L’art n’est
peut-être pas une théorie de la connaissance comme la philosophie mais il reste
une source insoupçonnée de savoir qui nous échappe. On peut même dire de façon
prosaïque qu’il est des artistes qui sont de loin plus profonds que ne le sont
certains philosophes. Le cinéma de Djibril Diop Mambéty est malheureusement une
de ses œuvres artistiques dont la contribution au dévoilement du réel n’est pas
suffisamment mise en exergue.
Cinéaste de
l’étrange, du non-dit et de l’impensé, Djibril Diop Mambéty est sans nul doute
l’un des créateurs africains les plus explosifs. Acteur, metteur en scène et
scénariste, ses œuvres n’ont certainement pas finis de nous révéler les secrets
de la vie. Il n’a jamais cessé de nous entrainer dans les méandres de la ville
africaine, des bas-fonds, chez les petites gens, les laissez pour compte, « les
damnés de la terre ».
Cinéaste de
l’urbanité, de l’underground et de la « perversion » des villes qui fabriquent
fatalement un lumpenprolétariat réduit au silence comme ce vieux casseur de
pierres dans « la petite vendeuse de Soleil ». Cinéaste déroutant par son
symbolisme pourtant transparent, ses dialogues décalés et son nihilisme
esthétique qui lui vient de la lecture de Nietzsche, Djibril Diop « sacrifie »
la narration au profit visuel et du symbolique. En une image, il exprime
beaucoup de choses. Djibril Diop est le cinéaste du fourmillement et de la
multitude d’images suggérées. Quel paradoxe !
La posture
esthétique de Djibril Diop est éminemment politique. Mambéty est un révolté qui
ne crie pas sa colère sur tous les toits. Derrière son calme apparent il ya une
colère zénithale. Regardez ce chemin de croix effectué par une Afrique dévaluée
à travers sa monnaie symbolisée par le personnage de « Marigo » dans « LE FRANC
» qui traine avec une porte et tombe plusieurs fois comme Jésus Christ sur le
chemin du mont Golgotha ! Que dire de ce monisme religieux et syncrétique
des africains dans la mémoire de qui sonnent le chant du muezzin et l’image du
héros Ceddo toujours exprimé dans « LE FRANC » ? Chez Djibril Diop nous avons
tout intérêt à chercher des réponses à nos contradictions telles que exprimées
dans « HYENES » où les hommes cannibalisent leurs semblables comme les bêtes
sauvages et cela à vil prix.
Mambéty a
tenté de nous révéler une certaine modernité africaine par une réinvention de
l’écriture cinématographique. Voilà sa grande contribution. Du reste, il est
jusqu’ici le seul cinéaste Sénégalais en compétition officielle au festival de
Cannes. C’était en 1992 avec « HYENES ».
Né à Dakar en 1945, Mambéty est décédé le 23 Juillet 1998 emportant avec lui les secrets de sa fêlure qui était déjà manifeste dans « Touki-Bouki », son premier long-métrage.
Khalifa Touré
"IL SERAIT BIEN POUR LE FUTUR DU CINÉMA DE SAVOIR QUE L'AFRIQUE EXISTE" Djibril Diop Mambety
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