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« Le cinéma est un moyen d’expression, dont
l’expression a disparu, il est resté le moyen »
Jean Luc Godard, immense cinéaste franco-suisse.
A l’occasion
de la cérémonie de clôture du dernier festival de Cannes, le très préoccupé
cinéaste anglais Ken Loach, en recevant le prix du jury pour sa comédie
sociale « LA PART DES ANGES »,a tenu des propos apparemment
anodins, mais qui nous renvoient à la problématique de l’utilité du Cinéma
d’une part et de nos rapports avec l’art en général à une époque où les activités
les plus sérieuses sont corrompues par le glamour, les paillettes et le
m’as-tu vu des stars .
Avec la gravité expressive qu’on lui connait, il a
dit en substance la chose suivante : « Le festival de Cannes nous
montre que le cinéma n’est pas un simple divertissement. Il nous montre ce
que nous sommes et comment on devrait être dans ce monde. »
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Le Cinématographe (pour parler comme Robert Bresson) est l’art du
spectacle le plus populaire de l’époque moderne. Mais cette popularité
n’était pas évidente au début. Le cinéma qui est un art moderne a d’abord été
une affaire de techniciens et puis ensuite « la chose » des
écrivains, un prolongement de la culture d’écriture qui est l’une des
empreintes fondamentales de la tradition « euraméricaine » et
orientale. Certains chercheurs remontent à l’époque des cavernes, aux
peintures rupestres pour faire la genèse du cinéma, d’autres plus modérés,
affirment que le cinéma s’origine indubitablement aux « ombres chinoises » de
l’antiquité, les philosophes tirent la couverture à eux en affirmant que
l’idée cinématographique tire sa source dans l’allégorie de la caverne de Platon puisque le cinéma est l’art de
la projection d’une écriture sous forme d’images , et les plus réalistes
disent que le cinéma en tant que technique cinématographique a été inventé
par les frères Lumières en 1895 avec le tournage de deux films : La
sortie des usines lumière et L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat.
Les frères Lumières, c’est la phase technique du
cinéma, mais le véritable inventeur de l’art cinématographique fut le génial George Méliès ; il est le
premier des cinéastes, le premier créateur à être conscient que le cinéma
peut être un langage, un ensemble de signes, une écriture, un moyen
d’expression comme le théâtre, la grande musique, la littérature, la peinture
et l’opéra. Voilà la petite histoire, d’où l’importance aujourd’hui de la sémiologie cinématographique pour
décrypter les images subliminales que projettent les œuvres des grands
cinéastes. Ce génie qui a fait œuvre de pionnier avec son fameux LES QUATRE CENTS COUPS DU DIABLE (1906)
est aujourd’hui l’objet d’un excellent hommage de la part du grand cinéaste Italo-américain
Martin Scorsese, avec son film HOGO CABRET.
Aujourd’hui nous avons des cinéastes, des
réalisateurs ou metteurs en scène et des films- makers. Trois catégories
qu’il faut distinguer. Il ya beaucoup de films-makers ou faiseurs de films et
peu de grands cinéastes. Un cinéaste
est d’abord un poète dont le mode d’expression est le cinéma et qui par le
truchement des films crée son propre univers artistique : Orson
Welles, Charles Chaplin, Robert Bresson, Eisenstein, Jean Renoir, Ingmar
Bergman, Jean Vigo, Karl Dreyer, Marcel Carné, Federico Fellini, Vittorio De
Sica, Roberto Rossellini, Fritz Lang, Murnau, Kenji Mizoguchi et Akira
Kurosawa furent d’authentiques poètes du cinéma. Mais la race des grands
metteurs en scène n’est pas éteinte. Aujourd’hui avec l’univers burlesque de
Woody Allen , le néo-surréalisme de Léo Carax, le post-modernisme violent et
dialogué de Quentin Tarentino, l’onirisme et la fantasmagorie de Tim Burton,
le symbolisme explosif de Djibril Diop Mambéty( décédé), l’éclectisme
gigantesque de Steven Spielberg, le réalisme fantastique d’Elia Souleymane,
le monisme existentiel de Térence Malik, le réalisme social des frères
Dardenne, l’univers narratif fragmenté de Alejandro Gonzalez Innaritu et les
contes chaotiques et bruyants d’Emir Kusturica le cinéma est promu à un bel
avenir.
Le cinéma est donc un langage, un
ensemble de signes, de codes, de données filmiques dont la compréhension
n’est pas immédiate. Voilà le paradoxe du cinéma : un art à la fois
populaire et complexe. C’est la raison pour laquelle, le cinéma, au cours
de son évolution, s’est divisé entre « cinéma grand publique » et
« cinéma d’art et d’essai » ; et bien d’autres divisions,
« cinéma indépendant », « films de studio », « films
d’auteurs », « cinéma expérimental », « cinéma
underground » etc. Cette complexité d’un art de plus en plus décadent
nous a valu de talentueux écrivains comme Georges Sadoul dont les écrits sont entièrement consacrés au
cinéma, des historiens et critiques d’art comme François Truffaut et aujourd’hui des critiques de cinéma qui
n’ont même pas vu « Sunrise » du grand cinéaste Murnau comme le dit
si bien Claude Chabrol, l’un des chefs de file de la nouvelle vague.
