C'est le lot des grands meneurs d'hommes, les
bergers inspirés, les anciens leaders, c'est le métier par excellence des
prophètes, un métier dangereux, beaucoup sont morts parmi les prophètes d'Israël
assassinés par des âmes égarées et organisées qui habitent le corps des clergés
de tout genre.
Que ceux qui sont prêts à mourir s'approchent, le mont Golgotha n'est
pas loin. Cette après-midi-là il s'est passé "une vérité" qui défie
les faits aujourd’hui racontés. Les hommes ont oublié que le plus grand scandale
est la proclamation de l'Unicité de Dieu, le monisme existentiel pour les
initiés. Tous les révolutionnaires et autres anarchistes, libéraux ou
démocrates sont des enfants de chœur, ils n'arrivent pas à la cheville des
prophètes, confrontés à leur égo, leurs héritiers sont devenus des fous
désemparés.
Aujourd'hui les meilleurs scandales sont les artistes qui ont proclamé
la sacralité du sexe, cette partie dite honteuse, pourtant organe sacré. Ce
n'est pas pour rien que le féminin absolu soit éternel. Mais ils sont peu
nombreux à l'avoir dit, les autres sont dans la surexposition, la vulgarité.
Entre Sigmund Freud et ses " Trois essais sur la théorie sexuelle",
Frederich Nietzche son "Par-delà le bien et le mal" , François
Villon, Charles Baudelaire et le soft-scandale d'aujourd'hui avec "Soumission" de Michel Houellebecq,
l"Inceste" de Christine Angot, c'est le grand écart. "American
Psycho" de Breat Easton Ellis est du pur scandale à l'américaine, une
autre échelle. Ce qui choque ici ne dérange pas ailleurs. Quant aux œuvres du
Marquis de Sade, elles seraient scandaleuses à toutes les époques, dans tous
les espaces parce qu'elles sont philosophiques. "Les prospérités du
vice", "Justine ou les malheurs de la vertu", mais surtout
"La philosophe dans le boudoir" sont peut-être de l'ordre du mal, au
sens philosophique du mot. C'est la face sombre du génie comme celle de Louis
Ferdinand Céline. Un génie peut-il être un salaud?
Il y a scandale et scandale! Les
portraits arrondis et tropicaux de Gauguin sont de merveilleux scandales pour
les académiciens. Quant au Jazz et ses dérivés, n'a-t-il pas écorché les
oreilles des âmes sensibles habituées à la musique tonale des classiques.
" Le cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire et
"Nations nègres et culture" de
Cheikh Anta Diop sont d'un scandale. N'eut-été la fièvre surréaliste de
l'époque, le poète antillais serait plus scandaleux. Le plus délicieux des
scandales contemporains est la poétesse et chanteuse française Brigitte
Fontaine. Elle est d'une insolence exquise et raffinée. Qu'elle folie assumée!
"Le déserteur" de Boris Vian et son collège de Pataphysique ne sont
pas loin. Les déhanchements scandaleux d'Elvis Presley ne sont rien derrière
les pas de danses asymétriques et incompréhensibles du chanteur
sénégalo-gambien Moussa Ngom. Ses reculades sur scène et ses battements d'ailes
de canard valent un milliard. Paix à son âme! Son refus du succès est le plus
grand scandale. Le génial Chanteur
Souleymane Faye est du même "acabit", son plus grand scandale est la
sincérité de sa musique et sa manière d'être.
Il y a quelque chose de plus fort que lui qui l'habite et qui fera de lui peut-être
dans "une vie ultérieure", un guide, un meneur. Finalement le scandale est compliqué, complexe
et même étriqué.
