« Je ne suis pas
un romancier, je suis écrivain » disait Jean Paul Sartre.
Ce propos du
« chantre »de l’existentialisme n’est pas une simple boutade
colérique. Il pose la problématique essentielle de l’écriture. Si un romancier
n’est pas forcément un écrivain, mais qu’est-ce qu’un écrivain ? Des
monuments de la réflexion sur l’écriture comme Jacques Derrida et Maurice
Blanchot se sont penchés sur le phénomène et le résultat est étonnant. Nous
pensons pour notre part, qu’il n’y a d’écriture véritable que lorsque la forme
possède son propre contenu ; lorsque le texte contient une singularité,
une tonalité, une « musique » qui n’a d’autre origine que le texte lui-même,
voilà que débute l’écriture. Il ne suffit pas de tenir une belle histoire
captivante pour être écrivain. La littérature n’est pas que Mimésis, quoi qu’en
dise le monumental Erich Auerbach. Mais pouvons nous établir une relation de
nécessité entre l’écriture et la politique ? Un écrivain n’est pas
forcément politique. Mais là n’est pas la question.
Nous pouvons trouver en
l’occurrence des hommes dont l’engagement intellectuel se prolonge par la
politique et d’autres parmi la grande caste des « politiciens » qui
prennent la direction inverse en allant de la politique à l’écriture. Cette
continuité qui fonctionne dans les deux sens pose certainement un problème
affairant à l’acte de création. Comme l’écriture, la politique est davantage un
art qu’une science. La politique en tant que « discours » pris dans
le sens foucaldien du mot est une forme d’écriture qui peut se donner à lire
rien que dans la manière de gouverner. Le grand Charles De Gaulle fut un modèle de « gouvernement par la litote », quant à François Mitterrand il reste à ce jour le plus florentin des hommes
politiques français. Le très sombre Adolf
Hitler, par un parallélisme nocif,
est allé très loin chercher les
Walkyries dans la mythologie nordique pour agir et écrire son funeste
projet. Le Napoléon de Max Gallo
écrivait « avec la spontanéité d’un jeune homme et la force d’une pensée
qui invente son style ».Léopold
Sédar Senghor avait son langage politique, une manière de faire puisée à
coup sur dans ses « humanités ». Il cherchait la grandeur littéraire
et politique à travers l’écriture et cette manière autoritaire de gouverner. Tout
cela fait penser que la politique est
cette matière malléable que les hommes politiques pétrissent et lui donnent une
forme à leur guise. De là à glisser vers « l’écriture au sens scripturaire du mot », il n’ya qu’un pas.
En France le pays où
l’écriture est inscrite dans l’imaginaire sociale, les hommes politiques
pensent naïvement que le succès en librairie est une bonne entrée en matière
dans la chose politique. Ils sont rares les hommes politiques français qui
n’ont pas écrit « quelque chose ». Des publications de toutes sortes
aux fortunes diverses, certaines vite oubliées, trônent au fond des
bibliothèques empoussiérées. Toute cette volonté ostentatoire de « faire
de l’esprit » ne fait pas forcément de Sarkozy, Ségolène Royal ou
Manuel Valls des écrivains patentés. Au contraire elle participe d’une
sorte de rituel « creux » qui a fait dire à Michel Roccard que la France est atteinte de graphomanie. Un auteur de livres n’est pas forcément un écrivain.
Un écrivain possède forcément un style. Selon la formule de Schopenhauer « Le style c’est avoir quelque chose à dire ».
Le mot style est devenu banal mais le contenu est difficile. Autant dire de façon
sommaire que lorsqu’on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire. Ce n’est
certainement pas l’avis de ces « politiciens » qui pensent que
l’écriture est un passage obligé.
Lorsque l’on tente de pousser l’analyse jusqu’à ses derniers
retranchements l’incursion des
politiques dans le monde de l’écriture est une sorte d’effraction, une manière
de pirater et « voler » l’esprit aux écrivains. L’écriture est un
rituel prestigieux et les politiciens sont tentés par le prestige. Chez « les politiciens » l’écriture
est davantage une tentation qu’une tentative.
