jeudi 29 novembre 2018

Nous avons beaucoup avancé pour mieux reculer !



C’est à croire que l’on passe souvent à coté de notre propre ombre, une sorte de dédoublement hallucinatoire qui nous empêche de voir le réel. Est-il possible qu’une schizophrénie collective conduise actuellement le monde ? A cause de notre obsession politique, le réel est devenu précaire. Tout le monde s’est converti à la religion politique.

La politique est devenue le jugement dernier, le critère suprême avec quoi tout le monde passe à la barre de la punition, des imprécations et des injures. Même ceux qui ne sont pas concernés passent à la trappe des invectives venant de jeunes imberbes dans les réseaux sociaux. Seuls les moines sont à l’abri. Un abri provisoire ! De nos jours,  on est politiquement bon ou mauvais. Ce n’est pas du manichéisme c’est de l’inculture qui s’ignore, faite de mauvaises copies, de plagiat et de citations hors contexte, une forme d’imbécilité contemporaine, de faiblesse d’esprit, cette maladie qui est décrite même par les textes sacrés qui, quoi que l’on dise, évitent souvent de pourfendre l’homme malgré « le livre de l’Apocalypse. » Cette politique-là une maladie contemporaine qui par manque de soins s’est enkystée et a détruit aujourd’hui les plus sages parmi nous. La sagesse n’est plus enseignée, du moins transmise par les doctes précepteurs. La crise de l’éducation c’est le problème de la transmission. Il n’ya plus de maitres ni de séances d’initiation. Aucun rituel qui relie les choses à leurs principes. Même pas l’entrée scolaire.

La solution est dans l’indifférence « bouddhique », le quiétisme et l’engagement pour la grève morale à la Franz Fanon loin d’un stoïcisme paresseux et du désengagement spirituel. L’exigence morale et intellectuelle (c’est la même chose) est l’une des clefs du futur. Il y aura une grande impasse sous forme de chaos avant l’ouverture d’une grande porte vers le futur. Chaque ouverture est aussi une fermeture, le mécanisme du fleuve oubli est déjà  passé par-là. Nous pensons être devant toutes choses mais nous sommes encore loin de la technologie qui a bâti le sphinx et les autres mégalithes. Pour les âmes il n’ya pas de début ni de fin, le début étant la fin, le flux est continu. C’est l’âme qui construit les machines par le rêve,  l’intention, les visions et les sentiments, avant que la dextérité d’une main humaine, celle de l’homo-sapiens sapiens ne dessine la machine, d’où les arts et métiers. Les machines et les outils, tout compte fait,  nous renseignent sur le mouvement de notre âme, de la houe à la moissonneuse batteuse, de la « traction avant » aux engins supersoniques. Les grands bâtisseurs sont de grands initiés, ils connaissent Dieu.  La meilleure attitude serait aujourd’hui de chercher comment s’approcher de loin en loin du monde virtuel de la politique qui n’est plus réel.

Comme une peau de chagrin le réel s’est rétréci, ratatiné par nos pieds bots, nos jambes ridicules et claudicantes qui dansent une mauvaise quadrille, une danse du diable, des trépignements de Saint-Guy qui font croire aujourd’hui que nous sommes à la fin, c'est-à-dire à la veille d’une nouvelle ère. Nous sommes dans les derniers soubresauts du chaos qui va prendre encore du temps. C’est peut-être cela l’optimisme réaliste, le temps de l’espérance, le brin d’espoir qui alimente nos réserves de vie. Mais l’espoir n’est pas l’espérance. Le monde est plus vieux que l’on ne pense, nous sommes encore plus vieux que nos jeunes corps ne paraissent. C’est cela le problème de la politique contemporaine. Elle est tellement petite, ridicule devant la « superficie » des âmes qui se rappellent sous forme de réminiscences, devant les milliards d’années d’expériences de vie. La plupart des politiciens sont de vagues promeneurs sur une terre inconnue, parce qu’ils ne connaissent pas les secrets de la vie et de la mort, les lois immuables qui organisent le changement du monde visible à partir « du grand ailleurs ».

