« Toutes les limitations, les conflits et même
les destructions du pouvoir sont dus à la non-observation par les gouvernants
des conditions auxquelles le pouvoir leur a été transmis » Léon Tolstoï,
Guerre et paix, p.861, éd. de poche
Les problèmes des démocraties modernes surtout en
Afrique, sont principalement liés à une pathologie qui pourrait être qualifiée
d’anomalie électorale. En effet pour exister les démocraties font trop
confiance aux élections, à la dévolution du pouvoir, fussent-elles légales. Or
les seuls mécanismes électoraux, quelques importants qu’ils puissent être, sont
loin de suffire pour garantir le respect du contrat politique et
moral qui lie « le chef suprême » à ses compatriotes. En démocratie
le pouvoir est toujours transmis sous conditions. Malheureusement ces
conditions ne sont pas toujours suffisamment prononcées, noyées qu’elles sont
par la vague déferlante et tyrannique de « l’opinion publique » ;
l’opinion publique, cette chose informe et non moins concrète qui fait et
défait les hommes politiques dans une démocratie d’opinion. L’historien
Sénégalais Mamadou Diouf a vu juste
lorsqu’il avançait les propos suivants : « Je préfère les sociétés ouvertes aux sociétés démocratiques où
la démocratie est enserrée dans des logiques institutionnelles, un langage et
une philosophie qui sont en fait prisonniers de l’histoire de l’Occident. Dans
le cas des sociétés africaines francophones, le discours de la Baule de
Mitterrand (1990), considéré – faussement – comme le déclencheur des
transitions démocratiques, a joué un rôle considérable(…) Il a plutôt imposé un
corset institutionnel et les formes les plus simples de la démocratisation,
pour éviter les débordements qui auraient pu porter atteinte aux intérêts
français et aux « amis africains ». C’était une manière de canaliser
la démocratisation plutôt que de l’impulser. »
En 2000, Abdoulaye Wade a été seulement élu sur la
base des profondes frustrations et humiliations qui se sont sédimentées à
travers les 40ans de règne « socialiste ». En vérité le programme de
Fal 2000 comme tous les accords ultérieurs entre partisans politiques n’a pas
pu tenir lieu de conditions. La seule « condition » qui a emmené
Wade au pouvoir c’est l’affect. Lorsque cet affect a été détruit, ce
fut alors la fin du pouvoir d’Abdoulaye Wade.
Son impopularité a finalement atteint des proportions
irrationnelles à cause d’un ressentiment généralisé provoqué par une quantité
phénoménale d’erreurs, de fautes, d’outrages et même de provocations.
Celui qui règne par l’opinion, périra par l’opinion, à
moins de partir à temps. Le temps de la politique est un temps discontinu. Il y
a presque tous les dix ans une solution de continuité sur le fil de la
politique. Tous les
hommes politiques qui aspirent à la dignité présidentielle doivent se le tenir
pour dit ; « le vouloir changer les hommes » est inscrit dans
l’ordre de l’époque et l’’air du temps. Et la plus grande erreur des
observateurs et des politiciens c’est de croire à la toute-puissance de la
popularité ; or l’extrême popularité est le lit de l’autoritarisme
et du despotisme. Tous les grands dictateurs ont d’abord été
extrêmement populaires. La popularité n’est pas forcément la
démocratie. La dictature peut sortir des urnes ; Hitler a été légalement
élu. Aujourd’hui les systèmes dictatoriaux ont peine à perdurer du fait de
l’accélération et de la compression du temps dans les sociétés modernes. Les
choses vont très vite à tel point que les hommes chargés de gouverner
n’ont plus le temps.
Quant à Macky Sall, il vient d’être élu il ya deux ans ;
c’est relativement une bonne affaire. Mais s’est-on posé la question « préjudicielle »
de savoir si les conditions qui ont présidées à son élection sont suffisamment
prononcées et connues de tous ? La réponse par l’affirmatif est loin
d’être évidente. Un président nouvellement élu doit toujours se poser cette
question : POURQUOI MOI ET PAS LES AUTRES ? De la réponse dépend
l’attitude future de l’homme-président. Si la réponse est égoïste, du genre je
suis le meilleur, la suite ne peut qu’être un pouvoir qui écrase ; mais si
la réponse est « On m’a choisi par ce que je suis différent »,
alors les citoyens pourront espérer, seulement espérer.