Au reste, François
Bayrou le béharnais prof de Lettres Classiques, est l’auteur d’une excellente biographie d'Henri IV, Le Roi libre, vendue à 300 000 exemplaires. Le très cultivé Jack Lang, brillant Juriste est l’auteur d’une vingtaine de livres
dont « Lettre à André Malraux »
publié en 1996, le sulfureux et très brillant économiste Dominique Strauss Kahn a écrit en autres livres « La flamme et la cendre », Alain Juppé le féru de lettres classiques,
a profité de l’exil au Canada à la suite de ses ennuis judiciaires pour écrire
« La tentation de Venise »,
Laurent Fabius le cacique à
l’agrégation de lettres modernes a publié « Les blessures de la vérité » prix du livre politique en 1996
et « Le cabinet des douze »
prix Montaigne de Bordeaux 2000. Quant au fameux Dominique de Villepin, « accusé » d’avoir une vision
livresque de la France (un compliment plus qu’un reproche), il a une
graine d’écrivain. Il est l’auteur de romans,
poèmes et essais. Plusieurs de ses
ouvrages ont été primés dont « La
chute ou l’empire de la solitude ».Hormis
les ouvrages littéraires de Villepin, toutes ces publications fort intéressantes ne font pas pour
autant de ces braves messieurs des écrivains au sens littéraire du mot. Ils
restent tout de même des auteurs cultivés et talentueux.
Tout ce concert d’écriture relève peut-être d’une tradition
fondée sur le malentendu suivant : tous
les grands écrivains français du 19ème sont des hommes politiques. Mais
ce n’est pas la politique qui a fait de Victor Hugo ou Lamartine un écrivain,
mais bien le contraire. Cette
réflexion fondée sur un fait historique appelle certainement une typologie « universelle » des
écrivains-hommes politiques :
-Nous avons d’abord les écrivains qui font œuvre de politique
parmi lesquels trône en maitre « le plus grand poète français
hélas ! »Victor Hugo dont
l’engagement politique lui a valu l’exil à Guernesey. Il est l’auteur de textes
politiques inédits et presque prémonitoires sur l’avenir de l’Europe. Son
modèle, le grand chateaubriand et Lamartine furent de grands hommes
politiques. Léopold Sédar Senghor serait
entré en politique « tout à ait par hasard » en faisant des
recherches dans les campagnes
sénégalaises pour enrichir sa thèse inachevée. Aimé Césaire avant de militer et quitter le parti communiste
français est d’abord un poète accompli dont
l’incandescence n’a d’égal que la grande idée qu’il se fait l’homme. C’est
un poète politique. Il n’est que de lire l’abondante bibliographie du professeur
Cheikh Anta Diop, chercheur émérite,
illustre égyptologue, secrétaire général du RND, pour être édifié sur la relation parfois « génétique » entre l’écriture et
l’engagement politique. Ses écrits ont
subit le même sort que son action politique. Frappé d’ostracisme, les étudiants de l’université qui
porte son illustre nom ignorent aujourd’hui son œuvre pionnière .Vaclav Avel président de la république
tchèque est un immense dramaturge dont la voix autorisée a salué la disparition
de Tennessee William comme l’un des
plus grands dramaturges du 20ème siècle. Que dire alors des André Malraux, Cheikh Hamidou Kane et Mario Varga Llosa dont on ne sait même pas par quelle opération du
Saint-Esprit, ils se sont retrouvés dans le monde politique qui n’est pas le
leur.