Entre l’essentialisme politique aristotélicien et le réalisme d’Anna Arendt, il y  a un couperet, une grande condamnation de tous les héritiers politiques de l’Occident., qu’ils soient génétiques ou coloniaux. C’est comme si les politiciens cultivés sont condamnés dans une attitude incantatoire comme prostrés devant la politique  comme « art de gérer la cité » et la politique comme combat et contradictions. La dialectique de Marx n’a pas pu arbitrer cette affaire-là, le stalinisme ayant tout gâché.  L’histoire ne retient que ce que nous avons fait même si le dire est plus important que les actes.  En cela la dramaturgie Shakespearienne est-elle la solution ? « Soutenir une grande querelle » serait aujourd’hui un combat générationnel de grandes âmes qui viennent du « passé de l’homme» suffisamment expérimentées quelque soit leur âge social. C’est l’expérience de la vie continue qui fait le génie. Le génie est la conscience de la vie continue. Sinon la civilisation terrestre sera dirigée par des insouciants qui feront semblant de nous faire avancer !  


mercredi 14 novembre 2018

Fabien Eboussi Boulaga, quand la mort étreint les philosophes











« Le Muntu est l’homme dans la condition africaine et qui doit s’affirmer en surmontant ce qui conteste son humanité et la met en péril. C’est à lui de faire l’évaluation de sa situation, de ce avec quoi et contre quoi il a à compter pour se faire une place, sa place dans un monde commun, dans le dialogue des lieux en quoi il consiste concrètement. »
   C’est l’auteur de ces paroles, lui,  Eboussi Boulaga le philosophe du Muntu, qui nous a fait aimer la philosophie africaine. A distance son nom  sonnait bizarre et en même temps nous  apprenait à penser et  philosopher par les textes et les extraits. En effet et un jour viendra  quelqu’un écrira « La philosophie par les extraits et les manuels ». Quoi que l’on dise la philosophie est une discipline rigoureuse qui s’apprend par l’exercice et la fréquentation régulière et permanente des textes. Une manière d’entretenir l’amour de la sagesse. Les normaliens précepteurs des classes terminales n’ont pas tort. Ils se sont toujours faits fort de dire aux disciples de s’exercer à frotter leurs jeunes esprits aux rugueux extraits des textes d’Edmund Husserl, Frederich Hegel ou Jacques Derrida.
   Il faut d’abord apprendre à philosopher avec les auteurs réputés difficiles ou hermétiques avant de faire du militantisme intellectuel, chose commune du reste. Le dangereux renversement de la perspective éducationnelle fait qu’aujourd’hui il existe des historiens, des sociologues, des ethnologues, des anthropologues et des critiques littéraires sont en meilleure posture philosophique que bien des « philosophes attitrés ». Voilà une belle manière de mourir en philosophie.
On ne dit jamais aux étudiants que soutenir une thèse présuppose que la thèse elle-même ne tient pas à priori (il n’ya pas d’à-priori en philosophie), il faut la soutenir, la tenir en bas, lui trouver des fondements, des linéaments subtils d’où le questionnement sous forme de problématique. Le problème en philosophie c’est qu’elle n’a jamais raison. Quel paradoxe ! Avoir raison serait ennuyeux pour une « discipline » fondée sur la rationalité. Mais elle sait que la raison n’est qu’une seule lumière parmi d’autres. Avoir raison en philosophie c’est regarder d’un seul œil. C’est le borgne qui indique le chemin en ce cas là. Vous voyez ? Voilà un handicap  quelque soit