« Quelle invention admirable
que le livre ! » disait Jean Jaurès.
« Je suis curieux de savoir le livre que lit le
président Chirac présentement », tel est le propos pour le moins
inquiétant de Monsieur François Léotard,
ancien ministre français de la culture, invité de l’émission Culture Vive sur RFI il y a quelques
années. Le jeune frère du talentueux acteur et non moins normalien Philippe
Léotard, s’inquiétait de l’inculture généralisée qui frappait les hommes politiques
de l’ère moderne. Un sujet important et même grave si l’on s’en tient aux
propos du général De Gaulle qui pense que « La
véritable école du Commandement est la culture générale ».
Charles De Gaulle,
lui-même, ne voyageait jamais sans
« les mémoires d’Outre-tombe » de Chateaubriand. Lecteur assidu, il suffit d’écouter les discours
qu’il rédigeait lui-même et lire ses livres pour être édifié sur la qualité
littéraire des écrits de cet artilleur de l’armée française. De Gaulle
est un véritable écrivain, lisez « Le fil de l’épée » vous en serez convaincu. Le prix Nobel de
littérature n’a-t-il pas été décerné à Winston Churchill pour ses
« Mémoires de guerre » ? Le lointain Jules César quant à
lui, se payait le luxe de prendre le temps de déclamer des poèmes en pleine
guerre. Lisez Max Gallo, vous serez édifié sur les efforts de Napoléon pour pénétrer le savoir.
Napoléon s’est « tué » à lire des livres surtout par utilité. Jean Jacques
Rousseau, l’Abbé Raynal et le traité de mathématiques de Bézout
ont été parmi ses lectures les plus importantes.
Le grand Abraham
Lincoln a entièrement lu le
monumental « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque.
Il citait de mémoire William Shakespeare. Il suffit de s’intéresser un
peu à la pensée politique d’un Thomas Jefferson pour savoir que cet
homme s’est beaucoup penché sur l’œuvre
de John Locke. Le général George Patton, l’homme à la crosse d’argent,
citait « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide en
grec ancien.
Plus tard on connaitra un François
Mitterrand qui se prenait pour le dernier grand président français, montrer
une culture littéraire exceptionnelle par la qualité de son écriture et sa
verve littéraire, lisez « le
coup d’Etat permanent » même si vous n’aimez pas l’homme vous aimerez l’écriture.
Il avait du talent, ce Monsieur ! Quant à Mohammed Mossadegh le grand homme d’Etat iranien à l’époque du
Shah, il était convaincu que « le
monde irait mieux si les hommes qui
nous gouvernent lisaient davantage ». Ses lectures allaient de la littérature
orientale aux plus grands chefs d’œuvre de la littérature Française, américaine
et Allemande. Hassan Tourabi, le leader politique soudanais à lu et relu les 37
tomes des fatawas d’Ibn Taymiya,
c’est hallucinant !
Plus récemment le
président Bill Clinton avait des heures précises consacrées à la lecture et
au cinéma. La lecture de « Cent ans
de solitude » de Gabriel
Garcia Marquez, l’a définitivement marqué. Quant à François Hollande il n’est pas un grand lecteur, d’ailleurs il ne s’en cache
pas. C’est plutôt Nicolas Sarkozy qui se prenait pour un homme
cultivé en citant Ernest Hemingway devant le très littéraire Mitterrand,
histoire de faire bonne figure.
Mais la vérité est qu’il y a
beaucoup d’hommes qui se ruent vers la politique sans « au préalable »
se forger une grande culture générale. Pire, des hommes politiques arrivent au
pouvoir sans aucune forme de préparation « intellectuelle ». Beaucoup
d’hommes politiques n’ont jamais ouvert un seul livre sur l’Etat. Ni « Anarchie,
utopie et État » de Robert Nozick,
encore moins « L’Etat » de
Anthony De Jasay. On en est même
arrivé à une époque ou il n’est pas rare d’entendre un grand homme politique
qui occupe une haute fonction étatique confondre « lamentablement »
État et gouvernement. Des politiciens « braillards » qui occupent le
haut du pavé se permettent même d’ignorer l’ordonnancement démocratique du pays
en se méprenant fréquemment sur les différentes articulations d’un tel système.
Beaucoup de politiciens gagneraient à lire « La parole et la cité »
de Mahamadé Sawadogo ou
« Du bon usage de la démocratie » de feu le professeur Sémou Pathé Gueye.
Les confusions entre régime
et système politiques sont à profusion dans nos débats politiques. A écouter certains politiciens on se rend
compte à l’évidence qu’ils n’ont jamais ouvert un livre de droit ou d’économie
encore moins des livres de théorie ou de philosophie politique. Des
« libéraux » qui n’ont jamais entendu parler de John Locke ou Milton
Friedman, des socio- démocrates qui ignorent « Théorie de la
justice » de John Rawls, des socialistes qui n’ont pas vu l’ombre de
Joseph Schumpeter. La paresse devrait même les « pousser » à lire au
moins les Manuels de synthèse, si tant est que la paresse peut servir à quelque
chose. Que personne ne soit étonné que nos politiciens, à quelques exceptions
près, n’inspirent aucun respect. Ils ignorent par inculture cette vérité
antique qui veut que l’Esprit gouverne le monde. Tous ces chefs d’Etat qui
ne sont pas habités par « L’Esprit » seront surpris d’être vite oubliés
lorsqu’ils quitteront le pouvoir. On a beau réaliser des choses soit disant
concrètes, mais si ces œuvres ne sont pas impulsées par une « IDEE »
elles vont s’écrouler comme un château de cartes.