-Arrive alors, en second lieu, la catégorie des hommes politiques qui font œuvre d’écriture. L’écriture n’est pas
un « métier » pour eux, mais leur grande culture et leur expérience
politique n’ont pas manqué de provoquer le
désir d’écriture chez eux. Ils ont peut-être écrit par « amitié » comme le dit Jack Kerouac. Savez-vous
à ce propos que John Fitzgerald Kennedy a raflé le prestigieux
prix Pulitzer en 1957 pour son ouvrage « Profile in courage » ? Au Sénégal feu Abdoulaye Ly fondateur de PRA-Sénégal est l’un des plus grands
historiens d’Afrique, lisez « La
compagnie du Sénégal ». Quant à Lamine
Gueye il n’a pas pris le temps d’écrire un ouvrage digne de son grand
talent ; son « Itinéraire
Africain » entre autres textes reste insuffisant pour un homme aussi instruit.
Le président Mamadou Dia instituteur
de métier est un homme étonnant par le « niveau doctoral » de son
œuvre prolixe et éclectique qui va de la théologie à l’économie en passant par
l’anthropologie ; ses « Mémoires
d’un militant du tiers monde » sont l’un des textes
politiques les plus « larmoyants ». Beaucoup de lecteurs ont pleuré
après avoir lu ce livre. Ces mémoires larmoyants de vérité restent un avis aux
futurs auteurs de vrais mémoires ou de vrais faux mémoires. Qu’ils fassent
attention ! Les lecteurs et les témoins
sont vigilants et veillent au grain. A ce propos « Le petit berger peulh au service de la
République » de Monsieur Djibo Leyti
Ka recèle des erreurs factuelles graves et peut-être volontaires, selon des
témoins.
Que dire des Moustapha
Niasse, Habib Thiam, Abdou Diouf et même du taciturne Ousmane Tanor Dieng ?
Personne ne leur pardonnera de
ne pas écrire leur « Mémoires » tant leur présence au sommet de
l’Etat a été longue. Les curieux lecteurs attendent de Monsieur Habib Thiam
plus que son très personnel « Par
devoir et par amitié ». Les mémoires font partie de l’historiographie
moderne. Mais attention ! Les « diplomates » entretiennent un certain
quiproquo avec la vérité historique. Le controversé Henry Kissinger l’a
reconnu après en avoir fait les frais. Par ailleurs il y a une bonne catégorie de politiciens dont les mémoires n’auront
aucune forme de crédit à cause de la tortuosité de leur auteur. Quant au « très
intéressant » Abdoulaye Wade il
vaut mieux que des « écrivains sérieux » se chargent de sa
biographie. Ce sera plus crédible ! « Un destin pour l’Afrique » qu’il a publié n’est pas un livre
suffisant pour connaitre les convictions de l’homme. Au reste il est dommage
que les mémoires du Professeur Assane
Seck « Sénégal,
émergence d'une démocratie moderne, (1945-2005) : un itinéraire politique (préface de Djibril Samb), 2005,
n’aient pas du tout provoqué un « événement éditorial ».
Parmi les hommes de la
gauche classique Majmout Diop est
l’auteur d’écrits politiques à caractère idéologique mais s’il avait publié ses
mémoires ! Un Landing Savané
n’a jamais continué et valorisé sa carrière de « jeune poète » de la
gauche, ses textes poétiques restent méconnus, El
Hadji Momar Samb a passé de
justesse à coté du grand prix du chef de
l’Etat pour les lettres avec « Ces
dames de silex ».Le plus grand
regret éditorial et intellectuel reste à ce jour le valeureux Tidiane Baydy Ly ;
les Mémoires de ce conquistador de la liberté auraient pu nous éclairer sur
l’historique Parti Africain de l’Indépendance. Amath Dansokho et Abdoulaye
Bathily gagneraient à nous dire dans un livre à deux mains pourquoi
« le grand soir » ne s’est jamais réalisé au Sénégal. Ce serait une
expérience intellectuelle et militante inédite.
-Enfin s’approchent honteux les premiers à la queue, ceux qui
seront condamnés par illettrisme à ne rien publier. Même pas de « Mémoires » ;
ils mourront anonymes, la pire des fins pour un homme politique ; pas de
gloire politique encore moins de gloire littéraire, gisant sans nom au
cimetière de l’oubli.
Khalifa Touré
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