le brio de la rhétorique. Lorsque la philosophie a cessé d’être amour et sagesse  (ce n’est que cela), elle est devenue un ensemble de techniques devenues le corpus sclérosé en dehors de quoi aucune philosophie ne peut être. La philosophie devient alors un problème de géo-localisation. Où se trouve alors la philosophie ? Existe-t-il une philosophie diffuse dans les sociétés humaines, comme le pense les « ethno-philosophes » autrement désignés par Paulin Hountondji comme  Alexis Kagamé et le révérend père Placide Tempels et même assez loin de nous, Alexis de Tocqueville qui pense que la philosophie est diffuse dans la société américaine? Certainement que non, selon Marcien Towa.
 Nous étions intrigués et admiratifs rien qu’à entendre les noms du triangle philosophique, Fabien Eboussi Boulaga, Paulin Hountondji et Marcien Towa de la bouche pertinente du professeur de philosophie de classe terminale, le défunt Michel Diouf brutalement arraché à l’affection d’une génération d’élèves aspirants-philosophes à la sagesse socratique. Comment meurt-on en philosophie ? Comment un philosophe meurt-il ? Gilles Deleuze s’est donné la mort, Socrate a bu tranquillement la ciguë, Louis Althusser et Frederich Nietzsche ont sombré dans l’outre-raison appelée vulgairement folie. C’est le philosophe qui meurt ou l’homme qui décède? Il est à croire que la philosophie peut mourir en l’homme, avec l’homme, si l’on est tenté par le vœu des adeptes du déclin des idoles.
Fabien Eboussi Boulaga n’a jamais été une idole. Il a tenté selon une perspective quasi polémique de dé-fétichiser le christianisme. Pour un prêtre ordonné en 1969 ce fut, dit-on aujourd’hui, un acte de courage, comme si le courage ne venait pas forcément du cœur. C’était en 1970 dans un ouvrage intitulé « Christianisme sans fétiches », mais ce fut d’abord  le fameux « Démission » où il appelait au départ progressif des missionnaires qu’il annonçait son prochain retrait de la vie ecclésiastique.  En effet lorsqu’il décida de quitter la compagnie de jésuites en 1980, il « confesse » avoir perdu la foi depuis 1969. Eboussi Boulaga a perdu la foi… en quoi ? Telle est la question. On ne perd pas la foi comme ça. Il est resté un homme de grande conviction, très convaincu des choses et soucieux des êtres, de l’homme bantou, l’africain, face à la problématique  de l’existence dans cette longue période où l’homme africain est confronté à la négation même de sa propre mort, d’où l’inactualité de son ouvrage liminaire « Le bantou problématique ».  Quant au chef-d’œuvre de la philosophie africaine «  La crise du Muntu », le texte dont les extraits sont les plus cités par les potaches africains, qui font de l’homme le plus grand philosophe africain tout simplement,  avant que tous les autres ne s’emparent de cet texte très « dense », touffu même sur la problématique de l’identité surtout dans la pensée post-coloniale. Eboussi Boulaga est omniprésent dans les réflexions de l’historien camerounais Achille Mbembé.  
Il ya une verve tranchante et non moins optimiste qui fait plaisir  chez Fabien Eboussi Boulaga : « C’est dans notre relation aux autres, y compris à nous-mêmes devenus autres pour nous-mêmes, que nous faisons l’expérience d’échapper à nous-mêmes. » dit-il.
 S’il fallait conclure voici ce qu’on dirait la suite de Fabien Eboussi Boulaga : « Faire acte de pensée et de lucidité, voilà l’essentiel au-delà des étiquetages scolaires, disciplinaires et partisans. »
Khalifa Touré