C’est ainsi que vont les malheureux ouvriers du scandale public, parmi
eux il y a des ingénieux héritiers des mages et des prophètes. D’autres parmi
eux ont bu jusqu’à la lie la coupe édulcorée du scandale public. Mais il y a la
multitude qui brave les interdits de factice, ils revendiquent la folie, drapés
de leur manteau de faux semblants ! Ce sont les faux fuyants de l’Art,
au-dessus d’eux il y a les êtres sincères, ceux qui ont choisi d’être vrais, un
métier périlleux. Ils sont loin de la mercantilisation de l’art. Ils peuvent
gagner de l’argent, peu ou prou, beaucoup d’argent ou peu mais ils sont libérés
de l’esclavage des biens matériels. Un métier compliqué et même complexe. Il y
en a de toutes sortes, des révolutionnaires, des réactionnaires, des partisans
du chômage, des saints, des salauds et même des fripouilles…
Nous avons eu ici sous les tropiques, un Sembène Ousmane écrivain et
grand cinéaste, un rebelle, un incompris impertinent jusqu’à la fin qui s’est
souvent trompé sur l’homme sénégalais, la société sénégalaise telle qu’elle est,
mais c’est « de bonne guerre », le propre des artistes politiques
c’est de se tromper, c’est leur mission, ils ne cherchent pas la perfection et
leur imperfection subjective fait la beauté et l’intemporalité de leurs œuvres,
ils prêtent le flanc à la critique parce qu’ils sont dogmatiques. C’est leur
manière de faire œuvre utile. Quant à Djibril Diop Mambéty grand cinéaste
africain, l’un des plus grands artistes du XXème siècle, il fit scandale
surtout par son regard particulier : comment peut-on faire un cinéma à la
fois populaire, symbolique et parfois hermétique. Il l’a réussi ! Comment
peut-on être à la fois présent par la vérité et la vraisemblance de ses
personnages défigurés et distant par ce discours poétique ? Les plus grands cinéastes sont des
« scandales publics » et parfois privés. Le très réactionnaire Elia
Kazan de l’époque du Mc Carthysme, le maniacodépressif Howard Hughes et son
gigantisme cinématographique sont des
exemples particuliers. Aujourd’hui le « cinéaste public » le plus
scandaleux et le plus « dangereux » reste Lars Von Trier.
« Dangereux » est pris ici au sens de « A dangerous
method » du grand cinéaste canadien David Cronenberg, une conception
freudienne du danger. Peut-être que Lars cherche-t-il trop le sandale à travers
ses déclarations ambiguës ? Pourtant « Anti-christ » et
« Melancholia » sont regardables. Un cinéaste comme Clint Eastwood a
frôlé le danger avec « Mystic River » son meilleur film avec
« Million Dollar Baby », mais personne n’a trouvé à y redire. Il
n’est pas loin de réveiller les bas instincts.
Vincent Gallo, lui, est inqualifiable à la fois comme réalisateur et
acteur. Il est formidable au sens latin du mot, c’est à dire fascinant et
effrayant.
Quant aux cinéastes Catherine Breillat et Virginie Despentes elles
cessent d’être scandaleuses lorsqu’elles ne sont plus publiques. La Censure les
empêche d’aller plus loin. Peuvent-elles encore aller plus loin après ce
qu’elles ont fait. La fameuse scène de Sharon Stone dans « Basic
Instinct » du Hollandais Baz Luhrmann n’est rien devant « le
travail » de ces deux vieilles coquines. « Anatomie de
l’enfer » du japonais Nagisha Oshima est le sommet de la luxure, de la
concupiscence poétique , c’est le chef-d’œuvre du genre. « L’amant »
de Jean Jacques Annaud, une belle adaptation de « Hiroshima mon
amour » de Marguerite Duras, est un scandale intermédiaire entre le film
de Oshima et celui de Catherine Breillat.
Les scandales artistiques sont de
toutes sortes et de tous lieux. Le poète
Ibrahima Sall de « La génération spontanée » et des « Mauvaises
odeurs » est le véritable scandale de la littérature sénégalaise. Son scandale n’est pas seulement
esthétique (il écrit comme personne et dans tous les genres ou presque), son scandale
est éditorial dans un certain sens, difficile
de trouver ses livres et d’obtenir des informations sur l’homme. Il est le
« meilleur » écrivain sénégalais en son genre hélas, ce qui est le
plus grand scandale du reste. Autre grand scandale et impertinence éditoriale
et celle de l’Editeur africain Seydou Nourou Ndiaye des Editions Papyrus qui ne
publie sincèrement qu’en langue africaine sauf rare exception ! Un choix
« scandaleux » avant que tout le monde se mette à éditer ou publier opportunément
par-ci et par là des livres en langues africaines. Voici la voie royale des grands scandales du
XXIème siècle, ceux de la représentation des cultures dans le monde à travers leur
mode d’expression linguistique.
Khalifa Touré
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