Ce propos de
Claude Chabrol partagé par Claude Berri, un autre « jeune vieux »
cinéaste, exprime le malaise et l’incompréhension qui existe aujourd’hui
autour de la problématique de la
réception d’une œuvre cinématographique. Lors d’un récent festival de
Cannes le grand cinéaste franco-polonais Roman
Polanski s’est énervé lors d’une conférence de presse face aux
« questions débiles » de journalistes en disant « vous ne
savez rien de ce que l’on fait ». Autant dire que le principal ennemi du cinéma aujourd’hui c’est l’inculture générale
qui frappe l’homme contemporain.
Le cinéma est sans conteste la plus grande découverte esthétique du 20ème
siècle.« Ignorer le cinéma, ses
problématiques et son histoire est une lacune grave dans la culture de l’honnête homme » a
écrit Roger Caratini.
Aujourd’hui une approche du cinéma qui ne tient pas
compte des courants et des genres se justifie par une volonté d’aller au-delà
des clivages mais elle a le malheur de desservir le grand public et les
jeunes qui veulent devenir des cinéphiles. Regardez cette liste des dix
meilleurs films d’horreur qui circule sur Internet ; une liste où la
plupart des films cités sont plutôt des films fantastiques. On peut dire que
tous les films d’horreur sont fantastiques au sens premier du mot mais tous
les films fantastiques ne sont absolument pas des films d’horreur. « The
Shining » de Stanley Kubrick n’est pas un film d’horreur comme il est
écrit dans ce palmarès. Voilà où nous mène la négligence de l’esthétique des genres cinématographiques.
Ne parlons pas de l’expressionnisme de la grande
école Allemande (avec Murnau et Fritz Lang) qui a fortement influencé Orson
Welles (réalisateur du plus grand film de tous les temps Citizen Kane dit-on
et même le fantasmagorique Tim Burton aujourd’hui), l’impressionnisme
d’époque (avec Germaine Delluc, Abel Gance), le réalisme poétique français
(dont le chef de file est marcel Carné), le néo-réalisme italien (avec
Roberto Rossellini et Vittorio de Sica), la nouvelle vague avec Claude
Chabrol, Jean Luc Godard et autres. Tout ce grand patrimoine
cinématographique est aujourd’hui ignoré au profit d’un regard puéril et ludique sur le cinéma. Avant de s’affranchir
des courants et des genres il faut d’abord les connaitre et les comprendre.
Les cinéastes sont des artistes qui
tirent leurs sources d’inspiration dans les représentations qui informent les
différentes civilisations auxquelles ils appartiennent. Aussi les
références biblique, homérique, dantesque, dionysiaque ou apollonienne
sont-elles foisonnantes dans le cinéma occidental. Le schéma narratif reste
universel, mais la différence réside dans le fait qu’un cinéaste anglo-saxon,
un oriental ou un africain n’ont peut-être pas le même rapport avec le temps
et l’espace. Ils n’auront certainement pas le même univers mental, les mêmes
fantasmes et partant les mêmes films.
Un « film africain » ne ressemblera jamais à un « film
américain ». Cette question
n’a rien à voir avec les moyens ou la technologie, c’est plutôt une
problématique d’ordre esthétique.
L’interrogation sur l’esthétique
cinématographique est inséparable de la question « A quoi sert le cinéma ? ». Cette question banale
en apparence est plutôt d’ordre esthétique, elle n’est pas utilitariste. Dire
que le cinéma est inutile est une sottise, mais là n’est pas la question, le
cinéma étant une industrie qui rapporte des milliards dans tous les pays qui
le prennent au sérieux, les pays où il entre en ligne de compte dans les
politiques culturelles. Cette question est souvent posée en rapport avec le
contenu « politique » d’un film ou l’engagement d’un cinéaste. Tous les cinéastes sont engagés. Les
postures esthétiques sont en vérité des formes d’engagement politique.
La valeur d’un film ne se mesure pas à l’aune de
l’esprit combattant que le réalisateur y imprime. Un bon film n’est pas toujours un film actuel, un film
« réel » ou soi-disant engagé. Tout le problème des films africains
est là, qui insistent davantage sur le sujet au détriment de l’objet. Le
cinéma de l’Afrique au sud du Sahara n’est pas encore affranchi de
l’ethnologie qui est une science « coloniale ». Il a besoin de se
libérer, de s’envoler, d’être plus personnel que politique ou sociologique.
C’est un cinéma qui n’est pas subtil.
Des cinéastes comme le Malien Souleymane Cissé, feu
Djibril Diop Mambéty, le mauritano-malien Abderrahmane Cissako et le Tchadien
Mahamat Saleh Haroun l’ont compris. Ce dernier après avoir obtenu le prix du
jury au festival de Cannes a reconnu qu’il n’ya pas suffisamment d’idées dans
les films africains. Mais ce travers n’est pas l’apanage du cinéma africain
(Le cinéma américain est écrasé par son propre gigantisme grandiloquent, le
cinéma français par l’exception culturelle française, le cinéma Allemand est
mort et il doit être ressuscité ,les cinémas Russe, Danois et Suédois
,prestigieux dans le passé, souffrent aujourd’hui de cloisonnement, le cinéma
Indien ne sait que faire entre modernité et tradition. Les deux cinémas
montants aujourd’hui restent le cinéma coréen et surtout le cinéma mexicain.
