mercredi 6 mars 2019

« Les marrons du feu » de Samba N’diaye le Saint-louisien



Tirer les marrons du feu, il n’y a certainement pas geste plus généreux que  braver Vulcain pour offrir au monde des mots incandescents, des jeux de mots, des images fugaces mais surtout de puissants sentiments exprimés par un poète de la langue et du mot juste sans être précieux. 

Samba Ndiaye est délicieux, agréable et  malicieux par moments, d’où « Les marrons glacés » publiés en 2013  à l’Harmattan Sénégal qui ont connus un franc succès critique dans les milieux littéraires au Sénégal et font  découvrir un poète inspiré par la spiritualité.  Avec « Les marrons du feu » Samba Ndiaye se révèle comme un poète du paradoxe en nous offrant une poésie gustative avec des évocations délicieuses de la gastronomie. C’est comme s’il nous faisait voir que l’on ne peut cuisiner sans risques. Le processus créatif est certainement un mouvement de l’âme mais aussi et surtout une œuvre parsemée de maints écueils et de dangers multiples. Nous sommes dès l’entame léchés et parfois fouettés par les flammes secrètes de la création : «  le feu qui flingue épingle au poteau, le feu qui lèche blesse la forêt, le feu qui gifle siffle au chalumeau… » chante le poète dans « Feu Satan », qui est l’envers du décor, le pendant négatif du poème précédent « Feu Saint »  c’est le lieu où  la spiritualité pour ne pas dire la divinité de l’œuvre créatrice s’exprime dans toute sa chaleur.
Samba Ndiaye est donc le poète du contraste qui s’exprime d’abord par l’antériorité des « Marrons glacés » avant « Les marrons du feu » mais il cherche la totalité et la perfection en présentant le monde à l’endroit et à l’envers sans aucune forme de retenue. Le poète saint-louisien ne fait pas les choses à moitié, il veut tout donner, tout montrer dans un accès de générosité qui offre une esthétique particulière où il tente vainement te tenir les brides de la création poétique.  Dans « Les marrons du feu » les ellipses et les mots-phrases n’empêchent pas la « gourmandise » du poète qui nous offre un  recueil fait de « Mise en bouche, Hors d’œuvre, Résistance et Dessert ». Cette forme de décomposition nous donne une structure particulière qui nous renseigne en même temps  sur le type de poète qu’est Samba Ndiaye. La partition « alimentaire » du recueil dénote une sensualité, une envie de mordre la vie à pleines dents qui semble contredire la spiritualité des « marrons du feu. » Mais ce n’est qu’apparence, chez le poète la sainteté n’exclut pas les velléités du corps . La poésie c’est aussi de la nourriture terrestre ; « Copulation » l’avant-dernier poème du recueil est d’une audace érotique ! C’est la poésie du rapprochement des corps : «  Ton front mon front, mes yeux tes yeux, mon nez ton nez, nos bouches ne font plus qu’une… ». C’est quand l’amour est jeu de miroir.  
Le poète saint-louisien, sans chercher des raccourcis dans l’expression poétique, réussit une sorte d’économie du langage en donnant à la forme du recueil et la disposition des poèmes une présentation qui fait sens et donne au lecteur une « idée » de la signification. La poésie n’est pas verbiage ! Le poème onomatopéique « Pan Rampant » est une illustration frappante de ce qu’un poème peut se transformer en une série de « sons » qui, rien qu’à l’audition, nous plonge dans l’univers de la signification. La poésie quoi qu’on en dise est faite pour toucher mais aussi pour comprendre. Aucune poésie n’est au-dessus du langage fut il celui des dieux.  Samba Ndiaye ne cherche pas dans les « Marrons du feu » l’insensé, l’absurde ou l’impensé. Même si le statut du réel est toujours provisoire en poésie, le poète saint-louisien parle à l’humanité dans un langage qu’il comprend sans être banal ou quotidien. Le souci du mot juste chez le professeur de français n’empêche pas la puissance de l’inspiration. Samba Ndiaye dans « Les marrons du feu » s’éloigne de l’académisme scolaire, sans le vouloir certainement ! Il ne montre pas, n’affiche pas, il dit et c’est tout.  Il a très vite compris que la poésie c’est le dire. « Mots de voleurs » et «  Jeu de vers » sont  l’Art poétique de Samba Ndiaye où il exprime non pas des convictions littéraires dogmatiques mais  simplement nous montre la direction du vers poétique : «  Cesse ce vers sans délai et verse-moi un verset divin, le plus beau vers est ailé et n’est légué qu’aux zélés.. » Comme chez tous les grands artistes il y a une obsession de l’envol vers les hauteurs où le feu de la création est attisé par l’air. La poétique de Samba Ndiaye est une esthétique de l’éternité : «  Le vers n’est verre que sculpté dur, sur du vrai marbre vert jasmin ».  Il nous offre une poésie de mots sans verbiage avec peu de verbes qui évite la démonstration philosophique et aboutit à ce que l’on peut appeler une substantivation du vers poétique, des mots, rien que des mots pour dire la poésie qui est un objet à-venir : « des mots à dérober aux silences des planètes. » Pour être poétique le mot  n’a pas forcément besoin de déterminant semble nous dire le poète dans Aimer Patrie : « aimer patrie…lever couleur la main au cœur, hisser drapeau dressé debout, écouter hymne fier ému », tel est l’audace poétique qui ne vaut que par la sincérité, le poète joue sa peau.
Dans tout recueil il y a « hélas »  quelques poèmes dont on ne peut pas dire qu’ils sont les meilleurs mais sont les plus emblématiques et dans « Les marrons du feu » le pic poétique est atteint avec « Pluie de Nuit » qui est d’une simplicité, d’une beauté et d’une grande immédiateté, «  Talisman » où les obsessions et les démons apparaissent mais dans un rare dépouillement stylistique fait de négations multiples : « Inépuisables, insaisissables, invisibles, imprenables, incandescents, les fils d’Ariane du talisman.»  « Traître vaudou » choit en mots magiques et bien dits : «  la mèche vendue, le maître a vomi  son vaudou dans la mare à boue la peuplant de chats gris qui la nuit miaulent des amours écorchées de griffures ». Dans « Elle du désert » quand le Maghreb s’incruste dans l’âme du poète, la poésie n’est mystérieuse et jubilatoire que lorsqu’elle est sensuelle. « Squelette » est un poème formidable c’est-à-dire effrayant, l’un des sommets du recueil, tout comme «  Nids remparts.» Autant de moments poétiques où Samba Ndiaye parle en faisant dérober les mots, devant la vie, la mort, l’amour et la foi.
Khalifa Touré
Critique littéraire
sidimohamedkhalifa72@gmail.com





                                                  

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