Au reste il y a une loi politique aussi ingrate que
juste. C’est que toutes les personnes qui ont concouru à emmener le
président au palais ne sont pas pour autant aptes à exercer des fonctions
étatiques. Macky Sall sera confronté à cette équation comme l’a été
Abdoulaye Wade. Tous les grands hommes d’Etat ont été confrontés à ce
douloureux choix qui consiste à trier dans la masse déferlante des courtisans, des
courtiers, des souteneurs, des opportunistes, des technocrates, des fidèles
fanatiques, des hommes d’Etat. Ce problème a été savamment posé par Henry
Kissinger et le Général Colin Powell dans leurs différents Mémoires.
Cette équation est plus facile à résoudre dans les « pays développés »
que dans les nôtres où la marche vers le pouvoir est souvent irrégulière,
alambiquée et quelques fois même tortueuse d’où ces alliances très compliquées
qui défient la raison. Voilà ainsi posée l’une des grandes faiblesses de la
démocratie sénégalaise.
Il n’est pas rare d’entendre dire que le pouvoir doit
se conquérir de haute lutte, après d’âpres combats comme si on n’était pas en
démocratie. Ceux qui avancent cette conception de la prise de pouvoir ont pour
référence « inconsciente » le parcours de Wade qui a été très
difficile par ailleurs. Depuis lors, les choses ont beaucoup changé du
point de vue de la maturité citoyenne. Le parcours d’Abdoulaye Wade n’est
pas la panacée, quelque original qu’il soit, il n’est pas l’exemple suprême. En
démocratie véritable le pouvoir se gagne dans le calme et la paix. La seule
violence légitime en démocratie, c’est la violence du vote, la violence des
urnes ; Abdoulaye Wade l’a appris à ses dépens.
Aujourd’hui Macky est attendu sur des éléments
extrêmement sensibles dont la manipulation et le traitement pourront marquer à
jamais son magistère :
1. Il s’agit d’abord de la question de l’Etat et de Nation. A ce propos la difficile question
religieuse dont l’expression particulière est le clergé et toutes les
confréries et leurs excroissances qui structurent le comportement des
Sénégalais. Avec Abdoulaye Wade les Sénégalais ont assisté à la forme la plus
pernicieuse de la république confrérique. Le pays a frôlé le pire avec
cette approche tendancieuse des confréries par Wade. Il a flatté l’orgueil confrérique à un tel point que des
faibles d’esprit ont pensé qu’ils pouvaient à eux seuls le faire élire à
coups de gourdin. Ces cercles sectaires qui menacent même l’existence des
confréries elles-mêmes sont aussi
dangereux qu’ils menacent la démocratie qui est fondée d’abord et avant tout
sur la liberté et la protection de la faculté de jugement de chaque citoyen. Le
Sénégal est peut-être la seule démocratie qui tolère les sectes.
Dans toutes les démocraties les sectes sont interdites. Encore que à ce sujet
il ya beaucoup de choses à dire. Macky Sall est attendu sur la refondation
d’une république véritablement moderne où les réflexes archaïques ne pourront
prospérer. Il y a lieu d’appliquer la loi de la séparation des sphères de
pouvoir. La religion doit être protégée du politique. Ceci est un enjeu
capital. Quant au religieux, il relève plutôt du fait social et de la
conjoncture. De la compréhension et le départ qu’il faut faire de la religion
et du religieux, de l’Etat et de la Nation dépend notre système démocratique.
2. Le président Macky Sall est attendu sur la question de la gouvernance
qui inclue les questions relatives aux hommes qu’il faut dans le système de
gouvernement, à la lutte contre la corruption, le clientélisme et
l’impunité, à la séparation des pouvoirs, la transparence dans la gestion des
affaires publiques, la soumission et l’application de la loi. Macky Sall est
dans l’obligation s’il veut réussir, de créer un véritable « dream
team », un « bataillon blindé », un noyau dur dans le
gouvernement composé des meilleurs éléments, de véritables hommes d’élite, des
hommes et femmes de grande valeur. Il ne doit pas se permettre d’affecter
n’importe qui aux postes de ministère de la justice, des finances, de
l’intérieur et des affaires étrangères. D’autre part le véritable sujet
d’où il est attendu est la lutte contre la corruption, une question complexe
souvent mal posée. Le continent africain est aujourd’hui faussement défini à
travers la corruption au moment où
d’autres dynamiques silencieuses sont en train de « travailler »
positivement nos sociétés. Entre la corruption comme fléau qui ravage nos
économies et la corruption comme concept, il ya un départ à faire. Le
professeur Diouf a peut-être raison de penser que Le concept de corruption appartient « à l’effort
d’objectivation d’un continent qui semble résister à la mise en ordre
scientifique et à la normalisation ».