vendredi 2 novembre 2018

Respect ! Aretha Franklin










Elle est partie Aretha Franklin, elle est montée l’âme  d’Aretha Franklin haute comme sa voix, haute et aiguë  à la fois, voilà la tessiture d’Aretha Franklin, cette signature vocale qui est un don de Dieu et qui fait dire Ah ! c’est du Aretha Franklin. Comme disait nos ainés des années 70 et 80.
Ces dandy des cités africaines, jeunes gens élégants, cheveux « afro », libres pattes d’éléphant, souliers hauts talons impeccablement cirés et même astiqués, qui  se plaisaient à écouter la musique de nos frères et sœurs noirs-américains. Mais parfois des manières affectées ressemblant aussi à ces rastaquouères du XIXème qui affectaient quelque personnalité élégante. C’était de l’Otis Redding, Ah ! « (Sittin' On) The Dock of the Bay » enregistré quelques jours avant sa disparition tragique dans un accident d’avion à l’âge de 26 ans.   Et encore… et encore « I've got dreams to remember», quelle voix ! Avant que la voix sensuelle et mortellement langoureuse de Marvin Gaye ne vienne s’interposer. « Sexual Healing » est un véritable intermède musical, une pause, parenthèse vers le futur disco, cette musique légère,  dansante et éphémère. J’en connais qui se sont « tués » à écouter BoneyM.
 Après les électrophones « ancestraux » les délicieux grincements des tourne-disques sonnent encore dans les oreilles. Ce furent aussi les cris aigus de James Brown the godfather of soul à la très longue «  It’s a man’s man’s man’s world »  et Tina Turner la voix souventes fois et par moments masculine ou féminine au besoin dans son célèbre « What's Love Got To Do With It »  peut-être une manière de panser les plaies que son musicien de mari Ike lui a infligé.  C’était l’époque où les garçons battaient les filles, il n’ya pas de honte à la dire. On les bat toujours d’ailleurs, d’où le « Respect » de la frêle Aretha Franklin. Un tube évocateur qui a déchiré !!!  C’était aussi l’époque où les femmes quémandaient le respect : « (Hoo) Ce que tu veux (Hoo)Baby, je l’ai(Hoo) Ce dont tu as besoin( Hoo) Sais-tu que je l’ai ?(Hoo) Tout ce que je demande( Hoo) C’est un peu de respect quand tu rentres à la maison(juste un peu). Hey baby juste un peu (juste un peu) quand tu rentres à la maison (juste un peu) monsieur (juste un peu). »  Le « Respect » d’Aretha Franklin n’est pas seulement une chanson d’amour c’est une demande expresse. Toute sa vie musicale ne peut certainement pas être résumée par cette chanson emblématique. Mais elle reste inoubliable comme un refrain.
  Au reste, est-il encore possible d’écouter de la bonne  musique ? Telle est la question pour les oreilles fines  à l’écoute des voix du ciel, celles des séraphins qui arpentent l’espace irisé. Aretha Franklin est sans nul doute l’une des voix noires  les plus hautes. Elle est de la lignée des quatre  grandes voix du Jazz : Nina Simone, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Billie Holiday et de « l’impératrice du Blues » Bessie Smith,  mais d’une autre époque, l’époque du vrai showbiz, la musique commerciale de qualité (c’est possible par moments!) Elle est de la veine « soul », cette musique de l’âme. Lorsque le chanteur a des « bleus à l’âme » sa musique devient du Blues. Le Blues c’est de la « retro- soul music »  au tempo lent, mélancolique et plaintif. Le blues tient aussi du Jazz, tout est lié. A coup sûr Michael JacksonAretha FranklinR. KellyStevie WonderWhitney Houston et Mariah Carey sont les chanteurs de R&B populaire les plus connus et peut-être les plus talentueux, leurs liens avec James Brown est indéniable musicalement parlant ( si leurs musiques peuvent être définies à partir du rythme).    
Le « Respect » d’Aretha Franklin est un cri strident au respect de l’autre moitié de l’homme. Un cri aux senteurs et couleurs féminines,  ce cri qui touche quelque part dans l’âme, cette voix qui nous fait quelque chose, ce quelque chose de joyeux, d’une joie nostalgique qui nous arrache des larmes. Ce n’est plus de la musique simplement mais des souvenirs, des réminiscences et des ressassements, un ensemble de sons, de couleurs et d’odeurs et de situations, des visages très tôt arrachés à notre affection, des âmes vite parties devenues angéliques.
Aretha Franklin a vendu 75 millions de disques et reste aujourd'hui l'artiste féminine ayant vendu le plus de disques vinyles dans l'histoire de l'industrie discographique. Après une longue carrière musicale et une vie presque sans grands « heurts et malheurs » comme tous ces grands artistes fêlés jusque dans l’âme, on peut dire qu’elle a eu beaucoup de chance malgré ce cancer du pancréas qui va l’emporter le 16 Août 2018 à Detroit dans le Michigan à l’âge de  soixante seize ans. Elle laisse derrière elle quatre enfants éplorés et des millions d’inconditionnels anonymes ou illustres dont le président Barack Obama qu’elle ne cessait jamais de faire pleurer. Salut l’artiste !
Khalifa Touré