Aujourd’hui,
lorsqu’un homme politique est incapable de forger une idée politique, on dit
qu’il est concret ou bien même qu’il n’est pas un littéraire, il est
pragmatique. Quand est-ce
que le pragmatisme est contraire à l’Idée ? N’y a t-il pas d’idées
pragmatiques et même des utopies réalisables. D’ici peu la médiocrité sera une ambition. On ne connait aucune grande idée venant de
la plupart de nos hommes politiques. Aujourd’hui on se permet d’affirmer
avec toupet qu’un ministre de la santé
doit forcément être un médecin ou un ministre des affaires étrangères un
diplomate de carrière. Le manque de culture ou de culture générale tout court
est passé par là. Docteur Abdoul Karim Gaye et Maitre Doudou Thiam, illustres
ministres des affaires étrangères n’étaient pas pour autant des diplomates de carrière ?
On
est expert qu’en ce que l’on fait et pas forcément ce que l’on a appris. Un
homme comme Alain Minc, économiste reconnu est sorti pourtant de l’école
des mines, Jacques Attali est un polytechnicien, mais ils sont respectés
et même craints par les plus brillants économistes parce ces deux hommes
pratiques l’économie et la finance malgré une formation initiale différente.
Au Sénégal le président Mamadou Dia,
lecteur admiratif de Pierre Corneille et de Jean Racine est un instituteur de
formation, mais ses connaissances en économie sont étonnantes. Il est ,avec le
Père Lebret, l’auteur du premier plan économique du Sénégal indépendant.
Son frère ennemi Léopold Senghor, en
sus d’être un grand poète est un lecteur assidu du Père Pierre Teilhard de Chardin
et des classiques comme Aristote. Le président Moustapha Niasse se
souvient encore aujourd’hui de ce test que Senghor lui a fait subir en lui
demandant d’écrire un discours fondé sur
« L’étique à Nicomaque » d’Aristote.
Il n’est donc pas étonnant
d’entendre Moustapha Niasse faire étalage d’une culture
classique à nulle autre pareille dans la classe politique Sénégalaise. Du reste
il est l’un des rares ou le seul homme politique Sénégalais qui s’exprime dans
un français littéraire recherché. Quant au
tonitruant Idrissa Seck, cet
homme attire par son extrême éloquence qui ne dénote pas forcément une grande
culture littéraire. Il a certainement lu par ci et par là. Mais il suffit de
l’entendre dire devant le journaliste Abdou Latif Coulibaly
« Périclès a dit » pour savoir qu’il n’est pas un grand lecteur. Il
devrait dire « le Périclès
de Thucydide a dit » par exemple. Par ailleurs lorsqu’il a cité Hamlet dans l’une de ses nombreuses
sorties médiatiques, des jeunes étudiants se sont empressés d’aller chercher un
écrivain qui s’appelle Hamlet. Ils ne savaient pas (les pauvres !) que
Hamlet est un personnage de Shakespeare. Pour soldes de tout compte
Idrissa Seck a une réputation surfaite mais « culturellement » il
vaut mieux que bien des politiciens, même si l’on sait que se mesurer à la
médiocrité n’est pas une ambition.
Des auditeurs avertis parmi
nos amis ont affirmé d’ailleurs, qu’il n’a pas lu Hamlet de Shakespeare sinon il ne l’aurait
pas cité dans un tel contexte. Hamlet qui ne maitrise pas son destin et qui
croule sous le poids des forces qui l’accablent, ne saurait être une référence en politique.
Depuis Nicholas Machiavel on sait
que la politique est l’art de contraindre la Fortune par la Vertu. La citation
de Hamlet est peut-être « lapsus linguae » qui révèle une forte imprécision
entre la fortune et la vertu chez l’homme. Idrissa Seck est-il un homme qui
croit à la vertu de la nature ou à la fortune des événements ? La lecture
dans Plutarque des vies de Nicias
qui se cachait derrière la fortune et Sylla
qui mettait toujours la fortune en avant l’aiderait peut-être à comprendre et
à se déterminer.
Dans ce pays il y a des
lecteurs boulimiques comme le professeur Amady Aly Dieng ou le linguiste Souleymane Faye qui peuvent vous dire
si telle personne a lu l’auteur qu’il cite ou pas.
Un jour lors d’une sortie publique, Maitre Abdoulaye Wade a cité Joseph Schumpeter.
Et Amady Aly Dieng d’aller lui dire « mon ami tu n’as pas lu
Schumpeter » et Wade de reconnaitre le fait. A propos de Wade et de la
lecture, on ne peut pas être agrégé d’économie et docteur d’Etat en Droit sans
avoir lu quelque chose, mais en vérité la lecture n’était pas vraiment une
grande préoccupation pour Maitre ABDOULAYE Wade.
Quant au président Macky Sall, comme François Léotard l’a
fait avec Jacques Chirac, je me pose la
question suivante : «Mais quel est
le dernier livre que le président de la république a lu ? »
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panorama critique
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