement un mouvement de l’âme mais aussi et surtout une œuvre parsemée de maints écueils et de dangers multiples. Nous sommes dès l’entame léchés et parfois fouettés par les flammes secrètes de la création : «  le feu qui flingue épingle au poteau, le feu qui lèche blesse la forêt, le feu qui gifle siffle au chalumeau… » chante le poète dans « Feu Satan », qui est l’envers du décor, le pendant négatif du poème précédent « Feu Saint »  c’est le lieu où  la spiritualité pour ne pas dire la divinité de l’œuvre créatrice s’exprime dans toute sa chaleur.
Samba Ndiaye est donc le poète du contraste qui s’exprime d’abord par l’antériorité des « Marrons glacés » avant « Les marrons du feu » mais il cherche la totalité et la perfection en présentant le monde à l’endroit et à l’envers sans aucune forme de retenue. Le poète saint-louisien ne fait pas les choses à moitié, il veut tout donner, tout montrer dans un accès de générosité qui offre une esthétique particulière où il tente vainement te tenir les brides de la création poétique.  Dans « Les marrons du feu » les ellipses et les mots-phrases n’empêchent pas la « gourmandise » du poète qui nous offre un  recueil fait de « Mise en bouche, Hors d’œuvre, Résistance et Dessert ». Cette forme de décomposition nous donne une structure particulière qui nous renseigne en même temps  sur le type de poète qu’est Samba Ndiaye. La partition « alimentaire » du recueil dénote une sensualité, une envie de mordre la vie à pleines dents qui semble contredire la spiritualité des « marrons du feu. » Mais ce n’est qu’apparence, chez le poète la sainteté n’exclut pas les velléités du corps . La poésie c’est aussi de la nourriture terrestre ; « Copulation » l’avant-dernier poème du recueil est d’une audace érotique ! C’est la poésie du rapprochement des corps : «  Ton front mon front, mes yeux tes yeux, mon nez ton nez, nos bouches ne font plus qu’une… ». C’est quand l’amour est jeu de miroir.  
Le poète saint-louisien, sans chercher des raccourcis dans l’expression poétique, réussit une sorte d’économie du langage en donnant à la forme du recueil et la disposition des poèmes une présentation qui fait sens et donne au lecteur une « idée » de la signification. La poésie n’est pas verbiage ! Le poème onomatopéique « Pan Rampant » est une illustration frappante de ce qu’un poème peut se transformer en une série de « sons » qui, rien qu’à l’audition, nous plonge dans l’univers de la signification. La poésie quoi qu’on en dise est faite pour toucher mais aussi pour comprendre. Aucune poésie n’est au-dessus du langage fut il celui des dieux.  Samba Ndiaye ne cherche pas dans les « Marrons du feu » l’insensé, l’absurde ou l’impensé. Même si le statut du réel est toujours provisoire en poésie, le poète saint-louisien parle à l’humanité dans un langage qu’il comprend sans être banal ou quotidien. Le souci du mot juste chez le professeur de français n’empêche pas la puissance de l’inspiration. Samba Ndiaye dans « Les marrons du feu » s’éloigne de l’académisme scolaire, sans le vouloir certainement ! Il ne montre pas, n’affiche pas, il dit et c’est tout.  Il a très vite compris que la poésie c’est le dire. « Mots de voleurs » et «  Jeu de vers » sont  l’Art poétique de Samba Ndiaye où il exprime non pas des convictions littéraires dogmatiques mais  simplement nous montre la direction du vers poétique : «  Cesse ce vers sans délai et verse-moi un verset divin, le plus beau vers est ailé et n’est légué qu’aux zélés.. » Comme chez tous les grands artistes il y a une obsession de l’envol vers les hauteurs où le feu de la création est attisé par l’air. La poétique de Samba Ndiaye est une esthétique de l’éternité : «  Le vers n’est verre que sculpté dur, sur du vrai marbre vert jasmin ».  Il nous offre une poésie de mots sans verbiage avec peu de verbes qui évite la démonstration philosophique et aboutit à ce que l’on peut appeler une substantivation du vers poétique, des mots, rien que des mots pour dire la poésie qui est un objet à-venir : « des mots à dérober aux silences des planètes. » Pour être poétique le mot  n’a pas forcément besoin de déterminant semble nous dire le poète dans Aimer Patrie : « aimer patrie…lever couleur la main au cœur, hisser drapeau dressé debout, écouter hymne fier ému », tel est l’audace poétique qui ne vaut que par la sincérité, le poète joue sa peau.
Dans tout recueil il y a « hélas »  quelques poèmes dont on ne peut pas dire qu’ils sont les meilleurs mais sont les plus emblématiques et dans « Les marrons du feu » le pic poétique est atteint avec « Pluie de Nuit » qui est d’une simplicité, d’une beauté et d’une grande immédiateté, «  Talisman » où les obsessions et les démons apparaissent mais dans un rare dépouillement stylistique fait de négations multiples : « Inépuisables, insaisissables, invisibles, imprenables, incandescents, les fils d’Ariane du talisman.»  « Traître vaudou » choit en mots magiques et bien dits : «  la mèche vendue, le maître a vomi  son vaudou dans la mare à boue la peuplant de chats gris qui la nuit miaulent des amours écorchées de griffures ». Dans « Elle du désert » quand le Maghreb s’incruste dans l’âme du poète, la poésie n’est mystérieuse et jubilatoire que lorsqu’elle est sensuelle. « Squelette » est un poème formidable c’est-à-dire effrayant, l’un des sommets du recueil, tout comme «  Nids remparts.» Autant de moments poétiques où Samba Ndiaye parle en faisant dérober les mots, devant la vie, la mort, l’amour et la foi.
Khalifa Touré
Critique littéraire
sidimohamedkhalifa72@gmail.com