L’exception
remarquable en la personne de Sembène
Ousmane est à noter à suffisance. Ce pionnier du Cinéma africain a
produit des films incandescents par leur niveau d’engagement politique
(Sembène est, avec le philosophe Hamady Aly Dieng les deux seuls grands dissidents
Sénégalais que je connaisse), mais
Sembène fut un narrateur redoutable, un dialoguiste rigoureux. Il n’était pas
un homme qui avait simplement des idées, il savait les mettre en scène, ces
films avaient une tonalité propre.
Quant au cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb,
son film « Hors la loi » a provoqué une levée de bouclier sans
précédent lors de sa projection au festival de Cannes. Les anciens
combattants de l’armée française l’ont accusé d’avoir tronqué les fameux
événements de Sétif qu’il aborde dans le film. Depuis des années Bouchareb
s’est consacré à la reconstitution cinématographique de faits historiques.
« Indigènes » son film tourné auparavant a eu un tel succès
médiatique et critique que, dit-on, l’Etat français s’est décidé à
« décristalliser » enfin les pensions des tirailleurs Sénégalais.
Mais il ne faut pas s’y tromper, les
films les plus dérangeants ne sont pas forcément les films à contenu politique prononcé.
Le cinéma est par essence
irrévérencieux par son inclination à montrer ce qui est caché. Aussi le
cinéaste mexicain Guillermo Del Toro a-t-il raison de dire que le contenu
subversif du cinéma réside dans sa tendance irrépressible à échapper au
manichéisme.
Ces dernières années plusieurs films ont eu maille à
partir avec les autorités politiques religieuses ou bien avec le public.
L’Eglise a beaucoup « souffert » du cinéma : La dernière
tentation du Christ, Da Vinci Code, The Magdalena Sisters, Le crime du père
Amaro, Amen etc. Le film « Persépolis » de la franco-iranienne
Margiane Satrapi n’a pu être diffusé en Tunisie, en Iran Jahfar Panahi est
toujours en prison, au Sénégal « Karmen » de Joe Gai Ramaka est
censuré par les lobbies politico-religieux, en France un film de Virginie
Despentes a été carrément interdit, aux USA The « Redacted » de
Brian De Palma a failli être censuré.
La censure en vérité, est un acte
politique qui vise à s’attaquer à l’idéologie véhiculée par un film. L’acte de censure est une posture
idéologique en lui-même, c’est paradoxal. Mais il ne faut pas s’y tromper,
tous les films véhiculent peu ou prou une certaine idée. Les films
ouvertement propagandistes et commandités par un état, comme les films
fascistes, n’existent presque plus. Il peut arriver au cinéaste d’être
victime de l’hégémonie culturelle et de véhiculer l’univers idéologique qui
l’environne.
La grande
« idéologie » qui pèse sur le cinéma d’aujourd’hui c’est plutôt
l’argent. Voilà tout le problème du cinéma hollywoodien. Les films
hollywoodiens, qui ne sont pas forcément mauvais, loin s’en faut, sont
défigurés et modifiés par la toute puissance de l’argent qui oblige les
metteurs en scène à faire des concessions. A Hollywood le dernier mot ou
« Final Cut » appartient au producteur et non au metteur en scène.
C’est une forme de censure qui fait se développer un autre cinéma
indépendant, plus libre et davantage créatif.
Le cinéma, ça
n’est pas seulement de grands metteurs en scène, c’est aussi des techniciens
dont le plus distingué aujourd’hui est le directeur de la photographie dont
le travail devenu artistique est incontournable pour la compréhension d’un
film. Et last but not least, les acteurs sans lesquels il ne saurait y avoir
de cinéma. Que serait le cinéma sans les comédiens géniaux comme Charlie Chaplin,
Buster Keaton, Lon Chaney, Michel Simon, Louis Jouvet et Marlon Brando ou
encore des acteurs inoubliables comme John Wayne , Franco Nero, Jean Paul
Belmondo, Robert De Niro, Al Pacino, Amin tab Bachan, Marcello Mastroianni,
les talentueux Gérard Depardieu et Daniel Auteuil, , la magnifique Catherine
Hepburn, l’énigmatique Romy Schneider, l’immense Marlene Dietrich, les
grandes dames Simone Signoret et Michelle Morgane, la très constante Meryl
Streep et aujourd’hui les « performers » Bill Murray, Daniel Day
Lewis, Sean Penn, Forrest Withaker, Jodie Foster, Javier Bardem, Tom Hanks,
Adrien Brody, Tim Robbins et le très mature Michel Bouquet ?
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KHALIFA TOURE
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mardi 27 novembre 2012
A QUOI SERT LE CINEMA ?
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très juste, pertinent. c'est du solide
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