Tout
cela dépend de la gouvernance, de la méthode de gouvernement dont le président
a la charge d’inventer. La question pour le règne de Macky Sall est d’isoler la corruption afin
qu’elle ne prenne pas des proportions systémiques. « La
corruption est devenue aujourd’hui l’élément par lequel on montre que l’Afrique
dysfonctionne, alors que, quand on se livre à la comparaison réciproque, on se
rend compte qu’elle ne dysfonctionne pas. Elle est plutôt incapable de gérer la
corruption sans mettre en danger les institutions et le bien commun »affirme toujours Mamadou Diouf. La
réponse au phénomène de la corruption ne doit pas être faible vue l’ampleur et
la dangerosité du problème. Proposer l’audit des chantiers d’Abdoulaye Wade
est une banalité en matière de gestion, c’est le moins que l’on puisse
faire. Le défi est de s’attaquer au mécanisme même de la corruption en plus de
la répression de l’enrichissement illicite. Le président Macky Sall devra prendre des actes spectaculaires de
nature à violenter et secouer les éléments corruptogènes dans l’imaginaire des
sénégalais, notamment le népotisme qui, à l’origine, est une forme de
favoritisme liée à la relation avunculaire et donc maternelle. Il faut aller
jusqu'à la matrice, là où les choses naissent. Nos mères ne peuvent pas être
coupables de mettre au monde des enfants corrompus. La corruption est maternée
dans nos foyers. Mais en vérité elle est une construction et chaque société a
tendance à bâtir sur la matrice.
Macky Sall ne doit pas oublier que ses difficultés
dans le PDS ont commencé lorsqu’il a voulu entendre Karim Wade au sujet des
chantiers de l’ANOCI. Que personne donc ne vienne dire qu’il n’y aura pas de
chasse aux sorcières, une formule qui n’a aucun contenu judiciaire en
démocratie. S’il ya des sorcières il faut les chasser, s’il ya des démons il
faut les exorciser. Macky et ses hommes ont l’obligation d’ouvrir des enquêtes
sur l’origine de certaines fortunes. S’il ne le fait pas il aura mal débuté son
règne et contribuera à l’économie de la prédation.
Les Sénégalais l’attendent vivement sur le phénomène
de la reptation politique autrement appelée
« transhumance ». S’il n’adopte pas une attitude vigoureuse
face à ces politiciens qui rampent comme des batraciens vers le nouveau pouvoir
il n’aura pas compris que Wade a bâti sa propre impopularité en acceptant de
recycler des politiciens que les Sénégalais avaient sanctionnés bannis.
3. Enfin la question sociale reste le dossier
le plus sensible ne serait-ce que du point de vue de l’urgence et de la demande
immédiate. A ce sujet le problème le plus difficile est la question du chômage
qui a atteint dans notre pays « un niveau métaphysique » pour
reprendre la formule du professeur Hamady Aly Dieng. Le Sénégal est l’un des
rares pays démocratiques où le taux chômage n’entre pas en ligne de compte dans
le débat politique. Aux Etats-Unis jusqu’à une date récente aucun président n’a
été réélu avec un taux de chômage supérieur à 7,4 pour cent. Qu’on ne s’y
trompe pas, au rythme où vont les choses
si la vague déferlante du chômage n’est pas endiguée, il y aura un grand
nombre de jeunes qui ne trouveront jamais un travail licite durant toute leur
vie.
Tout compte fait, le Sénégal devra évoluer vers
une démocratie sociale. Il y a certainement un grand détour à faire pour
réconcilier les Sénégalais avec la plus noble des politiques.
KHALIFA TOURE
776151166/709341367
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