mercredi 22 mai 2019

L’envie tue la société à petit feu : C’est ainsi que meurent les jeunes filles en fleur



 « Dis : je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante, contre le mal des êtres qu’il a créés, contre la mal de l’obscurité quand elle s’approfondit, contre la mal de celles  qui soufflent sur les nœuds et contre le mal de l’envieux quand il envie » Le Coran

C’est moins la jalousie, sentiment galvaudé, que l’envie qui pose problème. C’est dans l’envie que git la bête immonde, la crapule dégueulasse qui pue de la plus nauséeuse des puanteurs. Ce n’est pas de la jalousie comme celle de Dimitri dans les Freres Karamazov de Dostoïevski, cette jalousie fiévreuse, ridicule et même risible qui se nourrit d’elle-même, qui s’invente pour exister, cette jalousie pathologique qui ne fait pas grand mal puisqu’elle tient de l’amour, ce n’est pas cela. Dostoïevski a ainsi écrit les plus belles pages sur la psychologie de l’homme jaloux. Chose étrange et peu remarquée est que les écritures saintes des religions, l’Islam et le christianisme pourfendent l’envie au lieu de la jalousie. Telle est la remarque ainsi faite par le seul philosophe vivant  que fréquente : Yves Gallezot. C’est que la jalousie n’est pas l’envie.  

Ce jeune félon de Tambacounda a tenté de violer et puis finalement tuer par envie, sentiment anodin et même bénin pour certain   mais en vrai c’est la tumeur maligne qui ronge l’âme de la société. Nous sommes dans une époque à l’atmosphère faisandée ou les miasmes morbides de l’envie et  de la convoitise prennent le chemin du  « Jardin aux sentiers qui bifurques ». Mais heureusement l’écrivain argentin Jorge Luis Borges auteur de l’expression puis du recueil de nouvelles fut un homme clairvoyant et lucide malgré sa cécité. Le point commun entre ces deux références est seulement l’incompréhension, l’incompréhension face à cet acte odieux de ce jeune assassin qui n’a réfléchit qu’en dessous de la ceinture comme tous ces jeunes amis qui hantent les cercles de thé, qui parlent jours et nuits dans un vocabulaire incohérent. Personne ne remarque cette manière misogyne et imbécile de désigner les filles ; « Xale bi » en wolof ou la petite, la minette,  comme pour dire que la gent féminine n’est faite que pour ça ! Elle est éternellement mineure.

L’argent, le sexe et le pouvoir sont des mobiles à la fois suffisants, constants et probants. Pour le jeune énergumène de Tambacounda, le sexe est le mobile flagrant mais aussi le pouvoir qui est  la cause psychologique de tout crime. Ceux qui tuent veulent prendre possession de tout et exister comme maitre de la situation. Ils sont faibles en vérité ! Le processus criminel est une mécanique implacable chez William Faulkner, lisez «  Le Gambit du cavalier ».  Dès que le premier geste malveillant et apparemment anodin est posé, le tueur fût-il le jeune homme le plus doux apparemment, ne pourra plus s’arrêter, l’instinct de mort le domine et se substitue à la satisfaction sexuelle pour devenir son prolongement. Ce n’est pas pour rien que  le plus grand nouvelliste français, Guy de Maupassant a écrit « Fort comme la mort ». Le sentiment d’ôter la vie est plus fort que le sexe, tout cela relève de la perversité. Quant à Dostoïevski, dans « Crime et Châtiment » le processus criminel est de la psychologie des profondeurs. Que devient l’âme de celui qui tue ? Une grande lumière s’échappe du criminel, la lumière de vie, il devient un mort vivant voué à l’enfer. L’enfer est plus terrifiant que ce l’on dit. C’est la confrontation avec l’Eternité. Il s’agira de  faire le grand tour qui durera en millénaires  incalculables. Ce sera la confrontation à la transmutation, à la transformation sous forme de régression de vie. C’est terrible. « Tu ne tueras point ! »
Tentez de violer une fille, vous finirez par la tuer volontairement même si au début l’intention n’était pas là, surtout lorsqu’elle se défend.

Sous nos tropiques qui ne pleuvent plus, la seul poète sénégalais qui vaille Ibrahima Sall , à la veille du grand prix du chef de l’Etat pour les lettres a écrit, sur la puanteur nocive, les sentiments corrosifs, les postures sociales qui tuent et qui,  il y a quelques « instants » faisaient rire ou souffrir : «  Riches ? Les excréments n’ont d’odeur tout comme le Dieu Argent. C’est une fosse commune pour les aisances de tout un chacun. Dieu sait que l’homme ne peut, ni  n’a le droit de sentir mauvais » Lorsque par un « programme collectif pernicieux » on en arrive à pousser une société à l’envie servile, l’esclavage de l’envie, l’envie de tout, l’exhibitionnisme odieux, le m’as-tu-vu chronique,  on verse dans l’économie politique de la convoitise mortelle, du vol, du viol, de la rapine, de la trahison et de la félonie comme disait les anciens. Nous sommes dans une société de la monstration et non de l’occultation.

 Quoi de plus naturel que l’envie dirait-on. La nature a bon dos ! Et quid de la culture ? Le Jeune Jean Jacques Rousseau viendra nous sauver avec son printemps éternel. Nous sommes dans « l’hiver » de nos vies gangrenées par les choses factices et rutilantes qui sont exhibées au vu et au su de  tout le monde,  au nez et à la barbe des anciens au regard interloqué et surtout devant une jeunesse désorientée qui n’a que faire sinon… envier jusqu’à la mort, envier jusqu’à violer sa voisine parce qu’elle est dans les canons de beauté apparente préfabriqués par l’industrie et la culture du spectacle. Bientôt certaines filles n’apparaitront plus à la télé, parce que trop noires, trop rondes et donc très moches et qui par-dessus le marché ne savent pas grasseyer comme il faut. L’envie et le manque de vigilance sont passés par là ! Nous passons tout notre temps à envier non pas aimer! Nous en sommes arrivés à l’époque où ceux qui envient haïssent en même temps. Il n’y a plus de champs pour cultiver le gout des autres et l’amour des choses simples. Les jeunes n’hésitent plus à reluquer la femme de leur copain et même en parler ouvertement. La malveillance juvénile existe, il ne faut pas se leurrer. Pire il y a la malveillance infantile. Lisez le terrible « Le marin rejeté par la mer » du Japonais Yukio Mishima. 

Nos codes éducatifs sont fondés sur la matérialité et le désir de prendre, posséder et finalement voler. Le poète a dit « Il buvait le chef-d’œuvre exposé à sa seule concupiscence. Elle dévorait le monstre de métal qui glissait sur le macadam. L’hommage palpébral que le jeune homme rendait à la créature de rêve était reversé aux mille antipodes d’une beauté de carrosserie rutilante. C’était le siècle où les jeunes filles épousaient  des machines sophistiquées »  Voilà le chef-d’œuvre de l’envie moderne exposée Ibrahima Sall en toute clairvoyance dans « les routiers de chimère. » En ôtant la vie, le tueur a voulu « défaire la beauté de la jeune fille » selon le mot de Kawabata, mais il ne l’a pas réussi. Bineta Camara a sauvé son honneur jusqu’à la mort. Paix à son âme !

Khalifa Touré
Critique littéraire
Sidimohamedkhalifa72@gmail. Com